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amers, qu'ils paraissaient assez fondés. Dans le système de lenteur et de circonspection que Pompée avait adopté, le zèle de la liberté publique n'était pas son principal motif. Il avait donné assez de preuves de violence, et de mépris des lois, pour qu'on pût le soupçonner de n'agir que dans la vue de rester le maître de la république. Mais, glorieux comme il l'était, il ne voulut pas s'exposer aux reproches de ses amis; et il abandonna le plan que la prudence lui avait dicté, pour embrasser celui que la passion leur suggérait. En effet, des succès obtenus précédemment avaient fait tourner la tête à cette troupe sénatoriale; et il n'y eut plus moyen de contenir l'impatience des chefs et des soldats. Dans un nouveau conseil de guerre, la bataille fut résolue. Pompée, comptant sur le nombre et la supériorité de sa cavalerie, reprit le ton de jactance, qu'il avait si mal soutenu, et se vanta de mettre en fuite les légions de César, avant qu'on en fût venu à la portée du trait. C'était tout ce que demandait son rival; et ce fut dans les plaines de Pharsale que se vida la grande querelle qui décida de l'empire du monde. Dans cette célèbre journée, Pompée, tenant ses troupes immobiles en présence de l'armée ennemie, se priva, au jugement de César, de l'avantage qui suit ordinairement l'impétuosité de l'attaque. Sa cavalerie, qui avait dû envelopper l'aile gauche des ennemis, prit honteusement la fuite; le reste de l'armée fut mis en déroute, et la victoire rendit César maître du monde. A cette vue, Pompée perdit la tête : sans tenter de rallier les siens, sans essayer aucune ressource, il se retira dans sa tente; et, lorsque les vainqueurs attaquèrent ses retran

chements: « Quoi! jusque dans mon » camp!» s'écria-t-il, comme s'il eût été extraordinaire que César voulût achever sa victoire. Sans proférer une parole de plus, il prit un vêtement convenable à sa fortune, et se déroba secrètement. « Quelles devaient » être, dit Plutarque, les pensées » d'un homme qui, après trente» quatre ans de victoires non inter» rompues, faisait, dans sa vieil»lesse, l'apprentissage de la honte, » de la défaite et de la fuite! >> Plein de ces pensées affligeantes et de la comparaison de son ancienne fortuneavec un isolement tel, qu'il échappait même à la vue des ennemis, il arriva à Larisse, gagna la mer; et, à la faveur d'un bâtiment de transport, qui le recueillit, il cingla vers Lesbos, pour y prendre sa femme, qu'aucun avis n'avait encore préparée à ces tristes nouvelles. L'entrevne fut des plus touchantes. Pompée essaya de consoler Cornélie, par des espérances qu'il n'avait pas lui-même : « Cornélie, « lui fait dire Plutarque, tu n'as » connu jusqu'ici que la bonne for» tune, et tu l'as vue me rester » fidèle plus long-temps qu'elle n'a » coutume de rester avec ses favoris. » C'est-là ce qui t'a trompée; mais il >> faut supporter ses revers, puisque » c'est le lot de l'humanité, et atten>>> dre le retour de ses faveurs. N'en » désespérons point: je puis, de l'é» tat où je suis réduit, revenir à ma » grandeur passée; comme, de ma » grandeur passée, je suis tombé » dans l'infortune où tu me vois. » Bientôt il apprit que sa flotte ne s'était point séparée, et que Caton la commandait. Il reconnut la faute qu'il avait faite en remettant à son armée de terre la décision de son sort, ou du moins en ne se tenant

pas à portée de sa flotte, laquelle, en cas de fuite, lui eût offert un asile et une ressource. Mais cette faute était irréparable. Il ne lui restait plus d'autre parti que de recourir aux rois amis de l'empire. Son mauvais destin voulut qu'il préférât la cour de Ptolémée à celle de Juba; et il faut convenir que de puissants motifs justifiaient cette résolution: l'âge du jeune roi, qui n'avait alors que treize ans, la qualité de tuteur que le sénat avait donnée à Pompée, et la reconnaissance des bienfaits que son père avait reçus de lui, En arrivant à Peluse, il fit avertir Ptolémée de savenue, et lui demanda retraité et sûreté. Un rhéteur, Théodote, ouvrit, dans le conseil, l'avis qui, suivant lui, devait gagner la faveur de César, et écarter toute crainte de Pompée. Une méchante barque de pêcheur vint recevoir celui qui s'était vu le maître de la mer. Avant d'y entrer, il se retourna vers sa femme et son fils, et leur cita deux vers de Sophocle, qui ne s'appliquaient que trop naturellement à la circonstance: « Quiconque va à la cour d'un >> roi, en devient esclave, quoiqu'il y » soit entré libre. » Le trajet assez long du vaisseau au rivage, se passa dans un morne silence, sans aucun témoignage de bienveillance ou de respect. Enfin, lorsque Pompée se leva pour prendre terre, Septimius, qui avait autrefois servi sous lui, lui porta un coup d'épée par derrière; Salvius, autre centurion, et Achillas, général égyptien, tirèrent leurs épées. Pompée, environné d'assassins, se couvrit le visage de sa robe, et se laissa percer de

coups,

ne leur permit pas de se livrer à leur douleur. Ils se hâtèrent de lever l'ancreet de s'éloigner à pleines voiles. Le vent favorisa leur fuite, et les déroba à la poursuite des galères égyptiennes. Ainsi périt le grand Pompée, à l'âge de cinquante-huit ou de cinquanteneuf ans, la veille de l'anniversaire de sa naissance, c'est-à-dire le vingthuit septembre, jour qu'il avait passé, quelques années auparavant, dans une situation bien différente, triomphant des pirates et de Mithridate. Son corps demeura quelque temps sans sépulture sur le rivage. Un de ses affranchis et un de ses anciens soldats le brûlèrent, recueillirent ses cendres, les enfermèrent sous un tertre élevé de leurs mains, et auquel on mit cette inscription : « Celui qui méritait des temples n'a trouvé qu'à peine un tombeau. » Autour de cette chétive sépulture, on ne laissa pas de dresser des statues en l'honneur de Pompée. Mais dans la suite, ble jeté par la mer sur le rivage, cachale tombeau ; et les statues, qu'en. dommageaient les injures de l'air furent retirées dans un temple voisin, où elles restèrent jusqu'au règne d'Adrien. Cet empereur, voyageant en Égypte, fut curieux de découvrir le lieu où reposaient les cendres de ce grand homme, le retrouva, le rendit reconnaissable et accessible, et fit rétablir les statues. Tel est le récit d'Appien. Suivant Plutarque, les cendres de Pompée furent portées à Cornélie, qui les plaça dans sa maison d'Albe. Les meurtriers présentèrent sa tête à César, qui, soit pitié, soit politique (1), versa des larmes, fit brûler la tête de son rival avec

de

le sa

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l'an 48 avant J.-C. A ce spectacle, Cornélie et ceux qui l'accompagnaient) On se rappelle les vers que Corneille met dans poussèrent des cris lamentables. Mais ledanger qu'ils couraient eux-mêmes,

G soupirs! O respect! O qu'il est doux de plaindre Le sort d'un ennemi, quand il n'est plus à craindre !

les parfumns les plus précieux, et en déposa honorablement les cendres dans un temple, qu'il consacra à la déesse Némésis. Pompée s'était marié plusieurs fois sa première femme fut Antistia, fille d'Antistius qui, étant préteur, présida au jugement de Pompée, mis en cause pour les faits de son père. La seconde fut Emilie, fille de Métella, devenue l'épouse de Sylla, qui, pour se l'attacher par des liens plus étroits, le força de répudier sa femme: Emilie, enlevée à Glabrion, son mari, malgré son état de grossesse, mourut en couches dans la maison de Pompée. Sa troisième femme fut Mucia, dont il eut trois enfants, mais qu'il répudia pour avoir tenu, en son absence, une conduite peu digne dunom qu'elle portait et de la gloire de son époux. La quatrième fut Julie, fille de César, qu'il aima tendrement, et qui, à la vue de la robe ensanglantée de son mari qu'elle crut tué dans une émeute, fit une fausse-couche, dont elle ne put se rétablir. La cinquième fut Cornélie, veuve du jeune Crassus, laquelle, malgré la disproportion d'âge, lui fut sincèrement attachée et resta fidèle à sa mémoire. Bien des qualités, dit Plutarque, avaient mérité à Pompéc l'affection universelle; et d'abord, ce qui frappe le vulgaire, une physionomie douce et majestueuse, une conduite sage et modeste, beaucoup d'adresse pour les exercices militaires, une éloquence insinuante, un caractère de fidélité propre à lui attirer la confiance, un commerce doux et aisé : Cicéron ajoute à ce portrait, une pureté de mœurs, une retenue et une décence, qui furent toujours sa règle de conduite; trait presque unique dans un siècle aussi corrompu et dans une si haute fortune. Mais il fut

tourmenté par une jalousie de prééminence qui lui faisait rechercher sans mesure tous les honneurs. Non content du pouvoir, il voulait l'obtenir avec des distinctions particulières: à l'art de faire valoir ses propres succès, il joignait des efforts continuels pour s'attribuer les succès des autres, comme Lucullus le lui reprocha quand Pompée vint lui ravir la gloire de terminer la guerre de Mithridate. Quoique Cicéron vante sa clémence, on eut à lui reprocher plus d'un acte de cruauté gratuite. Deux fois il fut maître d'opprimer la république, et il eut la modération de rentrer à Rome en simple citoyen. « C'est, dit Montesquieu, qu'il avait » une ambition plus lente et plus >> douce que celle de César : celui-ci » voulait aller à la souveraine puis»sance les armes à la main comme

Sylla; cette façon d'opprimer ne » plaisait point à Pompée : il aspi>> rait à la dictature, mais par les >> suffrages du peuple. Il ne pouvait » consentir à usurper la puissance; > mais il aurait voulu qu'on la lui >> remît entre les mains. » Depuis son troisième consulat, Pompée parut le protecteur des lois ; et lorsqu'il prit les armes contre César, il eut cette gloire singulière, que sa cause fut regardée comme la cause du sénat et de la république. Mais il est probable que le succès eût manifesté ses vues secrètes; et plus d'un passage des lettres de Cicéron à son ami Atticus, prouve que les gens éclairés ne s'y trompaient pas, et craignaient en lui un vainqueur moins modéré que ne le fut César. Salluste le peint en deux mots, quand il dit qu'il était : oris probi, animo inverecundo, c'està-dire qu'il avait la probité sur le visage bien plus que dans le cœur. De là, cette dissimulation profonde

ge

dans laquelle il eut soin de s'envelopper; cette duplicité à l'égard de ses meilleurs amis; ce respect apparent pour les lois de son pays, qu'il violait sans pudeur quand son ambition l'exigeait; ce système, si bien soutenu, de vouloir en apparence n'obtenir rien que par son mérite, tandis qu'il ravissait tout par l'intrigue et par la corruption. Il parut revenir, dit-on, aux maximes d'une saine aristocratie; mais il était trop tard. Le mané de César avait échappé à sa pénétration l'élève de Sylla fut dupe du successeur de Marius, et puni de l'appui qu'il avait donné à la faction populaire. Sa mort fut tragique: mais peut-être, s'il n'eut pas trouvé des assassins à la cour du roi d'Égypte, vainqueur, il eût péri comme César. Sa vie privée offre plusieurs traits qui le font aimer celui-ci, entre autres, est digne d'un sage. Dans une maladie, son médecin lui pres crivit de manger des grives; mais ses valets assurèrent qu'en été on ne pouvait se procurer cet oiseau nul le part, excepté chez Lucullus qui en faisait engraisser chez lui. «Eh quoi! dit le malade, Pompée ne » pourrait donc vivre, si Lucullus » ne portait pas si loin le raffinement » de la sensualité! » Il défendit de s'adresser à lui, et demanda un oiseau qui fût moins difficile à trouver. On peut consulter sa Vie par Plutarque; les Guerres civiles d'Appien;

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Velleius Paterculus, qui en a fait un portrait un peu flatté; les Lettres de Cicéron à Atticus; Dion Cassius, liv. XLI XLII, XLIN. Voyez aussi l'Histoire de la dernière révolution qui renversa la république romaine, par M. Nougarède, (1820), et les articles CÉSAR, tome VII, pag. 565, et MITHRIDATE, tom. XXIX, p. 151 de cette

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Biographie. La statue de Pompée conservée à Rome au palais Spada, et qu'on a prétendu être la même que celle au pied de laquelle César tomba sous les coups de ses meurtriers, a été le sujet de plusieurs Dissertations de M. C. Fea et autres (Voy. le Magasin encyclopédique, 1812, VI, 409-467-472).

N-L.

POMPÉÉ LE FILS (CNEUS POмPEIUS), fils aîné du grand Pom. pée, était à Antioche, où il réunissait des forces de toutes les provinces orientales soumises à la république, quand son père trouva la mort en Egypte. A cette nouvelle (an 48 avant J.-C. ), il quitta la Syrie, et passa d'abord en Afrique, puis en Espagne, où les romains Aponius et Scapula l'attendaient à la tête de quelques troupes républicaines. Bientôt ces forces s'accrurent, surtout après la bataille de Thapse et la mort de Caton: l'armée, écrasée en Afrique, se réorganisa presque complètement en Espagne; l'Espagne même partageait l'enthousiasme qu'inspirait aux soldats le nom de Pompée: des esclaves, des hommes libres s'enrôlaient en foule ; et déjà Cnéus commandait à treize légions, quand son frère Sextus augmenta encore ses forces en lui amenant un grand nombre de vaisseaux. Formidable dès-lors sur terre et sur mer, il intimida les lieutenants de César, au point qu'aucun n'osait l'attaquer, et que le dictateur se vit forcé de quitter Rome, et de venir le combattre en personne. La lutte ne fut pas longue en vain Cnéus essayait d'éviter une action générale et de se maintenir sur des hauteurs; César, décidé à vider la querelle par une bataille, vint à bout de le faire descendre dans les plaines de Munda (en l'an 45 avant J.-C. ) La vic

;

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sa mort.

toire fut complète du côté de César: l'armée Pompéienne posa les armes, et l'Espagne tout entière suivit son exemple. Cnéus s'enfuit, et tenta d'échapper en se cachant au fond d'un bois: mais bientôt sa retraite fut découverte; et sa tête, apportée à Cé sar, resta, par les ordres du vainqueur, exposée pendant un jour aux regards de l'armée et du peuple, afin qu'il ne restât point de doute sur P-OT, POMPÉE (SEXTUS), le plus jeune des fils du grand Pompée, hérita du courage et des infortunes de son père. Après la bataille de Pharsale (an 42 avant J.-C. ), il erra, suivi de quelques sénateurs, sur les côtes de la Pamphilie, de l'ile de Cypre et de l'Afrique (an 47 avant J.-C. ); et enfin, étant venu à bout de réunir un grand nombre de vaisseaux, il passa en Espagne (an 46 avant J.-C.), où son frère Cnéus était à la tête d'une armée. La funeste journée de Munda (an 45 avant J.C.), rendit bientôt l'Espagne au joug de Rome et de César, et sembla anéantir les dernières espérances du parti de Pompée. Seul, Sextus osa songer encore à tenter la fortune. Caché deux mois au fond des montagnes de la Celtibérie, il recueillit et groupa autour de lui les débris des légions de Munda; et bientôt, enhardi par le nombre de ses soldats et les dispositions amicales des Celtibériens, il quitta sa retraite, et parut à la tête de sa petite armée. Il eut même l'adresse de se soutenir, avec avantage, contre deux lieutenants de César, Carrinas et Pollion. Cependant sa puissance était encore trop faible pour inspirer de la crainte; et son insurrection n'avait aux yeux des Romains, de quelque parti qu'ils

fussent, aucune importance réelle, quand la mort de César changea la face des affaires, et fournit à Cnéus l'occasion de jouer un grand rôle. Sa première démarche fut d'écrire au sénat, pour demander le droit de revoir sa patrie, et de rentrer dans les biens de son père. Antoine et Lépide appuyèrent ses demandes; et bientôt un décret l'autorisa á reparaître dans sa ville natale, et lui donna, en dédommagement des richesses de son père, sept cents millions de sesterces, avec le titre de commandant maritime des provinces romaines. Alors Sextus Pompée quitta les roches de la Celtibérie; et après avoir réuni sous ses ordres tout ce qu'il y avait de forces navales sur les côtes de l'Espagne et des Gaules, il se rendit à Marseille, résolu d'y attendre les événements. Dans cet intervalle, Octave, Antoine et Lépide s'unirent sous le nom de triumvirs, et dressèrent leurs tables de proscription: le nom de Sextus y fut porté. A cette nouvelle, Sextus partit de Marseille, à la tête de la flotte nombreuse qu'il avait rassemblée, et fit voile vers la Sicile, qui fut bientôt soumise presque tout entière à son empire, et dont il fit un asile anx proscrits. C'est alors que Sextus déploya un beau caractère. Rien ne lui coûtait pour arracher à la mort les victimes des triumvirs; il payait à ceux qui sauvaient uu proscrit le double de la somme promise à ceux qui le massacraient : le long des côtes de l'Italie étaient distribuées des barques pour recevoir ceux qui tentaient de s'échapper; et quand ils étaient en Sicile, Sextus leur confiait des commandements dans ses légions et sur sa flotte. Octave envoya contre lui Salvidiénus; et il se trans

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