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mes et de locutions latines dont l'abondance des matières l'a obligé de se servir, et qui ont fait de son ouvrage l'un des plus riches dépôts de la langue des Romains. On a eu raison de dire, que, sans Pline, il aurait été impossible de rétablir la latinité; et cela doit s'entendre, non - seulement des mots, mais de la variété de leurs acceptions, et de celle des tours et de tous les mouvements du style. Il est certain aussi que, partout où il lui est possible de se livrer à des idées générales ou à des vues philosophiques, son langage prend de l'énergie et de la vivacité, et ses pensées, quelque chose de hardi et d'inattendu, qui dédommage de la sécheresse de ses énumérations, et peut lui faire trouver grâce près du grand nombre de lecteurs pour l'insuffisance de ses indications scientifiques. Peut-être cherche-t-il trop les pointes et les oppositions, et n'évite-t-il pas toujours l'emphase; on lui trouve parfois de la dureté, et, dans plusieurs endroits, une obscurité qui tient moins au sujet qu'au desir de paraître pressant et serré : mais il est toujours noble et grave, et partout plein d'amour pour la justice et de respect pour la vertu ; d'horreur pour la cruauté et pour la bassesse dont il avait sous les yeux de si terribles exemples; enfin de mépris pour le luxe effréné, qui, de son temps, avait si profondément corrompu le peuple romain. On ne peut trop louer Pline sous ces divers rapports; et, malgré les défauts que nous sommes obligés de lui reconnaître quand nous le considérons comme naturaliste, nous ne le regardons pas moins comme l'un des auteurs les plus recommandables et les plus dignes d'être placés au nombre des classiques, parmi ceux qui

ont écrit après le règne d'Auguste. Toutefois on doit dire qu'il était àpeu-près athée, ou du moins qu'il ne reconnaissait d'autre Dieu que le Monde, et que peu de philosophes ont exposé le système du panthéisme avec plus d'étendue et d'énergie qu'il le fait dans son 2e. livre. L'Histoire naturelle fut le dernier ouvrage de Pline; car, l'année d'après sa publication, il périt d'une mort funeste. Il était à Misène, où il commandait la flotte qui avait la garde de toute la partie de la Méditerranée comprise entre l'Italie, les Gaules, l'Espagne et l'Afrique, lorsqu'arriva une grande éruption du Vésuve. On était au mois d'août, et il s'occupait à l'étude. Sa sœur vint l'avertir qu'un immense nuage, semblable à un arbre, s'élevait d'une montagne voisi ne. Il se porta sur un lieu élevé, d'où il observa quelque temps cette espèce de colonne de cendre et de fumée; puis il se hâta de faire appareiller des bâtiments, et se mit en mer pour voir plus distinctement ce qui pouvait l'occasionner, et pour porter des secours où il serait nécessaire. Il se rendit ainsi vers Resina, et d'autres endroits de la côte, qui étaient précisément ceux d'où chacun fuyait. Pour lui, sa présence d'esprit ne l'abandonna point : à chaque instant il notait sur ses tablettes les diverses variations qu'éprouvait le phénomène. Malgré les cendres et les pierres brûlantes qui tombaient de tous côtés, et qui atteignaient même son escadre, il prit terre à Stabia, où se trouvait Pomponianus, l'un de ses officiers; il s'y mit au bain, y soupa et s'y coucha. Cependant l'éruption allait croissant; des flammes et des torrents de laves répandaient partout la terreur des secousses répétées de tremblements de

:

terre ébranlaient beaucoup d'édifi-
ces. La cour de la maison où était
Pline s'emplissait tellement de cen-
dres et de pierres, que la sortie lui
serait devenue impossible, si ses
gens ne l'eussent réveillé. On s'enfuit
vers le rivage, les têtes couvertes de
coussins à cause des pierres; mais
la mer trop agitée ne permit point
de se rembarquer. De nouvelles flam-
mes survenues avec une odeur de
soufre, mirent tout le monde en fui-
te. Deux esclaves seulement restè
rent auprès du malheureux Pline,
qui périt suffoqué par les cendres
ou par les exhalaisons sulfureuses
du volcan. Nous lisons ces détails
dans une lettre de Pline-le-Jeune à
Tacite, qui les lui avait demandés
pour en enrichir son histoire. On ne
peut douter que cette éruption ne
soit la même que celle dont beau-
coup d'historiens ont fait mention,
et qui, la première année du règne de
Titus, détruisit les villes d'Hercula-
num et de Pompeia : d'ailleurs, Pli-
ne-le-Jeune, dans sa lettre à Mar-
cus, où il donne la liste de tous les
ouvrages de son oncle, affirme que ce
grand écrivain mourut à cinquante-
six ans: ainsi, l'on ne peut compren-
dre comment Sammonicus Serenus,
et d'après lui Macrobe, saint Jérôme
et saint Prosper, ont pu le faire vivre
jusqu'à la douzième année du règne de
Trajan, si ce n'est qu'ils l'aient con-
fondu avec l'autre Pline, son neveu,
dont il paraît que les Lettres étaient
fort peu répandues de leur temps,
et ne l'ont guère été davantage, que
vers le douzième siècle (1). C'est dans
ces lettres que Pline-le-Jeune nous ex-
plique comment son oncle, mort dans
un âge si peu avancé, et ayant eu une
si grande partie de son temps rem-

(1) Voy. les Recherches de M. L. C. F. Petit. Radel, sur les Bibliothèques, p. 125.

plie par la guerre et les affaires, était
cependant parvenu
à composer des

en

ouvrages si nombreux et si pleins de
recherches. Jamais homme ne sut
mieux mettre tous ses moments à
profit. En été, il se livrait à l'étude
dès que la nuit était venue; en hiver,
dès une ou deux heures du matin,
souvent à minuit. Quelquefois le som-
meil le prenait et le quittait sur ses
livres. Pendant ses repas, lorsqu'il
sortait du bain, et dans sa litière,
voyageant ou en parcourant la ville,
il avait toujours un lecteur, et un co-
piste à qui il dictait des extraits de
ce qu'il entendait lire. Il paraît avoir
porté cette ardeur du travail jusqu'à
la minutie, puisqu'il reprit un jour,
pendant le dîner, un de ses amis qui
avait fait recommencer un mot mal
lu: Ne l'aviez-vous pas compris, dit-
il? votre interruption nous coûte dix
lignes. Jamais il n'allait à pied, de
peur de perdre du temps, et il gron-
da son neveu un jour que par ha-
sard il apprit qu'il s'était promené.
Aussi les notes et les extraits qu'il
laissa à sa mort, formaient-ils cent-
soixante volumes d'une écriture fort
menue; et déjà plusieurs années au-
paravant, lorsque ce recueil n'é-
tait pas si complet, un amateur,
nommé Larcius Licinius lui en
avait offert 400,000 sesterces. Les
exemplaires d'un ouvrage aussi sa-
vant, et nécessaire à autant de
professions quel'Histoire naturelle de
Pline, durent beaucoup se multi-
plier; et c'est, en effet, l'un des
anciens livres dont on a le plus de
manuscrits entiers. C'est aussi l'un
de ceux que l'on s'empressa davan-
tage d'imprimer. Les premières édi-
tions parurent à Venise, en 1469,
et à Rome, 1470 ( Voy. PEROTTI,
XXXIII, 396 et 397): ct il en
existe aujourd'hui quatre-vingt-

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dix-huit à cent, dont plus de cinquante appartiennent au seizième siècle. Les plus remarquables, par les corrections des éditeurs et par les notes dont ils les ont enririchies, sont celle d'Hermolaus Barbarus, en 1492, de Sigismond Gelenius, en 1535, de Jacques Dalechamp, en 1587, et de Jean Hardouin, jésuite, en 1685, 5 vol. in4°., reproduite en 1723: cette dernière, en 3 vol. in-fol., est la plus célèbre, et celle dont on a depuis généralement réimprimé le texte. On estime la partie géographique et historique des notes, surtout à cause des médailles dont Hardouin a tiré parti pour l'éclaircir. L'attention qu'il a eue de comparer les passages de Pline avec les autenrs originaux dont ils sont tirés, est également un grand avantage de son édition; mais, en ce qui concerne l'histoire naturelle, le travail d'Hardouin est presque aussi imparfait que le texte de Pline. L'édition la plus utile, et la plus commode, est aujourd'hui celle de Franzius, en 10 vol. in-8°., Leipzig, de 1778 à 1791, où l'on a conservé les notes d'Hardouin, en y joignant un choix de celles de plusieurs autres éditeurs. Deux auteurs anciens ont fait à Pline de nombreux emprunts sans le citer: Tertullien, dans son Apologétique, et Solin dans son Polyhistor. Celui-ci en copie jusqu'aux mots et aux phrases: aussi a-t-il été surnommé le Singe de Pline; et parmi les ouvrages les plus utiles pour l'intelligence et la rectification du texte de Pline, on doit placer au premier rang les Exercitationes Plinianæ in Solinum, de Saumaise, 2 vol. in-fol., Paris, 1629; et Utrecht, 1689. Mais le livre où tout ce qui concerne la vie, les ouvrages et la

personne de Pline, est traité avec le plus de d'érudition, c'est celui du comte de Latour - Rezzonico, patricien de Come, et chambellan du duc de Parme, qui porte pour titre: Disquisitiones Pliniana, en 2 vol. in-fol., Parme, 1763, 1767. Il existe aussi de nombreux extraits de Pline, parmi lesquels on doit distinguer ceux de Heyne: ExPlinii Hist. nat. excerpta quæ ad artes spectant, Göttingen, 1790, in-8°,; et l'on a des commentaires spéciaux sur certaines parties de son ouvrage, tels que celui de Gronovius, In librum Plinii de aquatilibus, Leyde, 1778. in-8°. Pline a été traduit dans un grand nombre de langues; en italien, par Landini, dès 1476; par Bruccioli, en 1548, et par Domenichi, en 1561; en allemand, par Denso, Greifswald, 1764-66, 2 vol. in-4°., et par Grosse, Francfort, 1781-88, 12 vol. in8°.; en anglais, par Philemon Holland, 1601, in-fol.; en espagnol par Jérôme Huerta en 1624; en vieux français, par Dupinet, en 1566, version souvent réimprimée. On assure qu'il en existe une traduction arabe par Honam, fils d'Isaac. Malesherbes en a fait faire une nouvelle traduction française, par Poinsinet de Sivry, avec des notes de Bouguer et de Lalande sur la partie astronomique, et de Guettard sur les minéraux, en 12 vol. in-4°., Paris, 1771-1782. La partie géographique est, dit-on, moins mauvaise qne

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le reste; mais ce qui regarde l'histoire naturelle y est fort mal commenté, et la traduction même fourmille de fautes grossières. Feu M. Gueroult en a traduit avec beaucoup plus de fidélité et d'élégance quelques Morceaux choisis, Paris 1809, 2 vol. in-8°., et les Livres sur les animaux, 3 vol., ibid., 1802:

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PLINE-LE-JEUNE (CAIUS-CACILIUS-PLINIUS-SECUNDUS), nevcu du précédent, naquit à Come, ville municipale d'Italie, où son père, Cécilius, tenait un rang honorable. Son éducation fut dirigée avec le plus grand soin; et il répondit si bien aux efforts de ses maîtres, qu'à l'âge de quatorze ans, il composa une tragédie grecque. Quintilien et Nicétas de Smyrne, les deux premiers rhéteurs de Rome et de la Grèce, le formèrent à l'éloquence. Appelé à un commandement militaire dans les légions de la Syrie, aux devoirs de la guerre il allia les leçons de la philosophie, qu'il puisait dans des conférences avec Euphrate son maître en peu de temps devint son admirateur. Pline le naturaliste, son oncle maternel, n'ayant point d'enfants, se fit une joie de l'adopter; et le fils de Cécilius travailla sans relâche à se rendre digne de cet honneur. Lorsque son père adoptif eut péri victime de son ardeur à interroger la nature, Pline, à peine âgé de dix-neuf ans, se jeta dans la carrière du barreau, et, malgré les contradicteurs de sa gloire, s'y maiutint à un éminent degré de considération. Les longues plaidoiries plaisaient à son goût

pour l'abondance oratoire ; et il parlait quelquefois pendant cinq ou six heures consécutives: quelques-uns de ses contemporains le décrièrent comme un admirateur exclusif de Cicéron, et comme un contempteur de l'éloquence de son siècle; mais Quintilien, et tous les soutiens des antiques traditions, applaudissaient à la direction qu'il donnait à son talent. Les causes les plus considérables où il eut à porter la parole, furent, l'accusation intentée par les ha bitants de la Bétique, dont il était l'organe, contre Bæbius Massa et Cécilius Classicus, leurs gouverneurs, et l'accusation contre Marius Priscus, gouverneur d'Afrique. Dans cette dernière circonstance, il plaida devant le sénat, et devant Trajan, qui, touché du zèle de l'orateur, et craignant pour lui les suites d'une plaidoirie trop prolongée, le fit prier par un affranchi, de ménager ses forces. Pline n'avait point été intimidé par la tyrannie de Domitien, et avait échappé aux délateurs; il réclama contre eux, au nom de leurs victimes, lorsque la justice eut reparu avec le règne de Nerva. Non content d'avoir écarté du consulat l'homme qui avait fait tomber la tête d'Helvidius son ami, fils de cet autre Helvidius, si célèbre par ses vertus stoïques, il voulut consacrer un monument à ses mânes dans un ouvrage en trois livres, qu'il intitula; De la vengeance d'Helvidius. Son plaidoyer pour Accia Variola, déshérité par son père, fut regardé comme son chefd'oeuvre. Il obtint le titre de tribun du peuple, exerça la préture sous Domitien; et lorsque cet empereur proscrivait impitoyablement tous ceux qui portaient le manteau de philosophe, Pline demeura fidèle à l'amitié qui l'unissait à plu

sieurs, et les força d'accepter ses secours dans leur exil. Une accusation dirigée contre lui fut trouvée parmi les papiers de Domitien; et il y a lieu de croire qu'il y eût succombé, si la mort du tyran n'eût prévenu ce danger. Pline, sous les règnes suivants, fut préfet du trésor, consul, gouverneur de Bithynie et de Pont, commissaire de la voie Émilienne, et enfin augure. Son administration dans la Bithynie fut digne de Trajan, qu'il y représentait. Lorsqu'il s'élevait des difficultés majeures, il en référait à l'empereur; et un commerce affectueux s'entretenait entre ces deux grands hommes. La Lettre que Pline écrivit en faveur des Chrétiens, est justement fameuse, et dépose de sa tolérance éclairée. Les vertus du proconsul engagèrent, dit-on, quelques-uns des sectateurs de la nouvelle religion, à le compter parmi les leurs, et à lui donner une place dans leurs diptyques, en le confondant, par une pieuse erreur, avec un Secundus, dont le nom y était inscrit. Pline, de retour à Rome, se partagea entre les affaires publiques et les douceurs de la vie privée, passant la plus grande partie de son temps dans une belle mai son de campagne, située au bord du lac de Come qu'il décrit avec détail (Epist. 30, lib. IV), et qui subsiste encore, sous le nom de Pliniana: elle appartient au marquis Canarisi. (1) Pline-le-Jeune mourut vers l'an 103 de notre ère, dans sa cinquanteunième année. Calpurnie, sa seconde épouse, partageait sa passion pour les lettres, et jouissait avec transport de ses succès. Il n'en eut point d'enfants, et put se

(1) Il en avait encore deux autres (Laurentinum et Tusci), qu'il decrit ( Epist. 11, 17, et V.6) avec non moins de complaisance. (V. J. F. FELIBIEN.)

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livrer, sans contrainte, à sa libéralité envers ses amis. Il en eut d'il. lustres, et il suffit de nommer Virginius Rufus son tnteur, fameux pour avoir refusé l'empire; Helvidius Rusticus Arulenus et Sénécion, victimes de la cruauté de Domitien Frontin, Ariston, Neratius, renommés entre les jurisconsultes; Quintilien, dont il dota noblement la fille; Suétone, Silins - Italicus, Martial, et surtout Tacite. Ce fut un beau spectacle que la constante amitié qui unit ces deux grands hommes, rivaux de gloire au barreau, et dans l'attente de cette postérité sur laquelle tous les deux tenaient leurs yeux fixés. Le temps nous a envié une partie des productions de Tacite; et celles qu'il a laissées l'ont élevé plus haut que Pline dans l'estime des hommes de goût. La moitié des écrits de Pline a également péri; nous n'avons plus ses poésies, ni l'histoire deson temps qu'il avait composée, ní ses plaidoyers (2). Ses Lettres, et son Panegyrique de Trajan, sont seuls arrivés jusqu'à nous et ont trouvé dans Sacy, un habile traducteur dont le mérite a été néanmoins exagéré. Il y a trop d'art dans les lettres de Pline; mais s'il n'a pas l'abandon de Cicéron, il s'éloigne encore plus de l'apprêt de Sénèque. On s'aperçoit qu'il les a faites avec réflexion, et dans l'intention qu'elles fussent recueillies: elles ont une sorte d'aisance apparente; mais on voit qu'elles sont travaillées, à l'attention et au soin qu'il a d'y semer toujours quelques pensées, quelques maximes. Accueilli de bonne heure à la cour ombrageuse des césars, il observe le silence d'un cour

(2) On a sous le nom de Pline le jeune un Recueil de Vies d'hommes illustres; mais la plupart des savants attribuent eet ouvrage à Aurelius Victor (V. ce nom ).

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