Page images
PDF
EPUB

tion de rester à Rome; mais qu'il y servirait volontiers le Roi aussi bien qu'à Paris, en tout ce qui lui serait commandé. Ce ne fut qu'après avoir reçu l'invitation même de M. des Noyers, accompagnée d'une lettre du monarque, qu'il annonça ses dispositions pour son départ en automne. Cependant ses motifs de santé, et peutêtre aussi des pressentiments d'agitation et de trouble succédant à des jours sereins, tels qu'il nous en a dépeint dans ses tableaux, lui faisaient retarder son voyage: il desirait même s'en dégager, quoique le Roi, par sa lettre, en le choisissant pour son peintre ordinaire, l'eût assuré gracieusement « que ses services seraient aussi considérés en France que ses ouvrages et sa personne l'étaient à Rome. » L'année entière s'étant vainement écoulée, M. de Chanteloup hâta un voyage projeté en Italie, et vint à Rome, d'où il emmena son ami en France, avec Gaspar Dughet, vers la fin de 1640. Un carrosse du Roi conduisit le Poussin, de Fontainebleau à Paris, au logement qui lui était destiné dans le jardin même des Tuileries. L'illustre artiste fut présenté, par M. des Noyers, au cardinal, qui l'embrassa. Il fut de suite accueilli honorablement à Saint-Germain par le Roi, qui, s'étant mêlé exprès dans la foule des courtisans, fut distingué sans peine par le Poussin, s'entretint long-temps avec lui, et, dans sa satisfaction, dit, en se tournant vers

me, où il se distingua par de grands ouvrages à fresque. Revenu à Paris en 1623, il peignit à Bagnolet, mais principalement à Ruel, chez le cardinal de Richelieu, des tableaux de perspective des plus surprenants. De retour à Rome, il y travailla sous la direction du Poussin, avec d'autres artistes français, à des copies de tableaux de la galerie Farnèse pour M. de Chanteloup. Il revint ensuite à Paris, où, étant logé, en qualité de peintre du Roi, dans un des pavillons des Tuileries, un incendie consuma ses effets: il se retira et mourut à Gaillon, en 1659.

2

n'a

les courtisans: Voilà Vouet bien attrapé. Bellori, en faisant connaître la lettre même où le Poussin mande ces détails au commandeur del Poz→ ZO rapporte aussi un brevet de S. M. du 20 mars 1641, qui nomme ce savant artiste son premier peintre ordinaire, et lui donne la direction générale de tous les ouvrages de peinture et d'ornements de ses masons royales. L'auteur de l'Eloge du Poussin, couronné à Rouen, point counu ce brevet, lorsque, d'après la lettre du Roi et le silence de Perrault, il a cru devoir accuser d'erreur Félibien et les autres historiens, qui ont dit que S. M. avait nommé le Poussin son premier peintre ordinaire. Vouet ne laissait pas d'être le premier peintre titulaire du Roi. Mais des marques si particulières d'estime, et le mot échappé au monarque, purent accroître la jalousie de cet artiste, sans doute déjà connue. Ce mot, non moins piquant qu'humiliant, aurait été d'un augure sinistre et cruel, si Vouet fût mort la même année (en 1641), comme Félibien et presque tous les biographes qui l'ont suivi, n'ont cessé de le répéter, tandis que, d'après les dates précises données par Bullard et Perrault, Vouet mourut seulement en 1648.Le sujet de la Cène pour l'église de

Saint-Germain-en-Laie, l'un des grands tableaux ordonnés par sa Majesté au Poussin, et achevé en moins de trois mois, fut traité avec ce caractère religieux que demandait l'Institution de l'eucharistie, où J.-C. est debout, tenant une patère, et bénissant le pain, au milieu des apôtres à genoux ou dans l'attitude du respect et du recueillement : il ne doit pas être confondu avec la Cène des Sept Sacrements, où le Sauveur est assis, à table, avec ses disciples.

Indépendamment d'un autre grand ouvrage projeté pour la chapelle de Fontainebleau, la suite des Travaux d'Hercule peints en stuc, dont il fit les dessins pour la grande galerie du Louvre, et dont on n'a peut-être que les esquisses gravées; huit sujets tirés de l'ancien Testament, et dont les cartons, exécutés pour tapisseries, ont été perdus ; d'autres sujets encore demandés par le cardinal de Richelieu, furent en partie achevés, dans la même année: et, quoique ces compositions fussent souvent interrompues (comme il le dit dans une lettre au chever, del Pozzo du 4 avril 1642), par des frontispices de livres, par des décorations d'armoires, par des dessus de cheminée, etc., tant le goût pour les nobles sujets, ajoute-t-il, est si peu constant qu'à peine commencés ou entrepris, ils sont aussitôt quittés ou négligés; ces occupations ne l'empêchèrent pas de terminer un tableau de la plus grande dimension, ordonné par M. des Noyers, pour le Noviciat des Jésuites, celui du Miracle de saint FrancoisXavier. De tels travaux, qui auraient accablé un peintre moins courageux et moins occupé, ne laissaient pas de lui faire sentir le besoin d'être entouré des soins de sa famille, et surtout de ceux de sa fidèle compagne, qui n'avait point quitté Rome, et dont les consolations devenaient nécessaires à sa tranquillité. Outre le peu de repos et de liberté qui lui restait à Paris, les désagréments et les tracasseries que l'ignorance, l'envie et peut-être la cupidité lui suscitaient, durent, sans doute, ajouter aux motifs qui déterminèrent sa résolution. La sublime Institution de la Cène avait pu imposer à l'envie timide; mais le tableau si expressif du Saint

François-Xavier, choquait trop l'amour-propre jaloux. Le miracle du retour de la mort à la vie, dont le sujet semblait échapper à la peinture, s'y trouve exprimé, moins encore par la gradation de mouvements de la jeune fille, soulevant un genou, ployant un bras, et paraissant renaître, que par les vives impressions qu'on voit se produire sur le saint missionnaire, sur les assistants, sur la mère, sur les parents, et qui font partager les mêmes sentiments aux spectateurs. Cette composition attirait la foule, et accusait en même temps la faiblesse d'expression d'un tableau de Vouet, placé à côté du premier, dans la même église, et qui était à peine regardé. Des partisans de Vouet, ne pouvant attaquer le sujet principal du tableau du Poussin, se re. jetèrent sur les accessoires. Ils assimilèrent à un Jupiter Tonnant le Christ qui apparaît dans la gloire, et auquel le peintre, comme il le fait entendre dans sa noble défense, avait dû donner, non un air doucereux, mais un caractère de puissance conforme à son action. D'autres motifs de contrariété étaient relatifs aux travaux du Louvre. Le baron de Fouquière, ainsi qu'il le nomme dans une lettre à M. de Chanteloup, se plaignait de ce qu'on avait mis la main à l'œuvre sans le consulter, et prétendait que ses paysages, les vues des villes de France dont il était chargé, devaient être l'ornement principal de la galerie. D'un autre côté, l'architecte du roi, Le Mercier, avait employé tout l'appareil d'un luxe dispendieux pour charger d'ornements lourds et disproportionnés la voûte de cette galerie; et le Poussin, en vertu de l'autorité qui lui était attribuée, les fit abattre, pour disposer le tout dans des proportions plus

conformes aux distances, à l'étendue, à l'ensemble, avec un goût plus noble dans la décoration, et plus d'économie dans la dépense. Un tel changement, supporté difficilement par Le Mercier, excita ses plaintes, auxquelles le Poussin répondit, dans une très-longue lettre à M. des Noyers, rapportée par Félibien. Après avoir opposé à la distribution mal entendue de l'architecte-décorateur, celle qui convenait à la grandeur, à la destination de la galerie, et dont la discussion équivaut à un véritable traité de proportions, il repousse, comme une calomnie, ce qui lui tenait le plus à cœur, l'imputation d'avoir voulu compromettre l'honneur du roi, par la parcimonie de ses plans. L'homme qui, en agissant franchement, se défendait de même, n'avait sans doute besoin que d'exposer ses moyens et ses vues pour en faire reconnaître les motifs et pour confondre ses détracteurs: on a peine à croire que, n'ayant pas même terminé les dessins des Travaux d'Hercule à la galerie du Louvre, il ait imaginé, pour dernier exploit du héros, de se peindre terrassant la Sottise et l'Envie sous les traits de ses rivaux, et se couronnant lui-même, dans un tableau de la collection de Dufourny, attribué au Poussin, et gravé dans son œuvre par Landon. La seule allégorie qu'un homme si élevé, par son caractère, au-dessus des clameurs des envieux, se serait permise, c'est le beau sujet de la Vérité que le Temps enlève, et

soustrait aux atteintes de l'Envie et de la Discorde, ou de la Calomnie, et dont une composition en grand brille aujourd'hui au Musée : elle fut peinte, non pour le cabinet du cardinal de Richelieu, comme le porte la Notice du Musée, mais pour

l'appartement du Roi au Louvre; et elle a orné, jusqu'en 1753, la salle des séances de l'académie royale de peinture. Malgré ces contrariétés particulières, qui ne portaient atteinte ni à son crédit, ni à son caractère, il avait servi à Paris, de ses bons offices, les amis du chevalier del Pozzo, ainsi que le chevalier luimême, et à Rome, de sa recommandation, les jeunes artistes, ses compatriotes. Après avoir obtenu, pour l'Histoire des medailles impériales romaines d'Angeloni (V. ce nom), une dédicace au Roi, il avait provoqué avec succès l'exécution du projet de François Ier., de faire dessiner et modeler les plus beaux monuments de Rome, travail pour lequel il proposa Errard ( V. XIII, 276). Ce fut dans ces dispositions, que le Poussin, attendant tout de ses travaux et du temps, demanda un congé pour retourner mettre ordre à ses affaires et amener sa femme en France, et repartit, après deux années, pour Rome, avec Dughet et Lemaire, en septembre 1642. La mort du cardinal de Richelieu étant survenue au bout de quelques mois, et celle de Louis XIII ayant suivi d'assez près, ainsi que la retraite de M. des Noyers, il regarda ses engagements comme rompus, et ne songea plus qu'à se renfermer dans les travaux de son atelier. Cependant, à la rentrée de M. des Noyers, s'il refusa de venir reprendre ses fonctions au Louvre, c'est qu'on lui proposait, dit-il, de finir seulement la grande galerie; ce qu'il pouvait faire en envoyant de Rome les modèles. On voit qu'à des conditions moins restreintes, il fût revenu à Paris, où l'attachaient ses amis. Il ne cessa point de travailler pour la France; et l'on peut dire qu'il fut,

par ce motif, et par les conseils que Lesueur, Lebrun et Mignard reçurent de lui, le rénovateur principal de l'art sous Louis XIV: il mérita ainsi de conserver, tant qu'il vécnt, le titre et les honoraires de premier peintre du roi, qui lui furent assurés par ce monarque. Le jeune Lebrun avait été recommandé par M. Séguier au Poussin, lorsque celui-ci retournait à Rome. Il lé rejoignit à Lyon, l'accompagna, et jouit constammeut de ses entretiens et de ses leçons. Il suivit même d'abord la manière du Poussin, au point qu'un tableau d'Horatius Coclès ayant été pris pour une composition de ce maître, auquel elle attira les félicitations des peintres romains, Le Poussin en fut surpris et flatté, sans en être jaloux. Dans le même temps, il se plaisait à diriger de Rome, par des envois d'esquisses, les études de Lesueur, dont il avait développé le goût pour l'antique (V. LESUEUR). II seconda aussi le zèle de M. de Chanteloup, pour l'avancement de l'art, en lui envoyant des copies de tableaux des grands maîtres, faites sous ses yeux par des artistes français, entre autres par Errard, Lemaire, et Pierre Mignard, auquel il donnait la préférence pour les peintures de Vierges et le portrait. Indépendamment de ces expéditions, il faisait passer à son correspondant des bustes antiques, dont l'exportation était alors très-difficile. Il n'y avait rien qu'il ne fit pour servir ses amis. Il était économe de leur bourse, dans ses acquisitions: il ne l'était pas moins pour les honoraires de ses propres ouvrages. I prit seule ment la moitié des cent écus donnés en paiement d'un tableau du Ravissement de saint Paul, qui lui avait été demandé en 1643, par

M. de Chanteloup, comme devant servir de pendant à la Vision d'E zechiel, par Raphaël. Une modestie égale à sa modération lui avait fait dire, avant de l'entreprendre, qu'il craignait que la main ne lui tremblât en travaillant à un tableau qui devait accompagner celui de Raphaël; et il suppliait, après l'avoir fini, que son cadre ne fût point placé en regard, mais qu'il servît seulement de couverture au premier. C'est néanmoins ce tableau qui, par l'expression céleste du regard de l'admiration, éclatant sur le front de l'Apôtre, et n'ayant d'égal que l'air de béatitude de la Vierge dans son Assomption, a fait témoigner au chevalier del Pozzo, et redire, d'après lui, que la France avait eu son Raphaël aussi bien que l'Italie. Le même sujet (V.S.PAUL, XXXIII, 168), retracé par le Poussin, avec des accessoires qui annoncent un degré d'extase moins élevé, a consolé le Musée de l'absence de cette première composition, dont la France s'honorait. Le génie fécond de l'artiste, comme on l'a observé, lui faisait plutôt créer de nouveau, que répéter les compositions des sujets qui lui étaient redemandés. Ce fut en 1644, qu'il commença de travailler à la deuxième suite des Sept Sacrements, qu'on a vue long-temps à Paris, au Palais-Royal, avec ce Ravissement de saint Paul, et quide mêmeque celui-ci, et comme la première suite dont M. de Chanteloup avait desiré des copies, a passé en Angleterre. Agé alors de cinquante ans, le Poussin, en ébauchant le nouveau tableau de l'Extrême-Onction, dont il reste au Musée une esquisse si expressive, écrivait à M. de Chanteloup, qu'il se sentait, en vieillissant, plus animé que jamais du desir de

[ocr errors]

régler ses pensées sur celles des anciens peintres grecs, et que cette scène devait être un sujet tel qu'en choisissait Apelle, qui aimait à retracer des personnes mourantes. On voit en effet combien la sensibilité du Poussin le portait à représenter ces sujets pathétiques, par celui de la Mort de Germanicus, si bien pensé d'après Tacite, et par celui du Testament d'Eudamidas, peint d'une manière si touchante d'après Plutarque et Lucien, mais dont il n'existe peut être que des gravures, si ce tableau a péri suivant une tradition: : car il ne saurait être suppléé par le tableau moderne qu'on voit au Luxembourg, où est dépeint, non Eudamidas mourant et léguant les seuls et les tendres objets qui lui restent à ses deux amis, mais Eudamidas mort, et l'acceptation du legs. Quoique traités en différents temps, et avec plus ou moins de simplicité ou d'étendue, ces sujets du Poussin retracent, sinon la même vivacité du pinceau, du moins la même vigueur de l'ame, dont l'ex pression pénètre le spectateur, d'un sentiment profond, jusque dans des esquisses qui n'offrent aux yeux qu'un léger contour, un simple trait. Dans certaines pièces de cette collection, notamment dans le Baptême, oùl'onction, non d'un vieillard mourant, mais de jeunes catéchumènes, forme un sujet bien opposé; quelques personnes, dit-il, avaient jugé trop douce sa manière, et peut-être étaient-ce celles-là mêmes qui avaient trouvé trop de fierté dans la figure du Christ dont on a parlé : il leur répond, en écrivant à un ami, « qu'il ne chante pas toujours sur le même ton, et qu'il varie sa manière selon les différents sujets. » Nou-seulement il la variait en effet, ainsi que sa

que

composition, mais il agrandissait et enrichissait l'une et l'autre les deux tableaux cités, de la deuxième suite, faite sur une plus grande échelle la première, en offrent un bel exemple. Le mot connu sur le tableau du Mariage, dont on a dit qu'il était difficile d'en faire un bon, même en peinture, ne convenait pas au sujet religieux du sacrement, et encore moins à cette composition, où une solennité embellie par des accessoires gracieux eonsacre plus dévotieusement l'union virginale de Joseph et de Marie. En avançant dans sa carrière, le Poussin, reporté en quelque sorte vers l'adolescence, mais avec des vues plus développées par l'observation, et qui lui faisaient varier et agrandir ses scènes, devenait moins exclusivement attaché à ce goût sévère, puisé dans l'antique, mais allant quelquefois jusqu'à la dureté et à la sécheresse. On ne peut pas dire précisément qu'il changea sa manière, suivant l'expression de Reynolds, mais que, ses goûts étant moins austères, son exécution devint plus moelleuse, sa composition plus riche; et l'on y remarque, dit cet observateur philosophe, une plus grande harmonie entre les scènes et les sites, les figures et les fabriques, comme on le voit dans la collection des Sept Sacrements, que le Poussin termina en 1648. Par cet heureux accord, il se préparait à étendre la sphère morale de l'histoire, en y rattachant, outre la poésie et l'allégorie, comme on l'a vu, les beautés physiques et locales de la nature et de l'art; non toutefois pour l'agrément seul et l'harmonie de la composition, mais afin de fortifier davantage et de mieux caractériser le sujet. Le Moise sauvé des eaux, que le Poussin répéta plusieurs fois, qu'il

!

« PreviousContinue »