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MERCURE DE FRANCE, OCTOBRE 1812. 11 nombre de milles qu'il a parcourus, et la distance d'un lieu à un autre, depuis son arrivée à Buenos-Ayres jusqu'à Potosi et à Lima.

L'intérêt de cette relation, comme on peut croire, est assez borné. Tout voyage spécial et qui a pour objet particulier, soit une découverte, soit une science quelconque, court risque de ne plaire qu'à ceux qu'intéresse cette science ou cette découverte. Il n'en est pas ainsi des Voyages qui, traitant des mœurs, des coutumes, de la religion et du gouvernement des différens peuples, nous représentent l'homme sur les différens points du globe, avec ses analogies ou ses variétés, et sont, pour toutes les classes de lecteurs, aussi instructifs qu'amusans. Un grand esprit d'observation, de la candeur et de la simplicité dans les récits, telles sont les qualités qui, même encore aujourd'hui, sont le plus généralement estimées dans les voyageurs. On rend une justice éclatante et bien méritée à ceux dont les nobles travaux vont enrichir de nouveaux trésors, l'histoire naturelle ou les sciences physiques; mais si, trop occupés de leurs savantes recherches, ils négligent l'homme pour le sol, le monde moral pour le monde physique, leurs descrip tions les plus brillantes n'auront, pour le plus grand nombre, d'autre mérite que celui d'un paysage sans figures, et que n'anime aucune scène vivante.

On aurait tort de conclure de ce que nous venons de dire, que le Voyage de M. Helms soit absolument dénué d'intérêt. Ce n'est pas un spectacle indigne de l'observateur philosophe, que celui d'une réunion de savans», animés du seul désir de répondre à la confiance dont un gouvernement étranger les honore, mais que toute la protection de ce même gouvernement ne peut rendre assez puissans pour opérer le bien, et triompher seulement d'un intendant de province: tant l'intérêt général est faible contre la plus petite poignée d'intérêts particuliers! Ici c'est un gouverneur qui, accoutumé à se faire payer quatre fois la valeur des matériaux qu'al fournit pour les ateliers des mines, s'irrite contre les procédés économiques que M. Helms veut introduire là, c'est un vice-roi, qui, quoiqu'il ait en mains, des

fonds considérables destinés aux travaux dont M. Helms est chargé, lui refuse tout secours pécuniaire, et s'oppose même à tout autre moyen qu'il pourrait tenter pour s'en procurer. Ailleurs ce sont des négocians qui, dans le pays de l'or, prêtent à quarante pour cent, et qui, lorsque M. Helms s'élève contre une aussi énorme usure, forment des cabalos contre lui et ses compatriotes, et les représentent aux paysans indiens comme des hérétiques, des juifs et des fripons.

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Pendant long-tems le courage de M. Helms est égal aux obstacles qu'il rencontre. Le zèle de la science et du bien public semble le soutenir. Sa santé finit cependant par en être altérée. On lui voit faire non-seulement les fonctions de directeur, mais encore le métier de charpentier, de maçon, de serrurier. On ne peut s'empêcher de rendre justice à sa persévérance.

Au surplus, la mission des minéralogistes allemands n'est pas le seul objet d'utilité publique dont se soit Occupé le gouvernement espagnol et toujours sans succès. Le roi d'Espagne avait déjà rendu quelques lois trèssages dans la vue d'améliorer le sort des Indiens qui travaillent à l'exploitation des mines. Ces lois n'ont pas même été promulguées; et ces hommes patiens et laborieux, à qui l'on doit tout l'or et l'argent qui vient de l'Amérique espagnole, gagnent à peine de quoi acheter *pour leur repás un peu de pommes-de-terre et quelques patates.

Voici le portrait que fait M. Helms de cette classe d'Indiens:

<«< Ils sont d'un caractère doux, patient et soumis; » mais dans l'état abject où on les a mis, et opprimés » par les subdélégués, ils sont devenus timides et soup» çonneux. Il est à présumer que s'ils avaient reçu une >> meilleure éducation et un traitement plus doux, ils

auraient formé un des meilleurs peuples qu'il y ait sur » la terre; car, dans leurs relations entr'eux, ils ont tou» jours donné des preuves de leur humanité et de leur >> amour pour la justice. Ils montrent beaucoup moins d'égoïsme et d'orgueil que les créoles; ils paraissent » avoir aussi des idées plus vraies du juste et de l'injuste.

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»Hs sont d'une couleur cuivrée; ils ont une physio» nomie agréable et une conformation vigoureuse; ils » sont d'une taille moyenne et doués d'un excellent ju»gement; ils sont cependant plus portés à la mélancolie » qu'à la gaîté. »

M. Helms est en général très-sobre de réflexions. Il se contente d'observer, sans chercher à former de conjectures. A quelques milles de Potosi, sont de grandes masses de granit: il s'étonne de les trouver là, et à une 'aussi grande distance de Tucuman où finissent les montagnes granitiques.

« Ont-elles été roulées, dit-il, par un déluge uni»versel? ou bien ont-elles été lancées par quelque autre » révolution de la nature, partielle et locale? J'aban» donne la solution de cette question aux naturalistes systématiques et aux géologues. »

Nous accorderons volontiers au traducteur français que l'ouvrage est écrit d'un style simple, clair, précis et laconique. Nous ne conviendrons pas aussi facilement de ce qu'il dit ensuite: «Que M. Helms rend le lecteur » present partout où il passe, et le fait assister à tous les » événemens et à toutes les scènes qu'il décrit. » On ne ferait pas autrement l'éloge d'un style brillant et pittoresque; et, comme nous l'avons déjà dit, une bonne moitié de l'ouvrage n'est qu'un journal de route, dans lequel l'auteur ne s'élève pas au-dessus de la rédaction d'un livre de postes.

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La première traduction du Voyage de M. Helms parut en anglais. Il en a été fait, en très-peu de tems, deux éditions à Londres. C'est sur la dernière de ces éditions qu'a été faite la traduction française.

Le Voyage de M. Helms ne contient que 78 pages; mais par une petite ruse de l'éditeur anglais, ruse connue à Londres comme à Paris, on est parvenu à enfler le volume et à le porter à 257 pages, en ajoutant des particularités sur les possessions espagnoles dans l'Amérique méridionale, extraites de différens voyageurs.

EUVRES DE PONCE DENIS (ECOUCHARD) LE BRUN, membre de l'Institut de France et de la Légion-d'Honneur, mises en ordre et publiées par P. L. GINGUENÉ, membre de l'Institut; et précédées d'une Notice sur sa vie et ses ouvrages, rédigée par l'Editeur. - Quatre vol. in-8°, imprimés par Crapelet. - A Paris, chez Gabriel Warée, libraire, quai Voltaire, no 21.

(TROISIÈME ARTICLE.) (1).

LE BRUN annonça, dès le premier pas qu'il fit dans la carrière lyrique, cette noblesse de style, ce sentiment exquis de l'harmonie, et aussi cette hardiesse d'expression qui l'ont distingué jusqu'à la fin. Lorsqu'un jeune homme de vingt ans envoie à un concours académique une ode telle que celle qui a pour titre : L'Amour des Français pour leurs rois consacré par les monumens publics (2); lorsqu'il emploie déjà heureusement et qu'il manie avec adresse un rhythme difficile (3), lorsqu'il ose dire au bon Henri, en contemplant sa statue :

Tu revis dans le coeur d'un peuple qui t'adore ;

Ton souvenir est roi ; op aan

et qu'après avoir avoué les désastres qui ternirent la fin du beau règne de Louis XIV, il ajoute cette image aussi neuve qu'elle est grande et poétique :

Mais le flambeau des arts dissipa ces nuages ;
Le siècle de Louis, malgré de vains orages,

S'élève avec splendeur sur les siècles divers,

Comme on voit du Mont-Blanc la cîme éblouissante,
Des Alpes, à ses pieds, souveraine imposante,
S'élever dans les airs ;

(1) Voyez les deux premiers articles dans les Mercures du 25 juillet et du 29 août.

(2) T. I des Œuvres, 1. I, ode V, p. 16.

(3) Ce sont de grandes strophes composées de huit vers hexamètres, et de deux vers de huit syllabes, tombant avec grace après le 3o et après le 8« vers.

certes, on peut concevoir de lui de grandes espérances. On l'attend au second pas. Son jeune ami part pour Cadix, et quitte les Musés pour le commerce; et cet ami est le petit-fils du grand Racine; et ils ont été élevés ensemble sous les yeux de Louis Racine dans l'amour de la poésie et des lettres. Quoi! lui dit-il (1),.

Quoi ! tu fuis les neuf sœurs pour l'aveugle fortune!
Tu quittes l'amitié qui pleure en t'embrassant!
Tu cours aux bords lointains où Cadix voit Neptune
L'enrichir en la menaçant!

Sur les flots où tu suis ta déesse volage,

Puissent de longs regrets ne point troubler ton cours!
Les Muses, l'amitié, ces délices du sage,

N'ont point d'infidèles retours.

Ton père nous guida tous deux sur le Parnasse
Nos jeunes pas erraient dans les mêmes sentiers;
Nos jeunes cœurs, épris de Tibulle et d'Horace,
Aspiraient aux mêmes lauriers.

Quel doux soleil nous vit, pleins de tendres alarmes
Pleurer avec Junie et Monime, tes sœurs !
Infidèle à ton nom; infidèle à tes larmes,

Quel bien te vaudra ces douceurs?

Je demeure, et tu pars! comme un tilleul paisible
Qui borne ses destins à de rians vallons,
Quand le pin hasardeux fend la vague terrible
Et s'abandonne aux aquilons.

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O combien ton aïeul frémit au sombre empire
De voir qu'impatient des trésors du Bætis,
Son fils, son doux espoir, sur un frêle navire
Se livre aux fureurs de Thétis!

Malheur à qui des mers franchit la borne antique,
Pour se désaltérer dans les sources de l'or!

Et voilà le jeune poëte qui après avoir maudit cet amour de l'or ou plutôt cet or même, et les malheurs qu'il cause, et les crimes qu'il fait commettre, lui reproche le sang qu'il fit verser dans le nouveau monde, et celui de Mon

(1) L. I, od. XIII, p. 38.

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