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employée par Julien dans un siége, Ammien-Marcellin dit que Julien avait lu que Scipion, avec l'historien Polybe d'Arcadie et trente-mille hommes, était venu à bont d'entrer ainsi dans Carthage. Orose enfin observe que Polybe, quoiqu'il fût en Afrique avec Scipion, n'ignorait pas ce qui se passait alors en Achaïe, et les combats qui s'y livraient. On voudrait savoir quels services, depuis l'année 150, Polybe a rendus à ses concitoyens, ou quelle part il a prise à leurs affaires. S'il est retourné en Achaïe dès l'instant où il devint libre, il n'a pu y faire alors qu'un très-court séjour. Mais, soit de vive voix, soit par écrit, il invita les Achéens à ménager Rome, et à maintenir entre eux la concorde; conseils qui, selon Pausanias, auraient prévenu de grands malheurs s'il avaient été suivis. Après la destruction de Carthage, Polybe accourut d'Afrique en Grèce, pour sauver, s'il était possible, sa patrie, du désastre qui la menaçait; mais il n'arriva qu'après la prise de Corinthe. Du moins, il obtint le rétablis sement des statues d'Aratus et de Philopomen, qu'on venait d'abattre, et mérita, par-là, celle que les Achéens lui érigèrent à lui-même. Les dix députés ou intendants de Rome en Achaïe, avaient mis en vente les biens de Diæus, mais en réservant à Polybe le droit d'y choisir et prélever gratuitement les articles qui lui conviendraient. Nonseulement il n'en voulut rien prendre; il exhorta ses amis à n'en rien acheter et lorsqu'ensuite le questeur mit pareillement à l'enchè re, dans chaque ville, les biens de ceux qui avaient été condamnés comme complices de la rebellion de ce Diæus, Polybe encore desirait

qu'il ne se présentât aucun acquéreur Achéen. Quelques uns méprisèrent ce conseil; mais ceux qui le suivirent, se firent honneur. En quittant l'Achaïe, en 145, les dix députés romains le chargèrent de parcourir les villes, de juger les différends qui s'y étaient élevés, d'accoutumer les habitants au régime politique et aux lois nouvelles qu'on venait de leur imposer. Il s'acquitta de ces fonctions avec un zèle que ses concitoyens surent apprécier. Il répara leurs pertes, rétablit parmi eux la paix publique et la liberté même, ou du moins ce qu'on en pouvait concilier avec la domination romaine. Des statues lui furent décernées en plusieurs villes. Pausanias en indique cinq, y compris les deux de Mégalopolis, dont il copie les inscriptions. On lisait sur l'une, que la Grèce n'aurait pas succombé, si elle eût suivi les conseils de Polybe; et qu'elle ne trouva de ressources qu'en lui, quand elle tomba dans l'adversité. L'autre passage de Pausanias est plus étendu; M. Clavier le traduit ainsi : « Il y a, sur la même place publique, derrière l'enceinte consacrée à Jupiter lycéen, un cippe sur lequel est représenté Polybe, fils de Lycortas. Une inscription, en vers élégiaques, apprend qu'il avait parcouru toute la terre et toute la mer, qu'il était devenu l'ami des Romains, et qu'il avait apaisé la colère où ils étaient contre les Grecs. Ce Polybe ( continue Pausanias ) a écrit l'histoire des Romains, et particulièrement les guerres qui s'élevèrent entre eux et les Carthaginois : il dit quelle en fut la cause, et comment, après avoir duré long-temps, et mis les Romains dans le plus grand danger, elles furent terminées par Scipion nommé l'Afri

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cain, qui détruisit Carthage de fond en comble. On dit que Scipion réussit dans toutes ses entreprises, toutes les fois qu'il suivit les conseils de Polybe, et qu'il échoua lorsqu'il ne voulut pas les écouter. Toutes les villes qui faisaient partie de la ligue achéenne, obtinrent des Romains, que le soin de leur donner des lois et de régler la forme de leur gouvernement fût confié à Polybe. » On suppose que c'est après l'an 145, que cet historien, âgé de cinquante-cinq à soixante ans, termina la rédaction de son grand ouvrage, esquissé probablement durant son séjour à Rome. Il fit vers l'année 143, un voyage en Égypte, où régnait Ptolémée Physcon. Strabon rapporte en effet que Polybe, qui était venu en ce temps-là à Alexandrie, déplorait l'état où il avait trouvé cette ville; qu'il y distinguait trois classes d'ha bitants, les Égyptiens indigènes, actifs et civilisés ; les soldats mercenaires, nombreux et mutins, que l'avilissement des rois disposait à commander, plus qu'à obéir; et les Alexandrins, espèce mixte et moyenne, beaucoup moins cultivée que la première, un peu moins indocile que la seconde. Physcon, souvent en butte aux séditions, ne savait se tirer d'affaire, qu'en opposant tour-à-tour les soldats au peuple, et le peuple aux soldats. Ce qu'ajoute Strabon, donne lieu à Polybe d'appliquer à l'Égypte de cette époque, ce vers d'Homère :

Un voyage en Égypte est long et difficile. Nous n'avons aucune preuve positive, que Polybe ait accompagné Scipion au siége de Numance, en 134; mais il avait laissé, sur cette guerre, un ouvrage particulier, distinct de son histoire générale. Cicé

ron l'atteste, dans la lettre où il invite Lucceius à écrire l'histoire de son consulat, et à la séparer du corps des annales romaines, ainsi qu'ont fait, dit-il, chez les Grecs Timée pour la guerre de Pyrrhus, Polybe pour celle de Numance. Il ne reste plus, pour terminer la vie de Polybe, qu'à parler de sa mort, sur laquelle nous n'avons pas d'autres renseignements que ceux que présentent ces. paroles de Lucien « Polybe, fils de Lycortas, Mégalopolitain, revenait de la campagne; il tomba de cheval, fut malade, et mourut à l'âge de quatre-vingt-deux ans. » Il n'y a pas moyen de dater autrement cette mort, puisque la date précise de la naissance de Polybe nous est restée inconnue; mais nous pensons. qu'on ne risque pas de se tromper de beaucoup, en disant qu'il est né vers l'an 200 et que sa carrière s'est terminée vers l'an 120. Du reste, les faits dont nous venons de composer son histoire, sont tous, ou attestés par lui-même, ou extraits des livres classiques grecs et latins, antérieurs au moyen âge.Nous ajouterions que son corps fut retrouvé intact, au temps de l'empereur Jean Coinène, au douzième siècle, si nous pouvions nous en rapporter sur un tel fait à un Manuel Malaxas, auteur de Mémoires sur le Péloponèse. Les détails que nous avons recueillis suffisent pour distinguer parfaitement l'historien Polybe, de plusieurs personnages qui ont porté le même nom que lui: il en cite un, qui était aussi de Mégalopolis, mais plus ancien d'une génération, et apparemment d'une autre famille, puisqu'il ne se donne point pour son parent.Ce premier Polybe avait combattu avec Philopomen contre Machanidas. Josèphe fait mention d'un autre Polybe, encore Mégalopolitain;

mais qui s'occupait d'une histoire ju daïque. Le même nom désigne, dans Lucien, un médecin ridicule; dans Dion Cassius, un affranchi d'Auguste; dans Sénèque et Suétone, un affranchi de Claude; dans Saint Ignace et Saint Épiphane, divers évêques ou personnes ecclésiastiques ; et dans les Catalogues des bibliothèques de Florence et de Madrid, un grammairien, auteurde Traités sur le sublime et sur les ornements du discours. Polybe, fils de Lycortas, avait laissé cinq ouvrages, dont quatre sont perdus. L'un était cette Histoire de Numance dont a parlé Cicéron, et dont il ne subsiste aucun autre souvenir. En second lieu, il avait composé une Vie de Philopomen; car, au dixième livre de son Histoire générale, il y renvoie ses lecteurs. Si je n'avais, dit-il, rédigé un volume particulier sur Philopoemen, où j'ai montré quel il était, par qui et comment il a été élevé, il me serait indispensable d'entrer ici dans des détails: mais puisque j'ai traité de son éducation, en trois livres, hors du corps de cette Histoire, je n'aurai plus qu'à m'arrêter aux actions de son âge mûr, que je me suis borné à indiquer sommairement dans le troi sième de ces livres.» Ailleurs, en parlant des rapports de la géométrie avec la science militaire, il dit qu'il a traité plus amplement ce sujet, dans ses Commentaires sur la tactique; et nous pouvons d'autant moins en douter, qu'ils sont cités une fois par Arrien, et trois fois par Élien. Arrien recommande cet ouvrage d'un compagnon de Scipion, d'un témoin de tant de guerres, de tant d'exploits mémorables, et surtout de la prise de Carthage. Élien attribue à Polybe l'idée d'un escadron de soixantequatre cavaliers, disposé dans la for

me de la lettre grecque A (lambda ); et une définition particulière et fort compliquée de la tactique. Ce même Élien distingue, entre les tacticiens Polybe de Mégalopolis, homme d'une érudition fort étendue et ami de Scipion. Le quatrième ouvrage perdude Polybe, était intitulé, De l'habitation sous l'Équateur. Ce titre est transcrit par Geminus, qui extrait du livre quelques propositions; par exemple, que le climat est plus tempéré sous la ligne équinoxiale, que sous les tropiques. Strabon attribue aussi cette opinion à Polybe, et ajoute qu'au lieu de cinq zones terrestres, il en comptait six, parce qu'il divisait en deux, par l'équateur, celle que nous appelons torride. Achilles Tatius cite, de la même manière, cet ouvrage de notre historien. Nous ne tiendrons pas compte de ses Lettres: à la vérité, il nous apprend qu'il en avait adressé une à Zénon de Rhodes; et sans doute il en a écrit plusieurs autres : quel homme d'état, quel homme de lettres n'a pas eu de correspondances? Mais il ne paraît pas qu'on ait jamais recueilli les Épîtres de Polybe; et il n'y a pas lieu de dire qu'elles sont perdues, à moins qu'on n'en dise autant de celles de TiteLive, de Tacite et de tant d'autres. Juste-Lipse fait de plus mention du livre ou des livres de Polybe concernant les Républiques; et il se fonde sur un texte où l'auteur dit qu'il a précédemment traité ce qui concerne le serment militaire, dans ses discours sur la Police; mais ces paroles ne renvoient réellement qu'au livre sixième de son Histoire générale. Cette histoire embrassait tous les événements arrivés dans le cours de cinquante-trois ans. C'est l'auteur lui-même qui en fait le compte; il la nomme universelle (katholiken):

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les années 220 et 167 avant J.-C., sont les limites de l'espace qu'il parcourt. Le nombre des livres était de quarante; c'est encore Polybe qui le déclare expressément. « Ce n'est pas trop, dit-il, de ces quarante livres pour conduire, d'un fil continu, toutes les affaires de l'Italie, de la Sicile, de la Grèce, de l'Afrique, et des autres parties du monde, jusqu'à la ruine du royaume de Macédoine. »> Ce même nombre de quarante livres est marqué par Étienne de Byzance et par Suidas la matière nous en a déjà été indiquée par Pausanias. Zozyme dit, qu'après avoir jeté quelques regards sur les premiers siècles et les premiers progrès des Romains, PoTybe a fait l'histoire des cinquantetrois années où leur puissance s'est développée avec le plus d'éclat. Évagre et Photius considéraient les livres de cet historien comme pouvant servir de suite aux Antiquités romaines de Denys d'Halicarnasse. Mais il s'en faut que nous les possédions entiers; il n'en reste que les cinq premiers, d'assez longs fragments des donze suivants, et ce que l'empereur Constantin Porphyrogénète, au dixième siècle, avait fait extraire tant de ces dix-sept livres que des autres. C'est donc la plus grande partie de l'ouvrage qui a péri; et il faut noter qu'entre les cinq livres qui se sont le mieux conservés, les deux premiers ne sont qu'une introduction, qui présente en raccourci le tableau d'événements antérieurs à l'année 220. Aussi le second est-il terminé par ces paroles « Après ces préparatifs de : toute notre histoire; après avoir montré en quels temps, de quelle manière, par quels motifs, les Romains, n'ayant plus rien à conquérir dans l'Italie, commencèrent à étendre plus loin leur domination, et osèrent dis

puter aux Carthaginois l'empire de la mer; après avoir exposé l'état où se trouvaient la Grèce, la Macédoi ne et Carthage; puisque nous sommes arrivés enfin aux temps dont nous nous proposons d'écrire en effet l'histoire, je veux dire à l'époque où les Grecs entreprenaient la guerre sociale; les Romains, celle d'Annibal; les rois d'Asie, celle de Cœlésyrie, il convient de clore les prélimi minaires qui nous ont conduits jusqu'à la mort des princes auteurs des guerres précédentes. » Ainsi donc, l'histoire des 53 ans que nous avons désignés, n'existe ou plutôt ne commence que dans les livres numérotés III, IV et v. Le livre premier remonte assez avant dans l'histoire romaine; il expose les causes de la première guerre punique; il esquisse le tableau de cette guerre, qui dura environ vingt-quatre ans, de 264 à 241, et après laquelle les Carthaginois eurent à combattre leurs propres stipendiaires. Les guerres des Etoliens, des Illyriens, des Achéens; les expéditions des Romains en Illyrie et contre les Gaulois; les exploits d'Antigone, roi de Macédoine, et du Spartiate Cléomènes, sont les principaux objets du second livre. Îl correspond, àpeu-près, à dix-septannées, de 237 à 220. Le troisième a beaucoup plus d'importance : l'auteur entre dans son sujet. La seconde guerre punique s'ouvre en 219: Polybe en raconte les premiers événements; il suit le cours des triomphes d'Annibal, jusqu'à la bataille de Cannes inclusivement, c'est-à-dire, jusqu'en 216. Cependant le quatrième livre nous reporte à des années antérieures, savoir à 220, 219 et 218; c'est peutêtre un défaut de méthode. Après un tableau de l'état des peuples de l'Orient, sous les règnes de Philippe,

fils de Démétrius, en Macédoine; d'Ariarathe, en Cappadoce; d'Antiochus, en Syrie; de Ptolémée Philopator, en Égypte, ce livre trace l'histoire des guerres et des séditions qui troublèrent la Grèce. Le récit des victoires de Philippe se continue dans le cinquième livre, qui contient d'ailleurs le récit de la guerre de Syrie entre Antiochus et Ptolémée, et qui expose comment les Grecs, après de longues et sanglantes discordes intestines, tournèrent enfin les yeux sur Rome, et associèrent leurs forces contre elle. Ces faits se rapportent surtout aux années 218, 217 et 216. Nous n'entreprendrons point d'indiquer ici les matières traitées dans les fragments des trente-cinq autres livres : l'historien y descend jusqu'à l'an 145. Mais voici les jugements portés sur ce grand ouvrage. Scylax a écrit un livre contre Polybe: c'est du moins ce que Suidas assure, en ajoutant que ce Scylax était de Cary ande, ville de Carie, près d'Halicarnasse; qu'il a composé aussi la relation d'un voyage au-delà des colonnes d'Hercule, qu'il était mathématicien et musicien. C'est encore une de ces notices inexactes qui fourmillent dans Suidas Scylax le voyageur, celui dont le nom est attaché à une relation, d'ailleurs tronquée et fabuleuse, est antérieur de plus de trois siècles à Polybe; il vivait au temps de Darius, fils d'Hystaspe, qui l'envoya vers les côtes voisines de l'embouchure du fleuve Indus. Y a-t-il eu, après les guerres puniques, un autre Scylax qui a critiqué Polybe? C'est ce que nous n'avons aucun moyen d'éclaircir. Mais le Traité de Denys d'Halicarnasse sur l'arrangement des mots, ou plus généralement sur l'élocution, est entre nos mains; et il y est dit fort crûment, sans péri

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phrase, que Polybe n'entend rien à l'art d'écrire, et que personne n'est capable de soutenir d'un bout à l'autre la lecture de ses livres. Brutus et Cicéron n'en ont pas jugé ainsi : la veille de la bataille de Pharsale, Brutus lisait Polybe; et même, si nous en croyons Plutarque, il en faisait des extraits. On croit que Brutus avait composé un Abrégé des quarante livres ou de la plupart, et que plusieurs des fragments qui subsistent, proviennent de ce travail. Cicéron dit : Folybius, bonus auctor in primis ; cet éloge est court, mais il n'est modifié ni restreint nulle part. Tite-Live, qui puise souvent dans Polybe, qui le traduit quelquefois, se contente de le désigner comme un écrivain qui mérite de la confiance: Non incertum auctorem, et qui n'est pas méprisable haudquaquàm spernendum; est-ce un artifice du langage?Tite-Live dit-il peu pour faire entendre beaucoup? Il n'est pas bien sûr que telle soit son intention. Velleius-Paterculus déclare expressément que Polybe est un homme d'un esprit distingué. Mais Quintilien, dans une assezlongue liste d'historiens grecs, ne le nomme point. Lucien qui, dans son opuscule sur les longues vies, nous apprend que Polybe est mort à quatrevingt-deux ans, ne fait aucune mention de lui dans son traité de l'Art d'écrire l'histoire; et ce silence de Lucien et de Quintilien est peu compensé par les louanges, d'ailleurs assez vagues, que Josèphe et Claude Élien lui donnent. Du moins, Plutarque le cite volontiers: il ne parle de lui qu'avec estime; et nous avons vu quels hommages lui rend Pausanias. Il n'est jamais question de Polybe, dans le Traité du sublime de Longin; Photius ne le nomme qu'incidemment, et pour indiquer l'épo

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