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qu'il y ait, à cet égard, aucun doute, le neveu de Pline par sa sœur, et son fils adoptif, Gaïus Cæcilius, si connu, dans les lettres et dans l'histoire, sous le nom de Pline-le-Jeune. Pline vint de bonne heure à Rome, où il entendit Appion, mais où il ne paraît pas qu'il ait vu Tibère, cet empereur s'étant déjà retiré à Caprée. D'après le détail qu'il donne sur les pierreries qu'il dit avoir vues à Lollia Paulina on juge que, malgré sa jeunesse, il assista quelquefois à la cour de Caligula. Il remarquait dès-lors avec soin les productions intéressantes de la nature, et surtout les animaux singuliers que les empereurs donnaient en spectacle dans les jeux publics. Il raconte en détail, et comme témoin oculaire, le combat livré par ordre de Claude, et devant tout le peuple romain, à un grand cétacé qui s'était laissé prendre vivant dans le port d'Ostie. Cet événement étant arrivé pendant que cet empereur faisait construire ce port, c'est-àdire la seconde année de son règne, Pline ne pouvait avoir que dix-neuf ans. On sait aussi, par son propre rapport, que vers sa 22me, année, il séjourna quelque temps sur la côte d'Afrique, où il fut témoin du changement de sexe de Larius Cossicius, qui, de fille qu'on l'avait cru jusquelà, se trouva être un garçon, le jour même où l'on venait de le marier: mais ce n'est que sur des conjectures assez légères que des écrivains modernes ont supposé qu'à cet âge il servit dans la marine, et qu'il visita la Bretagne, l'Egypte et la Grèce. On voit au contraire, par le témoignage de son neveu, qu'il ent, assez jeune, de l'emploi dans les armées romaines en Germanie. Il y servit sous Lucius Pomponius, dont il gagna l'amitié, et qui lui confia le

commandement d'une aile, c'est-àdire d'un corps considérable de cavalerie. Il profita de cette occasion pour parcourir la Germanie de l'une à l'autre extrémité, puisqu'il assure avoir vu les sources du Danube, et avoir visité les Chauques, peuple qui habitait sur les côtes de l'Ocean. C'est pendant cette guerre, qu'il écrivit son premier ouvrage, où il traitait de l'art de lancer le javelot à cheval (De jaculatione equestri). Le second, qui était une Vie de Pomponius, en deux livres, lui fut inspiré par son devouement pour ce général, et par la reconnaissance qu'il croyait lui devoir. Un songe qu'il eut pendant cette même guerre, et où l'ombre de Drusus lui apparut et lui recommanda sa mémoire, l'engagea dans une entreprise de plus longue haleine, celle de décrire toutes les guerres faites en Germanie par les Romains; ce qu'il exécuta par la suite en vingt livres. Revenu à Rome, vers l'âge de trente ans, il y plaida plusieurs causes selon l'usage des Romains, qui se faisaient un honneur d'allier la profession des armes à celle du barreau. Il passait aussi une partie de son temps à Come, où il surveillait l'éducation de son neveu ; et c'est probablement dans la vue d'être utile à ce jeune homme, qu'il composa trois livres, intitulés Studiosus, dans lesquels il prenait l'orateur au berceau, et le conduisait jusqu'à ce qu'il eût atteint la perfection de son art. D'après une citation qu'en fait Quintilien, on juge qu'il y indiquait jusqu'à la manière dont l'orateur doit se vêtir, se coiffer, et même s'essuyer quand il est à la tribune. Il paraît que, pendant la plus grande partie du règne de Néron, Pline resta sans emploi. Son neveu nous

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apprend que, vers la fin de ce régue, lorsque la terreur inspirée par ce monstre empêchait que l'on ne se livrât à aucune étude d'une nature un peu libérale ou élevée, il composa huit livres intitulés, Dubii sermonis, qui étaient sans doute un traité de grammaire sur l'acception précise et sur la propriété des mots. Cependant il est difficile, d'après le calcul des temps, de ne pas croire que ce soit Néron qui le nomma son procurateur en Espagne; car on est certain, par le témoignage de son neveu, qu'il y a exercé cette charge: il rapporte lui-même quelques observations qu'il fit en ce pays-là; et l'on ne trouve point, dans sa vie, d'autre temps où il ait pu s'y reudre. On doit présumer qu'il y séjourna pendant les guerres civiles de Galba, d'Othon et de Vitellius, et même pendant les premières années de Vespasien. C'est en ce temps qu'il perdit son beau-frère, et que ne pouvant, à cause de son absence, être chargé de la tutelle de son neveu Cæcilius, l'exercice de ce devoir fut confié à Virginius Rufus. Pline, à son retour, s'arrêta vraisemblablement dans le midi de la Gaule; car il décrit, avec une exactitude remarquable, la province de Narbonne, et particulièrement la fontaine de Vaucluse. Ilassure même avoir vu dans ce canton, une pierre que l'on disait être tombée du ciel. Vespasien, avec qui il s'était lié pendant les guerres d'Allemagne, l'accueillit avec fayeur, et il l'appelait auprès de lui chaque matin, avant le lever du soleil; ce qui, au rapport de Suétone et de Xiphilin, était un privilége que cet empereur réservait à ses amis particuliers. Toutefois l'on ne voit pas positivement si Vespasien éleva Pline à la dignité de sénateur. Quelques écri

vains ont dit, mais sans aucune preuve, que Pline avait servi dans la guerre de Titus contre les Juifs. Ge qu'il rapporte de la Judée n'est pas assez exact pour faire croire qu'il parle d'après ses propres observatious; et même on ne peut guère placer qu'à cette époque de sa vie la composition de l'avant-dernier de ses ouvrages, ou de l'Histoire de son temps, en trente-un livres, faisant suite à celle qu'avait écrite Aufidius Bassus : ce qui, autant qu'on peut le soupçonner sur quelques citations assez peu concluantes, devait remonter jusqu'au règne de Tibère. Mais si Pline ne combattit point en Judée, il n'en fut pas moins très-aimé de Titus, dont il avait été le compagnon dans d'autres guerres; et ce fut à lui qu'il dédia le dernier et le plus considérable de ses écrits, son Histoire naturelle, en trente sept livres. Les titres qui sont attribués à Titus, dans cette dédicace, prouveraient que ce travail fut terminé en l'an 78 de notre ère, et lorsque l'auteur était âgé de cinquante-trois ans; mais il est évident qu'il avait dû employer la meilleure partie de sa vie à en rassembler les matériaux. Ce grand ou vrage est le seul de ceux de Pline qui soit arrivé jusqu'à nous. Il est en même temps l'un des monuments les plus précieux que l'antiquité nous ait laissés, et la preuve d'une érudition bien étonnante dans un homme de guerre et un homme d'état. Pour apprécier avec justice cette vaste et célèbre composition, il est nécessaire d'y distinguer le plan, les faits et le style. Le plan en est immense. Pline ne se propose point d'écrire seulement une histoire naturelle dans le sens restreint où nous prenons aujourd'hui cette science, c'est-à-dire, un traité plus ou

que

moins détaillé des animaux, des plantes et des minéraux : il embrasse l'astronomie, la physique, la géographie, l'agriculture, le commerce, la médecine et les arts, aussi bien l'histoire naturelle proprement dite; et il mêle sans cesse à ce qu'il en dit, des traits relatifs à la connaissance morale de l'homme et à l'histoire des peuples, en sorte qu'à beaucoup d'égards, on a pu dire de cet ouvrage, qu'il était l'encyclopédie de son temps. Après avoir donné, dans son premier livre, une sorte de Table des inatières et les noms des auteurs dont il s'appuie, il parle, dans le second, du monde, des éléments, des astres et des principaux météores. Les quatre suivants forment une géographie des trois parties du monde alors connu. Le septième traite des différentes races d'hommes, et des qualités distinctives de l'espèce humaine, des grands caractères qu'elle a produits, et des plus remarquables de ses inventions. Quatre livres sont consacrés ensuite aux animaux terrestres, aux poissons, aux oiseaux et aux insectes. Les espèces de chaque classe y sont rangées d'après leur grandeur ou leur importance. Il y est question de leurs mœurs, de leurs qualités utiles ou nuisibles, et des propriétés plus ou moins singulières qu'on leur attribue. A la fin du livre des insectes, il est parlé de quelques-unes des subtances produites par les animaux, et des parties qui composent le corps humain. La botanique est ce qui occupe le plus de place. Dix livres sont employés à faire connaitre les plantes, leur culture et leur emploi dans l'économie domestique et dans les arts, et cinq à énumérer les remèdes qu'elles fournissent. Cinq autres traitent des remèdes que l'on tire des animaux. Enfin, dans les cinq der

niers, Pline décrit les métaux et leur exploitation, les terres, les pierres et leurs usages pour les besoins de la vie, pour le luxe et pour les beaux-arts; citant, à propos des couleurs, les tableaux les plus célèbres, et, à propos des pierres et des marbres, les plus belles statues et les pierres gravées les plus estimées. Il etait impossible qu'en parcourant même rapidement ce nombre prodigieux d'objets, l'auteur ne fit connaître une multitude de faits remarquables, et devenus pour nous d'autant plus précieux, qu'il est aujourd'hui le seul écrivain qui les rapporte. Malheureusement la manière dont il les a recueillis et exposés, leur fait perdre beaucoup de leur prix, par le mélange du vrai et du faux, qui s'y trouvent en quantité presque égale, mais surtout par la difficulté, et même, dans la plupart des cas, l'impossibilitéde reconnaître de quels êtres il a précisément voulu parler. Pline n'a point été un observateur tel qu'Aristote; encore moins un homme de génie, capable, comme ce grand philosophe, de saisir les lois et les rapports d'après lesquels la nature a coordonné ses productions. Il n'est, en général, qu'un compilateur, et même le plus souvent un compilateur qui, n'ayant point par lui-même d'idée des choses sur lesquelles il rassemble les témoignages des autres, n'a pu apprécier la vérité de ces témoignages, ni même toujours comprendre ce qu'ils avaient voulu dire. C'est, en un mot, un auteur sans critique, qui, après avoir passé beaucoup de temps à faire ses extraits, les a rangés sons certains chapitres, en y joignant des réflexions qui ne se rapportent point à la science proprement dite, mais offrent alternativement les croyances les plus supersti

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le ca

ple, aucune des fables des voyageurs
grecs, sur les hommes sans tête,
sans bouche, sur les hommes à un
seul pied, sur les hommes à grandes
oreilles, qu'il ne place dans son sep-
tième livre, et avec tant de confiance,
qu'il en termine l'énumération par
cette remarque: Hæc atque talia ex
hominum genere, ludibria sibi, no-
bis miracula, ingeniosa fecit na-
tura. Que l'on juge, d'après cette
facilité à répéter des récits absur-
des sur l'espèce humaine, du discer-
nement qu'il a pu mettre à choisir
les témoignages sur des animaux
étrangers ou peu connus. Aussi les
animaux les plus fabuleux, les man-
tichores à tête humaine et à queue de
scorpion, les chevaux ailés,
toplébas, dont la vue seule fait pé-
rir, y jouent-ils leur rôle à côté de
l'éléphant et du lion. Cependant tout
n'est pas faux, même dans ceux de
ses articles qui sont le plus remplis
de faussetés. On peut quelquefois re-
monter aux vérités qui leur ont servi
de base, en se rappelant que ce sont
des extraits de voyageurs, et en sup-
posant que l'ignorance et l'amour du
merveilleux des voyageurs anciens,
les ont entraînés dans les mêmes exa-
gérations et leur ont dicté les mêmes
descriptions vagues et superficielles
dont nous sommes choqués dans un si
grand nombre de voyageurs moder-
nes. Un autre défaut très-grave de
Pline, c'est qu'il ne rend pas toujours
le vrai sens des auteurs qu'il traduit,
surtout quand il s'agit de la désigna-
tion des espèces. Malgré le peu de
moyens qui nous restent aujourd'hui,
pour juger avec certitude de ce genre
d'erreurs, il est facile de prouver
qu'en plusieurs occasions il a substi-
tué au mot grec, qui désignait un
animal dans Aristote, un mot latin
qui appartenait à un autre. Il est

tieuses, ou les déclamations d'une philosophie chagrine, qui accuse sans cesse l'homme, la nature et les dieux eux-mêmes. On ne doit donc point considérer les faits qu'il accumule dans leurs rapports avec l'opinion qu'il s'en faisait; mais il faut les rendre, par la pensée, aux écrivains dont il les a tirés, et y appliquer les règles de la critique, d'après ce que nous savons de ces écrivains et des circonstances où ils se sont trouvés. Étudiée ainsi, l'Histoire naturelle de Pline nous offre encore une mine des plus fécondes, puisqu'elle se compose, d'après son propre témoignage, des extraits de plus de 2000 vol. dus à des auteurs de tout genre, voyageurs, historiens, géographes, philosophes, médecins; auteurs dont nous ne possédons plus qu'environ quarante : encore n'avons nous de plusieurs que des fragments ou des ouvrages différents de ceux où Pline a puisé; et même parmi ceux qui ne nous sont pas restés, il en est un grand nombre dont les noms et l'existence n'ont échappé à l'oubli qu'à cause des citations qu'il en a faites. La comparaison de ses extraits avec les originaux que nous avons encore, et surtout avec Aristote, fait connaître que Pline était loin de prendre de préférence dans ses auteurs, ce qu'ils avaient de plus important et de plus exact. En général, il s'attache aux choses singulières ou merveilleuses, à celles qui se prêtent davantage aux contrastes qu'il aime à établir, ou aux reproches qu'il aime à faire à la Providence. Il est vrai qu'il n'ajoute pas une foi égale à tout ce qu'il rapporte; mais c'est au hasard qu'il doute ou qu'il affirme; et les contes les plus puérils ne sont pas ceux qui provoquent le plus son incrédulité. Il n'est, par exem

vrai qu'une des grandes difficultés qu'éprouvaient les anciens naturafistes, était celle de fixer la nomenclature; et le vice de leurs méthodes se fait sentir dans Pline plus que dans tout autre. Les descriptions, ou plutôt les indications incomplètes qu'il donne, sont presque toujours insuffisantes pour reconnaître les espèces, quand la tradition n'en a pas conservé les noms ; et même il en est un très-grand nombre dont il cite les noms saus y joindre aucun caractère, aucun moyen quelconque de les distinguer. Si l'on pouvait douter encore des avantages des méthodes imaginées par les modernes, on s'en convaincrait en voyant que presque tout ce que les anciens ont dit des vertus de leurs plantes est perdu pour nous, faute de pouvoir distinguer à quelles plantes ils les attribuent. Au reste, ces regrets s'affaiblissent beaucoup par le peu de soin que les anciens, et Pline en par ticulier, ont mis à constater les vertus médicales qu'ils préconisent dans ces plantes. Ils en attribuent tant de fausses et même d'absurdes à celles que l'on connaît, qu'il nous est permis d'être assez indifférents sur les vertus de celles que l'on ne connaît pas. A en croire la partie de l'ouvrage de Pline, qui traite de la matière médicale, il ne serait aucune incommodité humaine pour laquelle la nature n'eût préparé vingt remèdes; et malheureusement, pendant deux siècles après la renaissance des lettres, les médecins ont semblé se plaire à répéter toutes ces puérilités. Dioscoride et lui ont fait le fonds d'une infinité d'ouvrages remplis de recettes que la pédanterie seule a pu y reproduire si long-temps, mais que les véritables lumières ont enfin bannies de la médecine. Il

faut donc l'avouer, Pline, sous le rapport des faits, n'a plus aujourd'hui d'intérêt véritable, que relativement aux mœurs et aux usages des anciens, aux procédés qu'ils ont suivis dans les arts, et à quelques traits d'histoire, ou à quelques détails de géographie que l'on ignorerait sans lui. La partie des arts serait celle qui mériterait le plus qu'on l'étudiât à fond. Il en suit les progrès, il en décrit les productions princi pales; il nomme les artistes les plus célèbres; il indique la manière dont ils travaillaient à leurs ouvrages; et l'on ne peut guère douter que, si l'on parvenait à l'entendre, on ne retrouvât quelques uns des secrets au moyen desquels les anciens exécu taient des choses que nous n'avons pu encore parfaitement imiter: mais ici se reproduisent toutes les difficultés de la nomenclature; il nomme des substances nombreuses ; ce sont ces substances qu'il faudrait faire entrer dans les compositions, ou soumettre aux opérations de l'art, et on neles connaît point; à peine en devinet-on quelques-unes, d'après des caractères équivoques : aussi peut-on dire qu'il n'existe point encore de véritable commentaire sur l'Histoire naturelle de Pline; et que ce serait, de tous les travaux d'érudition, le plus difficile à bien faire, puisqu'il faudrait, pour y réussir, unir à la connaissance la plus complète des écrits des anciens, à celle des monuments de tous genres qu'il nous ont laissés, une connaissance non moins complète des productions de la nature qui ont pu être à leur disposition. Si Pline a pour nous, aujourd'hui, peu de mérite comme critique et comme naturaliste, il n'en est pas de même de son talent comme écrivain, ni du trésor immense de ter

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