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que d'où part son histoire : il faut descendre jusqu'à Xiphilin, auteur du onzième siècle, pour trouver un jugement sur cet ouvrage. Xiphilin, abréviateur de Dion-Cassius, dit que ce dernier, au lieu de rapporter tant de prodiges, aurait bien mieux fait d'imiter Polybe, qui, en décrivant le désastre des Romains à Cannes, la ruine de Carthage, l'asservissement de la Grèce, s'abstient de mêler à ces récits, des circonstances merveilleuses ou surnaturelles. Sans doute on conclura de cet exposé, que Polybe, bien qu'assez généralement es timé, n'a pas joui, dans l'antiquité, d'une réputation, à beaucoup près, aussi brillante que celle d'Hérodote, de Thucydide, et de Xénophon. Il a néanmoins occupé, au moins autant qu'eux, les copistes du moyen âge: car on connaît plus de vingtcinq manuscrits de ses livres. Il est vrai que ces copies sont fort imparfaites, puisqu'elles ne fournissent, entre elles toutes qu'environ un quart de l'ouvrage. Elles ne contiennent pas toutes les mêmes articles; et nous pourrions les diviser en trois classes, selon qu'elles renferment ou seulement les cinq premiers livres, ou, avec ces cinq livres, quelques débris des suivants, ou seu lement des fragments quelconques, Le plus ancien, et à tous égards le plus précieux de ces manuscrits, se trouve à la bibliothèque du Vatican: on le croit du onzième siècle; il pourrait n'être que du douzième. C'est selon toute apparence, d'une

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source commune, que sont venus et ce premier manuscrit, et celui de Bavière, et celui d'Augsbourg, et trois de ceux de la bibliothèque du Roi, à Paris; car ils renferment, avec les cinq livres, à-peuprès les mêmes suppléments, et

présentent souvent les mêmes leçons. Il y a plus d'extraits accessoires dans les deux manuscrits de Florence, dont l'un est daté de 1415, et l'autre (celui de Médicis), de 1435. Entre ceux qui ont fourni des fragments qu'on ne rencontrait pas ailleurs, on peut distinguer ceux de Tubingue et de Besançon. Enfin, il en existe à Naples, en Espagne et ailleurs, dont on n'a fait encore presque aucun usage, et dans lesquels on trouverait peut-être de nouveaux débris, particulièrement depuis le livre vi jusqu'au dix-huitième. On a même annoncé que celui du mont Athos renfermait neuf livres entiers; c'est ce que Grævius écrivait en 1668, à Nicolas Heinsius. Presque inconnu à la plupart des auteurs ou compilateurs du moyen âge, Polybe a fixé l'attention de plusieurs savants du quinzième siècle : il est cité dans la Cosmographie d'Enéas Sylvius (ou Pie II); et son ouvrage existait dans la bibliothèque de Léonard Arétin, à ce que dit Ambroise le Camaldule. Ce Léonard Arétin ou Bruni d'Arezzo, qui mourut en 1444, avait laissé une version latine des trois premiers livres de Polybe, laquelle ne fut imprimée qu'en 1498. Mais, dès 1473, on vit paraître à Rome, celle de Nicolo Perotti, qui embrassait deux livres de plus, et dont il fut publié deux autres éditions avant 1500. La latinité en sembla si pure, qu'on accusa Perotti de s'être approprié un travail très-ancien, fait peut-être au siècle d'Auguste ou dans l'âge suivant. En y regardant de plus près, on s'aperçut de plusieurs contre-sens qu'un traducteur antique n'aurait pas commis, et qui décelaient trop peu de connaissance de la langue grecque et de l'art militaire. Quand Polybe

et Tite - Live racontent les mêmes faits, Perotto copie Tite-Live, et laisse-là l'original grec. On avait d'abord peu remarqué ces transcriptions, parce que les morceaux qui les suivent, en ont, à nos yeux du moins, toute la correction et toute l'élégance. La diction de cette version est plus belle, sans contredit, que celle du textede Polybe. Ce texte ne fut imprimé qu'en 1530: cette première édition, publiée à Haguenau, était due aux soins de Vincent Obsopoeus: le grecy est accompagné de la versionde Perotti. Queques fragments, relatifs à l'art militaire et aux campements des Romains, avaient paru dès 1529, à Venise, avec une traduction latine de Jean Lascaris. Les cinq premiers livres et plusieurs débris des suivants, jusqu'au dix-septième, sont entrés dans l'édition de 1549, sortie des presses de Jean Hervagius, à Bâle. Celle de Paris, en 1609, est plus ample, et a été beau coup plus recherchée : l'éditeur, Isaac Casaubon, corrige, pour la première fois, le texte, et y joint une nouvelle version latine, moins élégante et plus fidèle. Il se proposait d'y ajouter des Commentaires; mais il mourut en 1614, avant d'avoir achevé ni même fort avancé ce travail : ce qui en a été publié en 1617, ne va point au-delà du vingtième chapitre du premier livre. Casaubon, dans la dédicace à Henri IV, qui précède l'édition de 1609, place Polybe au premier rang des historiens et même des écrivains. Tranchons le mot, dit-il: de tant d'auteurs grees et romains, il n'en est pas un seul qui ait rempli, avec le même soin et la même exactitude, la double fonction de raconter et d'instruire: cette fois c'est un philosophe, un grand capitaine, un homme d'état,

un législateur, qui écrit l'histoire. Bodin, Juste-Lipse, Vossius, quoiqu'ils ne soient pas éditeurs ni interprètes de Polybe, font profession d'admirer sa science, sa sagesse et même son talent. Il avait cependant des détracteurs, qui lui reprochaient surtout ses divagations, et la rudesse de son style. L'un des plus intraitables, l'italien Maccio, avait accusé Polybe de faire des digressions pour se vanter, pour se donner de l'importance, pour dissimuler la bassesse de son extraction et du rang qu'il occupait dans la société. Il a été fort aisé à Vossius de réfuter ces calomnies qui supposent une extrème ignorance. Polybe appartenait à l'une des plus illustres familles de l'Achaïe: son père était, comme nous l'avons vu, chef de la ligue achéenne. Ce n'est point en qualité de pédagogue, mais d'ami, que Polybe s'attache à Scipion : à Rome comme en Grèce, il est compté au nombre des personnages les plus distingués de son siècle; il soutient, par son mérite personnel, la condition honorable où l'a placé la fortune. On vient de voir qu'au commencement du dixseptième siècle, en 1609, les gens de lettres avaient des moyens d'étudier une grande partie de ce qui nous reste de l'ouvrage de Polybe. Le texte grec en était publié dans les éditions de Vincent Obsopæus et de Casaubon : il en existait deux versions latines, celle de Perotti et celle de Casaubon lui-même, pour ne rien dire des trois premiers livres traduits par Léonard Aretin, ni des fragments traduits tant par J. Lascaris, que par Mus culus. Des traductions en langue vulgaire, en italien par Domenichi, en français par Louis Maigret, en allemand par Xylander, s'étaient aussi

coureur, dont le style est pourtant fort neglige. » Un, autre littérateur du dix-septième siècle, le chartreux dom d'Argonne, dont les Mélanges ont été imprimés sous le nom de Vigneul-Marville, traite Polybe avec moins d'égards encore: il ose le représenter comme un historien sans jugement, qui s'égare en digressions vagues, qui donne des leçons de philosophie, ou débite des discours académiques, au lieu de faire des narrations historiques. A la fin du dixseptième siècle, parut la Traduction anglaise de Polybe, par Sheers (Londres, 1699, 2 vol. in-8°.), accompagnée d'une Vie de l'historien, et d'un Jugement très-favorable sur ses livres, par Dryden; mais on y trouve peu d'observations nouvelles. Rollin s'est plus appliqué à caractériser cette histoire selon lui, il n'y en a pas où les lieux soient décrits avec plus de soin, les hommes et les événements plus judicieusement appréciés. Quoi qu'en ait dit Denys d'Halicarnasse, Rollin pardonne un style

fort répandues depuis 1546 jusqu'en 1574. Mais on n'avait point encore rassemblé tous les débris des quarante livres. On n'avait puisé que dans l'un des recueils de Constantin Porphyrogénète, savoir dans celui qui porte le titre d'Ambassades: le recueil qui se compose d'exemples de vertus et de vices, n'a été mis en lumière qu'en 1634, par les soins de Henri Valois. Il contenait des fragments de Polybe, comme de quel ques autres auteurs; et Valois y joignit plusieurs passages de notre historien, cités çà et là, en divers anciens livres. On eut ainsi le moyen de rendre moins incomplètes les éditions de Polybe. Aussi, quoique celle de 1609, ou de Casaubon, en un volume in-fol., ait conservé un grand prix, et qu'en ces derniers temps, on en ait vendu des exemplaires en grand papier, jusqu'à 400, 600 et 800 francs, l'édition d'Amsterdam, donnée en 1670, par Jacques Gronovius, en trois volumes in-8°., est réellement plus utile. Elle contient, avec tout ce qu'on possédait du tex-militaire, simple, néglige, à un écrite, la version latine d'Isaac Casaubon, ses notes, celles de son fils, Méric Gasaubon; celles de Fulvio Orsini, sur les extraits des Ambassades; de Henri Valois, sur les extraits des Vertus et des Vices; celles de Paulmier de Grentemesnil, et enfin de l'éditeur Gronovius. C'était la première fois que Polybe paraissait si amplement commenté. On lisait alors en France la traduction de Du Ryer, qui avait été publiée en 1655, et qui était à sa quatrième édition en 1670. La Mot te-Levayer, vers le même temps, recommandait vivement aux militaires, aux hommes d'état, aux hommes de lettres, la lecture de Polybe. Il n'est pas jugé si avantageusement par le P. Rapin, qui l'appelle « un beau dis

XXXV.

vain tel que Polybe, plus attentif aux choses qu'aux tours et à la diction. L'historien des guerres puniques reçoit à-peu-près les mêmes hommages, dans les Mémoires de l'académie des inscriptions et belles-lettres. Là, Mélot ne craint pas de le préférer à Tite-Live; il admire en lui un grand sens, une expérience consommée dans les affaires du monde et dans l'art de la guerre; un amour constant de la vérité, un zèle infatigable pour la découvrir. Ce n'est plus ici, dit-il, un historien formé dans l'école et à l'ombre du cabinet; c'est le fils de Lycortas, l'élève de Philopomen, l'ami, le compagnon et le conseil de Scipion l'Africain. Fréret et Bougainville aîné ont prin

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eipalement considéré, dans l'ouvrage de Polybe, l'exactitude des notions géographiques et chronologiques. Il est, selon Fréret, le plus ancien historien grec à qui les Romains aient été bien connus; et s'étant particulièrement attaché à la géographie, il a su comparer les mesures itinéraires, grecques et romaines. Il expose les résultats de cette comparaison, dans les premiers chapitres de son troisième livre, où il envisage les contrées qui entourent la partie occidentale de la Méditerranée, et donne la distance du détroit de Gades à la frontière de la Méditer ranée et au pied des Alpes. Comme il pouvait craindre que les Grecs ne le soupçonnassent de donner des me sures imaginaires d'un pays qu'ils regardaient comme impraticable, il explique les moyens qu'il a eus de s'en instruire avec exactitude.« Maintenant, dit-il, les routes, à travers ces pays, ont été mesurées par les Romains, et divisées par des marques posées de huit stades en huit stades. Une chronologie régulière est ce que Bougainville loue spécialement dans Polybe. Des diverses dates employées par Timée, Polybe n'a conservé que les olympiades et les archontats. Il dit expressément que l'olympiade, à laquelle il commence, est la cent quarantième. La ligue des Achéens avait aboli l'ancien gouvernement de Sparte; cette ville, où ne subsistaient plus ni les lois de Lycurgue, ni la succession des rois Héraclides, avait perdu sa célébrité: le temple de Junon était à peine connu hors du Péloponnèse; par conséquent, les années des rois et des éphores de Lacédémone, celles des piêtresses d'Argos, ne pou vaient plus s'appliquer à une histoire générale, qui devait embrasser les événements arrivés après la cent qua

»

rantième olympiade, depuis la frontière de l'Inde jusqu'à l'extrémité oecidentale de l'Europe. Polybe substitne donc aux dates lacédémoniennes et argiennes, dont Timée faisait usage, l'ère des Lagides, l'ère de Rome et les consulats : souvent il prend soin de soulager la mémoire de ses lecteurs, en donnant la mésure précise du temps écoulé entre les événements célèbres. Du resté, nous ne pouvons juger que très-imparfaitement du mérite de cette partie de son travail, puisque nous n'avons que cinq de ses livres, dont les deux premiers sont purement préliminaires. Dans les fragments ou extraits des autres, on à presque toujours retranché les indications chronologiques; mais ce qui subsis te suffit à Bougainville pour assu rer qu'on ne trouve dans aucune histoire antique une chronologie plus exacte, une méthode plus nette et plus commode. Plusieurs hellénistes ou philologues du xvII. siècle, tels que George Raphélius, George Guillaume Kirchmayer, Jean-Christophe Wolf, et Reiske, ont fait sur Polybe des remarques grammaticales, dont l'un des résultats est de trouver de la ressemblance entre sa diction et celle de l'évangéliste saint Luc. Un pareil rapprochement entre Thucydide et saint Paul, a été imaginé par Bauer, et a pu sembler assez peu fondé; mais il y a des rapports plus sensibles entre la phrase de Polybe et celle de l'auteur du troisième Évangile, et des Actes des apôtres. Les savants s'en étaient aperçus bien avant 1700. Grotius disait, Polybius quem sequi amat Lucas (Polybe que saint Luc imite volontiers). On ne retrouve certainement point dans Polybe la pureté, l'élégance, la grâce des écrivains du

siècle de Périclès. Son langage, plutôt négligé que simple, trop peu figuré, qui manque presque toujours de mouvement et d'énergie, mais ordinairement clair quoique prolixe, énonce nettement beaucoup de faits et d'observations positives. Polybe a vécu long-temps à Rome; il a étudié et parlé la langue latine, qui ne se polissait encore que dans les poèmes de Térence: il paraît même qu'il s'est efforcé d'apprendre la langue punique; et l'on prétend que ces études ne le perfectionnaient pas dans l'art d'écrire en grec. On a supposé de plus qu'il n'avait commencé la rédaction de son ouvrage qu'à l'âge de soixante-un ans; c'est la conclusion d'une dissertation intitulée : Nouvelle découverte dans l'histoire littéraire sur Polybe, par M. Gaudio. Get Opuscule, aujourd'hui fort peu connu, a été publié en 1756, in-8°. Il fut écrit en français à Berlin, par un jurisconsulte italien, et dédié au roi de Danemark Frédéric III. M. Gaudio rappelle d'abord que Polybe annonce luimême que son ouvrage doit se terminer à la destruction de la république des Achéens; et il en conclut que l'historien n'a commencé d'écrire qu'après cet événement, c'est-àdire qu'après l'an de Rome 609. Or, Lucien et d'autres nous apprennent que Polybe vécut quatre-vingt-deux ans, et qu'il mourut dix-sept ans avant la naissance de Cicéron, laquelle est de l'an 648; donc l'historien

grec mourut en 631, et naquit en 549 par conséquent il avait soixante-un ans après 609, quand il entreprit son ouvrage. Mais l'une des ba: ses de cette prétendue dissertation est imaginaire. Nous savons que Polybe est mort âgé de quatre-vingtdeux ans : nous tenons cela de Lu

cien seul; il ne faut point ajouter et autres. Qu'ensuite il y ait précisément dix-sept ans d'intervalle entre cette mort et la naissance de Cicéron, aucun ancien écrivain ne nous l'apprend; c'est, comme nous l'avons dit, une pure hypothèse de Casaubon, que Vossius et plusieurs autres avant M. Gaudio, avaient déjà prise, mal-à-propos, pour une donnée historique. Le terme où les quatre-vingt-deux ans de Polybe commencent, et celui où ils finissent, ne sauraient être indiqués que vaguement, et à dix ans près; en sorte que nous n'avons pas le moyen de déterminer l'âge qu'il avait, lorsqu'après la destruction de la république achéenne, il consacra ses loisirs à la compositiou d'une histoire. Les plus importants travaux sur Polybe, dans le cours du dix-huitième siècle consistent en traductions, en commentaires, en éditions. Le chevalier Folard, dans un volume in-12, publié en 1724, sous le titre de Nouvelles découvertes sur la guerre, avait annoncé son commentaire sur Polybe, et la traduction française du bénédictin dom Thuillier. Le ton arrogant de cette annonce n'était pas très-propre à concilier à l'ouvrage la faveur publique. On y déclarait que, sans Polybe et sans son commentateur, il n'y avait pas moyen d'acquérir la science qui forme les grands capitaines; et cependant on avouait que Henri de Rohan, Turenne, Condé, Montécucculi, n'avaient jamais ouvert Polybe. Folard traitait de sots, d'ignorants. et de pédants, tous ceux qui avant lui s'étaient avisés de raisonner sur l'art de la guerre, y compris TiteLive, Machiavel et Juste-Lipse. 11 parlait même avec assez peu d'égards de dom Thuillier, son collaborateur :

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