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de descendre vis-à-vis d'elle MarieThérèse, exigea la signature de Bernis. Ce dernier n'en conserva pas moins l'intégrité de sa franchise courageuse et ne consentit à ce qu'il ne pouvait refuser, que dans l'espoir d'atténuer le mal qui se préparait pour la France. Le conseil de Louis XV voulut que ce traité fût offensif; et, depuis ce moment, madame de Pompadour se refroidit pour son ancien ami, placé à la tête du ministère des affaires étrangères, en juin 1757. Elle fut blessée à son tour par Frédéric II, qui n'épargnait (comme le dit Voltaire) ni les femmes ni les poètes. Quelques mots injurieux, que ce monarque avait proférés contre elle, ne contribuèrent pas peu au changement important qui réunit tout-à-coup les maisons de France et d'Autriche, après deux cents ans de guerre, de rivalité et même d'une haine réputée immortelle (Voy. FRÉDÉRIC II). Madame de Pompadour reçut ordre de quitter la cour à l'époque de-l'assassinat du roi (1757). Les espérances excitées par cet éloignement, et par l'entrée du Dauphin dans le conseil, s'évanouirent avec les dangers qu'avait fait redouter la blessure de Louis XV. La favorite reparut, fut plus puissante que jamais, et signala son retour par la disgrace éclatante de deux ministres, Machault et d'Argenson, dont l'un avait conseillé, et l'autre pressé son départ. Cédant à l'influence du duc de Choiseul, qui, à force d'adresse et d'audace, était parvenu à la maîtriser, elle eut une assez grande part à l'abolition de l'ordre des Jésuites. Mais, soit que ce ministre, dont elle était éprise et en thousiasmée eût fini par avoir moins d'égards pour elle, soit que

XXXV.

le roi fût dégoûté par le mauvais succès des conseils et des choix de la marquise, elle vit, avant la fin de sa carrière, diminuer son crédit. Atteinte d'une maladie de langueur, peut-être déterminée et aggravée par le

chagrin qu'elle éprouvait d'être en butte à la haine des Français, qui n'avaient pu lui pardonner les malheurs de la guerre de Sept-Ans, on la transporta de Choisy à Versailles, et elle eut le privilége, réservé aux seuls membres de la famille royale, de mourir dans le palais; elle expira le 14 avril 1764. A l'approche de son dernier moment elle montra plus de résignation qu'on ne devait en attendre d'une femme qui avait joui, en apparence, de tant de bonheur. Le jour même, qui fut pour elle sans lendemain, le curé de la Madelène, paroisse de l'hôtel qu'elle occupait à Paris, et qui est aujourd'hui l'Élysée-Bourbon, vint la visiter à Versailles. Comme il prenait congéd'elle; « Un moment, Monsieur » le curé, lui dit-elle, nous nous en » irons ensemble. » Après sa mort, elle fut emmenée, sans bruit, à Paris. Louis XV la vit froidement passer. Elle était âgée de quarante-deux ans, et sa faveur en avait duré près de vingt. Par son testament, fait à Versailles, au mois de novembre 1757, elle demanda d'être inhumée dans un caveau de l'église des Capucines de la place Vendôme. Elle pria le roi d'accepter le don de l'hôtel qu'elle possédait à Paris, exprimant le desir qu'il pût être la demeure du comte de Provence, aujourd'hui Louis XVIII. Elle laissa aussi au monarque toutes ses pierres gravées, et légua le surplus de ses meubles et immeubles, enfin l'un des plus beaux cabinets de Paris en livres, peintures et curiosités de toute espèce,

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(4) au marquis de Marigny,(5) son frè re; et en cas de mort de celui-ci, à M. Poisson de Malvoisin et à ses enfants. Le mari qu'elle avait abandonné, et qu'elle ne nommait dans ce testament que pour dire qu'elle était son épouse séparée de biens, ne recueillit rien de cette immense fortune. Elle ne fut regrettée que de ceux qui culti vaient état les lettres et les arts. par Les bruits qui avaient circulé, chaque fois que Louis XIV et aussi Louis XV avaient perdu quelqu'une de leurs maîtresses, se reproduisirent à l'occasion de la fin prématurée de madame de Pompadour. Sa maladie lente et caractérisée ne fut, bien certainement, accompagnée d'aucun symptôme de poison. Une Vie de la marquise de Pompadour parut à Londres, du vivant de cette dame, 2 v. in-16, et eut quatre éditions: la seconde est de 1759. Cet ouvrage fut traduit par La Place, auteur de plusieurs pièces de théâtre (V. LA PLACE). Son manuscrit, qui fut retiré, par ordre de Louis XVI,du scellé de M. de Marigny, le 5 mars 1782, appartient encore au gouver

(4) Le catalogue de la bibliothèque de Mme. de Pompadour, recherché encore aujourd'hui des bibliographes, contient 3525 articles de livres, 235 de musique, 36 d'estampes; il est terminé par une table des auteurs, et orné de son portrait. La marquise n'avait pas en tout dix volumes la. tins, y compris un Epinicion, en l'honneur de milord Pot au feu, et l'Horace gravé en 1733, exemplaire auquel était jointe une explication française manuscrite des figures. Les grands auteurs grecs et latins n'existaient qu'en traductions dans cette bibliothèque, qui, à la réserve, tout au plus, de dix articles, se composait de livres français et italiens. Il paraît, au reste, qu'on en avait distrait quelques articles , car on n'y a pas trouvé l'exemplaire de l'Abrégé chronologique, du président Hénault, donné par l'auteur à Voltaire, puis offert par celui-ci à madame de Pompadour. Il avait écrit sur la première page quelques vers, dont les premiers seule

ment ont éte conservés :

Le voici ce livre vanté;

Les Grâces daignèrent l'écrire
Sous les yeux de la vérité :

Et c'est aux Grâces de le lire. A. B-T. (5) Ce nom lui vint d'une terre érigée per Louis XV en marquisat.

nement français. Les Mémoires publiés sous le nom de cette dame en 2 volumes in-8°., Liége, 1765, sont évidemment apocryphes. Ceux qui sont intitulés Mémoires historiques, et Anecdotes de la cour de France pendant la faveur de la marquise de Pompadour, ouvrage conservé dans les portefeuilles de la maréchale d'Estrées, 1 vol. in-8°., Paris, 1802, nous semblent être véritablement tirés de la source indiquée dans le frontispice. Ils portent le nom de Soulavie; mais ces Mémoires s'éloignent souvent de l'esprit et du stylede cet auteur ou compilateur: ils méritent plus de confiance que tout ce qu'il a imprimé. C'est encore un ouvrage supposé que les Lettres de madame de Pompadour, mieux écrites que les Mémoires de 1765, indiqués plus haut. On a donné, de nos jours, un extrait de ce Recueil en 2 volumes. Les Lettres ont eu plusieurs éditions. Un morceau ( on peut même dire un livre) qui donne beaucoup de détails curieux sur cette favorite, et sur la vie privée de Louis XV, c'est le Journal d'une femme de chambre de madame la marquise de Pompadour ( madame du Hausset), publié, pour la première fois, par M. Crawfurd, dans ses Mélanges d'histoire et de littérature, etc., tirés d'un portefeuille, 1809, in4o. cet amateur tenait le Journal dont il s'agit, de M. Senac de Meilhan, qui le devait lui-même à un ami de M. de Marigny. On peut citer comme ouvrage de madame de Pompadour: Suite de soixante-trois estampes (et le frontispice), gravés par cette dame, d'après les pierres en creux, exécutées par Guay; c'est un petit in-fol. fort rare, dont il n'avait été tiré qu'un très-petit nombre d'exemplaires pour faire des

présents: l'édition de 1782, in-4°, est moins recherchée. Les études et les talents de la marquise pour le dessin, lui valurent ce galant madrigal improvisé par Voltaire, qui l'avait surprise dessinant une tête :

Pompadour, ton crayon divin
Devait dessiner ton visage.
Jamais une plus belle main
N'aurait fait un plus bel ouvrage.

L-P-E.

POMPÉE LE GRAND (CNÆUS POMPEIUS MAGNUS), naquit l'an de Rome 648, 106 avant J.-C., la même année que Cicéron. Son grandpère Q. Pompéius, le premier qui parvint aux honneurs, avait été vaincu par les Numantins. Le fils de celui-ci, Cn. Pompeius Strabon, fit oublier ce revers, et fut l'un des plus habiles généraux romains dans la guerre contre les alliés. Ce fut sous Ini que le jeune Pompée fit ses premières armes. Sa piété filiale sauva la vie à Cn. Pompeius Strabon, dont la dureté avait révoltéses troupes. Ce général mourut; et la haine qu'on lui portait sembla poursuivre son fils: celui qui devait un jour être l'idole du peuple romain, eut à défendre la mémoire de l'auteur de ses jours, et à repousser, pour son propre compte, une accusation de péculat. A l'âge de vingt ans, son éloquence fut admirée des plus célèbres orateurs, qui avaient pris sa défense, et du préteur même, L. Antistius, qui présidait au jugement, et qui, charmé de la grâce et de la noblesse des manières du jeune Pompée, lui donna sa fille en mariage. La république était alors en proie aux factions. Les fureurs de Marius et de Cinna n'avaient, pour ainsi dire, que préludé à celles de Cn. Carbon, encore plus violent et plus emporté. Pompée, qui avait couru des dangers dans le camp de Cinna, s'en était

?

éloigné secrètement, et avait embrassé le parti de Sylla, qui venait d'être rappelé en Italie par le vœu de la plupart des Romains. Les citoyens les plus illustres se rendaient dans son camp, comme dans un port assuré. Pompée, qui n'avait alors que vingt-trois ans ne voulut y paraître qu'avec de justes titres à la reconnaissance de Sylla; et sans mission, il se créa général de sa propre autorité. Bientôt il eut formé trois légions complètes; il se mit à leur tête, partit pour joindre le dictateur, et battit les généraux qui voulaient arrêter sa marche, et Carbon lui-même en personne. Sylla, qui le savait environné d'ennemis, et marchait pour le secourir, fut bien étonné de le voir s'avancer vers lui avec des troupes victorieuses. Aussi Pompée ayant salué Sylla du nom d'Imperator, celui-ci lui rendit le même titre, et eut pour lui les plus grands égards. Après avoir, de concert avec Métellus Pius, pacifié la Gaule cisalpine, il

reprit la Sicile sur les partisans de Marius. De là il passa en Afrique, où Sylla, averti par les leçons du passé, ne voulait laisser subsister aucun reste du parti vaincu : Pompée défit et chassa les proscrits dans l'espace de quarante jours, soumit la province, et termina tous les différends des rois du pays. L'éclat et la rapidité de ces succès alarmèrent Sylla, qui le rappela. Vainement son armée, irritée de ce rappel, opposa à ce départ la plus violente résistance; il obéit. Sylla, sur la fausse nouvelle que Pompée s'était révolté contre lui, avait dit à ses amis : « C'est donc ma >> destinée d'avoir encore sur mes » vieux jours à combattre contre des >> enfants » ; voulant parler du jeune Marius, qui lui avait fait courir plus

et

d'un danger. Heureusement détrómpé, et voyant le peuple disposé à donner à Pompée les témoignages de la plus grande bienveillance, Sylla vint à sa rencontre, l'embrassa avec les marques de la plus sincère affection, le salua du surnom de Grand, exigea de tous ceux qui l'accompagnaient, qu'ils le saluassent de même. Pompée, dont ce titre ne satisfaisait pas l'ambition, demanda les honneurs du triomphe. Sylla, lui rappelant l'exemple du premier Scipion l'Africain, qui, malgré ses exploits, en Espagne, n'avait pas triomphé, parce qu'il n'était revêtu d'aucune magistrature, lui représenta qu'une prétention si nouvelle dans un simple chevalier, à qui son âge ne permettait pas même d'entrer au sénat, attirerait infailliblement la haine et la jalousie. Il finit en lui déclarant, sans détour, qu'il s'opposerait à sa demande. «Faites >> donc attention, répondit Pom>>pée, que le soleil levant a plus d'ar>> deur quc le soleil couchant. » Ce mot hardi avertissait Sylla, que sa puissance était sur son déclin, et que celle de Pompée était dans son accroissement. Il ne l'entendit pas d'abord: mais à l'air d'étonnement qu'il voyait sur tous les visages, il voulut en être éclairci; et quelqu'un lui ayant répété les paroles de Pompée, il fut tellement frappé de l'audace de ce jeune homme, qu'il s'écria brusquement: «Eh bien! qu'il triomphe, qu'il triomphe!» Pompée le prit au mot; et l'on vit pour la première fois, l'an 81 avant J.-C., un simple chevalier romain honoré de la pompe triomphale. Ses soldats, mécontents de recevoir moins que leur avidité ne leur avait fait espérer, menacèrent de troubler la cérémonie: mais Pompée déclara qu'il renoncerait plu

tôt à cet honneur, que de s'abaisser à les flatter. Cette fermeté lui ramena ceux-mêmes qui lui avaient été le plus contraires; et Servilius, un des premiers du sénat, s'écria publiquement: « Je reconnais maintenant que » Pompée est véritablement grand » et digne du triomphe. » Cependant il ne prit le surnom de Grand que long-temps après, lorsqu'il fut envoyé en Espagne, contre Sertorius, comme proconsul; ce titre ne pouvant plus irriter l'envie, parce qu'on y était accoutumé. Pompée, regardé dès-lors comme le rival de Sylla, s'opposa quelquefois à ses vues; ce qui déplut tellement à celuici, qu'il ne le nomma même pas dans son testament, où il avait fait des legs à tous ses amis. Aussitôt après la mort de Sylla, Lépidus (1), qu'il avait désigné pour consul, malgré l'opposition du dictateur M. Emilius, justifia les prédictions de celuici, en se déclarant le chef des partisans de Marius. Pompée les vainquit, de sorte qu'il ne resta plus à ce parti que Sertorius en Espagne, contre lequel Métellus Pius tentait alors le sort des combats avec assez peu de succès. Pompée vint à bout de s'y faire envoyer en qualité de proconsul; et, après une vicissitude de revers et de succès, la fortune toute seule termina pour lui cette dangereuse guerre, par la mort de son rival, qu'assassina Perpenna. Mais une gloire qu'il ne dut à personne, ce fut celle de brûler tous les papiers

(1) C'est ce Lépidus, collègue de Catulus, qui dé. fait à Cosa, se retira en Sardaigne, où il mourut de chagrin de la mauvaise conduite de sa femme Apu

leia, vers l'an 680 de Rome. Le Dict. hist. crit. et bibliogr., tome XVI, p. 213, le confond d'abord avec le triumvir Lépidus, mort l'an 741, puis avec un Lépidus, mari de Julie, petite-fille d'Auguste, morte en exil vers l'an 780; enfin avec Æmilius Lepidus, qui fit ouvrir la voie Emilia, l'an 567 : il était difficile de réunir autant d'anachronismes et de

bévues en moins d'une demi-page.

de ce perfide, sans en avoir pris lecture. De retour en Italie, il acheva la destruction des esclaves révoltés, obtint un second triomphe, vers l'an 73 avant J.-C., et, bientôt après, le consulat, à l'âge de trente-quatre ans. Dès-lors son plan fut de se perpétuer dans le commandement, en passant d'emploi en emploi: mais comme il s'attendait à trouver dans les sénateurs une opposition active à ses vues ambitieuses, il saisit l'occasion de flatter le peuple en rétablissant la puissance du tribunat; démarche dont il eut plus d'une fois, dans la suite, sujet de se repentir. Cicéron a voulu l'excuser à cet égard; mais il est difficile de croire que l'intérêt personnel n'ait pas déterminé Pompée en grande partie. Malgré sa dignité de consul, il affecta de paraître comme simple chevalier devant les censeurs. Le plus ancien des deux, lui fit la question d'usage: « Cn. Pompée, je te demande si » tu as rempli les dix ans de ser>>vice que tu devais à la républi» que? Oui, répondit-il en éle>> vant la voix, je les ai tous rem» plis, sans avoir d'autre général que moi-même. » A ces mots, la place retentit d'applaudissements; les censeurs se levèrent, et le reconduisirent dans sa maison, au milieu du concours et des acclamations de la multitude. A cette époque se manifesta un grand changement dans les manières de Pompée; il ne parut plus que rarement en public, et toujours au milieu d'un cortége qu'il était difficile de percer pour arriver jusqu'à lui; conduite qu'il croyait propre à lui attirer plus de respect, mais dont ses ennemis auraient pu profiter pour le rendre odieux. Une circonstance favorable vint le tirer de l'inaction qui lui pesait. Les pirates

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infestant la Méditerranée, interceptaient le commerce, les convois, et menaçaient Rome même de la famine. Le tribun Gabinius, de concert avec Pompée, proposa de lui donner la conduite de cette guerre. Pompée s'en défendit d'abord, et cacha son ambition sous un langage et sous des dehors modestes. Mais le peuple, exaspéré par la cherté des vivres et par les discours de Gabinius, lui conféra, malgré l'opposition du sénat, avec ce commandement, une autorité vraiment monarchique, et des forces immenses dont l'appareil formidable intimida les pirates, et ramena déjà l'abondance des vivres. Pompée, sans perdre de temps, conçut et exécuta son plan en homme supérieur. Toute l'étendue de la Méditerranée étant partagée en treize départements, les escadres romaines donnèrent la chasse aux pirates, et les enveloppèrent comme dans un vaste filet. En quarante jours, la mer de Toscane, 'celle d'Afrique, de Sardaigne, de Corse et de Sicile, furent purgées de brigands; et quarante autres jours lui suffirent pour les forcer jusque dans leurs repaires de Cilicie, et pour terminer cette guerre avec autant de bonheur que de rapidité. Cette nouvelle, parvenue à Rome, rendit Pompée l'objet de l'admiration publique ; et ses partisans profitèrent habilement des dispositions favorables du peuple, dont il avait si bien justifié la confiance. Mithridate venait de rentrer dans ses états, et, soutenu de Tigrane, était encore un ennemi redoutable. Lucullus, qui lui avait porté de si rudes coups, avait perdu toute autorité sur ses troupes ; et les généraux qui le remplaçaient, n'avaient pas plus de talent que de réputation. Pompée, à la suite de ses exploits

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