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puis, les excellents Traités qu'il a livrés au public. Par ce moyen, son utile professorat ne s'est pas borné au siècle où il l'a exercé; et il restera, dans tous les temps, le maître de ceux qui se livreront à l'étude de la jurisprudence. Pothier consacrait les émoluments de sa chaire à des secours et à des encouragements pour les élèves en droit. Il faisait, chaque année, les frais de médailles d'or et d'argent, frappées au coin de la faculté: après l'épreuve de disputes soleunelles, elles étaient décernées aux élèves des différents cours qui avaient obtenu le plus de succès. C'est ainsi qu'il entretint, dans les écoles de sa patrie, une noble émulation, à laquelle sa propre ville et la France entière doivent les magistrats et les jurisconsultes recommandables que l'université d'Orléans a produits. Pothier ne borna pas à la salle de la faculté de droit son zèle pour l'enseignement. Le mercredi de chaque semaine, se tenaient, dans sa maison, des conférences qu'il présidait. La jeunesse de la magistrature et du barreau venait y chercher le perfectionnement de ses études; et nul 、 n'en sortait sans être meilleur et plus instruit. Comme magistrat, Pothier ne négligea aucun des devoirs de sa noble profession. Zèle ardent, assiduité constante, intégrité parfaite, coup-d'œil sûr et rapide, fermeté de caractère que rien n'ébranlait quand il était convaincu; telles furent les qualités qu'il développa dans sa car rière judiciaire. Il ne refusa aucun des rapports qui lui furent proposés, sacrifiant sans répugnance à l'examen des affaires les plus compliquées et les plus minutieuses, des jours qu'il aurait préféré consacrer à l'étude. On évitait cependant de lui en offrir en matière criminelle, toutes les fois

que l'application à la torture pouvait devenir l'un des résultats de l'instruction. Sa sensibilité morale, autant que sa constitution physique, s'opposait à ce qu'il pût devenir le témoin d'un tel spectacle. Ses vœux devancèrent l'abolition d'une épreuve aussi cruelle qu'inutile, triste reste de la jurisprudence de nos temps barbares, dont il était réservé au meilleur comme au plus infortunédes souverains, d'affranchir un peuple qui souffrit que tant de bienfaits fussent payés par tant d'ingratitude. Long-temps doyen des conseillers, Pothier, en l'absence des chefs de sa compagnie, présida souvent les audiences. Alors, si les avocats émet taient quelque principe erroné, il les interrompait tout-à-coup, en s'é criant, avec cette franchise qui lui était propre : « Ah! ce n'est pas là ce » que je vous ai enseigné. » Lorsqu'il prévoyait que les plaidoiries pourraient s'étendre au-delà du temps strictement nécessaire à l'intelligence de la cause, il lui arrivait fréquemment d'en suspendre assez brusquement le cours, en disant : « Les faits sont expliqués. Vous, » maître ***, vous développerez tel » et tel moyen; votre adversaire y » fera telle et telle réponse. Voilà, >> en deux mots, ce que, l'un et l'au» tre, vous plaiderez longuement. » Ainsi la cause est entendue. » Il se levait, recueillait les opinions, et prononçait la sentence. Le cabinet de Pothier était une sorte de tribunal privé, que la confiance publique avait établi. Quantité d'affaires se terminaient; un nombre considérable de procès étaient prévenus par les sages conseils de cet obligeant arbitre. Les premiers magistrats de toutes les parties de la France lui soumettaient les questions ardues

les auteurs dont il combattait le sentiment, c'était avec une sorte d'hésitation que, dans les questions diffi ciles, il proposait sa façon de penser. Mais, quand une fois son parti était pris sur une vérité qui lui paraissait évidente, il ne pouvait la voir attaquée sans éprouver une vive contra riété. Alors, sortant, pour ainsi dire, de son caractère, il soutenait sa conviction avec une chaleur et une fermeté dont on ne l'aurait pas cru susceptible. On s'en aperçoit quelquefois dans ses écrits, lorsqu'il réfute Le Brun, ou l'auteur des Conferences de Paris. Pothier avait reçu de ses parents une fortune assez considerable, surtout si on la rapproche de la simplicite de ses mœurs, et de son éloignement pour tout ce qui tenait au luxe. Il ne chercha jamais à l'accroître; mais il la conserva assez soigneusement pour la laisser intacte à sa famille. Sa bienfaisance seule pouvait la lui faire paraître médiocre; car, chez lui, cette vertu n'eut pas de bornes. Mais il trouva, dans une frugalité sans exemple, le moyen d'obtenir des épargnes, qui toutes étaient employées en œuvres de charité. N'ayant d'autre passion que celle de l'étude, il se voua au célibat, dans la crainte d'être détourné de ses travaux par les distractions inséparables de l'état du mariage. Indifferent et peu propre aux détails d'administration et de ménage, laissa prendre la direction à un serviteur intelligent, qu'après la mort de Pothier, les officiers du bailliage d'Orléans récompensèrent par la place de garde-barreau du Châtelet, et à une gouvernante qu'il fut assez heureux pour trouver fidèle, économe et attachée. Cette dernière avait pris sur son maître un ascendant qu'elle jugeait nécessaire, parce que, disait

qu'ils avaient à juger, et s'empressaient de se conformer à ses décisions. Une telle déférence était bien due à celui qui a joui de l'honneur si rare de voir de son vivant, et souvent même quand il siégeait, ses ouvrages cités, et faisant autorité au barreau. Continuellement consulté, tant de vive voix que par écrit, Pothier ne refusa jamais ses conseils gratuits à qui les réclama: aucune lettre ne resta sans réponse, aucune question sans solution; et certes c'était une grande complaisance de la part d'un savant qui ne trouvait d'emploi agréable du temps, que celui qu'il consacrait à l'étude des doctrines dont il s'était constitué l'apôtre si dévoué. Dans une de ces circonstances, il conseilla à une veuve peu aisée d'entreprendre un procès qu'elle perdit. Il aima mieux croire qu'il avait été dans l'erreur que de présumer que les juges s'étaient trompés; et il s'empressa d'indemniser de ses deniers', sa cliente, des suites d'une dé termination qu'elle n'avait prise que sur son avis. Dans la vie privée, Pothier se montra toujours ami dévoué, excellent confrère et maître indulgent. Sa modestie naturelle était devenue une humilité vraiment chrétienne. Il ne pouvait souffrir la louange: elle lui déplaisait autant qu'elle l'embarrassait. Doué d'une foi vive, il assistait à tous les offices du culte catholique, avec un recueillement et une assiduité, il en pratiquait les préceptes avec une exactitude et une régularité, qui ne se démentirent jamais. Affable, officieux, facile à se communiquer, dans sa conversation comme dans ses écrits il se montrait peu tranchant. Il pesait avec calme les motifs du doute, saisissait avec justesse ceux de la décision. Toujours plein d'égards pour les personnes ou

il en

elle, il fallait le conduire comme un enfant; et il l'était en effet pour les détails domestiques. Aussi désintéressé sur l'article de la réputation que sur celui de la fortune, Pothier n'eut d'autre but, en publiant ses écrits, que de propager l'instruction. Pour mettre le prix de ses ouvrages à la portée de la classe (alors peu opulente) de ceux à qui ils étaient indispensables, il ne voulut jamais en tirer aucun émolument. Il fit plus: ilporta si loin sa scrupuleuse sollicitude pour ses libraires et pour ses lec. teurs, qu'il évita de charger d'augmentations et de corrections les nouvelles éditions, que, même de son vivant, le rapide débit de ses productions rendait nécessaires. Ill'avait fait, en 1764, pour la seconde édition de son Traité des Obligations; mais il se le reprocha en quelque sorte depuis il ne se le permit plus; et, pour que cette délicatesse ne nuisît pas à la science, il eut le soin de ne jamais livrer un Traité à l'impression sans l'avoir long-temps médité et sans lui avoir donné toute la perfection dont il le croyait susceptible. Lorsque Pothier étudiait ou composait, le plancher de son cabinet était jonché de ses livres ouverts aux endroits qu'il avait à consulter; et c'étaită genoux, ou couchéà plat ventre, qu'il faisait ses recherches ou ses rédactions. Ce fut une conformité de plus qu'il eut avec Gujas. Pothier avait une taille élevée, mais mal prise. Il était dépourvu de tout maintien. Ses yeux avaient du feu et de la vivacité: mais, du reste, l'ensemble de sa figure n'offrait d'autre expression que celle de la bonhomie. Il marchait mal, et même assez difficilement. Il portait presque toujours la tête penchée. Sa maladresse était extrême, ses mouvements gau

ches; et rien n'annonçait l'homme d'un mérite supérieur. Ainsi elle n'étonnera personne, cette anecdote si connue, de Pothier, faisant exprès le voyage de Paris sur l'invitation de d'Aguesseau, se rendant à la chancellerie; et, là, repoussé et presque baffoué dans l'antichambre du ministre par ceux qui attendaient la faveur d'être introduits, se retirant tranquillement et sans humeur; tout prêt à repartir pour sa province, si ses amis ne l'eussent retenu, et si le lendemain le chancelier, instruit de ce qui s'était passé, ne se fût empressé de lui indiquer une heure fixe, d'aller au-devant de lui, et de recevoir, avec une distinction signalée, l'homme de peu d'apparence, que, la veille l'audience entière avait jugé si légèrement d'après ses formes extérieures. Pothier ne connut d'autre délassement que quelques visites et des promenades, qu'il se permettait seulement l'après-midi du jeudi de chaque semaine; et même alors ses entretiens roulaient sur des matières de droit. Tous les ans, il passait les vacances à sa terre de Luz, en Dunois; et la encore, ses études favorites occupaient une partie de ses journées. L'habitation était petite; le parterre, situé dans un mauvais sol, était entouré de quelques ifs antiques, qui lui parais. saient délicieux. On lui représentait un jour que si l'on avait bâti la maison quelques toises plus loin on aurait cu un terrain propre planter un jardin agréable. « On a » bien fait, dit-il : les autres terres » produissent d'excellent blé; ce » terrain est assez bon pour se pro» mener. » Il aimait l'exercice du cheval, et s'y tenait d'une manière assurée, mais sans grace. Aussi, lors. que nommé, en 1746, échevin de

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la ville d'Orléans, il eut, pendant la durée de ses fonctions municipales, à faire, avec ses autres collègues, la publication de la paix de 1748, il put, suivant l'usage d'alors, monter sans risque le cheval qui lui était destiné; mais l'on se rappela longtemps la singulière tournure qu'avait, dans cette cavalcade, le magistrat en robe. Plein de vertus et de travaux, déjà avancé en âge, sans avoir cependant éprouvé aucun affaiblissement dans ses facultés intellectuelles, Pothier, après huit jours seulement d'une fièvre léthargique, arriva, le 2 mars 1772, au terme d'une existence qui fut tout entière vouée au bien public. Quoiqu'il fût alors âgé de soixante - treize ans, sa mort parut prématurée. Les regrets de ses concitoyens, ceux de l'Europe entière, le suivirent au tombeau. On lui consacra, dans le grand cimetière, une épitaphe gravée en lettres d'or sur une table de marbre. Ce monument simple et modeste n'existe plus; mais la rue qu'il habitait a reçu son nom. Nous possédions quatre Éloges imprimés de Pothier: le premier, par Jousse, placé à la tête du tome 11 du Traité de la Possession et de la Prescription, 1772, in 12 le second, par Leconte de Bièvre, procureur du roi à Romorantin, 1772, in - 12. Les deux autres sont, l'un en latin, par Breton-de-Montramier, professeur en droit à Orléans, l'autre par Le Trosne (V. ce nom), tous deux réunis en un vol. in-12, 1773: ils se trouvent aussi réimprimés en tête de l'édition in-4°., des Traités de Droit français de Pothier, Orléans, 1781. La société royale des sciences, belles-lettres et arts d'Orléans avait proposé l' Eloge de Pothier pour sujet du prix qu'elle vient de décerner

;

en 1823 (1). Ses ouvrages imprimés sont: I. Coutumes d'Orléans, avec des Observations nouvelles, etc., Orléans, 1740, in-12, 2 vol., en commun avec Prevost de la Jannés et Jousse. Nous l'indiquons seulement comme étant le premier fruit de sa plume. II. Pandectæ Justinianeæ in novum ordinem digestæ, Paris et Chartres, 1748-49-52, 3 vol. infol. La préface qui contient une Histoire savante et bien écrite du Droit romain; le Commentaire de la loi des douze Tables, les Notes sur le fragment de l'Édit perpétuel, toutes les Tables des lois et des matières, et quelques Remarques disséminées dans le corps de l'ouvrage, sont de la composition de Deguienne, né à Orléans, avocat distingué du barreau de Paris, qui se passionna pour l'ouvrage à tel point, qu'il attacha de la gloire à devenir le correcteur des épreuves. A la mort de Pothier, un exemplaire de ses Pandectes, chargé de corrections et d'additions de sa main, fut acheté par Guyot, professeur endroit, et avocat à Orléans, qui mettait le plus grand prix à tout ce qui était sorti de la plume du savant confrère dans l'intimité duquel il avait vécu. Get exemplaire lui fut d'une grande utilité pour la seconde édition qu'il donna, et dans laquelle il remit à leur place les Omissa et les Prætermissa de la première. Aussi désintéressé que son illustre ami, Guyot transmit, sans demander aucun bénéfice, son privilége au libraire Massot, d'Orléans, lequel tira

(1) Ce prix a été adjugé, le 14 février 1823, à un Discours qui a pour auteur M. Boscheron-Desportes fils, substitut du procureur-général près la cour royale d'Orléans. Cet Eloge, et le rapport fait par le rédacteur de cet article, au nom de la section de littérature de la société royale d'Orléans, sur les différents ouvrages adressés au concours, sont im primés au tome v des Annales de cette société, Orléans, 1823, in-8°.

par

un très-grand profit de la cession qu'il ne tarda pas à en faire aux libraires de Lyon qui l'imprimèrent en 1782, 3 vol. in-fol. Il a été donné depuis, à Paris, deux autres éditions du même ouvrage : l'une, en 4 vol. in-4°., est peu recherchée, à raison des incorrections dont elle fourmille; l'autre, en 3 vol. in-fol., 1818-21, dont M. La Truffe, avocat, est l'éditeur, se recommande les soins qui y ont été apportés, et par une belle exécution typographique. Les Pandectes de Pothier, avec la Traduction française en regard du texte, par Bréard-Neuville, revue et corrigée par M. Moreau de Montalin, avocat, ont été annoncées en 25 v. in-8°., dont 20 ont déjà paru (2). Cette entreprise touche à sa fin. On ne sait si l'on doit s'en féliciter, quand on est convaincu que le Droit romain ne peut être bien enseigné et appris que dans sa langue originale. III. Coutumes d' Orléans, avec des Notes, 1760, 3 vol. in-12; 1762, 1 vol. in-4°. IV. Trai té des Obligations, Orléans, 1761, 2 vol. in-12; et avec des augmentations, 1764, 2 vol. in-12. Traité du contrat de Vente, suivi du Traité des Retraits, qui lui sert d'appendice, 1762, 3 vol. in-12; idem, 1765, -Traité du contrat de Constitution de rente, 1763. Traité du contrat de Change et Billets de commer ce, 1763. Traité du contrat de Louage, 1764; id., 1766.—Traité du contrat de Bail à rente, 1764; id., 1766.—Supplément au Traite du Contrat de Louage, ou Traité des contrats de Louage maritime, et du contrat de Société. — Traité des

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(2) Une première édition de cette traduction, commencée en 1867, en gros caractères, devait avoir 60 volumes; il n'en a paru que 28, et l'entreprise a été abandonnée.

Traité des con

Cheptels, 1765. trats de Bienfaisance, 1766 - 67, Traité des 2 volumes in 12. Contrats aléatoires, 1766-67 2 volumes in-12, réunis en

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un.

Traité du contrat de Mariage, 1768; idem, 1771, 2 vol, in- 12. L'auteur y reconnaît, dans l'Église, le pouvoir de mettre des empêchements dirimants. Traité de la Communauté, Orléans, 1769; id. 1770 2 vol. in-12. -Traité du Douaire, 1770.-Traité du Droit d'habitation, des Donations et du Don mutuel, 1771.-Traités du Domaine de propriété, de la Possession et de la Prescription, Orléans, 1772, 2 vol. in-12. Le second vol. de ce dernier ouvrage était sous presse à l'époque de la mort de Pothier. Tous ces Traités de droit français, publiés de son vivant, ont été réimprimés à Orléans, en 1781, en 4 vol. in-4°., des par J. M. Rouzeau-Montaut, presses duquel étaient déjà sorties l'édition in-12 et la Coutume in 4°.; ils ont paru sous ce titre : Traités sur différentes matières de Droit civil, appliquées à l'usage du barreau, et de Jurisprudence française, seconde édition, revue. A la mort de Pothier, ses héritiers remirent ses manuscrits à la disposition du professeur Guyot, qui voulut honorer la mémoire de son ami, en devenant l'éditeur de ses OEuvres posthumes. Pothier n'ayant pas eu le temps d'y mettre la dernière main, ces Traités n'ont pas le mérite de ceux qui ont paru de son vivant, et ne jouissent ni de la même estime, ni de la même autorité au barreau; ainsi ils ne doivent être ni lus ni cités sans quelque précaution : ils ont été imprimés à Orléans, de 1776 à 1778, et sont réunis en 8 vol. in12, ou 4 vol. in-4°. V. Ses OEuvres

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