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»plesse sans ruse, qui savait parve>nir à ses fins sans irriter; et avec

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cela une fermeté, et, quand il le » fallait, une hauteur à soutenir l'in» térêt de l'état et la grandeur de la >> couronne, que rien ne pouvait en» tamer. Avec toutes ces qualités, il » se fit aimer de tous les ministres » étrangers comme il l'avait été » dans tous les pays où il avait né» gocié. Poli, obligeant, et jamais ministre qu'en traitant, il se fit » adorer à la cour, où il mena une vie égale, unie, et toujours éloi»gnée du luxe et de l'épargne: ne >> connaissant de délassement de son » grand travail, qu'avec sa famille >> ses amis et ses livres (16). » Louvois et Colbert possédaient les principales qualités qui font les hommes d'état ; ils en avaient aussi les défauts. Une ambition démesurée nourrissait en eux un profond égoïsme qui tourmentait tout ce qui n'était pas eux ou leurs familles. Pomponne estimé du roi, sans être cependant en faveur (17), avait, à la cour comme dans le monde, des amis nombreux et dévoués, qu'il devait principalement à ses qualités sociales, à l'aménité dont il ne se dépouillait jamais. La bienveillance universelle dont il était environné, importuna les deux autres ministres. Il y avait loin du caractère de Pomponne à la dureté de Louvois, à la froideur glaciale de Colbert. Une jalousie secrète s'établit et se fortifia. L'un et l'autre ne s'appliquaient qu'à étendre leur influence. « Chacun des deux, dit » Saint-Simon, tendait toujours à em

» autre auprès duquel celui-là est si
» pea
de chose.... Les paroles que le
>> roi vous a dites, sont d'une grande
» consolation et portent une grande
>> joie à un homme qui souhaite pré-
cisément et uniquement les mêmes
> choses: servir Dieu le premier, et
» ensuite un roi et un maître à qui on
>> est si étroitement redevable (14). »
Pomponne ne pouvant quitter immé-
diatement la Suède, Louvois, char-
gé par interim des affaires étrangères,»
ouvrit des relations qu'il ne cessa
plus d'entretenir; et il se prépara
ainsi, à l'avance, les moyens de ren-
verser un jour le nouveau ministre.
Le roi reçut Pomponne de la manière
la plus honorable; on ne peut lire,
sans éprouver une sorte d'attendris-
sement, le récit que celui-ci fait à
M. d'Audilly d'une conversation plei
ne de bonhomie, que Louis XIV
eut avec lui peu de jours après son
arrivée (15). Pomponne montra dans
le ministère la même habileté qu'il
avait déployée dans la pratique des
végociations. Le caustique Saint-Si-
mon dont la plume se prête si diffi-
cilement à tracer un éloge, le peint
des traits suivants : « C'était un hom-
» me excellent, par un sens droit,
» juste, exquis; qui pesait tout,
» faisait tout avec maturité et sans
>> lenteur; d'une modestie, modé-
» ration, simplicité de moyens ad-
» mirables, et de la plus solide et
» de la plus éclairée piété. Ses yeux
>> montraient de la douceur et de
l'esprit; toute sa physionomie,
» de la sagesse et de la candeur:
» une dextérité, un art, un talent
» singulier à prendre ses avantages
» en traitant; une finesse, une sou-

>>

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(16) OEuvres de Saint-Simon, Strasbourg, 1791, t. XI, P. 79.

(17) « Je le croyais plus assuré que les autres, » écrivait Mme. de Sévigné, parce qu'il n'avait point » de faveur.» (Lettre à sa fille, du 6 décembre 1679, t. VI, p. 48, de l'édition de 1818.)

»bler la besogne d'autrui (18). » Ils essayaient souvent de s'immiscer dans les affaires de son département; mais ils ne pouvaient y réussir: Pomponne ayant acquis une grande connaissance des affaires de l'Europe, des intérêts des cours étrangères, des ressorts qui les faisaient mouvoir, avait dans le conseil tant d'avantages sur eux, qu'ils n'osaient ni ne pouvaient le contredire devant le roi. Un intérêt commun rapprocha pour un temps deux hommes qui, jusque-là, n'avaient pu s'accorder, et ils conjurèrent ensemble la chute de Pomponne. Les opinions favorables au jansénisme, que la famille des Arnauld avait soutenues et professées, furent adroitement rappelées au souvenir du roi. On fit naître peu à peu des scrupules dans son esprit sur le danger de laisser des fonctions éminentes entre les mains d'un homme que ses relations de famille unissaient à ceux que l'on qualifiait d'ennemis de l'état. Pomponne partageait les opinions de Port Royal; mais, doué d'un caractère doux et indulgent, il n'appliquait qu'à lui-même leur sévère austérité. Arrêté dès le commencement de sa carrière par l'accusation dirigée contre son nom, la même cause allait le faire descendre du haut rang où la bienveillance royale et son propre mérite l'avaient placé. « C'était » un crime que sa signature, disait>> on à Mme. de Sévigné (19). » Ce ne fut cependant qu'avec de longs efforts, que l'on parvint à diminuer la confiance du roi; mais peu-à-peu, å force d'insister, on réussit à l'ébranler. Louis XIV se trouvait dans cette disposition douteuse, lorsque le pré

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texte le plus léger amena la disgrace de Pomponne. Le roi venait de faire la demande de la princesse de Bavière, pour le Dauphin; et l'on attendait à chaque moment le consentement de la cour de Munich. Arnauld n'aurait pas dû quitter Versailles; il céda imprudemment au desir d'aller passer quelques jours à Pomponne, malgré les instances de la princesse de Soubise, son amic, qui voyait l'orage se grossir, mais n'osait s'en ouvrir entièrement, dans la crainte de laisser échapper son propre secret. Le courier arriva le jeudi: dès le même jour, Louvois, qui avait conservé des correspondances dans toutes les cours, porta au roi les lettres dans lesquelles on lui annonçait la conclusion du mariage de M. le Dauphin. Quarante-huit heures s'écoulèrent sans que les dépêches adressées au roi fussent déchiffrées; et le samedi, 18 novembre 1679, Pomponne, arrivant à Versailles, reçut des mains de Colbert l'injonction de remettre ses dépêches et sa démission. Les deux ministres, loin de chercher à atténuer une négligence blâmable, mais susceptible d'excuse, l'avaient présentée sous les couleurs de la faute la plus grave; et ils étaient parvenus à se délivrer de l'homme qui les importunait. Tous les deux n'avaient pas usé d'une adresse égale: Louvois comptait réunir les affaires étrangères au ministère de la guerre; Colbert travaillait pour M de Croissy, son frère, qui fut immédiatement déclaré le successeur de Pomponne; ce qui a fait dire à Mme. de Sévigné : « Un >> certain homme (Louvois) avait » donné de grands coups depuis un >> an, espérant tout réunir: mais on » bat les buissons, et les autres (les » Colbert) prennent les oiseaux

»

» (20). » M. de Pomponne emporta les regrets de la France. Les plus illustres personnages s'empressèrent de lui témoigner la part qu'ils prenaient à son infortune. Le grand Condé lui écrivit de șa main : « La »> nouvelle que je viens de recevoir » de l'ordre que le roi vous a donné, » me donne une des plus grandes af>>flictions que j'aie reçues de ma >> vie. >> Bossuet, alors évêque de Condom, ne garda pas le silence dans cette occasion : « J'ai été, lui » écrivit-il, autant affligé que surpris » de ce qui vous est arrivé. Je me >> suis en même temps tourné à Dieu » pour le prier de vous faire trouver >> en lui la consolation que vous ne >> pouviez en effet trouver que là. M. de Pomponne, dit Mme. de Sévigné, n'était pas de ces ministres sur qui une disgrace tombe à » propos pour leur apprendre l'hu>> manité, qu'ils ont presque tous ou>> bliée; la fortune n'avait fait qu'em»ployer les vertus qu'il avait pour le bonheur des autres (21). » Elle ajoute dans une autre lettre : « Un > ministre de cette humeur, avec » une facilité d'esprit et une bonté » comme la sienne, est une chose si >> rare, qu'il faut souffrir qu'on sente » un peu une telle perte.... Je fus » touchée l'autre jour de le voir en>> trer avec cette mine aimable, sans » tristesse, sans abattement. Mme. » de Coulanges m'avait priée de l'y » mener. Il la loua de s'être souve» nue d'un malheureux : il ne s'ar» rêta point long-temps sur ce cha>> pitre; il passa à ce qui pouvait >> former une conversation: il la ren>> dit agréable comme autrefois, sans >> affectation pourtant d'être gai, et

» d'une manière si noble, si natu» relle, et si précisément mêlée et » composée de tout ce qu'il fallait » pour attirer notre admiration, qu'il » n'eut pas de peine à y réussir. En>> fin, nous l'allons revoir, ce M. de » Pomponne, si parfait, comme >> nous l'avons vu autrefois..... M. » de Pomponne ne sera plus que le » plus honnête homme du mon» de. (22). » Il soutint sa disgrace avec une constance et une fermeté chrétiennes, qui l'honorérent encore plus que ne l'avait fait son élévation. « Les étrangers, dit >> Saint-Simon, en regrettant sa per» sonne qu'ils aimaient... furent bien »aises d'être soulagés de sa capaci» té (23). » Nous ne serions pas entrés dans des détails aussi étendus, si, pour justifier Pomponne, nous n'avions pas eu à combattre un document du plus grand poids. Louis XIV lui-même, dans ses Réflexions sur le métier de roi, a porté sur ce ministre un jugement dont l'autorité parait accablante; mais il est prouvé par les faits que ce grand roi, induit d'abord en erreur par ceux qui l'entouraient, revint ensuite à des sentiments plus favorables à Pomponne. « En 1671, dit le >> roi, un ministre (M. de Lionne) » mourut..... Je fus quelque temps » à penser à qui je ferais avoir la » charge; et après avoir bien exa

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mine, je trouvai qu'un homme qui » avait long-temps servi dans les » ambassades, était celui qui la rem» plirait le mieux. Je l'envoyai qué>> rir: mon choix fut approuvé de >> tout le monde; ce qui n'arrive pas » toujours...... Je ne le connais» sais que de réputation et par les (22) Lettre à sa fille, du 29 nov., 1679, t. VI, (23) Loc. cit., p. 84.

(20) Lettre à sa fille, du 8 déc. 1679, t. VI, p. 59. p. 36. (21) Lettre à sa fille, du 22 nov. 1679, t. VI, p. 23,

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>> commissions dont je l'avais char» gé, qu'il avait bien exécutées; mais » l'emploi que je lui ai donné s'est » trouvé trop grand et trop étendu » pour lui. J'ai souffert plusieurs an» nées de sa faiblesse, de son opi» niâtreté et de son inapplication. Il >> m'en a coûté des choses considé» rables: je n'ai pas profité de tous >> les avantages que je pouvais avoir, » et tout cela par complaisance et » bonté. Enfin, il a fallu que je lui » ordonnasse de se retirer, parce que tout ce qui passait par lui per» dait de la grandeur et de la force » qu'on doit avoir, en exécutant les » ordres d'un roi de France, qui » n'est pas analheureux. Si j'avais » pris le parti de l'éloigner plus-tôt, » j'aurais évité les inconvénients qui >> me sont arrivés, et je ne me repro>> cherais pas que ma complaisance » pour lui a pu nuire à l'état (24). » Telle était l'opinion que l'on était parvenu à inspirer au roi sur Pomponne : elle étonne d'autant plus, que ce fut sous le ministère de ce dernier que fut conclue la paix de Nimègue, par laquelle la FrancheComté et le Hainaut furent réunis à la France. Peut-être Louis XIV a-til regretté d'avoir restitué aux Hollandais toutes les conquêtes qu'il avait faites sur eux. Il est vraisemblable que la sage modération de Pomponne aura été présentée au roi comme une marque de faiblesse et d'incapacité. Au reste, la manière dont le roi traita Pomponne, après sa disgrace, parle plus haut que ne pourraient le faire nos réfutations. « Le roi, après » quelque temps, dit Saint-Simon,

(24) OEuvres de Louis XIV, t. II, p. 458. Voltaire a le premier fait connaitre ce passage, dans le chap. 28 du Siècle de Louis XIV. Il ajoute judicieusement «Que ne devait pas se dire Louis XIV » sur M. de Chamillard, dont le ministère fut si » infortuné et condamné si universellement ? »

» ser,

«

>> voulut voir Pomponne.... dans ses » cabinets: il le traita en prince qui » le regrettait, et lui parla même de » ses affaires de temps en temps, >> mais rarement.... A une de ses au» diences, le roi lui témoigna la peine » qu'il avait ressentie en l'éloignant, » et qu'il ressentait encore..... Il lui » dit qu'il avait toujours envie de le » rapprocher de lui, qu'il ne le pou>> vait encore, mais qu'il lui deman» dait sa parole de ne point s'excuet de revenir dans son conseil » dès qu'il le lui commanderait; en >> attendant, de garder le secret de ce » qu'il lui disait. Pomponne le lui promit, et le roi l'embrassa (25).» Il paraît que ceci se passa à l'époque où Louis XIV, fatigué de Louvois, était dans la disposition de l'envoyer à la Bastille. En effet, à peine ce ministre fut-il expiré (16 juillet 1691), que le monarque écrivit à Pomponne de revenir prendre sa place dans ses conseils comme ministre-d'état. Le roi daigua même nous apprend Saint-Simon, lui faire des excuses d'avoir autant tardé à le rappeler et alla jusqu'à lui exprimer la crainte qu'il ne vit avec peine M. de Croissy remplir des fonctions dont il s'était si dignement acquitté. Pomponne, voulant prouver au roi qu'il n'avait pas d'autres vues que le bien de son service, alla surle-champ rendre visite à Croissy et lui donna son amitié. De ce moment il exerça les fonctions de ministre-d'état; il eut un logement à Versailles, et une pension de vingt mille livres (26). Croissy étant mort

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(25) Saint-Simon, loc. cit., p. 84.

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(26) Voltaire avance, dans le Siècle de Louis XIV (t. IV, p. 1050, de l'édition de Desoer), que Pomponne n'usa point de la permission que le monarque lui donna d'entrer au conseil : c'est une assertion contraire à la vérité. On voit, dans une lettre de Racine à Despréaux, écrite de Fontainebleau, le 23 septem

le 28 juillet 1696, le roi confirma dans sa charge M. de Torcy, son fils, qui épousa, le 13 août suivant, la fille de M. de Pomponne. Il fut réglé que Pomponne donnerait audience aux ministres étrangers en présence de Torcy; qu'il rapporterait au conseil toutes les affaires étrangères, et mettrait par apostille ce qu'on aurait résolu de répondre aux ministres du roi; que Torcy ferait ensuite les dépêches (27). Le gendre de Pomponne se forma ainsi anx affaires sous sa direction; et il devint un des meilleurs ministres qu'ait eus la France (Voy. TORCY). Pomponne, uni par les liens de la plus étroite amitié avec les ducs de Beauvilliers et de Chevreuse, vécut à la cour jusqu'à la fin de sa carrière. Il mourut d'apoplexie, à Fontainebleau, le 26 septembre 1699, également regretté des Français et des étrangers, dit Dangeau (28). Il avait épousé, en 1660, Mlle. Ladvocat fille d'un maître des comptes, dont il eut trois fils et une fille. Mme. de Pomponne obtint du roi une pension de 12,000 fr., que l'exiguité de sa fortune lui rendait nécessaire. << On >> peut ajouter ce fait, remarque » Dangeau, à tous les éloges que » l'on doit à un homme aussi ver> tueux que M. de Pomponne, qui » avait demeuré si long-temps dans » le ministère (29). » Mnie. de Pomponne mourut le 31 décembre 1711. Les négociations de Pomponne sont restées manuscrites; elles ne seraient cependant point inutiles pour l'his

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toire. Les relations qu'il en a écrites, se trouvent dans la bibliothèque du Roi, et dans celle de Monsieur, dite de l'Arsenal. ARNAULD (Antoine), abbé de Chaumes, frère aîné du précédent, naquit en 1616. Son père l'avait destiné, comme premier né, à entrer dans l'église; mais se sentant peu de vocation, le jeune Arnauld suivit d'abord la carrière militaire, qu'il quitta en 1643, pour prendre l'habit ecclésiastique. Il s'attacha à Henri Arnauld, son oncle, évêque d'Angers célèbre par les négociations dont il fut chargé (Voy. Henri ARNAULD, II, 499). Antoine Arnauld obtint au mois de novembre 1674, l'abbaye de Chaumes en Brie, à peu de distance de Pomponne. Il a laissé des Mémoires, publiés en 1756, en trois parties, petit in -8°., qui renferment des particularités intéressantes: ils entreront dans la deuxième série des Mémoires de l'Histoire de France, que publie M. Petitot. L'abbé de Chaumes mourut en 1698.-ARNAULD (Henri-Charles), chevalier, seigneur de Luzancy, autre frère de M. de Pomponne, demeura toujours dans la solitude, et consacra sa vie à la piété et à l'étude de la religion, sans être pourtant dans les ordres sacrés. Il vécut avec son père à Port - Royal des Champs, et il l'accompagnait à Pomponne, quand les circonstances les obligeaient de s'y réfugier. Arnauld d'Andilly aimait particulièrement M. de Luzancy; il exprime d'une manière touchante les sentiments qu'il lui portait, dans un codicille, du 8 avril 1667: « Je donne à mon fils de « Luzancy, tout ce que j'ai de meu»bles, qui, de quelque peu de valeur qu'ils soient, lui sont d'autant plus » propres, que la vie retirée, que

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