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science et de vertu: il voulut le forcer, à son retour, de s'expliquer ouvertement sur son mariage avec Anne Boleyn. Pole lui déclara franchement qu'il le croyait injuste; et lui en prédit les suites désastreu ses sans se laisser séduire par l'offre de l'évêché de Winchester ou de l'archevêché d'York, ni intimider par les menaces du monarque, qui, dans sa colère, voulut, un jour, le poignarder. Pole, ayant obtenu la permission de sortir du royaume, se retira en Italie, après avoir habité quelque temps Avignon. Ce fut pendant son séjour à Padoue que Henri le fit sommer de reconnaître sa suprématie spirituelle, et que, sur le refus de Pole, ce prince le priva de ses bénéfices et de la pension qu'il lui faisait. Le pape Paul III l'en dédommagea, en l'élevant à la pourpre romaine, et en le nommant son légat en France et en Flandre, afin qu'il fût à portée de repasser en Angleterre, si la négociation à laquelle travaillaient Charles-Quint et François Ier., pour réconcilier le monarque anglais avec Rome avait du succès. Henri, s'étant refusé à tout accommodement, ne mit plus de bornes à son ressentiment contre le cardinal. Il le fit déclarer, par le parlement, coupable de haute-trahison, condamner à une amende de cent mille écus; obligea la cour de France à l'expulser du royaume, l'entoura d'émissaires chargés de l'assassiner, et offrit quatre mille hommes, entretenus à ses frais, aux états de Flandre, sur les domaines desquels il s'était retiré, s'ils consentaient à le lui livrer. Le legat s'étant alors réfugié à Viterbe, le pape lui donna des gardes pour le mettre à l'abri des attentats dont on avait lieu de craindre que ses jours ne fussent

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menacés. Henri VIII, ne pouvant se venger sur Pole, fit condamner et exécuter comme traitres la comtesse de Salisbury sa mère, lord Montaigu son frère ainé, et plusieurs de ses amis. Pendant ce tempslà, le pontife se servit utilement de lui dans diverses négociations avec les cours étrangères. Ille chargea d'écrire contre l'intérim, et le choisit pour l'un des trois présidents du concile de Trente. Après la mort de Paul III, en 1549, tous les vœux désignaient Pole pour. son successeur. Les impériaux et les Espagnols réunis en une seule faction, à la tête de laquelle était Alexandre Farnèse, neveu du dernier pape, s'accordaient à le nommer; mais la France, qui le croyait dévoué aux intérêts de l'empereur, s'y opposait fortement. Le cardinal Garaffe, son ancien ami, devenu son rival, employa, dit-on, toutes sortes d'intri

gues pour traverser son élection. Malgré cela, la majorité du conclave lui restait attachée. Quand on vint dans la nuit lui en faire compliment, il répondit modestement qu'une affaire de cette importance ne devait point être une œuvre de ténèbres; qu'il fallait attendre la clarté du jour : ses adversaires firent passer cette réponse pour une marque d'indifférence; et de nouvelles brigues portèrent sur le saint siége le cardinal del Monte, qui prit le nom de Jules III. Le nouveau pape, en l'embrassant, lui dit que c'était à son humilité qu'il devait la préférence; et il obligea le cardinal Caraffe à lui demander publiquement pardon de toutes les calomnies qu'il avait débitées contre lui. Pole se retira dans un monastère de l'ordre de samt Benoît, près de Vérone, et s'y livra à la prière et à l'étude jusqu'à l'avénement

de la reine Marie à la couronne (1553). Jules III le nomma son légat en Angleterre, pour y aller travailler au rétablissement de l'ancienne religion. Sa mission fut contrariée par Charles-Quint, qui le fit retenir à Dillingen en Suabe. Ce prince songeait à donner son fils Philippe en mariage à la nouvelle reine; il prévoyait que cette alliance, déjà fort désagréable aux Anglais, éprou. verait beaucoup de difficultés, si elle était proposée en même temps que la réconciliation. Il n'ignorait pas d'ailleurs l'inclination de Marie pour le cardinal, qui n'était que diacre; elle avait même fait sonder le pape pour lui obtenir une dispense dans la vue de l'épouser. Charles avait mis dans ses intérêts le grand-chancelier Gardiner, qui craignait de son côté d'être supplanté par le légat. De nouveaux ordres le retinrent encore à Bruxelles, jusqu'après la conclusion définitive du mariage de la reine avec Philippe. Dans cet intervalle, il se rendit à la cour de France, pour traiter de la paix entre Charles-Quint et François Ier. La cour fut édifiée de ses vertus. François Ier., l'ayant mieux connu, se repentit de s'être opposé à son élévation au souverain pontificat. Tous les obstacles qu'on avait mis à son voyage étant levés, il arriva en Angleterre, au mois de novembre 1554, et fit son entrée solennelle à Londres, le 24 du même mois; le 30, il parut au parlement dans tout l'appareil de sa dignité. Les membres des deux chambres firent leur abjuration, et reçurent à genoux l'absolution générale de leur schisme. On marcha ensuite processionnellement vers la chapelle royale, où ce grand événement fut célébré par le cantique d'actions de grâces chanté solennellement.

XXXV.

Quelques jours après, le cardinal fut ordonné prêtre, sacré archevêque' de Canterbury, et ne s'occupa plus que des moyens de réparer les désordres du schisme : ses pouvoirs étaient très-étendus; sa charité ne l'était pas moins. Il eut à combattre, dans le conseil privé, les partis violents que proposaient le chancelier Gardiner et l'évêque Bonner; leur conduite passée aurait dû les rendre plus indulgents; mais le ressentiment contre Cranmer et ses parti sans les portait à l'exécution des an ciennes lois contre les hérétiques. Po. le cut beau représenter que la rigueur poussée à l'extrême aigrit le mal, qu'on devait mettre de la différence entre un pays qui n'aurait été égaré que pendant un court espace de temps et celui où l'erreur avait jeté de profondes racines dans toutes les classes; qu'il fallait donner au peuple le temps et les moyens de s'en défaire par degrés. S'il n'eut pas le bonheur de faire prévaloir ces sages maximes, du moins eut-il l'avantage de préserver son diocèse des exécutions sanglantes qui répandaient la terreur dans plusieurs autres. Il conserva le même caractère dans tous les actes de sa légation, où il n'employa jamais que des mesures conciliantes. Les évêques et les prêtres, qui, quoique adhérant au schisme d'Henri VIII, ne s'étaient point prêtés aux changements introduits dans la religion, sous Edouard VI, furent maintenus dans leurs bénéfices et dans leurs fonctions : les autres n'y furent réintégrés qu'après avoir subi des épreuves sur leur capacité et sur leur conduite. On répara les défauts des ordinations faites selon le nouveau rituel. On obligea les prêtres mariés à se séparer de leurs femmes, et à s'abstenir des fonctions sacerdo

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tales, sans toutefois les destituer de leurs places; enfin le cardinal ratifia l'aliénation des biens du clergé en faveur de leurs possesseurs actuels, Paul IV, choqué de ce qu'il n'était pas venu lui rendre compte en personne de sa légation, et de ce qu'il s'était contenté de lui envoyer son secrétaire, lui reprocha durement d'avoir outre-passé ses pouvoirs sur ce dernier point, et il révoqua sa commission. On n'en sera pas étonné, quand on saura que c'était ce même cardinal Caraffe, qui s'était hautement prononcé contre lui dans le conclave où il avait été question de l'élever sur le siége pontifical. Le pape fut cependant contraint, sur les fortes representations de la reine, de lui rendre son titre et ses pouvoirs, lorsqu'il se détermina luimême à sanctionner l'aliénation des biens ecclésiastiques. Le cardinal Pole, débarrassé de cette tracasserie, se livra entièrement au rétablissement de la discipline ecclésiastique, soit dans les assemblées du clergé de sa métropole, soit dans un concile national qu'il tint à cet effet, et où il fit rédiger d'utiles réglements, tels que les circonstances pouvaient les comporter. Ce fut au milieu de ces travaux, qu'il éprouva de violents accès de fièvre quarte, qui le conduisirent au tombeau, le 18 novem bre 1558, le lendemain de la mort de la reine-mère. Il prévit les suites funestes de ce triste événement pour la religion; et il en exprima toute son affliction par les dernières paroles, qu'il prononça en embrassant son crucifix: Domine, salva nos, perimus! Salvator mundi, salva Ecclesiam tuam! Son corps fut porté à Canterbury, et enterré dans la chapelle de saint Thomas, qu'il avait fait bâtir, avec cette simple épitaphe:

et

Depositum cardinalis Poli. Pole possédait éminemment les talents d'un homme d'état et les vertus d'un grand évêque. Sa haute naissance et ses qualités personnelles, dit Colliers, lui auraient ouvert le chemin de la fortune et la carrière de l'ambition, si la délicatesse de sa conscience lui eût permis de se prêter aux changements qui eurent lieu sous Henri VIII, sous Édouard VI. Il eut des adversaires mais point d'ennemis. Il était d'un accès facile et gracicux, d'une conversation agréable et instructive, d'un caractère aimable et ouvert, qui lui attirait la confiance de ceux-mêmes dont il se croyait obligé de combattre les opinions. Le cruel supplice de sa mère, qu'il aimait tendrement, et celui de son jeune frère, sacrifiés au ressentiment de Henri VIII, l'affligèrent vivement: mais il ne laissa échapper aucun sentiment de vengeance contre le tyran qui les avait ordonnés. Ilobtint la grâce, ou, du moins, un adoucissement à la punition des émissaires que son persécuteur avait envoyés à Viterbe pour l'assassiner. Burnet attribue le supplice de Cranmer à l'impatience de Pole pour occuper le siége de Canterbury; mais Colliers, autre historien protestant, l'en justifie pleinement. Il prouve que le légat avait écrit deux lettres trèspressantes à cet hérésiarque, dans sa prison, pour l'engager à se rétracter de ses erreurs " et par conséquent à se soustraire au supplice; que Cranmer avait déjà été déclaré coupable de haute-trahison dans l'affaire de Jeanne Grey, avant l'arrivée du cardinal en Angleterre, ce qui le rendait incapable de conserver son siége, lequel avait été conféré à Pole, par une bulle du 11 décembre précédent. On sait d'ailleurs que les voies de ri

gueur répugnaient extrêmement à son caractère; et, comme nous l'avons deja dit, qu'il opina toujours dans le conseil-privé pour celles d'indulgence. Serait-il possible que sa modération naturelle se fût démentie dans cette seule circonstance, par un motif d'ambition, lui qui, sous les règnes précédents, avait sacrifié tous les projets de ce genre à sa délicatesse, comme l'observe Colliers? Du reste, Burnet lui rend la justice, qu'il fut illustre, non-seulement par son savoir, mais encore par sa modestie, son humilité, son excellent caractère; et il convient que si les autres évêques eussent agi selon ses maximes, et gardé la même modération, la réconciliation du royaume d'Angleterre avec le Saint-Siége aurait été consommée sans retour. Quoique très-modeste pour sa personne, Pole tenait un grand état de maison, et se montrait avec magnificence dans les occasions où il était obligé de paraître avec tout l'éclat de sa dignité. Généreux, libéral, hospitalier, il avait établi le plus grand ordre dans son domestique. Il trouvait, par une sage économie, les moyens d'exercer son immense charité envers les pauvres. Les bénéfices et les grâces qui dépendaient de sa légation, étaient donnés gratuitement; et il ne souffrait pas que les personnes attachées à son service reçussent aucun présent, sous quel que prétexte que ce fût. Comme écrivain, on s'aperçoit qu'il a voulu imiter le style de Cicéron; mais, à cet égard, il est inférieur à Bembo et à Sadolet, ses amis. Ses traités dogmatiques sont écrits avec méthode et netteté; les autres avec une certaine éloquence. Il a des pensées brillantes, mais quelquefois peu de justesse dans ses raisonnements; et

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il a le défaut de mêler souvent des allégories peu convenables à son sujet. On a de lui : I. Pro unitate Eccle. siæ ad Henricum VIII, in - fol., Rome, sans date, in-fol.; édit. trèsrare, parce que l'auteur la supprima lui-même avec le plus grand soin: Polus s'y élève fortement contre le schisme de ce roi. Unitatis Ecclesiæ defensio, in - fol.(1), inséré dans le tome 18 de la Bibl. maxima pontificia. II. Orazione della pace a Carlo Quinto, Rome, 1558, in - 4o., à la suite d'un discours sur la guerre (Voyez le Catal. des Aldes, p. 317.III. De Concilio, composé lors de sa légation au concile de Trente, Rome, 1562, in-4°.; Louvain, 1567, in-fol. IV. De summi Pontificis officio et potestate, Louvain 1569, in-8°. Il soutient, dans ces deux derniers traités, que les conciles généraux reçoivent leur autorité du pontife romain : c'était l'opinion du temps. V. Reformatio Anglia, Rome, in-4°., 1556, 1562; Louvain, 1569, in-8°. C'est un Recueil des statuts qu'il fit pendant sa legation cn Angleterre. VI. Tractatus de justificatione, Louvain, 1569, in-40. VII. Debaptismo Constantini imperatoris, Rome, 1562; Louvain, 1569. VIII. Divers Discours prononcés soit au parlement, soit devant l'empereur, ou adressés au pape Jules III. IX. Le Missel, le Bréviaire et le Rituel de Sarum, (ou Salisbury), revus et publiés par lui, 1554 et 1555. X. Un Recueil de plusieurs morceaux de Cicéron. XI. La Vie de Christophe Longueil, imprimée à la tête des œuvres de ce savant (Voyez Longueil, XXV, 7 ). La bibliothèque du collége Anglais

(1) Cet ouvrage est le même que le précédent; l'édition de Strasbourg, 1555, est augmentée d'une préface de Paul Vergerio.

de Douai conservait de nombreux manuscrits de Polus, consistant dans le Recueil des divers actes de sa légation en Angleterre, dans des Epistolæ variæ, et d'autres pièces plus ou moins imparfaites. La Vie de ce célébre cardinal a été écrite en italien, par Beccadelli: elle a été traduite en latin par Dudith. Ils avaient été l'un et l'autre secrétaires de Pole. On en connaît aussi une traduction française (V. MAUCROIX, XXVII, 494). Le cardinal Querini a donné une autre Vie de Polus, avec plusieurs de ses lettres, Brescia, 174457, 5 vol. in-4°. C'est dans le cinquième vol. que la Vie de Polus, par Beccadelli, a été imprimée, pour la première fois, en original (Voy. BECCADELLI, IV, 4). Toutes ces vies sont fort inférieures à celle qui a été composée par Thomas Phillips, en anglais, dont la seconde édition est de Londres, 1769, 2 vol. in-8°.

T-D. POLYBE. Un article consacré à cet historien grec dans le Dictionnaire de Suidas, commence par ces mots: «Polybe, fils de Lycus, naquit à Mégalopolis, ville d'Arcadie, au temps de Ptolémée surnommé Evergète.» Il y a là deux erreurs graves, qui ont passé en d'autres dictionnaires. Premièrement, le père de Polybe s'appelait, non Lycus, mais Lycortas; et c'est un personnage trop distingué dans l'histoire, pour qu'il soit permis de défigurer son nom, Lycortas fut, après Aratus et Philopomen, chef de la ligue achéenne; il est célébré, en cette qualité, par Polybe, Tite Live, Plutarque, Justin et Pausanias. D'un autre côté, Ptolémée Evergète Ier. est mort l'an 221 avant J.-C.; et s'il était vrai que Polybe fût né sous le règne de ce prince, il aurait eu plus de quarante

ans en 181, lorsque les Achéens lé députèrent, avec son père Lycortas, auprès de Ptolémée Epiphane. Cependant Polybe nous dit lui-même qu'il était alors d'un âge inférieur à celui qu'exigeaient les lois pour l'exercice des fonctions publiques. Or l'âge de trente ans suffisait, chez les Achéens, pour prendre part aux affaires de l'état : c'est encore Polybe qui nous l'apprend. Il y a plus on sait qu'en 147 et 146, il accompagnait Scipion à Carthage, revenait en Achaïe, parcourait les villes, et réglait leurs différends : il aurait été alors octogénaire, si l'hypothèse de Suidas était admissible. Enfin, il a écrit l'histoire de la guerre de Numance, qui se rapporte à l'année 134; et il faudrait, dans cette même hypothèse, lui donner plus de quatre-vingt-dix ans lorsqu'il composait ce livre; mais nous verrons bientôt qu'il n'en a pas vécu plus de quatre-vingt-deux. D'après ces motifs, Casaubon, dans sa chronolo

gie de Polybe, fait naître cet historien au commencement de la centquarante-quatrième olympiade, c'està-dire en 204 ou 203 avant notre ère, de telle sorte qu'il n'ait guère que vingt-quatre ans au moment de son ambassade auprès de Ptoléméc Épiphane. La date de sa naissance a été indiquée d'une manière plus précise par Vossius, qui la fixe à l'année 205, et qui suppose ce point démontré. «En effet, dit-il, Polybe a vécu quatre-vingt-deux ans, et il est mort dix-sept ans avant que Cicéron vînt au monde. «Il n'y a donc qu'à partir de l'an 106; et, en rétrogradant de dix-sept ans, puis de quatrevingt-deux, en tout quatre-vingtdix-neuf, on tombera sur l'année 205 avant J.-C. Tont semblerait décidé par ce calcul de Vossius : ce

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