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contenter d'être parvenue à marier cette fille au sous-fermier Lenormand, seigneur de la terre d'Étioles, qui était le neveu du fermier gé néral Lenormand de Tournehem. On sait que ce dernier était l'amant en titre de Mme. Poisson. Enhardie par son premier succès, elle se mit bientôt en tête de donner pour maîtresse à Louis XV la jeune et jolie Mme. d'Étioles, en qui les habitués de la maison reconnaissaient tous les moyens de plaire, de séduire et d'attirer. Eu effet, chaque jour, sa beauté, sa grâce, ses talents, lui procuraient les hommages d'un cercle nombreux, quoique choisi, et composé en partie d'hommes très distingués par leur esprit, mais qui n'étaient pas constamment d'un ordre assez élevé pour les idées et pour les projets que sa mère lui avait suggérés. Voltaire prétend, dans ses Mémoires, avoir été de bonne heure le confident de Mme. d'Étioles. «Elle » m'avouait, dit-il, qu'elle avait tou>> jours eu un secret pressentiment » qu'elle serait aimée du roi, et » qu'elle s'était senti une violente in>> clination pour lui, sans trop la » démêler. » Tournchem avait une maison de campagne dans le voisi nage de la forêt de Senart, où le monarque faisait alors des chasses brillantes. On y menait la nièce du magnifique fermier - général, dans une voiture légère, mais extrêmement élé gante; et c'était dans le costume le plus propre à relever le charme de sa figure et de sa taille, qu'elle s'offrait aux regards du roi. Louis était jeune, ardent : déjà, depuis un an ou deux, il en était venu à vaincre sa timidité, long-temps contraire au goût décidé qu'il avait pour les femmes (Voy. MAILLY, XXVI, 246, et CHATEAUROUX, VIII, 272 ). Il

ne pouvait manquer de remarquer Mme. d'Étioles, et il lui envoyait des produits de sa chasse. Elle était si éloignée de combattre les vues que sa famille avait eues sur elle, qu'elle osait déjà défier la favorite régnante, braver même ses menaces: mais le but ne fut atteint que deux années plus tard. Pendant les fêtes célébrées à l'occasion du mariage du Dauphin avec une infante d'Espagne, fêtes qui suivirent de près la maladie de Louis XV, à Metz, et la mort de la duchesse de Châteauroux (déc. 1744), ce prince se rendit à un bal masqué de l'hôtel-de-ville de Paris, où beaucoup de jolics personnes cherchèrent à fixer son attention. Ce fut là qu'ent lieu sa première conversation avec la fille de Mme. Poisson. Il est très-probable que c'était par les soins d'un parent de cette dame, Binet, valet de chambre du roi, que l'entrevue dont il s'agit ici avait été concertée. Elle fut suivie de plusieurs autres, tout-à-fait intimes qui eurent lieu secrètement, soit à Versailles, soit plus souvent encore à Paris, dans une maison située rue Croix-des- Petits - Champs, dont la porte donnait dans la rue des Bons-Enfants, vis-à-vis l'hôtel d'Argenson. Louis XV arrivait par cette porte, accompagné, dit-on, de deux courtisans du premier ordre, qui avaient, on peut le croire, calculé les avantages à retirer pour eux d'une publicité graduée et adroitement ménagée: ils restaient avec la mère, tandis que leur maître s'entretenait avec la fille dans un appartement séparé. Le roin'avait d'abord envisagé, dans cette liaison, qu'un de ces amusements passagers dont il avait contracté l'habitude: il ne put résister long-temps à des prières, à des larmes, enfin à

des séductions, dont l'effet était immanquable sur une ame naturelle ment honnête et bonne. Il se crut entraîné par une nécessité irrésistible à un éclat qu'il n'avait pas prévu, qu'il eût voulu probablement éviter. Mme. d'Étioles craignant, ou feignant de craindre, la puissance d'un mari offensé, dont elle était passionément aimée, et auquel elle avait donné une fille (1), alla demander un asile à Versailles. Elle réussit à vaincre le premier refus du roi, qui était souvent irrésolu, parvint à s'établir d'abord à la surintendance, et puis dans un appartement très peu éloigné de celui de ce prince. Lenormand d'Etioles avait tenté tous les moyens pour retenir sa femme. On a imprimé souvent que, comme il faisait éclater sa douleur avec une violence qu'on ne pouvait plus toléil reçut le conseil de partir pour Avignon; et qu'il obéit, afin d'éviter une lettre de cachet (2). Ce qui est plus positif, c'est qu'il prit très aisément son parti, ou plutôt qu'il sut bien mettre à profit le sacrifice de sa femme; qu'il obtint par elle une place de fermier général, puis une de fermier des postes, non moins avantageuse, enfin qu'au bout de peu d'années sa fortune fut immense. Il est certain encor qu'il se vantait, de manière à

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(1) Elle était connue sous le nom d'Alexandrine. Sa figure était charmante et pleine de feu. Mme. d'Etioles, devenue marquise de Pompadour, proposa au maréchal de Richelieu d'unir cette jeune personne à son fils, le duc de Fronsac. Il se tira d'embarras, en alléguant qu'il avait besoin, pour ce

mariage, du consentement de la maison de Lorraine, à laquelle il avait l'honneur d'ètre allié par sa seconde femme, Mlle, de Guise. La favorite espérait une réponse favorable de l'impératrice Marie-Thérèse, son amie, lorsque la mort de Mlle. d'Étioles, objet de cette intrigue, vint y mettre un terme. Elle périt vers 1754, de la petite-vérole, à l'âge de 14 ans, dans le couvent de l'Assomption, où elle était élevée. (2) Charles-Guillaume Lenormand est mort en 1799, s'étant remarié à une ancienne danseuse de l'Opéra, dont il a laissé un fils.

être bientôt désavoué, si le fait cût été contestable, de la protection dont madame de Pompadour et le roi lui-même l'honoraient. Le vœu public des Français appelait Louis XV à la tête de son armée. Madame d'Etioles, qui ne se croyait pas suffisamment assurée de sa faveur naissante, se garda bien de détourner ce prince de céder à un tel vou. Elle sollicita la permission de suivre son amant dans les camps, et n'éprouva point de refus. Créée par lettres - patentes de 1745, marquise de Pompadour, quoiqu'elle n'eût rien de commun avec l'illustre maison de ce nom (3), qui était du Limousin, et qui s'éteignit en 1722, elle espéra de faire oublier la fille de madame Poisson, ainsi que la femme de Lenormand d'Étioles. L'état de maîtresse reconnue du monarque lui assura le rang qui était l'objet de tous ses desirs. Au début de son règne, car c'en était un véritable, elle se mêlait particulièrement de ce qui concernait la finance; elle en introduisit l'esprit à la cour, et fit naître aux femmes et aux courtisans le desir de participer aux bénéfices des financiers, par le moyen de pensions sur leurs places, qu'on appelait des croupes. La cupidité se joignit dèslors à l'ambition des grands seigneurs, qu'autrefois l'éclat et les titres séduisaient bien davantage. Elle obtint une pension de 240,000 fr., et plus tard (1756), la place de dame du palais de la reine, sans opposition apparente de la part de cette princesse. Alors elle s'installa toutà-fait dans la demeure du monarque, où elle vit toute la France à ses pieds. Ce qu'il y avait de plus grand, même en femmes, s'em

(3) Elle en prit néanmoins les armes.

pressa de lui rendre hommage, en assistant à des toilettes publiques, qui attestaient le pouvoir de la beauté, et l'asservissement des courtisans aux volontés, ou simplement aux goûts affichés du souverain. Quoique étrangère aux manières et surtout aux respects de cette cour, la plus brillante de toutes celles de l'Europe, Mme. de Pompadour n'y sembla pas entièrement déplacée, ou, pour mieux dire, dépaysée cependant elle n'avait qu'un esprit ordinaire, et laissait voir quelquefois qu'elle n'avait pu perdre le ton et les habitudes des sociétés de finance. Jouissant de son triomphe, elle n'y mit point de hauteur choquante, et sut conserver, avec les personnes qui avaient été ses égales, une décente fa. miliarité. L'hiver de 1745 à 1746 fut consacré aux plaisirs et aux fêtes. Tout était dirigé par la favorite, établie, à cette époque, dans le château de Choisi, qu'avait occupé Mme. de Chateauroux. C'est là que l'imagination et les talents de la nouvelle Armide lui offraient des ressources pour captiver le prince, et suppléer au vide d'une passion trop promptement satisfaite. Dès qu'elle eut connu le caractère du roi et l'aversion qu'il avait pour les affaires, son plus grand soin fut d'empêcher qu'il ne sentît le poids du gouvernement. Elle emprunta le secours des arts qu'elle avait cultivés dès son enfance. Parmi les beaux - esprits qui fréquentaient sa maison, lorsqu'elle n'était encore que simple dame d'Etioles, on avait distingué surtout Voltaire: mais ce poète célèbre n'inspirait encore à Louis XV que de l'éloignement.Cependant Mme. de Pompadour l'employa pour ses fêtes. Il fut récompensé par une charge de gentilhomme ordinaire de la chambre, et

plus tard, plus tard, par celle d'historiographe de France. Au surplus, il ne fut pas long-temps aussi bien traité par la maîtresse en titre du roi : ce qu'elle refusait à l'auteur de la Henriade et de Zaïre, elle le fit accorder à Crébillon, pour lequel elle proclamait un enthousiasme que tout le monde autour d'elle témoignait partager. Voltaire n'en dédia pas moins, en 1760, à son ancienne protectrice, la tragédie de Tancrède. Il est vrai que le ton de son Epître dédicatoire est assez bizarre; il a l'air de faire un acte de courage si marqué, qu'il y a presque de l'impertinence dans cet hommage. Il vint un moment où, par différents motifs, qu'il serait aisé d'expliquer, elle fit proposer à cet illustre écrivain de mettre en vers, les Psaumes et les livres sapientiaux. Il répondit en publiant des traductions qui étaient de véritables parodies, et en donnant une foule d'écrits contre le christianisme. Au reste il a laissé plus d'un monument poétique des flagorneries dont il accabla long-temps cette favorite; lui qui, dans ce genre, alla souvent jusqu'à la banalité. Il ne l'en avait pas moins peinte, d'une manière très-piquante, et qui n'est nullement flatteuse, dans le deuxième chant de la Pucelle, édition de 1756:

Telle plutôt cette heureuse grisette, etc. Divers gens de lettres, plus ou moins fameux, et beaucoup d'artistes, durent à Mme de Pompadour des pla

ces

ou des pensions. Elle échoua dans son projet de gagner J. J. Rousseau, qui a dit dans la Nouvelle-Héloïse que « la femme d'un char bonnier est plus digne de respect que la maîtresse d'un prince. » Il se dispensa de louer celle dont il n'avait pas voulu être le protégé, et se

borna seulement à substituer dans sa maxime ce mot prince au mot roi qu'il avait mis d'abord. Lenormand de Tournehem, nommé directeur-gé néral des bâtiments, en attendant que le jeune Poisson, frère de la marquise (V. MARIGNY, XXVII, 140), fût en âge de remplir cet emploi, seconda parfaitement les vues de la favorite, qui avait inspiré à Louis XV la manie des bâtiments. Un seul fit véritablement honneur à son goût, le château de Bellevue, qui a depuis appartenu à MESDAMES de France, et qui vient d'être démoli. Il faut dire aussi qu'elle eut le mérite de déterminer l'exécution d'un projet utile, celui de l'établissement de l'Ecole militaire, qui avait été conçu par Pâris-Duverney. Après plusieurs tentatives faites en France pour imiter les porcelaines de Saxe, et suppléer à de médiocres contrefaçons de celles de la Chine, elle fut frappée en voyant quelques échantillons que Charles Adam présentait au roi : elle encouragea de nouveaux essais; et dès-lors la manufacture de Sèvres ne redouta plus aucune rivale. Non contente d'avoir, dans le château de Choisi, un théâtre où elle figurait elle-même, Mme. de Pompadour en fit construire dans toutes les maisons royales; et les les plus personnages illustres, hommes et femmes, se livrèrent aux jeux de la scène, pour divertir le monarque et son amie. Ce fut elle qui chargea le prévôt des marchands et les échevins de Paris de diriger l'Opéra, voulant s'en ménager à elle-même la surintendance. Les moyens d'amusement que peu vent fournir aux entretiens les révélations scandaleuses de la police d'une immense capitale, étaient aussi mis en usage par elle, pour écarter de son royal amant les soucis,

les inquiétudes publiques. Elle aurait desiré qu'il ne goûtât, pour ainsi dire, sur le trône, que les douceurs d'une vie privée. La ressource des plaisirs qui tiennent à l'agrément de la société, aux jouissances de l'esprit et à l'amour des arts, étant usée, elle essaya de désennuyer le roi par des déplacements continuels. Mais le penchant qui entraînait ce prince vers les femmes ne lui rendait vraiment chères que les distractions d'un seul genre. On a prétendu que, craignant de se voir supplantée par une personne entreprenante, et de perdre tout-à-fait l'empire qu'elle n'avait pas conservé sans difficulté, elle prit le parti de présider, autant que cela pouvait dépendre d'elle, au choix des liaisons que formait successivement l'inconstant Louis. Il est mieux prouvé que le directeur des plaisirs de ce monarque, était alors son valet de chambre Le Bel. On a beaucoup dit aussi que les sentiments et les calculs de madame de Pompadour ne l'avaient pas empêchée elle-même de se permettre quelques infidélités. Ce qui est certain, que les chaînes de l'amour étant rompues, elle espéra se maintenir en reclamant les droits, et en offrant les utiles conseils d'une amitié toutà la fois respectueuse et courageuse. Elle crut surtout qu'elle assurerait la continuité de ses rapports avec le roi, si elle parvenait à entrer dans les affaires : elle n'y réussit que trop facilement, bien secondée en cela par la paresse naturelle du chef de l'état, et par l'ascendant que donne, sur les ames faibles, l'ha. bitude, plus forte, chez la plupart des hommes, que les passions. Ce fut ainsi qu'après le déclin de sa beauté, elle retint encore Louis XV sous sa loi. C'était elle qui nommait les mi

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c'est

nistres et les généraux; elle recevait les ambassadeurs, et entretenait des correspondances avec les cours etrangères. Les Jansenistes, les Molinistes, les philosophes, le parlement, étaient tour-à-tour les objets de sa bienveillance, ou bien des persécutions, qu'elle n'exerçait jamais en grand. Les principaux dépositaires de la confiance du roi n'osaient plus rien lui proposer sans le concours de son amie (car on ne pouvait plus dire de son amante); et pourtant, quels étaient les moyens, les talents qu' u'elle. appoi tait à la direction des intérêts de l'état? Tout se bornait à une bonne intention générale mais peu de suite dans les idées importantes, nulle expérience des affaires d'état: point d'ensemble dans sa conduite; le choix des sujets employés était déterminé par de petits motifs, par de petites affections. Elle avait de la bonté et de la modération dans les aflaires particulières; mais lorsqu'il s'agissait de gouverner en grand le royaume, c'était l'ignorance naturelle à une femme qui n'a guère étudié sérieusement que les arts d'a grément, et de plus la vanité d'une bourgeoise devenue premier ministre. Elle écoutait avec enthousiasme les projets nouveaux, secondait les réputations naissantes. Son goût pour le luxe, décoré du nom d'amour des beaux-arts, entraînait Louis XV à des dépenses qui ajoutaient beaucoup au fardeau de la guerre. Ce prince, économe par instinct, devint prodigue par faiblesse. Le trésor royal s'ouvrit aisément à la personne qui plaçait et déplaçait les contrôleursgénéraux. Le roi lui donna plusieurs terres considérables, compter d'énormes gratifications. Elle faisait, il est vrai, un usage splendide, et quelquefois fort intel

sans

ligent, de ses richesses, particuliè rement dans la manière dont elle exerçait la bienfaisance. Du reste, son pouvoir ne fut pas d'abord telle ment absolu qu'elle n'éprouvât des contradictions de la part de la famille royale, et même de certains ministres. Le Dauphin, ne pouvant se dispenser de lui donner l'accolade, lorsqu'en 1752, elle obtint le tabouret et les honneurs de duchesse, fit un geste outrageant de dégoût. Dans une autre occasion, elle fut profondément humiliée par le prince de Conti: l'autorité que lui laissait le roi, la consolait de tout. Peut-être avait-elle été initiée à la science de la politique par l'abbé. (depuis cardinal) de Bernis, dont elle commença la fortune, et qu'elle fit nommer ambassadeur à Venise. On a beaucoup dit que l'amour - propre de cet ecclésiastique, diplomate et poète tout-à-la-fois, avait été vivement blessé par le roi de Prusse, et que son ressentiment avait influe sur ses résolutions et ses démarches comme négociateur, lorsqu'il fut question de conclure un traité offensif et défensif avec l'Autriche en 1756. Madame de Pompadour dirigea cette négociation ; et Rouillé, ministre des affaires étrangères, fut obligé, nous dit Voltaire, de signer avec Bernis, le traité dont était chargé M. de Stahremberg, ambassadeur de l'empereur. Duclos, dans ses Mémoires sur Louis XV, et Bourgoing, dans une note de la Correspondance de Voltaire et du cardinal de Bernis ( Paris, an vII, in8°.), ont lavé le personnage dont il s'agit en ce moment, de tous reproches à cet égard; ils ont rejeté le blâme du traité de 1756, sur la favorite qui, enivrée d'une cajolerie à laquelle n'avait pas dédaigné

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