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Voyage de Languedoc et de Provence, dans le genre de celui de Bachaumont et Chapelle. On y trouve moins de négligence, mais aussi moins de grâce et d'abandon. Sa Dissertation sur le nectar et sur l'ambroisie, en prose et en vers comme son Voyage, est assez estimée: l'agrément et le goût y sont joints à l'érudition. Pompignan en avait puisé les matériaux dans une dissertation italienne de l'abbé Venuti. Il faut citer ensuite, dans l'ordre de ses écrits, les Poésies sacrées et philosophiques, tirées des Livres saints, ouvrages dont Voltaire s'est tant moqué, et auquel, malgré l'épigramme si connue, et reproduite, sous toutes les formes, par ce célèbre écrivain, on a beaucoup touché, et même quelquefois avec admiration. Laharpe observe très-bien, dans son Cours de littérature (tome XIII), qu'un trait de satire lancé par une main ennemie, n'est ni le jugement de la raison, ni la condamnation du talent. Il est de fait que les vraies beautés dont ces poésies sont remplies, ont neutralisé l'effet de plus d'un bon mot dirigé contre elles. Après les chefs-d'œuvre de ce genre que nous ont laissés les Racine et les Rousseau, notre langue n'offre point de monument, à-la-fois poétique et religieux, que l'on puisse opposer aux imitations de la Bible que nous indiquons ici. Une partie des poésies sacrées de Pompignan parut en 1751; une autre, en 1755. Il les réunit dans une fort belle édition in-4". en 1763. Les journaux littéraires, qui n'étaient alors qu'en petit nombre, leur donnèrent des éloges unanimes; mais ce fut avec une exagé ration nuisible que le marquis de Mirabeau les préconisa dans une Dissertation aussi longue que le Recueil

Pompignan était âgé de vingt-deux
ans, lorsqu'il vint, pour la première
fois, à Paris, sans en rien dire à sa fa-
mille, porter sa tragédie de Didon,
sujet emprunté de Virgile, et pour
lequel le secours de Métastase lui avait
aussi été fort utile. Cette pièce eut
beaucoup de succès dans la nouveau-
té (1734), et elle s'est maintenue long-
temps au théâtre. La conduite en est
sage et régulière, les caractères sont
soutenus, et le style ne manque nid'élé.
vation, ni de pureté. Quelques scènes
écrites avec chaleur, surtout celles
entre Enée et Didon, où l'auteur va
jusqu'au pathétique, n'empêchèrent
pas la critique de remarquer, entre
autres défauts, de longues sentences
et de froides moralités. Les morceaux
les plus travaillés sont des imita-
tions, quelquefois même des traduc-
tions littérales, de Virgile. Cet ou-
vrage n'a guère que le rôle de la reine
de Carthage, qui est fort beau pour
l'actrice, et réunit plus d'un genre de
mérite: car c'est un rôle assez court
que celui d'Iarbe, qu'on a vanté sou-
vent, et dont la grandeur, l'éner-
gie sauvage, contrastent avec le ca-
ractère passionné et voluptueux de
la reine; il peut, au surplus, être
regardé comme une création du poète
français. Quant au personnage d'É-
née, il manque de force et de no-
blesse. En résumé, après avoir vu
représenter la pièce de Pompignan,
on ne craint pas d'assurer que Di-
don, si admirable dans l'Énéide, ne
peut figurer avantageusement sur no-
tre scène tragique. Le même auteur
douna, l'année suivante, 1735, au
théâtre Italien, les Adieux de Mars,
petit drame en un acte et en vers li-
bres, où il avait entrepris de cen-
surer nos mœurs, de peindre nos
travers et nos ridicules, et qui fut
assez goûté. Il publia, en 1740, un

dont il rendait compte. Pompignan (eut le tort d'insérer lui-même dans ses œuvres cette Dissertation intitulée Examen, etc. Si, en reproduisant, sous la forme d'Odes françaises, les Psaumes de David, qu'il avait étudiés dans l'hébreu, il a moins générale ment réussi que lorsqu'il a mis envers les Prophéties et les Cantiques, il serait souverainement injuste de nier que deux psaumes tout entiers, et diverses strophes prises dans d'autres psaumes, brillent du feu de la vraie poésie, et que leur mérite ne dépare pas celui de l'original. Ce que l'on desirerait, au total, dans les vers sa→ crés de cet écrivain, c'est plus de sensibilité, et de véritable inspiration. Ces Poésies sont en cinq livres. Les Hymnes forment le quatrième, qui est, sans contredit le moindre de tous. Le cinquième est composé de discours philosophiques, tirés des livres Sapientiaux. Les traits de force et d'élégance dominent encore là plus que le sentiment et l'harmonie. Pompignan a déployé, dans les notes de ces cinq livres, voir et une critique judicieuse. On peut citer encore de lui, d'autres Odes, des Épîtres, des Poésics familières, des ouvrages dramatiques et lyriques. Ces différentes productions, qui n'étaient, ni traduites, ni imitées de personne, ont ajouté à la réputation de leur auteur. Ses Odes profanes ne sont pas indignes de celles qu'il avait publiées d'abord : nais malgré quelques élans heureux, on y desirerait un peu moins de timidité et de froideur. Le Frane de Pompignan n'avait plus, pour le soutenir, les richesses de la poésie hébraïque, ni la magnificence du langage des prophètes: cependant il a tiré de son propre fonds de grandes beautés; et certes il marche quel

un vaste sa

quefoisiei de pair avecJ.-B.Rousseau. Tout le monde sait par cœur la plus fameuse strophe de son Ode sur la mort de ce célèbre lyrique:

Le Nika vu sur ses rivages, eto

Il y a, dans la même Ode, une strophe d'une véritable beauté ; c'est la première de toutes :

Quand le premier chantre du monde, etc.

Laharpe loue aussi une strophe, très remarquable en effet, de l'Ode en l'honneur de Clémence Isaure. Quant aux Épitres, elles présentent des leçons de morale, et des règles de goût fort bonnes à suivre. La Traduction en vers des Géorgiques, que Pompignan ne donna qu'après celle de Delille (2), ne gagna pas à subir le grand jour de l'impression: mais il en avait fait entendre le premier livre à l'académie française, le jour de sa réception ; et s'il faut s'en rapporter au journal de Collé, le duc de Nivernais, entre autres, en était dans l'enthousiasme. Pompignan avait, de plus, traduit le sixième livre de l'Enéide. Il dans ses imitá

est assez rare que,

tions du poète romain, la difficul té ne soit pas vaincue d'une ma nière heureuse. En général même on doit y louer un certain méri te de fidélité, de naturel et de langage poétique: mais ces deux versions n'offrent ni la verve, ni la couleur, ni la brillante harmonis qui ont valu à Delille la palme, comme traducteur, en vers, de Virgile. La muse de Pompignan s'était

(2) On trouve dans l'Année littéraire, 9 août 1758, une Ode adressée par Delille à Pompignan Les Géorgiques de ce dernier sont annoncéest et comme le jeune poète avait déjà lui-même traduit quelques parties du poème de Virgile, il demande à celui qui l'a devancé, de guider ses pas tremblants et de le soutenir dans la carrière:

Tel on voit le lierre, à l'ombre qui le cache,
Ramper dans les forêts et languir sans appui;
S'il rencontre le chêne, à son tronc il s'attache,
Embrasse ses rameaux et s'élève avec lui.

encore essayée sur Hesiode, Pindare, Ovide, Horace, etc. Il écrit en prose d'une manière simple, noble et ferme l'expression qui tient à l'ame, ne lui manque pas quand le sujet l'exige. Nous avons de lui l'Eloge historique du jeune duc de Bourgogne, frère aîné de Louis XVI (Paris, 1761, in-8°.); morceau d'éloquence dont la flatterie était un peu obligée, On reconnaît en géné ral dans ses discours académiques, l'écrivain formé sur les bons modèles. Ses Dissertations, dont une traite des Antiquités de Cahors (3), ses Traductions de quelques Dialogues de Lucien, celles des Trage dies d'Eschyle, qu'il osa, le premier, inettre toutes en français et nous faire ainsi connaître complètement, déposent en faveur de son savoir comme de son talent. Les hellénistes ont pour tant déclaré que cette version d'Eschyle,assez élégante, n'était pas conforme à l'original. L'étude des langues modernes, jointe à celle des langues de l'antiquité, avait mis Pompignan en état de transporter aussi dans notre idiome, ou d'imiter avec succès, les morceaux de poésie étrangère les plus brillants. Enfin le recueil de sa Correspondance offre un vaste et riche dépôt de littérature, de jurisprudence, d'histoire, qui atteste l'étendue et la variété de son érudition: nous indiquerons principalement la Lettre qu'il écrivait à Racine le fils, en 1751, et où il lui demandait, ou bien lui soumettait, des observations sur les ouvrages de l'auteur de Phèdre et

(3) De antiquitatibus Cadurcorum, 1746, in-80,

et dans le tome v du Recueil de l'académie de Cor tone: Pompignan a aussi donné, dans les Mélanges de l'acad. de Moutauban, 1755, in-8°. (p. 365-405), des conjectures sur le temps où le Rouergue Ru theni) fut incorporé à la Gaule Narbonnaise.

d'Athalie (4).On voit quels étaient les titres littéraires de l'ancien premier président de la cour des aides de Montauban, quand la voix publique l'appela dans le sein de l'acadé mie française. Joignant à sa considération personnelle, comme magistrat, celle d'un frère qui était un des membres les plus distingués du clergé de Frauce par ses vertus et ses lumières (Voy. l'article suivant; il se présenta, mais en homme accoutumé à jouir, dans nos provinces méridionales ainsi que dans sa patrie, d'une réputation flatteuse: enfin, en venant réclamer du premier corps littéraire de France un honneur qui, pour lui, était presque le triomphe, il était autorisé, par les applaudissements et par les louanges excessives des journalistes de la capi tale, à présumer un peu de ses droits. Il avait tout récemment fondé, dans sa ville natale, une académie; et celle des Jeux floraux lui avait rendu de véritables hommages, sans compter ceux du parlement de cette ville, qui se l'é tait aussi affilié. On a prétendu qu'il s'était formalisé de ce que les académiciens n'avaient pas témoigné un grand empressement à le nominer dès qu'il en avait manifesté le desir, et surtout de ce que Sainte-Palaye avait obtenu sur lui la préférence en 1758. Au reste, deux ans après, il fut élu à l'unanimité. Telle était la position de Pompignan lorsqu'arriva le jour de sa réception à l'aca-* démie (le 10 mars 1760), réception qu'il avait volontairement retardée pendant cinq mois. Mais comment fut-il amené à prononcer, comme récipiendaire, un discours si diffé

(4) Elle fut publiée, separément en un petit vol. in-16. Ou la trouve dans les OEuvres de Louis Ra cine, 18.8, tom. V; 1, p. 197-254.

rent de ceux que l'on avait jusque-là entendus en pareille circonstance? c'est ce que l'on ne peut bien expliquer que par l'ardeur du zèle anti-philosophique qui l'animait, et qui excluait chez lui toutes les considérations. Attaquer en pleine séance plusieurs des hommes de lettres dont il devenait le collègue, pouvait être jugé, même en dehors de l'académie, comme une première inconvenance de position et de conduite. Son zèle, disait-on, aurait dû l'empêcher d'as pirer à faire partie du corps des académiciens philosophes. Ceux d'entre eux qu'il avait le plus offensés, ne cessèrent de répéter qu'un procédé si nouveau dans les annales des corps littéraires ou scientifiques, avait pour unique cause l'excès, pous sé jusqu'à une sorte de fureur, d'un orgueil blessé, ou un fanatisme sans excuse. A l'occasion de son discours et de l'Éloge du duc de Bourgogne, publié un an plus tard, où il parlait non moins énergiquement de la fausse et aveugle philosophie qui réguait encore, à cette époque de contagion irreligieuse, on l'accusa d'avoir eu pour but principal de parvenir à se faire confier l'éducation des fils du Dauphin, prince éminemment religieux, et très-opposé au corps des encyclopédistes. C'est pour cela, disait-on, qu'il déclarait solennellement la guerre à Voltaire, à d'Alembert, etc., qu'à la vérité il n'avait pas nommés, mais qui ne pouvaient manquer de se reconnaître à leurs désignations. Cependant pour répondre à une aussi fausse allégation, il suffisait de dire que Pompiguan avait renoncé volontairement aux emplois qui devaient l'approcher du trône, et de rappeler ses efforts énergiques pour soutenir, à Versailles, la cause du peuple, lorsqu'il était en

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core à la tête de la cour des aides de Montauban. Nous accorderons que son discours de réception était contraire à tous les usages académiques; mais, en relisant ce discours, il n'est aucun homme exempt de partialité, et éclairé par l'expérience, qui n'avoue que l'auteur avait raison au fond, quand il proclamait ainsi, avec courage et talent, des vérités utiles; (5) quand il signalait, en présence de toute la France, les efforts coupables qui préparaient long-temps d'avance les erreurs, les malheurs et les crimes de la révolution. Quoi qu'il en soit, ce fut-là le terme, sinon de la gloire de Pompignan du moins de son repos. Plusieurs des personnages intéressés avaient écouté en silence son discours: le public l'avait applaudi; et le nouvel académicien sortit du Louvre dans l'ivresse du succès. Le roi et la reine témoignèrent, bientôt après, qu'ils approuvaient son langage hardi. Une partie des cercles de la capitale, et beaucoup d'habitants des provinces, y donnaient leur adhé sion mais presqu'au même instant on vit commencer l'escarmouche des Facéties parisiennes, les Quand, les Pour, les Que, les Qui, les Quoi, les Car, les Ah! les Oh! qui venaient de Ferney. Morellet y donna suite par les Si et les Pourquoi; il introduisit Pompignan dans sa Préface de la comédie des Philosophes. Celui-ci, profondément blessé par les accusations mensongères, jointes aux épigrammes et aux injures, se plaignit au roi, dans un Mémoire qu'il lui adressa le 11 mai. Il y niait d'avoir été privé de sa charge d'avocat

:

(5) I disait dans ce discours : « Le savant instruit et rendu meilleur par ses livres, voilà l'homme de lettres. Le sage vertueux et chrétien, voilà le philosophe. »>

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général, pour avoir traduit (en 1738 et 1739), la prière universelle de Pope, qui semble tendre au déisme; et il se justifiait d'avoir entrepris cette version, dont il désavouait d'ailleurs l'impression, étant loin d'approuver entièrement l'original. Voltaire, si souvent irascible, et toujours adroit à manier l'arme du ridicule, épuisa, en prose et en vers, tous les moyens de s'égayer aux dépens du magistrat-poète; et pourtant, dans les notes de ses pièces satiriques, il lui reconnaissait du mérite littéraire il allait même jusqu'à le louer quelquefois comme versificateur. Une saillie de ce coryphée des philosophes n'attendait pas l'autre ; et l'on peut dire qu'il n'a rien fait de plus piquant dans ce genre. L'académicien ennemi de l'académie, se voyait immolé à la risée publique (6); mais, bien plus sensible encore à la calomnie et à l'emportement, qu'il avait raison de qualifier d'armes peu philosophiques, il ne parut plus au Louvre. Il se tint dans sa province, et presque toujours à la campagne, y trouvant les jouissances que la capitale refusait désormais à son ame agitée. C'était là qu'il avait recueilli le dépôt des livres de Racine, et qu'il partageait son temps entre de nouveaux travaux scientifiques ou littéraires, les plaisirs qui tiennent aux beauxarts amis de la poésie, enfin les occupations de la charité la plus efficace et la plus généreuse. Il montrait sans

(6) Une grande partie du public parisien, excité par les facéties de Voltaire, prit parti contre Pompignan. Collé rapporte, que le 9 novembre 1760, un des comédiens français étant venu, Suivant l'usage, annoncer qu'ils donneraient le lendemain Didon et le Fat puni, le parterre en fit une application maligne à l'auteur de la tragédie, ce qui détermina la résolution de jouer, le jour suivant, une autre petite pièce que celle qui avait été promise, comme devant suivre Didon.

cesse la piété chrétienne en action. Le souvenir des fonctions dont il avait été chargé comme magistrat, lui inspira les réflexions qu'il intitula: Considérations sur la révolution de l'ordre civil et judiciaire survenue en 1771. Depuis lors, il ne sortit plus de son obscurité volontaire, et mourut, le 1er. novembre 1784, à Pompiguan, après de longues souffrances physiques. Quelques moments auparavant, il dit, d'une voix pénétrée, ces mots : « Je pardonne de bon >> cœur, sans restriction, et dans la » plénitude de mon ame, à toutes » les personnes qui m'ont si amère«ment affligé. » Il fut pleuré et béni par tous ceux qui avaient dépendu de lui mais il jouissait aussi d'une considération méritée; et l'opinion publique n'avait pas attendu ce moment pour rendre pleine et entière justice à un caractère dont l'amour du vrai, poussé jusqu'à l'inflexibilité, en fait de principes, formait la base. Il suffirait de citer le suffrage de l'illustre chancelier d'Aguesseau, dont Pompignan fut estimé et chéri. Quant à ses écrits, les préventions qui en avaient fait mal juger une partie, sur la foi de Voltaire et consorts, cédèrent entièrement aussitôt après que leur auteur eut cessé de vivre. La passion du principal antagoniste d'un homme aussi distingué à tous égards, a plutôt servi à le faire juger favorablement, qu'elle ne lui a été nuisible en réalité. L'académicien Gaillard a eu raison, dans ses Mélanges, de faire observer que, si l'on disait d'un ouvrage reconnu pour mauvais et pour ignoré, que personne n'y touche, on ne ferait rire

personne; et que, parmi les satires vives et piquantes que s'est souvent permises le plus fameux des prétendus sages du dix-huitième siè

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