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dialogue avait déjà été adoptée par quelques prédécesseurs de Platon; et Zénon d'Elée lui avait même donné des règles. Socrate, dans ses entretiens, avait également offert l'exemple de cette analyse ingénieuse, qui admet, par forme d'hypothèses, les propositions qu'il s'agit d'examiner; qui remonte des faits particuliers et familiers aux plus hautes généralités, par une marche graduelle; qui décompose en toutes ses parties une idée complexe, par les distinctions les plus délicates. Mais Platon, en empruntant la forme dialoguée et la méthode socratique, les a portées l'une et l'autre à un haut degré de perfection et d'élégance. On peut seulement lui reprocher d'être souvent descendu à des décompositions extrêmement subtiles, et d'avoir trop accordé parfois à des digressions qui font perdre de vue l'objet principal. Nous avons tiré cette exposition som maire et rapide, non de tel ou tel écrit de Platon, en particulier, mais de l'ensemble de tous ses ouvrages; car il n'en est aucun où il ne s'exerce plus ou moins sur plusieurs sujets. Au milieu de la variété inépuisable que présentent ses dialogues, tout est lié en lui par un enchaînement secret; nulle part il ne donne à ses vues la forme systématique : mais leur sympathie ressort au travers de ce désordre apparent; c'est une vaste et immense harmonie qui résonne de toutes parts et repose sur les mêmes accords; elle naît de l'idée qu'il s'est faite de la philosophie, en la considérant comme une science qui assigne aux connaissances et aux arts leur rang, leur but, leurs principes; elle a pour centre et pour régulateur cet idéal qui définit Platon tout entier, qu'il a livré à ses successeurs comme un flambeaudérobé aux régions célestes:

ses écrits, en un mot, sont ce qu'est la nature à ses yeux, l'unité dans le multiple. De ce caractère qui leur est propre, de cet enthousiasme moral qui y respire sans cesse, des charmes inépuisables de son style, de l'empire qu'il exerce sur l'imagination, alors même qu'il traite les matières les plus abstraites, est résultée l'influence prodigieuse que Platon a obtenue sur la marche de l'esprit humain. Cette influence se répand comme un fleuve majestueux au travers des âges; elle s'associe au christianisme dès sa naissance; elle vient présider au réveil des lettres et des arts, dans le beau siècle des Médicis. Toutefois elle a été mobile et variée dans ses effets, à cause du principe d'éxaltation sur lequel elle était fondée, et du vague qui accompagne la doctrine platonicienne. Tantôt cette doctrine, lorsque l'inspiration primitive qui lui avait donné le jour, commence à se refroidir, prend, faute d'appuis solides, l'apparence d'une sorte de scepticis me dans la seconde et la troisième Académie; tantôt, lorsqu'au contraire l'exaltation se ranime et franchit toutes les bornes, elle s'égare dans un mysticisme plein d'illusions, au milieu de l'école d'Alexandrie: elle se prête à recevoir des mélanges hétérogènes qui la dénaturent. Aristote a été le disciple de Platon, avant de devenir son rival: si Aristote a surpassé Platon, s'il a donné à la philosophie une base plus solide en la fondant sur l'expérience; s'il a étendu le domaine de l'esprit humain, par la création des sciences naturelles; s'il a imposé à la raison et aux arts un code de préceptes presqu'éternel, Aristote a, sous divers rapports, plus emprunté aux vues. générales de Platon qu'on ne le sup

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pose ordinairement : il s'est éclairé les erreurs mêmes de son maître; et, quelles qu'aient été la supériorité réelle d'Aristote, et l'immense étendue de ses travaux, Platon a lutte encore contre lui pendant une longue suite de siècles. L'histoire de leur rivalité forme l'une des portions les plus essentielles de l'histoire de la philosophie : ils se sont partagé jusqu'aux écoles modernes; car les rivalités de ces écoles se rattachent encore aux mêmes questions qui ont divisé ces deux grands génies. Platon ne contracta jamais le lien conjugal; il mourut la première année de la cent-huitième olympiade 347 ans avant J.-C.): il laissa la direction de l'Académie à Speusippe. Les Athéniens consacrèrent sa mémoire par de nombreux honneurs. Le persan Mithridate lui éleva une statue, Aristote un autel dans l'Académie; son école célébrait chaque année, par un banquet, le jour de sa naissance : des médailles furent frappées pour reproduire son image et la consacrer à la postérité. Plusieurs Pères de l'Eglise, dans l'admiration qu'ils éprouvaient pour ses écrits, ont supposé qu'il avait été admis à une sorte de connaissance ou de pressentiment de la révélation; on a même vu des docteurs le ranger au nombre des saints. Les éditeurs des écrits de Platon ont suivi diverses méthodes pour leur classification. La plus ancienne est celle de Thrasylle, qui les avait distribués en Tétralogies, d'après le plan qu'on supposait à leur auteur. Diogène Laerce, qui la rapporte, distingue d'abord tous ses écrits en deux grandes classes, qui portent pour titre, l'une: Dialogues d'institutions ou d'instructions; l'autre, Dialogues d'in

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vestigations ou de recherches. Chacune de ces deux classes se soudivise en deux genres qui comprennent chacun deux espèces : les Dialogues de 1re classe ont pour objet, ou la spéculation, ils sont alors physiques, ou rationnels; ou bien l'action, ils sont alors moraux, ou politiques. Ceux de la deuxième classe concernent, soit l'exercice de l'esprit, et alors leur but est, ou de faire accoucher l'esprit, suivant l'expression de Socrate, ou de faire explorer; soit la discussion, et alors ils ont pour objet ou l'attaque ou la défense. D'autres interprètes ont réuni les Dialogues trois à trois. Jean de Serres, traducteur de Platon, Henri Estienne, ont adopté une division préférable, celle des Sizy gies: la première Sizy gie correspond à la première Tétralogie, et comprend l'Eutyphron, l'Apologie de Socrate, le Criton, le Phadon; la deuxième embrasse le système entier de la philosophie, ses fondements et la réfutation des sophistes; elle se compose du Théagès, des Erastes, du Theatète, des Sophistes, de l'Euthydème, Protagoras, du jeune Hippias: la troisième qui embrasse les écrits logiques, se compose du Cratyle du Gorgias, de l'Ion; la quatrième, qui embrasse les écrits moraux, se compose du Philèbe, du Ménon, des deux Alcibiades, du Charmi dès, du Lachès, du Lysis, de l'Hipparque, du Ménexème, du Politique, du Minos, des dix livres de la République, de ceux des Lois, et de l'Epinomis (l'authenticité de ce dernier est suspecte); la cinquième, qui a pour objet la physique et la métaphysique, comprend les deux Timée, le Critias, le Parménide le Banquet, le Phædre, l'ancien Hippias; la sixième, enfin, renfer

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me les Lettres, les écrits détachés, ceux qui sont suspects ou apocryphes, et de plus l'Axiochus, l'Eryxias, et le Dialogue de la Vertu, qn'on attribue à Eschine: mais aucune de ces classifications n'est exacte, en tant qu'elle aurait pour objet de distribuer les Dialogues d'après l'ordre réel des matières. Des trois titres que porte chaque Dialologue de Platon, le premier qui est ordinairement un nom propre, peut seul appartenir à Platon; le dernier qui marque le genre, a été ajouté par les nouveaux Platoniciens; le second qni indique le sujet, a été imaginé par les modernes, et ne fournit presque toujours qu'une indication trou peuse. Celui de tous les critiques mo. dernes qui a répandu le plus de lumière sur l'ordre et l'enchaînement des écrits de Platon, est James Geddes, avocat à Glascow (An Essay on the compositions and manners of writings of the ancients, particularly Plato, 1748). Celui des historiens de la philosophie qui a le mieux saisi l'ordre et l'enchaîne ment des idées de Platon, l'esprit de sa philosophie, est M. Tennemann System der Platonischen Philosophie, 4 vol. in-8°, Leipzig, 1792-1795). Cicéron nous apprend qu'Hermodore, disciple de Platon, divulgua le premier ses OEuvres, à son insu: les copies s'en multiplièrent avec une prodigieuse abondance dans les siècles suivants. A peine l'imprimerie était-elle découverte, qu'elle se hâta d'élever un monument à la mémoire de ce grand philosophe. Les éditions latines furent les premières à voir le jour: trois versions différentes leur ont servi de texte; celle de Marsile Ficin a paru d'abord, et a été souvent réimprimée. L'édition Princeps de

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cette, version la première des Florentines, ne porte point de nom d'année; elle fut bientôt suivie d'une seconde, exécutée aussi à Florence et aux frais de Laurent de Médicis, (1491). Une seconde version latine, par Janus Cornarius, a été imprimée à Bâle (1558), accompagnée des sommaires de Ficin. La troisième version, par Jean de Serres, sortit des presses d'Henri Estienne, qui coopéra à ce travail par ses corrections et ses notes (Paris) 1578). L'édition grecque Princeps, est celle d'Alde (1513), à laquelle succédèrent les deux éditions de Bâle (1534 et 1556): enfin le texte grec accompagné de la version latine, a été imprimé à Paris (1578), à Lyon (1590), et à Francfort (1602). Pendant cent quatre-vingts ans, aucune nouvelle édition n'a vu le jour, jusqu'à celle qui a été publiée par Mitscherlich, à Deux-Ponts (1782, à1786) en 12 volumes in-8°., et dans laquelle la Société typographique de cette ville a porté tous ses soins accoutumés. Il existe dans la bibliothèque du Vatican une traduction hébraïque des livres de Platon sur la République: Agathias atteste que ses OEuvres entières furent traduites en langue persane par les ordres du roi Chosroès. Dardi Bembo a publié à Venise, en 1601, une traduction italienne des OEuvres en 5 volumes avec les notes de Sébastien Erici. Celui-ci avait publié les Dialogues, et Fiorimbenila République en 1554. Les Dialogues traduits en anglais (Londres, 1701 et 1749) sont précédés d'une dissertation sur la vie et la doctrine de Platon. Floyer Sydenham a publié dans la même langue la traduction de quatre autres Dialogues (1749, 1758, 1759, 1761); il se proposait de complé

ter ce travail, mais il n'a pu le por. ter plus loin: il avait donné ́antérieurement une dissertation sous ce titre : A Synopsis, or a general view of the writings of Plato. En Allemagne, Jean - Samuel Müller, Gedicke et d'autres, ont traduit divers dialogues détachés de Platon: la traduction allemande de J.-K. Kleuker (Lemgo, 1778-97, 6 vol. in-8°. ), a été effacée par celle de F. Schleiermacher, dont les deux premiers tomes, en 5 volumes, ont paru à Berlin, 1817-19, in-8°. Louis Leroi (Regius) a traduit en français les livres de la République, le Banquet, et quelques autres Dialogues, en les accompagnant de commentaires, Paris, 1559; Jean Racine a traduit aussi le Banquet (Voy. d'OLIVET). Maucroix a inséré également la traduction de quelques Dialogues dans ses OEuvres de prose et de poésie, Pa ris, 1685; André Dacier a donné dix Dialogues, précédés d'un Discours sur Platon, d'une Vie de Platon, et accompagnés de remarques, Paris, 1699; Grou, les livres de la République, des Lois, et un certain nombre de Dialogues, Amsterdam, 1763-1769; ces deux traductions ont été réunies dans la Bibliothèque des anciens philosophes, 9 vol. in-8°., Paris, 1771. La dernière est beaucoup supérieure pour la fidélité et l'élégance. M. Leclerc a donné la traduction d'un Choix de Pensées de Platon, I vol. in-8°., Paris, 1819. M. Cousin promet enfin une traduction complète des OEuvres de Platon en français, dont le 1er. volume a paru en 1822. Aucun auteur ancien n'a eu un aussi grand nombre de commentateurs, que le fondateur de l'Académie: François Patrizi (Voy. ce nom, XXXIII, 144) en compte déjà soixante-cinq, seulement avant

Ammonias Saccas, qui vivait au deuxième siècle de notre ère. La vie de ce philosophe a également exercé un grand nombre d'historiens. Bornons-nous à indiquer les principaux. Parmi les anciens, Diogène Laerce a réuni au tableau de la Vie de Platon, un résumé de sa doctrine; Cicéron, dans ses Questions académiques, a donné une idée de cette dernière; Apulée, de Dogmate Platonico, etc., et Alcinous, Lineamenta doctrine Platonicæ, ont fait de cette doctrine, l'objet de traités spéciaux. Les Vies de Platon, écrites par Speusippe, son neveu et son successeur, par Cléarque, etc., sont perdues; il nous en reste à peine quelques passages cités par d'autres auteurs. Cel

les d'Olympiodore, philosophe d'Alexandrie du cinquième siècle, d'Hesychius de Milet, sous Justinien, nous ont seules été conservées. Parmi la foule d'écrivains qui, chez les modernes, ont traité de la vie de Platon ou de sa doctrine, desquels on peut voir le détail dans Fabricius (Bibl. gr.), dans la Bibliotheca Bunaviana et chez les autres bibliographes, nous indiquerons seulement Leibnitz (Dissert. de Republ. Platonis, Leipzig, 1676); l'abbé Fleuri (Discours sur Platon, dans son Traité sur le choix et la méthode des études, morceau d'un rare mérite); Henke (Dissert. de philos. mysticá Platonis, Helmstadt, 1776); Schulze (De summo secundùm Platonem philosophiæ fine, Helmstadt, 1789); Nast (Progr. de Methodo Platonis Fhil. tradendi Dialog., Stuttgard, 1787); Dammann (Dissert. de human. etc., et morte Platonis, Helmstadt, 1792); OElrichs (Comment. de doctrina Platonis de Deo, etc., Marbourg, 1788); Lilie (Dissert. de

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Platonis sententiá de nat. animi, Goettingue, 1790); Morgenstern (De Platonis Republ. Comment. tres, Halle, 1794); Combes-Dounous (Essai historique sur Platon, Paris, 1809, 2 vol. in-12); F. Ast (Vie et écrits de Platon, Leipzig, 1816, in-8°., en allemand). Ce savant a publié, dans la même ville, en 1819, les deux premiers volume d'une édition complète des textes de Platon avec une nouvelle version latine. Les abbés Garnier, Sallier et Arnaud, ont inséré, dans les Mémoires de l'académie des inscriptions et belles-lettres, plusieurs Mémoires d'un grand prix sur la doctrine et les écrits de Platon ; et quelques Fragments de traductions. Boivin a donné, dans le 2o. volume de ce recueil, l'histoire de la contestation élevée dans le xve. siècle, entre les sectateurs de Platon et ceux d'Aristote (Voyez BESSARION.) La seule théorie des idées de Platon a exercé plusieurs commentateurs modernes. Scipion Agnelli a ouvert cette carrière (Venise 1615); les plus récents de ses successeurs sont : Schluz (Wittemberg, 1785), Fachsen (Leipzig, 1795), Plessing (dans Casar, troisième vol., 1786), Schantz (Londres, 1795). Nous avons déjà cité l'excellent Traité du professeur Tennemann; c'est ce que nous avons de mieux sur la doctrine Platonicienne. Parmi les écrivains modernes qui ont embrassé à - la-fois la vie de Platon, sa doctrine et ses ouvrages, Marsile Ficin occupe le premier rang; ses vastes travaux, son zèle ardent, ont fait revivre Platon dans notre Europe, ont ranimé son culte (V. l'art. FIÇIN). On doit y joindre René Rapin, l'auteur du Parallèle entre Platon et Aristote (Paris, 1684, et dans ses OEu

vres, 1709, 1725); Jean Guill. Janul (Dissert. de Institut. Platonis, Dissert. de Peregrinat. Platonis, Wittemberg, 1786); l'auteur des Remarcks on the life and Writings of Plato, etc. (Edinbourg, 1760); Dacier, déjà cité (Paris, 1699, 2 vol. in-8°.); et en général, les principaux historiens de la philosophie, Stanley, Brucker, Tiedemann, Buhle etc., etc.-Plusieurs autres PLATON figurent dans les monuments de l'antiquité: Jonsius annonce qu'il en a trouvé jusqu'à seize (De Script. histor. philos., p. 12); mais aucun ne mérite de mention spéciale.— Saint PLATON abbé, mort à Constantinople, en 813, est honoré, le 4 avril, par les Grecs et les Latins. François COLUMBO, decin romain, du seizième siècle, fut saisi d'une telle admiration pour les ouvrages de Platon, qu'il les citait sans cesse, et qu'il en reçut le surnom de PLATON, qui a passé pendant quelque temps à sa postérité.

D-G-O.

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