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temps que de quatre d'entre elles; et l'on attribue à Polygnote la composition d'un noir, qu'il obtenait en brûlant le marc du raisin, Il est probable aussi qu'il faisait usage du procédé de l'encaustique, ainsi que Nicanor et Arcésilaus de Paros, ses contemporains. Ces premiers essais de la la couleur, devaient nécessairement se ressentir de l'enfance de l'art; aussi Cicéron dit-il que c'étaient surtout la forme et le trait qu'on admirait dans les ouvrages de Polygnote: mais Quintilien ajoute, que, tout simple qu'en fût le coloris, il trouvait des admirateurs qui préféraient ces essais imparfaits, en raison du sentiment et de l'étude qu'on y remarquait, aux ouvrages des plus grands maîtres. Polygnote était recommandable aussi, par le beau caractère qu'il donnait à ses figures; et, suivant Aristote, il avait l'art d'embellir ses modèles. Le premier, il sut donner aux têtes des expressions variées; il peignit les bouches ouvertes, et fit apercevoir les dents; il inventa aussi, pour les figures de femmes, les vêtements transparents, et des coiffures de couleurs diverses, qui leur donnaient une grâce singulière. Aristote conseille aux jeunes gens d'étudier attentivement ses ouvrages, à cause de la perfection avec laquelle il exprimait le caractère moral. On voyait, du temps de Pline, dans les portiques de Pompée, un tableau où Polygnote avait représenté un soldat couvert de son bouclier, et dans l'action demonter ou de descendre les degrés, ce qu'on ne pouvait décider, en raison de l'attitude particulière que le peintre lui avait donnée, Chargé, par les Atheniens, de décorer le Pœcile, de concert avec Micon, peintre contemporain, il ne voulut recevoir

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aucun prix pour ce travail; et ce trait de générosité lui fit d'autant plus d'honneur, que Micon ne l'imita point. Il embellit de ses ouvrages plusieurs autres édifices de la même ville; il représenta entre autres, dans le temple de Minerve, Ulysse venant d'immoler les prétendants, et, dans celui de Castor et Pollux, ces demi-dieux à pied et à cheval, ainsi que leur union avec Ilaire et Phoebe, filles de Leucippe. Les Athéniens, reconnaissants, lui conférèrent le droit de bourgeoisic; et le conseil des Amphyctions lui décerna le droit d'hospitalité gratuite dans toutes les villes de la Grèce. Sa gloire et ses talents séduisirent Elpinice, soeur de Cimon, fils de Miltiades ; et elle consentit à lui servir de modèle: ce fut d'après elle, qu'il peignit Laodice dans les tableaux du Poecile, où il avait représenté les femmes troyennes. C'était surtout dans les grandes compositions et dans les sujets de batailles, qu'il s'élevait à un haut degré de perfection. Le peintre Dionysius qui ne fit pas d'ouvrages aussi considérables, et qui, en général, s'attachait à rendre exactement la nature, étudiait, dans les tableaux de Polygnote, les expressions, les caractères, la pose et les draperies. Polygnote, avait fait pour la ville de Thespies, des ouvrages que Pausias restaura dans la suite, sans pouvoir atteindre à la perfection des originaux. Mais c'était à Delphes, dans le portique appellé le Lesché, que se trouvaient les chefs-d'œuvre de Polygnote: il les avait exécutés sur les murs mêmes de l'édifice; et ces peintures avaient été consacrées par les Cnidiens: on y voyait les plus terribles scènes qui suivirent la prise de Troie. Ces compositions immenses conte

naient près de deux cents figures, et les épisodes les plus remarquables par les traits ingénieux qu'ils of fraient. Ici, c'était Hélène entourée de Troyens blessés, qui semblaient lui reprocher leurs maux, et de Grecs qui s'extasiaient sur sa beauté: là, c'était Cassandre environnée de ses cruels vainqueurs; elle attirait surtout l'attention par la dignité de son regard et la rougeur de ses joues. Plus loin, les cadavres du malheu reux Priam, et des principaux chefs troyens, inspiraient l'horreur et la pitié; un enfant saisi d'effroi, et porté par un vieil esclave au milieu de cette scène de carnage, se cachait les yeux pour ne pas voir ce spectacle sanglant. D'autres scènes, non moins expressives, enrichissaient cette suite de tableaux. Les noms des personnages, suivant l'usage des plus anciens artistes grecs, se lisaient à côté de leurs images; et à une des extrémités de ces peintures, l'on avait placé l'inscription suivante, en vers faits par Simonides: « Polygno» te de Thasos, fils d'Aglaophon, a » représenté la destruction de Troie.» On reprochait à ce peintre d'avoir mis des cils aux paupières inférieures d'un cheval peint dans le Pacile; mais cette faute paraît devoir être attribuée à Micon. Quelques auteurs ont aussi parlé d'un lièvre et d'un âne, sujet singulier, que Polygnote avait peint avec un grand talent, dans ses compositions à Delphes; mais les commentateurs ne sont pas d'accord sur ce point assez peu important. Polygnote eut pour frère et pour condisciple Aristophon, qui fit un grand nombre de tableaux, dont les principaux étaient, Ancée, blessé par un sanglier, et Philoctète dans un accès de souffrance. Plutarque lui attribue le tableau de Némée sur les

genoux d'Alcibiade (Voy. AGLAOPHON). Sa réputation n'égala pas celle de Polygnote. L. S-E.

POLYHISTOR. V. ALEXANDRE (1, 531), et SOLIN.

POMBAL (DOM SEBASTIEN-JOSEPH CARVALHO, MELDO, Cointe d'Oeyras, plus connu sous le nom de marquis DE), né en 1699, à Soura, bourg de Portugal, dans le territoire de Coimbre, était fils d'un gentilhomme de la deuxième classe, nommé Emanuel Carvalho. Après avoir fait ses premières études dans le lieu de sa naissance, il suivit un cours de droit à l'université de Coïmbre; mais son caractère vif et entreprenant le rendant peu propre à une carrière qui exige le goût de la tranquillité et de la méditation, il renonça à la magistrature pour prendre l'état militaire, et entra dans les gardes du palais de Jean V. On croit que quelques imprudences, suite naturelle de la fongue de l'âge et d'un tempérament violent, empêchèrent son avancement dans ce corps, et le forcèrent même de le quitter. Peu de temps après, profitant des avantages extérieurs que la naturé lui avait départis, il gagna le cœur de Thérèse de Noronha-Almada, qui appartenait à l'ancienne maison d'Arcos, l'enleva, et l'épousa en dépit de tous les membres de cette famille. On prétend qu'à partir de cette époque, Carvalho, qui avait éprouvé, comme simple et obscur gentilhomme, les dédains de la haute noblesse, conçut et nourrit contre elle cette haine implacable dont il lui fit ressentir les terribles effets durant sa longue administration, Ayant la conscience de ses talents et le sentiment des brillantes destinées auxquelles il était appelé, il ne pouvait long-temps sup

porter l'ennui d'une vie oisive. S'étayant du crédit qu'avait son oncle, Paul Carvalho, chanoine de la chapelle royale de Lisbonne, auprès du cardinal de Motta, personnage en faveur auprès de Jean V, il obtint, en 1739, le poste d'envoyé extraordinaire près la cour de Londres; et en 1745, celui de plénipotentiaire médiateur à Vienne, pour l'arrange ment du différend qui s'était élevé entre le pape Benoît XIV, et l'impératrice Marie-Thérèse, relativement au patriarcat d'Aquilée. Ce fut dans le cours de cette mission que, devenu veuf de Thérèse de Noronha Almada, sa première femme, Carvalho épousa en deuxièmes noces une \comtesse de Daun, nièce du célèbre maréchal autrichien de ce nom. Ce mariage eut une heureuse influence sur sa fortune politique : à la mort de Jean V (juillet 1750), sa veuve, la reine Marie-Anne-Joséphine, fille de Léopold, qui était fort attachée à l'épouse de Carvalho, le proposa à son fils pour suppléer le premier ministre malade; et Joseph Ier. le fit secrétaire-d'état des affaires étrangères (1). Dès-lors, le premier soin de Carvalho fut de rendre de la vigueur aux diverses branches de l'administration civile, économique et commerciale, qui s'étaient prodigieu

(1) Les amis des Jésuites, et notamment les au teurs des Mémoires du marquis de Pombal, assurent que Carvalho, à son retour de Vienne à Lisbonne,

tomba dans la disgrace; que, pour vaincre les préventions de Jean V, il fit une cour assidue an P. Gaspar, récollet, au P. Carboni, et aux autres Jésuites qui étaient dans les bonnes grâces du roi; et qu'enfin, ces religieux, aidés du P. Moreira, confesseur de Joseph Ier., lui firent ouvrir les avenues du ministère. Cette assertion, si elle était vraie, ne rendrait que plus odieuse la conduite du marquis de Pombal envers la Société: cependant, comme ses accusateurs ne nient pas la démarche de la reinemère auprès de Joseph, en faveur de Carvalho, il est bien permis de croire que la protection de cette princesse, soutenue de la haute idée que ce négociateur avait donnée de son habileté dans ses missions, suffit pour le faire arriver au ministère.

sement affaiblies vers la fin du rè- 1 gne de Jean V; et il s'attacha plus particulièrement, dès son début dans le ministère, à connaître les rapports du Portugal avec les autres états de l'Europe, et les moyens les plus capables d'accroître la richesse, la gloire et la sûreté de ce royaume. Son attention se porta donc d'abord sur deux objets importants : le premier, l'extraction d'une énorme quantité d'or que les Anglais faisaient chaque année sortir du Portugal; le deuxième, le célèbre traité du 13 janv. 1750 et la convention de 1753 avec l'Espagne concernant le Paraguay et la cession de la colonie du Saint-Sacrement. L'édit qu'il fit rendre pour défendre aux Anglais l'extraction de l'or, donna lieu à des négociations avec la cour de Londres, et finit par être éludé d'une part, et presque abandonné de l'autre: mais cet édit servit à constater le desir qu'avait Carvalho d'affranchir son pays de la domination commerciale de la Grande-Bretagne. L'exécution du traité de cession de la colonie du Saint-Sacrement contre le Paraguay, éprouva, de la part des naturels, une résistance et des difficultés dont on imputa le tort aux Jésuites, créateurs des célèbres missions de l'Uraguay; et ce fut la première source de la disgrace de cette société auprès de Joseph Ier. et de son ministre. On prétend que celui-ci, dans ses vues secrètes contre ces religieux, fit envoyer son frère, François-Xavier de Mendoza (2), en qualité de capitaine-général et de gouverneur du Maragnon,

(2) Souvent en Portugal les fils cadets et les filles prennent le nom de leur mère. La mère de Pombal était de la famille Mendoza. Par suite du même usala plus jeune des filles de Pombal, mariée au comte d'Oliveyra, s'appelait dona Maria Amalia, de Daun, du nom de sa mère.

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avec des instructions secrètes pour ôter aux Jésuites le gouvernement des missions, et pour les perdre, par ses rapports, dans l'esprit de son maître. Quoi qu'il en soit, pendant que Mendoza allait soumettre les Indiens du Paraguay, son frère donnait ses soins à l'administration publique de la métropole, ranimait le commerce et les manufactures, protégeait la navigation et encourageait l'agriculture. De semblables commencements promettaient au Portugal un état de grandeur et de prospérité qui l'eût fait allerde pair avec des états beaucoup plus considérables. Le tremblement de terre du premier novembre 1755, et la disette qui s'ensuivit, arrêtèrent ce développement d'industrie. Toutefois cette catastrophe fournit à Carvalho l'occasion de développer toutes les ressources de son génie pour l'administration. Mille désordres à prévenir ou à réparer, une population nombreuse à nourrir, une grande ville à reconstruire, la fureur des éléments et des passions humaines à combattre, soit au milieu, soit à la suite de ce bouleversement: telle fut la tâche immense de Carvalho, qui parut en ce moment au peuple por tugais comme une autre Providence. Toute sa conduite, à l'époque dont il s'agit, marquait sa place au premier rang aussi Joseph lui confia le poste de principal ministre de son royaume. Dès qu'il eut la direction suprême des affaires, il imprima à la marche du gouvernement toute la force et jusqu'à la violence de son caractère. Une sévère police devenait nécessaire pour contenir le brigandage dans la capitale; il en étendit la rigueur jusqu'aux membres des hautes classes de la société, et donna même, dit-on, à ses haines

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particulières, le voile de la justice. Comme ses mesures excitaient la satire, il fit publier un édit contre ses ennemis, désignés sous le nom de détracteurs du gouvernement. Laterrible sévérité qu'il déploya lors du soulèvement causé à Porto l'épar tablissement de la compagnie des vins; la disgrace de Diego de Mendoza Corte-Real, ministre de la marine, celle de dom Joseph Galvam de La Cerda, ambassadeur en France, et de dom Juan et dom Louis de Souza Calharis, enfin celle de dom Juan de Bragance, du marquis de Marialva et de beaucoup d'autres personnages éminents; le renvoi de la cour du P. Moreira et des autres jésuites confesseurs du roi; tout cela augmenta les plaintes et l'animadversion des grands contre le premier ministre il les brava en faisant donner à ses parents les emplois les plus importants, et en amenant le roi à mettre sa signature au bas d'une ordonnance qui déclarait criminel de lèse-majesté quiconque résisterait aux ordres du monarque; ordonnance dont il étendit depuis les dispositions aux décisions des ministres, comme étant l'expression de la volonté royale. Il sollicita et obtint (10 février 1758), de Benoît XIV, un bref de visite et de réforme des Jésuites de Portugal, qu'il fit adresser, avec des pouvoirs pour son exécution, au cardinal Saldanha, qui lui était dévoué; et ce prélat rendit, le 15 mai, un décret de réforme. Comme la vue des fléaux qui venaient d'accabler le avait royaume excité le zèle et l'éloquence des prédicateurs de cet ordre, Carvalho traitant leur ferveur d'esprit de ré-. volte, les condamna au silence, alors qu'il autorisait la publication de plusieurs écrits contre eux. Se pré

valant d'ailleurs des rapports de son frère, le gouverneur du Maragnon, il attribuait aux Jésuites du Paraguay la résistance des Indiens à l'au torité de Joseph, et chargeait, auprès de ce prince, ces Pères, du prétendu crime de rebellion de néophites sans armes, que dom Xavier de Mendoza poursuivait dans les forêts comme des bêtes fauves (3). C'est au milieu de cette violente exaspération des esprits, qu'arriva le funeste attentat du 3 septembre 1758, contre la vie de Joseph Ier. (V. JOSEPH.) Plusieurs personnages de la cour, le duc d'Aveiro (V. ce nom), le marquis et la marquise de Tavora, le comte d'Atonguia, accusés d'y avoir pris part, subirent la peine capitale. L'abbé Georgel dit, dans ses Mémoires, que le roi revenait d'un ren dez-vous de galanterie avec la jeune marquise de Tavora. D'autres relations de l'assassinat tendent à faire croire que le roi, dont la passion pour cette dame était connue, fut dévoué aux vengeances de sa famille. Cette version est beaucoup plus probable que celle de l'auteur anonyme de l'ouvrage publié en 1788, sous le titre d'Administration de Sébastien, etc., marquis de Pombal. Cet auteur insinue, tom. 11, pag. 112, que Joseph lor, avait refusé quelque grace à une famille de grands, ce qui irrita leur chef au point de s'en prendre à sa personne. L'écrivain à qui l'on doit les Mémoires du marquis de Pombal, donne à entendre que cette conjuration n'est qu'une fable imaginée par Carvalho pour perdre, dans l'esprit du roi, des

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familles puissantes qu'il détestait depuis long-temps, et pour y impliquer plusieurs religieux d'une société dont la destruction était l'objet de ses vues. L'abbé Georgel ne se contente pas de l'insinuer: il l'affirme, en s'appuyant des témoignages du comte de Merle, alors ambassadeur de France à Lisbonne (4). La révision, ordonnée, en 1780, par la reine Marie, de la sentence de mort rendue contre les Aveiro, Tavora et Atonguia, a confirmé à leur égard la réalité de la conjuration; et, de nos jours, elle est considérée en Portugal comme un fait incontestable. Quant à la part que les jésuites Malagrida (V. ce nom), Alexandre de Souza et Mathos y auraient prise, comme instigateurs, ce qu'on en dit n'est pas également prouvé: on prétend qu'ils ne furent impliqués dans ce procès que sur un témoignage arraché au duc d'Aveiro au milieu des torturės, et rétracté depuis par cet accusé. Ce qu'il y a de certain, c'est que le ministre tout-puissant ne les fit pas juger en même temps que les princi paux prévenus; que le P. Malagrida ne fut pas traduit à un tribunal séculier pour le fait de la conspiration, mais qu'il fut déféré trois ans après, pour hérésie, au tribunal de l'inquisition, présidé par le frère de Garvalho, sur le refus de l'inquisiteurgénéral, et mis à mort dans un auto-da-fé, le 21 septembre 1761. Un édit du 19 janvier 1759, avait déclaré tous les Jésuites portugais com. plices de l'attentat; en conséquence, ils furent enfermés, puis déportés par mer en Italie, et leurs biens fu

(4) Le comte de Merle était effectivement ambassadeur de France à Lisbonne, mais seulement vers le milieu de l'antrée 1759; et l'on ne croit pas que ses dépêches soient aussi formelles et aussi tranchantes sur les imputations dont il s'agit, que le prétend l'abbé Georgel.

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