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que le duché allait être sacrifié : il se trouvait dans une position qui aurait découragé tout autre que lui. Il fallait ou fuir devant l'ennemi, lui abandonner le duché, ne recueillir que honte et opprobre dans une campagne qui pouvait être glorieuse, ou, en hasardant une action avec des forces aussi inférieures, exposer ce noyau précieux de l'armée polonaise à une entière destruction. Lorsque l'on proposait le premier parti, le prince s'écria: « Comment! je >>couvrirais de honte le nom de cette » belle armée, qui brûle d'ardeur, qui croit que rien ne lui est impos>>sible; j'étoufferais l'enthousiasme » qui anime mes soldats ; je m'avi» lirais à leurs yeux, et je me ren» drais indigne de les commander! >> Montrons que nous avons au moins » la volonté de nous battre. La rive » droite de la Vistule est défendue » par les murs de Thorn, de Modlin » et de Praga: ne nous en occupons >> pas; arrêtons l'ennemi. » Cette résolution fut reçue avec acclamation par les généraux qui l'entouraient; les officiers la transmirent aux soldats. Le prince prit position avec sa pctite armée, en avant de Varsovie; ayant devant lui le village de Raszin, qu'il a immortalisé par la bataille de ce nom. Cette poignée de braves tint pendant dix heures (10 mai 1809), sans lâcher pied; la nuit la sépara de l'ennemi. Elle était trop affaiblie pour pouvoir recommencer le combat; mais sa valeur avait fait sur l'ennemi une telle impression, qu'il offrit lui-même de signer les conditions que l'on propose rait, pourvu que l'on conservât ce qui restait de ces braves soldats. Les deux chefs, le prince Joseph et l'archiduc Ferdinand, se virent pendant la nuit en leur présence,

on arrêta une convention qui donnait au prince le temps de passer la Vistule avec son corps d'armée; l'archiduc devait le suivre, et entrer dans Varsovie. Les Polonais se mirent en position, se plaçant à Praga. Les Autrichiens, prenant à Varsovie des mesures qui annonçaient une attaque contre ce faubourg faiblement fortifié, le prince déclara que, si l'on osait en venir aux effets, il n'épargnerait point la capitale; que de Praga, il mettrait le feu à Varsovie, en commençant par son palais (dit la Blaka), qu'il tenait du roi son oncle. On savait que sa fermetén'était pas seulement dans les paroles; on lui accorda ce qu'il demandait. Par cette seconde convention il gagnait deux points importants: il se ménageait quelques communications avec Varsovie, et il empêchait celles que l'archiduc voulait établir entre cette ville et la Gallicie. A Varsovie, on ne parlait que du prince Poniatowski, de son courage, et de la faiblesse que l'on avait montrée contre lui. Les Autrichiens humiliés se déterminèrent à passer la Vistule, afin d'entourer le prince et de lui faire mettre bas les armes. Les passages qu'ils tentèrent à Grochow et à Gora, eurent une issue malheureuse; on les rejeta de l'autre côté du fleuve. L'archiduc s'avança vers Thorn, qu'un lâche commandant lui livra à la première sommation. Sans se laisser abattre par un revers aussi imprévu, le prince Joseph forma le projet de tourner le dos aux Autrichiens, de se jeter sur la Gallicie, d'appeler les habitants aux armes et de couper les communications de l'ennemi avec les états héréditaires. Le général Dombrowski, qui se trouvait à Posen, devait concourir à la réussite de ce plan, en armant les

habitants de la Grande Pologne, et en menaçant les Autrichiens sur tous les points. Le prince réussit au-delà de son attente. Les habitants de la Gallicie accouraient au-devant de lui: en peu de semaines, il fut maître de Sandomir et de Zamosc. Il poussa des partis jusqu'à Lemberg. Ces mouvements, auxquels on était si peu préparé, jetèrent l'épouvante parmi les Autrichiens. L'armée française était entrée à Vienne ; les Polonais, en s'approchant de Cracovie, allaient se placer entre l'archiduc Ferdinand et l'armée du prince Charles. L'archiduc Ferdinand se hâta d'évacuer Thorn et Varsovie, pour regagner la Moravie. Le général Dombrowski, qui le suivait, pas à pas, avec ses nouvelles levées, eut la joie d'opé rer sa jonction avec le prince Joseph presque sous les murs de Cracovie, L'archiduc, ne pouvant garder cette ville, offrit de la rendre. On fit avec lui une convention, qui réglait la position des deux armées; le prince Jo. seph fit son entrée dans l'ancienne capitale des rois de Pologne: le même jour, deux régiments russes s'avancèrent, avec l'ordre du prince Galitzin d'entrer dans la ville, pour en former la garnison, avec un nombre pareil de Polonais. Pour expliquer cet incident qui, au premier moment, paraît si invraisemblable, nous reviendrons sur nos pas, nous remonterons jusqu'à l'entrevue d'Erfurt (septembre 1808): dans cette circonstance si mémorable, la France et la Russie s'étaient promis des secours réciproques, en cas de guerre. Au commencement de la campagne de 1809, le prince Joseph, voyant la position désespérée où il allait se voir réduit, demandait des secours à grands cris: le gouvernement français lui fit connaître la con

que

vention d'Erfurt, en l'assurant les Russes, fidèles à leur parole, couvriraient le duché de Varsovie. Le roi de Saxe s'empressa d'envoyer à son ministre près la cour de SaintPétersbourg, l'ordre de solliciter l'accomplissement des promesses données à Erfurt. Mais le ministère russe ne se pressait point de terminer cette négociation : depuis huit mois sa politique avait pris une autre direction. On voyait qu'à Erfurt on avait été trop confiant; on craignait que le chef du gouvernement français ne voulût aussi se servir des Russes pour asservir l'Europe; on disait qu'après avoir écrasé tout ce qui se trouvait devant lui, il se jèterait sur la Russie. On pensa qu'il était temps de faire rentrer la politique dans une ligne plus conforme aux vœux de la nation. Telles étaient les dispositions du ministère russe au mois d'avril 1809. Le ministre de Saxe redoublant ses sollicitations, ou voulut au moins avoir l'apparence de remplir les engagements pris à Erfurt. Un corps de quinze à vingt mille hommes fut confié au prince Galitzin, avec ordre d'agir selon les circonstances. On conçoit combien la position de ce général devint difficile, lorsqu'il vit les habitants de la Gallicie, se lever, s'armer, courir au-devant du prince Joseph. Cette étincelle pouvait si facilement s'étendre sur les provinces que la Russie avait enlevées à la Pologne, et y mettre le feu! Le prince Galitzin et le prince Joseph devaient agir comme alliés ; et ils se redoutaient mutuellement, plus que s'ils eussent été ennemis déclarés. Cet état, s'il avait duré, aurait nécessairement amené des événements. Galitzin ayant demandé que Cracovie eût garnison, moitié russe,

moitié polonaise, le prince Joseph repoussa vivement cette proposition. Le général russe insistant avec hauteur, et deux régiments s'approchant de Cracovie pour appuyer sa demande, le prince lui fit dire que ceux qui n'avaient point combattu avec lui, n'avaient point le droit de partager ses trophées; que si l'on faisait encore un pas en avant, il se mettrait à la tête de ses Polonais, et que la lance déciderait. Les Russes ne jugèrent point à propos d'aller plus loin. On s'entendit. Le prince Galitzin porta son quartier-général à Tarnow, et le gros de

>> ses trou

dans les environs; son avantpes garde occupa Wielicza, et s'empara des salines et des magasins. Le fils du fameux Souwarow commandait cette avant-garde. Sur l'invitation de Poniatowski, il transporta son quartier-général à Cracovie. Deux mois s'étaient écoulés depuis l'ouverture de la campagne. Le prince Joseph avait mis garnison dans les places du duché, dans celles de la Gallicie; et il commandait, dans les environs de Cracovie, une armée de trente mille hommes, qu'il avait, ainsi dire, fait sortir de terre. pour A Vienne, où était le quartier général de l'armée française, on ignorait ce qui se passait en Pologne; et le prince ne savait ce qu'avait fait l'armée française, lorsqu'un courier vint lui porter la nouvelle de l'armistice conclu après la bataille de Wagram. Aux termes de cette convention, les deux armées devaient reprendre les positions qu'elles avaient occupées le 12 juillet, jour où elle avait été signée. La reddition de Cracovie ayant eu lieu quelques jours après cette époque, les Autrichiens sommèrent le prince d'évacuer la ville et derentrer dans la ligne qu'il avait oc

ap

cupée le 12 juillet. Il répondit qu'ils étaient liés envers lui par une convention particulière; que les lances de ses Polonais sauraient la faire respecter. Sa fermeté imposa de nouveau. L'armistice procura au prince quelques mois de repos; il en profita pour donner à la Gallicie un gouvernement provisoire, et pour organiser son armée. Le 21 octobre, il reçut par un courier, copie du traité de paix de Vienne, duquel il fut très - mécontent: « Il nous donne » la Gallicie! disait-il; elle ne lui a » pas coûté cher; nous l'avons conquise, après avoir été abandon»> nés à nous-mêmes. Encore en a-t-il » cédé une portion aux Russes : » qu'ont-ils fait pour mériter ce pré» sent? » Vers la fin de décembre, comme il se disposait à quitter Cracovie, il reçut des dépêches du grand quartier-général. Elles lui furent remises par un officier de confiance, qui, chargé d'instructions verbales, lui dit entre autres choses: « Nous en avons » fini avec les Autrichiens; les Rus>> ses auront bientôt leur tour. Prenez » vis-à-vis d'eux une attitude impo»sante; placez votre cavalerie le >> long de leurs frontières, et votre >> infanterie en seconde ligne. » Cet officier s'étant retiré, le prince dit au général Fischer, son chef d'étatmajor : « Je ne serais point fâché » que l'on tombât sur les Russes >> et qu'on leur apprît à vivre. Mais » si cet homme (Buonaparte) cul» bute toute l'Europe, qu'y gagne»rons-nous, nous autres Polonais? Il >> sesert ainsi de nous pour exécuter >> des projets dans lesquels nous » sommes comptés pour rien. » A la fin de la campagne, l'armée polonaise avait dix-sept régiments d'infanterie, seize de cavalerie, et deux d'artillerie. Etant de retour

à Varsovie, Poniatowski s'occupa des établissements militaires qui manquaient à l'armée. Il forma une maison d'invalides, un hôpital militaire, des écoles de génie et d'artillerie. Les places de Modlin, de Praga, de Zamosc, de Sandomir et de Thorn attirèrent particulièrement son attention; il en fit étendre les ouvrages; il les pourvut de tout ce dont elles avaient besoin. Le duché de Varsovie avait été considérablement augmenté par la réunion de la Gallicie autrichienne: malgré cet accroissement, les Polonais étaient agités; ils ne savaient ce que pensait le chef du gouvernement français, quels pouvaient être ses projets; ils redoutaient les changements que son ambition, ses caprices, pourraient lui suggérer. En 1811, le roi de Saxe, voulant profiter d'un événement qui lui parut favorable, nomma Poniatowski son ambassadeur extraordinaire à Paris. On espérait que cet envoyé, par l'éclat de son nom, réussirait à amener une certaine sta

bilité dans le gouvernement du duché et dans ses rapports avec la France. Il ne paraît point que cette ambassade ait eu des résultats heureux. Le prince, qui prévoyait qu'une rupture avec la Russie était prochaine, s'empressa de revenir à Varsovie, pour donner tous ses soins à l'armée polonaise, qui, à l'ouverture de la campagne, en 1812, avait quatre-vingt mille hommes sous les armes, sans compter la légion de la Vistule. Le gouvernement français consentit à payer la solde du tiers de cette armée. Au grand regret de Poniatowski, la moitié lui fut enlevée pour être jetée dans les cadres de l'armée française; on ne laissa au prince que le commandement de l'autre moitié. C'était, di

sait-on, gaspiller une armée, qui, réunie sous son chef, se croyait seule en état de terminer la campagne contre les Russes. Elle se trouva étouffée, écrasée sous les soupçons de l'homme puissant, qui voulait faire plier toutes les volontés. La seconde moitié de l'armée polonaise, que l'on avait laissée au prince Joseph, et qui était appelée le cinquiè

me corps

de la grande armée, fut mise sous les ordres du roi de Westphalie, qui commandait l'aile droite de la grande armée. Ceroide théâtre, ayant été obligé de quitter la scène, Poniatowski reprit seul le commandement du cinquième corps. Avant cette époque, et pendant que l'on marchait sur Smolensk, le maréchal Davoust reçut ordre de cerner le général Bagration, qui s'était engagé dans des défilés: pour cet effet, les corps du roi Jérôme et du prince Joseph lui furent subordonnés. Ce coup important manqua, parce que Jérôme ne sut point y concourir. La faute en fut d'abord rejetée sur Poniatowski, qui, offensé par certains propos, voulait briser son épée

et s'en retourner à Varsovie. Le maréchal Davoust l'apaisa : les faits ayant été bien éclaircis, Jérôme reprit la route de Cassel; et le prince Joseph, en arrivant à Smolensk, reçut pleine satisfaction. Depuis ces événements, il forma constamment l'avant-garde de la grande armée. A la bataille de la Mojaysk, il fut chargé d'enlever un bois qui était fortifié, et occupé par des forces supérieures. Il eut une part glorieuse aux avantages que l'on remporta près de Czerikow. Dans cette campague si pénible, le prince se fit un devoir particulier de surveiller ses soldats, et d'arrêter les excès qui, dans d'autres corps de l'armée, rom:

paient tous les liens de la discipline. Le cinquième corps avait acquis une réputation si honorable, que les habitants des contrées placées sur sa marche, ne quittaient point leurs demeures. L'avant-garde devant entrer dans Moscou, le prince Joseph fit publier que tout soldat qui quitterait les rangs, serait considéré comme pillard, et fusillé sur-le-champ. Pendant la retraite, que la fureur des éléments rendit si pénible, la discipline dans le cinquième corps devint plus sévère. D'autres corps revenant sans armes, sans attirail de guerre, sans provisions, les Polonais ramenèrent avec eux leur artillerie sans qu'il en manquât une pièce. Le prince, rentré à Varsovie, donna l'ordre d'accueillir et de réunir ceux que leur faiblesse avait forcés de rester en arrière. Dans l'espace de trois semaines, il réussit à ramener sous les drapeaux six mille de ces malheureux. Dans les circonstances où il se trouvait, il était difficile de prendre un parti. Le prince disait hautement qu'il ne fallait voir que la Pologne et que ses intérêts. Il eut une occasion bien solennelle de manifester ses sentiments. Le baron Bignon, successeur de M. l'abbé de Pradt, dans l'ambassade de Varsovie, avait invité les personnes marquantes de la ville à un grand repas. On parlait du prince royal (aujourd'hui roi de Suède). Le ministre de France blâmait hautement Bernadotte, en disant que le premier devoir était celui de la reconnaissance envers le chef du gouvernement français. Le prince Joseph reprit vivement: « Je ne suis » point de votre avis. Je dois beau» coup à l'empereur ; je suis prêt à >> lui prouver mon dévoûment: mais » si j'avais à choisir entre lui et

» mes compatriotes, je n'hésiterais » pas. » Cette réponse passa de bouche en bouche, et l'on n'oublia point de la faire connaître au chef du gouvernement français. Le prince, d'après les ordres du roi de Saxe, se mit à la tête de sa petite armée, pour se rendre, de Cracovie, par la Bohème, dans le royaume de Saxe. A l'ouverture dela campagne, en 1813, le chef de l'armée française lui donna le commandement d'un corps d'armée composé de Polonais et de troupes françaises, avec les insignes, le rang et les honneurs dus à un maréchal de France, sans en avoir le titre. Le prince n'en ambitionnait point d'autre que celui de chef de l'armée polonaise. Il craignait, s'il était mis au nombre des maréchaux de France, d'attrister les Polonais en leur donnant à penser que c'en était fait de leur patrie, qu'on l'abandonnait ses destinées, et qu'on leur offrait une douloureuse consolation, en plaçant parmi les troupes françaises les restes de leur armée. Pendant cette dernière campagne,Poniatowski se trouva constamment en première ligne. Il eut une part glorieuse à la prise de Gabel, de Friedland et de Richberg. Chaque jour, il voyait diminuer le nombre de ses Polonais. A la journée du 16 octobre, il fit des efforts qui paraissaient être audessus de ses forces. Le soir, le chef de l'armée française fit annoncer dans tous les rangs que, voulant donner au prince Poniatowski des marques de son estime et en même temps l'attacher plus étroitement aux destinées de la France, il l'élevait au rang de maréchal de France. Le lendemain, les Polonais s'étant rassemblés le pour féliciter sur cette nomination, il leur dit : « Je suis fier d'être le chef

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