Page images
PDF
EPUB

thodes d'instruction pour ceux que la nature a privés de la parole et de l'ouïe. Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que, selon les assertions des contemporains, ce bénédictin ingénieux a eu des succès tels, que les instituteurs modernes des sourdsmuets ne peuvent se vanter d'en avoir eu de pareils; à peine même ces succès paraissent vraisembla bles. Morales prétend que Ponce avait instruit les deux frères et une sœur du connétable, ainsi qu'un fils du grand-juge d'Aragon, tous quatre sourds-muets de naissance; et il dit que non-seulement ces élèves écrivaient très-bien une lettre ou toute autre chose, mais qu'ils répondaient de vive voix aux questions que leur instituteur leur adressait par signe ou par écrit. (1). Or voilà un résultat que d'autres maîtres n'ont point obtenu, à moins qu'on ne veuille appeler langage quelques sons malarticulés: on ne comprend pas comment ce moine, par une simple méthode d'enseignement, pouvait remé dier à un vice naturel, que, malgré tous les progrès de l'art, on ne parviendrait pas à corriger aujourd'hui. Cependant Morales dit avoir été témoin du fait; il ajoute qu'il a entre les mains un écrit dans lequel don Pèdre de Velasco, un des quatre élèves de Ponce, rend compte lui-mê

:

(1) Il y a bien plus des témoins oculaires rapportent qu'un sourd-muet, élève du P. Ponce, après avoir considéré attentivement le mouvement des lèvres, répétait fort bien des mots étrangers pro. noncés devant lui dans une langue qu'il ne connaissait Le témoignage des écrivains espagnols, hapas. bitués à l'exagération, pourrait sembler suspect: mais ce fait singulier est attesté par un témoin bien

impartial, sir Kenelm Digby De la Nature des corps, c. 28, no. 8 ). Les ex-Jésuites espagnols, Andrès loc. cit.), et Hervas (Escuela pratica dos sordos-mudos), n'ont point songé à invoquer le témoignage de cet Anglais; oubli d'autant plus étonnant, que ce passage du chevalier Digby est cité leur confrère Lana, page 51 (47) de son Prodromo dell' arte Maestra. ( Voyez LANA-TERZI.) C. M. P.

par

me de la méthode employée par son maître, pour lui apprendre à parler. Aussi Morales juge que ce cénobite a porté à sa perfection l'art d'enseigner les sourds - muets. Certes, si Ponce avait procuré la parole à ceux que la nature en a privés, il faudrait avouer qu'il a laissé loin derrière lui ceux qui ont marché sur ses traces: mais il est probable que Moralès a été dupe de quelques sons plus ou moins bien articulés, qui ont trompé aussi de nos jours quelques personnes appliquées à l'instruction. des sourds-muets. L'opinion de Morales paraît avoir été partagée par les religieux du couvent dans lequel vivait Ponce. Voici comment sa mort était annoncée dans le registre mortuaire de leur maison: Obdormivit in Domino P. Petrus de Ponce, hujus Omniensis domus benefactor, qui inter cæteras virtutes, quæ in illo maximæ fuerunt, in hac præcipuè floruit, ac celeberrimus toto orbe fuit habitus, scilicet mutos loqui docendi. Le P. Feijoo rapporte deux documents du même monastère, qui s'accordent à assurer que Ponce apprenait aux sourds-muets à parler. Nous n'avons, au reste, aucun détail sur sa méthode, si ce n'est que, selon Vallès, il traçait d'abord les lettres de l'alphabet, en montrait la ciation par le mouvement des lèvres et de la langue, et, après avoir formé des mots, il faisait voir à ses élèves les objets qu'ils désignent. Ses successeurs ne lui sont redevables que de la certitude qu'on peut apprendre aux sourds - muets les langues, les lettres et les sciences; car on dit que Ponce enseignait tout cela à ses élèves. (Voyez SICARD.) On peut lire, sur la dispute que, dans les temps modernes, la question de la priorité de

pronon

l'invention a fait naître, le tome Iv des Cartas eruditas y curiosas du P. Feijoo, et la dissertation du P. Andrès, Dell' origine e delle vicende dell' arte d'insegnar a parlare ai sordi-muti, Vienne, 1793. Le premier qui écrivit sur la méthode d'instruire les sourds - muets, fut encore un Espagnol, Jean Paul Bonet, auteur du Reduccion de las letras, y arte para enseñar a hablar los mudos, 1620, in-4°. DG. PONCELET (Le Père POLYCARPE), religieux recollet, et célèbre agronome, né à Verdun, florissait dans la deuxième moitié du dixhuitième siècle. De très-ingénieuses expériences, sur le froment et la farine, lui valurent d'honorables sufrages. On a de lui: I. Chymie du goût et de l'odorat, ou Principes pour composer, à peu de frais, les liqueurs à boire et les eaux de senteur, Paris, 1755, in -8°., il donna une seconde édition de cet ouvrage, sous le titre de Nouvelle chymie du goût et de l'odorat, etc., 1774, in-8°., avec des améliorations et des changements très-considérables: cette édition fut suivie de quelques autres. II. Principes généraux pour servir à l'éducation des enfants, particulièrement de la noblesse française, 3 vol. in-12. III. La Nature dans la formation du tonnerre et la reproduction des étres vivants, pour servir d'introduction aux vrais principes de l'agriculture, Paris, 1766, in-8°.; ouvrage plein de recherches et d'observations curieuses. IV. Mémoire sur les parties constituantes et les combinaisons particulières de la farine, 1776, in-8°. V. Histoire naturelle du froment, 1779, in-8°. C'est surtout à ces deux derniers ouvrages que Poncelet dut sa réputation: ils offrent

le résultat d'une suite d'observations qui ont demandé autant d'intelligence que de patience. L'auteur y traite du principe de la fécondité des terres du développement du germe, de son accroissement, de la floraison, des maladies du blé, des parties constituantes de la farine, des moulins, du pain, de l'usage de la farine dans les arts et métiers, et enfin de la nutrition. Il faut entendre Poncelet luimême rendre compte des circonstances qui ont amené et accompagné ses découvertes. « Dans l'impossibilité, dit-il, de me procurer les bons ouvrages qui traitent de l'agriculture et des arts qui en émanent, je n'ai eu pour ressource que celle de pouvoir lire, sans contrainte et à toute heure, dans le grand livre de la nature; et c'est pour y lire avec plus de liberté, pour pouvoir méditer plus profondément sur ce que j'y avais lu, que, renonçant pour un temps au commerce des hommes, je me suis retiré dans une paisible solitude; c'est là qu'inconnu et ignoré de l'univers entier, moi seul, absolument seul, sans compagnons, sans domestiques, sans témoins, j'ai labouré la terre, semé, moissonné, moulu, fait du pain, sans engrais, sans charrue, sans moulin, sans four; en un mot, sans autres ustensiles que ceux qu'une imagination industrieuse, excitée par la nécessité des circonstances, et guidée par la raison, me faisait inventer. J'en excepte néanmoins quelques vaisseaux chimiques, un crayon, des pinceaux, de l'encre de la Chine, et surtout un excellent microscope, dont je m'étais muni, parce que je prévoyais l'indispensable besoin que j'en aurais souvent. Suivant l'abbé Rozier, «jusque-là aucun auteur n'avait développé avec autant de soin et d'intelli

gence le mécanisme de la végétation. Pour reconnaître si, par la dégénérescence, il pourrait ramener notre froment à son état primitif, Poncelet, après l'avoir semé, en avait coupé les premières tiges, très-peu élevées encore. Il les coupa de nouveau; elles ne cessèrent point de croître : enfin, il recommença si souvent cette opération, que les tiges, extrêmement multipliées, n'étaient pas plus grosses que celles du gramen ou chiendent ordinaire. Il a conservé, pendant deux ans, ce grain dégéneré, sans être certain qu'il fût devenu, ou bisannuel seule ment, ou vivace. Il voulait, après cette dégénérescence bien constatée, ramener le même froment à son état de perfection : mais des circonstances particulières ne lui ont plus permis de suivre son expérience. »> En consignant ces détails dans son Dictionnaire, l'abbé Rozier fait le plus grand éloge des services rendus à l'agriculture par Poncelet, et parle de lui avec une rare estime. Quelque soin qu'on ait pris de rechercher d'autres particularités sur le personnel de l'abbé Poncelet, on n'a pu y réussir. Tantôt il est appelé le Père Poncelet ou le P. Polycarpe; d'autres fois il est qualifié d'abbé Poncelet. Il existe encore des personnes qui l'ont vu, et que l'on a consultées. Il portait, ont-elles dit, l'habit ecclésiastique; et elles ne lui en ont pas vu d'autre. On peut expliquer cette différence de dénominations et de costumes, en supposant que Poncelet, d'abord religieux récollet, par un bref de translation ou de sécularisation, était sorti de son cloître, et avait été dégagé de ses premiers vœux. Il y avait, à l'époque où il vivait, plusieurs exemples de ces changements. On n'est pas mieux

instruit du temps de la naissance et de celui de la mort de cet homme laborieux et modeste. Peut-être a-t-il fini ses jours dans la solitude où il s'était retiré pour se livrer à ses utiles travaux, et où il était inconnu ; ce qui expliquerait le peu de lumières que l'on a sur son sort. Voy. Rozier Diction., tome 11, pag. 285 et 286, et le Supplément à la Correspondance litt. de Grimm et de Diderot, par M. Barbier, pag. 344. L-r.

οὐ

PONGET (CHARLES - JACQUES ) , médecin et voyageur français, exercait depuis plusieurs années sa profession au Caire, avant l'arrivée de Maillet, en 1692. Dans un pays ceux qui se vouent à l'art de guérir vendent des amulettes au lieu de médicaments, il n'était pas étonnant que Poncet, qui possédait des connaissances en chimie et en pharmacie, préparât lui-même les drogues qu'il prescrivait à ses malades: il tint donc une boutique d'apothicaire, et de plus pratiqua la chirur gie. A cette époque, un musulman, Hadgi-Aly, facteur du roi d'Abissinie, qui avait fait plusieurs voyages au Caire, y revint en 1698. Indépendamment des affaires de ce monarque, il était chargé de lui chercher un médecin pour le guérir d'une espèce de scorbut dont lui et son fils étaient attaqués, et qui menaçait de dégénérer en lèpre. Hadgi-Aly ayant conuu précédemment le P. Pascal, capucin, qui se mêlait de médecine, et qui l'avait traité pour une maladie semblable, invita ce religieux à le suivre en Ábissinie; celui-ci accepta sous la condition d'emmener son confrère le P. Antoine. Hadgi-Aly, consentit à sa proposition; mais Maillet, qui voulait procurer auxJésuites l'honneur de la mission, d' Abis. sinie, attira chez lui Hadgi-Aly, et

lui vanta si bien le talent de Poncet, que le musulman se laissa gagner: il fut convenu que Poncet partirait avec lui, et que le P. Brèvedent l'accompagnerait comme domestique, sous le nom de Joseph. « Le P. Brè » vedent, dit Bruce, était un homme » distingué par sa probité et sa pié » té: zélé pour l'avancement de sa » religion, il ne se montrait, en la » prêchant, ni imprudent, ni témé>> raire; et il était toujours affable.» Munis d'une caisse de remèdes fournis par le consulat français, pour vus de lettres de Maillet pour le roi d'Abissinie et pour les quatre principaux officiers de sa cour, et suivis du P. Brèvedent, Poncet et Hadgi-Aly partirent le 10 juin 1698. En quinze jours, ils arrivèrent à lb

na,

[ocr errors]

à une demi - lieue au dessus de Manfalout, rendez-vous de la caravane d'Abissinie: elle se fit attendre trois mois; enfin elle se mit en route le 24 septembre. Le 6 octobre, les voyageurs parvinrent à El Ouah (l'Oasis des anparva ciens), puis marchèrent directement au sud. Le 26, ils se retrouvèrent sur les bords du Nil, à Moschot, et en suivirent la rive gauche jusqu'au faubourg de Dongola. Ils entrèrent, le 13 novembre, dans cette ville, qui est à la droite du Nil, et où Poncet fut très-fête à cause des succès qu'il y obtint comme médecin. Il n'en sortit, en regagnant la gauche du Nil, que le 6 janvier 1699. Il fut, ainsi que ses compagnons, accueilli très-gracieusement par le frère du premier ministre, dès les premiers pas de son arrivée dans le royaume de Sennaar. Lorsque l'on fut dans la capitale, Brèvedent en détermina la latitude, qui ne différait quede 20' de celle que Bruce a observée: Sennaar est le point où se réunissent les

chemins que Poncet et le voyageur écossais ont suivis. Partout où notre

médecin passait, il recevait les témoignages les moins équivoques de bienveillance et de respect, parce qu'il allait chez le roi d'Abissinie. Le 12 mai, il partit de Sennaar, et traversa le Nil à quatre milles au-dessus, puis se dirigea au nord-est, et ensuite, par divers détours, au sud-est. A Serk, il entra dans l'Abissinie. Le 3 juillet, la caravane fit halte à Barko. Cé fut dans cette petite ville, éloignée seulement d'une demi-journée de Gondar, que Brèvedent, succombant aux fatigues du voyage, mourut, le 9. Poncet Ꭹ fut retenu par une maladie jusqu'au 21. Le même jour, arriva le soir à Gondar, et logea au palais du roi. Il eut le bonheur de guérir, en fort peu de temps, ce monarque et son fils. « Ainsi, dit Bru»ce, il remplit cette partie de sa » mission aussi parfaitement que le » médecin le plus habile eût pu le » faire : quant au second objet dont » on l'avait chargé, et qui était d'en» gager le roi à envoyer une ambas» sade en France, je doute qu'un au» tre eut pu s'en acquitter autre

il

ment que lui. Le projet d'une am»bassade abissinienne, demandée » par les Jésuites et tant sollicitée par >> Maillet, était une chimère imprati>> cable, mais qui heureusement n'eut >> aucune suite. » Poncet se conforma donc, le mieux qu'il put, aux instructions de Maillet, en emmenant avec lui un Arménien nommé Murat, neveu d'un chrétien du même nom, qui depuis long-temps jouissait de la confiance du roi d'Abissinie. « Il ne fut pas difficile à Mu» rat, dit Poncet, de faire nommer » son neveu pour l'ambassade de » France: l'empereur le déclara pu»bliquement, et lui fit préparer ses

» présents, qui consistaient en un élé>>phant, en plusieurs chevaux, et en » jeunes enfants éthiopiens, et autres » présents. » Le départ de Poncet étant arrêté, le roi lui donna une audience de congé avec les cérémonies ordinaires. Il partit de Gondar, le 2 mai 1700, et fit route au nordest. Il passa par Adoué, visita les ruines d'Axum, traversa les montagnes, et descendit sur les bords de la mer à Massouah. L'ambassadeur Murat était resté en arrière. Poncet fut obligé de s'embarquer sans lui, le 28 octobre; et, traversant la mer Rouge, entra, le 5 décembre, dans le port de Djedda, où il attendit vainement Murat. Le 12 janvier 1701, il se rendit, sur un bâtiment turc, à Tor, et de là gagna le mont Sinaï, où il resta un mois. Murat l'y rejoignit, mais en triste équipage. Le schérif de la Mekke lui avait enlevé les esclaves éthiopiens, ne lui en laissant qu'un seul; le vaisseau qui portait le reste des présents avait fait naufrage: l'éléphant était mort; Murat en apportait la trompe et les oreilles salées. Poncet et l'ambassadeur arrivèrent bientôt après au Caire. Le consul Maillet accueillit Murat comme un ambassadeur, le fit loger,le combla de prévenances. Mais comme il avait été préalablement instruit, par les lettres de Poncet, du misérable état de l'ambassade, piqué de voir échouer les magnifiques projets qu'il avait conçus, il chercha querelle à Murat à propos de l'étiquette, prétendit que cet ambassadeur devait lui rendre visite le premier; et après beaucoup de mauvais procédés, il insista pour qu'il lui montrât ses dépêches: Murat refusa. Maillet fit secrètement un présent au pacha pour qu'il se saisît de la lettre du roi d'Abissinie. Le pacha extorqua cette dépêche, qui était

sans importance. Les Jésuites, ignorant les manœuvres de Maillet, adressèrent leurs plaintes à l'ambassadeur de France à la Porte pour obtenir justice de cette violation du droit des gens. Un capidji vint au Caire, dénoncer le pacha; Maillet fut obligé de rembourser à celui ci la dépense du capidji. Sur ces entrefaites, il avait verbalisé contre Murat, et tenait les lettres. Fier de sa victoire, il prit le parti d'envoyer à Paris le chancelier du consulat, chargé de missives fabriquées par lui, et qu'il disait être traduites des originaux éthiopiens. Le P. Verseau, procureur des missions de Syrie, se trouvant au Caire, se défia des intentions de Maillet. Poncet, qui était également mal avec le consul, ne se souciait pas de son côté, de perdre le fruit de son voyage en Abissinie, ni d'en confier le récit à Maillet, et encore moins de s'en rapporter à la manière dont celui-ci en parlerait dans ses dépêches. Ainsi tous les trois s'embarquèrent pour la France, sans oublier les oreilles de "'éléphant et d'autres présents. Arrivés à Versailles, Verseau fut présenté au roi : Poncet jouit, peu de temps après, du même honneur. Il se fit voir alors dans Paris, comme une espèce de curiosité, vêtu à l'abissinienne, et portant une chaîne d'or. Pendant qu'il s'amusait à se donner ainsi en spectacle, les lettres de Maillet, et les récits de son chancelier, firent suspecter la réalité de son voyage en Abissinie, et l'ambassade de Murat. Maillet se garda bien de dire ensuite que Hadji - Aly, revenu au Caire, lui avait remis une lettre du roi d'Abissinie, par laquelle il le remerciait de lui avoir envoyé Poncet à qui il devait sa gué

« PreviousContinue »