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pendant, des deux données sur les quelles il repose, il n'y en a qu'une qui soit positive, savoir, que Polybe a terminé sa carrière à l'âge de quatre-vingt-deux ans ; Lucien, du moins, le dit de la manière la plus expresse. Mais que sa mort ait précédé de dix-sept ans la naissance de Cicéron, aucun témoignage direct ne nous en instruit ; et c'est seu lement une conséquence que Casaubon avait déduite de certains rapprochements. Vossius, en la prenant pour un fait immédiatement connu, commet l'erreur qu'on appelle pétition de principe, et qui est fort ordinaire aux érudits. Le seul point bien établi, est que Polybe avait, en 181, moins de trente ans, et probablement plus de vingt il serait donc né entre 210 et 200. C'est là tout ce que nous en pouvons dire, à moins qu'au lieu de ces limites, nous ne prenions celles que M. Schweighæuser propose, et qui n'en different pas beaucoup, 204 et 198. Mais il demeure prouvé que Suidas se trompe, en faisant naître Polybe sous Ptolémée Évergète il fallait dire Philopator ou bien Epiphane. Nous pensons qu'il importe de remarquer, toutes les fois que l'occasion s'en présente, les méprises de ce lexicographe; car l'espèce d'autorité que les savants modernes lui attribuent, ainsi qu'à d'autres compilateurs du moyen âge, est l'une des causes qui retardent parmi nous le progrès des connaissances historiques. Plutarque nous apprend que Polybe fut formé aux fonctions publiques par les leçons et les exemples de Philopomen, et qu'aux funérailles de ce grand homme, il porta l'urne qui renfermait ses cendres. «Elle était, dit-il, si couverte de chapeaux de fleurs, de festons et

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de bandeaux, qu'à peine la pouvaiton voir, étant portée par un trèsjeune homme nommé Polybius, de (Lycortas) celui qui pour lors était capitaine-général des Áchéens.» Ce fait est de l'année 183. Nous avons déjà indiqué l'ambassade de 181; voici comment Polybe la raconte lui-même : « Ptolémée qui voulait faire alliance avec les Achéens, leur envoya un ambassadeur, avec promesse de leur donner six galères de cinquante rames, armées en guerre. On accepta ces offres avec reconnaissance; ce présent valait à-peu-près dix talents. Pour remercier ce prince des armes et de l'argent qu'il avait auparavant fournis, et pour recevoir les galères, les Achéens lui députèrent Lycortas Polybe et le jeune Aratus. Lycortas fut choisi, parce qu'étant préteur dans le temps où l'on avait renouvelé l'alliance avec Ptolémée, avait pris avec chaleur les intérêts de ce prince. On lui associa son fils Polybe, quoiqu'il n'eût point encore l'âge prescrit par les lois; et on leur adjoignit Aratus, dont les ancêtres avaient été fort aimés des Ptolémées. Cette ambassade ne sortit cependant pas de l'Achaïe: au moment où elle se disposait à partir, Ptolémée mourut. » Nous savons encore, par les récits de Polybe, que la guerre ayant éclaté entre les Romains et Persée, il fut d'abord d'avis, ainsi que son père, de garder la neutralité; que néanmoins il prit, en 174, le commandement d'un corps de cavalerie achéenne, envoyé au secours des Romains; que ses compatriotes le députèrent auprès du consul Marcius; et qu'en 168, les rois d'Égypte, Évergète II et Philométor, le demandèrent pour commandant d'une cavalerie

auxiliaire. «Il arriva, dit-il luimême, une ambassade solennelle de la part des deux Ptolémées, pour demander des secours aux Achéens. Il y eut sur cela une délibération, où chacun soutint son avis avec beaucoup de chaleur. Gallicrates, Diophane et Hyperbaton, ne voulaient point accorder ce secours; Archon, Lycortas et Polybe étaient d'une opinion contraire, qu'ils appuyaient sur l'alliance faite avec les deux rois. Le plus jeune de ces princes avait été récemment élevé au trône; et il y régnait avec son frère, revenu depuis peu de Memphis. Tous deux, ayant besoin de troupes, avaient dépêché aux Achéens Eumnène et Dionysodore, pour obtenir mille fantassins, que Lycortas conduirait, et deux cents chevaux, dont Polybe, aurait le commandement..... Callicrates s'y opposa..... Lycortas et Polybe, prenant la parole, dirent, entre autres choses, , que l'année précédente Polybe étant allé trouver Marcius, pour lui offrir le secours que la ligue Achéenne avait accordé, ce consul lui avait répondu qu'une fois entré dans la Macédoine, il n'avait plus besoin de troupes auxiliaires. Ainsi l'on ne devait pas se servir de ce prétexte pour abandonner les rois d'Égypte, pour oublier leurs bienfaits et les engagements pris avec eux. L'assemblée inclinait à voter le secours demandé, lorsque Callicrates prit le parti de la dissoudre. Quelque temps après, le sénat fut convoqué à Sicyone: non-seulement tous les sénateurs s'y rendirent, mais aussi les citoyens âgés de plus de trente ans. Polybe (qui en avait alors au moins trente-six) s'y trouva, reparla de cette affaire, reproduisit les mêmes observations; mais Callicrates persista dans son opposition. » A par

tir de l'année 166 (avant J.-C) jusqu'en 150, Polybe habita Rome; il y était venu avec mille de ses compatriotes, accusés, comme lui, par Callicrates, de s'être montrés peu amis des Romains durant la guerre contre Persée. Les mille autres Achéens furent exilés et dispersés dans les villes d'Italie; Polybe seul obtint la permission de rester à Rome: il dut cette faveur aux bons offices de Fabius et de Publius Emilianus Scipion. Ces deux jeunes fils de Paul Emile avaient su apprécier Polybe, et puisaient dans ses entretiens l'instruction dont ils étaient avides. Il raconte qu'un jour Publius lui dit : « Pourquoi donc, Polybe, n'interrogez-vous que mon frère, et ne répondez-vous qu'à lui? Apparemment vous me jugez comme j'apprends que me jugent mes concitoyens; vous me croyez indolent, inappliqué, n'ayant pas les inclinations d'un Romain. Mon grand tort est de ne pas fréquenter le barreau, où mon frère aîné vient de se rendre. Ce n'est pourtant point un avocat qu'on attend de la famille des Scipions, mais un général d'armée. » Surpris de trouver de tels sentiments dans un jeune homme de dix-huit ans, Polybe lui répondit : « Les égards que je dois à votre aîné n'ôtent rien à l'estime que j'ai pour vous; je l'écoute, parce que je me persuade qu'il exprime vos pensées autant que les siennes. Du reste, je vous suis dévoué, et serais heureux de continuer à vous rendre digne du nom que vous partez. S'il ne s'agissait que d'études vulgaires, vous n'auriez besoin de moi ni l'un ni l'autre

assez de maîtres arrivent de la Grèce pour vous donner de pareilles leçons; mais je crois être, plus que personne, capable de vous offrir cel

les

que vous recherchez. » — « Ah! Polybe! répondit Scipion en lui prenant les mains, quand viendra le jour, où libre de tout autre soin, vous ne travaillerez plus qu'à m'apprendre à ressembler à mes ancêtres!» En applaudissant à une si noble ardeur, Polybe craignait toutefois que l'opulence de cette famille et les exemples de la jeunesse romaine ne corrompissent bientôt l'élève qui donnait tant d'espérances. Il coinmença par lui inspirer une profonde aversion pour les plaisirs dangereux auxquels s'abandonnaient les jeunes Romains; et il eut le bonheur de voir Scipion admiré dans Rome comme un modèle de sagesse et de décence. Il lui apprit aussi à faire le plus honorable usage des richesses: personne ne portait plus loin que ce jeune patricien le désintéressement et la vraie libéralité. Le riche héritage qui lui échut, par le décès d'Émilie, femme du grand Scipion (Publius Gornelius), dont il était le petit-fils adoptif, il le mit tout entier à la disposition de sa propre mère, qui, ayant été répudiée, n'avait pas de quoi soutenir la splendeur de son rang. Sans profiter des délais qu'accordaient les lois, il se hâta de compléter la dot des deux filles de ce même Publius Cornelius Scipion. Leurs époux, Tibérius Gracchus et Scipion Nasica, s'étonnaient de cette générosité, dont Rome n'avait pas encore vu d'exemple: il leur répondit qu'il ne voulait pas connaître, entre des amis, entre des parents, d'autres lois que celles de la grandeur d'ame. Il céda sa part dans la succession de son père, à son frère Fabius, pour lequel encore il paya la moitié des frais d'un spectacle public. A la mort de sa mère, qui ne laissait de biens que ceux qu'elle tenait de lui,

il les abandonna tous à ses sœurs. Voilà comment profitait des leçons de Polybe, le futur destructeur de Carthage et de Numance; il avait, dans sa jeunesse, contracté avec son maître une liaison si intime, qu'il préférait ses entretiens à tous les plai. sirs : c'est ainsi que s'annoncent les grands hommes. Sur l'un des articles de cette éducation, nous emprunterons les paroles de dom Thuillier, traducteur de Polybe. « Pour ce qui regarde la religion de ce tempslà, il faut convenir, à l'honneur de Polybe, qu'avec lui, Scipion ne devint pas si dévot que l'était, au moins en apparence, son aïeul, qui passait les nuits dans les temples, et que l'on disait avoir des communications intimes avec Jupiter. On peut assurer, sans craindre de juger témérairement, que notre historien n'avait nulle foi à ces divinités, qui avaient des yeux sans voir, et des oreilles sans entendre. Il cherchait, dans les règles de la prudence, de la politique et de la guerre, les raisons. de tous les événements, et soutenait, sans détour, que quiconque avait re cours, pour cela, aux dieux, vait point assez d'esprit pour les découvrir ou voulait s'épargner la peine de les chercher. Les divinités que (les législateurs et les généraux) feignaient d'invoquer, et dont ils se vantaient d'être inspirés, étaient, selon lui, une invention ingénieuse, pour rendre plus souple et plus docile la multitude, à qui ces beaux dehors imposent, et font aisément illusion. Il croyait, ajoute dom Thuil. lier, en une Providence qui dispose, et qui conduit tout à ses fins. » Ces observations annoncent assez qu'on ne retrouvera pas, dans les écrits de Polybe, les idées superstitieuses qu'on remarque si souvent dans ceux d'Héro

n'a

dote etde Xénophon.Nous voyons aus si que Polybe recommandait à son disciple la modestie, la politesse, l'affabilité il l'exhortait à ne revenir jamais de la place publique sans s'être fait un ami. Mais il lui conseillait d'ailleurs les exercices corporels, et particulièrement la chasse, qui lui semblait, ainsi qu'à Xénophon, un apprentissage de la guerre, et une étude autant qu'un divertissement. Ce n'est pas de Polybe seul que nous apprenons la part qu'il eut à l'éducation du jeune Scipion: Diodore de Sicile dit que ce Romain fut initié, dès son bas âge, dans toutes les sciences de la Grèce; que, s'adonnant à la philosophie, dès sa dixhuitième année, il eut pour maître Polybe de Mégalopolis, anteur d'une histoire, et vécut long-temps avec lui; que, formé à toutes les vertus par un tel maître, il surpassa en sagesse, en grandeur d'ame, et les jeunes gens de cette époque et les citoyens expérimentés; qu'on admira d'autant plus ses progrès, qu'auparavant, l'inactivité de son esprit, la lenteur de son intelligence, avaient fait craindre qu'il ne soutînt mal la gloire de son nom. Velleius Paterculus dit que Scipion eut un goût si délicat pour les beaux-arts, une si haute admiration pour la science, que, chez lui et dans ses campagnes, il avait à ses côtés Panatius et Polybe, deux hommes d'un mérite émi nent. Plutarque et Pausanias rapportent les mêmes faits. En l'année 192 avant J.- C., les conseils de Polybe furent utiles à Démétrius, fils de Séleucus, roi de Syrie. Démétrius était à Rome, l'un des otages qu'Antiochus, son frère, avait été obligé de livrer, en exécution du traité de paix conclu entre lui et les Romains. Lorsqu'Antiochus mourut, Démétrius pria

le sénat de le remettre en liberté, puisqu'il était appelé au trône; mais les Romains trouvaient mieux leur compte à laisser le sceptre entre les mains d'un jeune pupille, qu'Antiochus avait nommé son successeur. Polybe conseillait à Démétrius de ne point compromettre sa dignité, en comparaissant une seconde fois devant les sénateurs, et en essuyant un nouveau refus; de se délivrer plutôt lui-même par une évasion soudaine. Mais ce prince consulta un autre confident, qui le confirma dans la résolution de retourner au sénat. Sa demande ayant été repoussée, comme l'avait prédit Polybe, il comprit enfin qu'il n'avait d'autre parti à prendre que de s'évader et de regagner la Syrie. Il en fallait trouver les moyens: Polybe, par l'entremise d'un de ses amis, fréta un vaisseau carthaginois à Ostie. Au jour destiné pour l'embarquement, Démétrius donnait un festin, au milieu duquel il reçut de Polybé un billet, qui le pressait de saisir, sans aucun retard, une occasion qui ne reviendrait plus. Le prince, sous prétexte d'une incommodité, quitta la table, sortit de la maison, courut à Ostie, s'embarqua; et quatre jours se passèrent sans qu'on sût, à Rome, qu'il était parti. Des députés Achéens vinrent, en 160, redemander Polybe au sénat romain, qui ne voulut point le rendre. Il jouissait cependant, auprès des grands de Rome, d'un crédit qu'il employa utilement, trois ans après, en faveur des Locriens par ses soins, ils furent dispensés de servir contre la Dalmatie. Il y avait près de dix-sept ans qu'il était à Rome, lorsqu'en sa faveur, et par les sollicitations de Scipion auprès de Caton, les Achéens obtinrent enfin la liberté de retourner dans leur patrie. C'est ce qui

nous est raconté par Plutarque, dans la Vie de Caton ( traduction d'Amyot): « Scipion pria Caton une fois en faveur de Polybius, pour les bannis de l'Achaïe. La matière fut mise en delibération du sénat, là où il y eut grande dispute et grande diversité d'opinions entre les sénateurs; pour ce que les uns voulaient qu'ils fussent restitués en leurs maisons et en leurs biens, les autres l'empêchaient; et Caton se dressant en pied, leur dit: Il semble que nous n'ayons autre chose à penser et à faire, vu que nous nous amusons tout un jour à disputer et à contester, à savoir si ces vieillards grecs seront portés en terre par des fossoyeurs de Rome, ou par ceux d'Achaïe.» Si fust à la fin conclu et arrêté qu'ils seraient remis et restitués en leur pays: mais, quelques jours après, Polybius voulut de rechef présenter requête au sénat, tendant à ce que ces bannis, restitués par ordonnance du sénat, eussent les mêmes états et honneurs en Achaie, qu'ils y avaient quand ils en furent déchassés; mais avant que de le faire, il voulut premièrement sonder ce qu'il en semblait à Caton, lequel (pour lui faire sentir combien il était imprudent de remettre en question, au sein du sé nat, le sort des Achéens) lui répondit en riant: Il me semble, Polybius, que tu (ne) fais pas comme Ulysse: étant une fois échappé de la caverne du géant Cyclope, (tu veux) y retourner pour aller quérir ton chapeau et ta ceinture que tu y as oubliés. » De mille Achéens qu'on avait retenus en Italie, il n'en restait qu'en viron trois cents; ils retournèrent dans leur pays. Polybe n'usa de sa liberté que pour entreprendre des voyages: il voulut reconnaître, sur les lieux, les circonstances du pas

sage d'Annibal dans les Alpes. J'en parle, dit-il, avec plus d'assurance, parce que j'ai interrogé, non-sculement les témoins, mais les lieux mêmes, ayant tout exprès visité les Alpes......... J'ose dire que je me suis rendu digne de l'attention des lecteurs curieux, par les fatigues quej'ai endurées, par les périls que j'ai courus, en voyageant en Afrique, en Espagne, dans les Gaules, et sur les mers qui environnent ces contrées, afin de corriger les fautes des descriptions publiées par les anciens, et d'offrir aux Grecs de plus sûres connaissances. Avait-il, dès l'an 151, accompagné Scipion en Espagne, ou bien n'a-t-il parcouru ce pays et la Gaule, qu'après l'an 150? C'est-là une question qui peut sembler indécise. Il n'était pas gardé si étroitement à Rome, qu'il ne fût à-peu-près maître de toutes ses actions, excepté de retourner en Achaïe : il a, nous dit Arrien, suivi Scipion en plusieurs guerres. Mais il se pourrait cependant qu'il n'eût entrepris des voyages d'un très-long cours, qu'après avoir pleinement recouvré sa liberté. Toujours savons-nous qu'en 147 et 146, il accompagnait Scipion assiégeant et ruinant Carthage. Plutarque, Appien, Ammien-Marcellin et Orose le disent, en citant des livres de Polybe que nous n'avons plus. Selon Plutarque, Scipion étant déjà entré dans les murs de Carthage, et les Carthaginois occupant néanmoins encore le château, Polybe lui conseilla de jeter dans la mer qui est entre deux, et qui a peu de profondeur, des chausses trapes et des planches percées de pointes de clou: Scipion lui répondit qu'étant maître de la ville des ennemis, il n'avait aucune raison d'éviter le combat qu'ils voudraient engager. En parlant d'une manœuvre

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