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POLO (MARCO), en français MARC PAUL, Voyageur vénitien, est célèbre par la singularité de ses aventures, la vaste étendue des pays qu'il parcourut, et l'influence qu'eut la relation de ses voyages sur les progrès de la navigation et du commerce. Pour bien apprécier cette influence, il faut se rappeler que les anciens ne connaissaient rien du nord de l'Asie, et qu'ils ne soupçonnaient même pas l'existence des vastes contrées qui la terminent à l'est les notions qu'ils avaient transmises sur l'Orient aux peuples modernes de l'Europe, s'effacèrent même en quelque sorte, ou furent rendues inutiles dans leur application, par le déclin rapide de l'empire Romain en Occident, et par l'établissement de l'empire des Khalifes. Des villes anciennes avaient disparu, de nouvelles villes avaient été fondées et agrandies, de nouveaux états s'étaient formés, de nouvelles religions avaient triomphé, de nouvelles langues s'étaient répandues, de nouvelles dénominations avaient partout prévalu, pendant que les peuples de l'Europe, en proie à l'invasion des barbares, ou divisés par des guerres sanglantes, et plongés dans les ténèbres de l'ignorance, étaient devenus de plus en plus étrangers les uns aux autres, au reste du monde. Deux grands évé

XXXV.

ct

nements, les croisades et les conquêtes de Genghiz Khan, concoururent, au commencement du treizième siècle, à faire cesser cet isolement. Les croisades forcèrent les diverses na- . tions européennes à se réunir sous les mêmes tentes, à faire partie de la même confédération, et à se considérer en quelque sorte comme les membres d'une même famille: il leur fallut enfin apprendre à connaître ces contrées orientales qu'envahissaient leurs armées. Les hordes que commandait Genghiz-Khan inondèrent tout-à-coup l'Asie ct l'Europe. Elles envahirent en peu d'années, ou rendirent tributaires de leurs armes, la Chine, le Thibet, la presqu'île au-delà de l'inde, les deux empires tartares de Kaschgar› et de Kaptchak, la grande et la petite Boukharie,le Khorasan, le Kourdistan, l'Irak-Arabi, et une partie de l'Asie-Mineure. L'empire des Mongols s'étendait depuis les monts Altai jusqu'aux monts Himmalaya, depuis la mer du Japon jusqu'à la mer Noire, depuis l'embouchure de l'Amour jusqu'à celle de la Vistule, depuis l'île de Sumatra jusqu'à l'île Saghalien. Ce fut alors qu'on soupçonna, pour la première fois en Europe, la vaste étendue de ces plaines du nord de l'Asie, que l'antiquité désignait sous le nom vague de Scythie; ce fut aussi alors que les grandes et riches contrées qui terminaient à l'Orient cette partie du monde, sortirent en quelque sorte, pour les peuples de l'Occident, du sein de l'Océan où les systèmes des anciens géographes les avaient plongées. Alors la politique éclairée de la cour de Rome, et celle de plusieurs princes chrétiens cherchèrent dans ce subit accroisse-. ment de la puissance Mongole, objet d'une si universelle terreur, des 14

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1250 (1). Cette capitale de l'empire
d'Orient avait été prise sur les Grecs,
par les armes de la France et
par celles de Venise (Voyez DAN-
DOLO): des représentants de cette
république y exerçaient, avec l'em-
pereur Baudoin II, une portion du
pouvoir impérial. Nos deux négo-
ciants après s'être défaits avanta-
geusement de leur cargaison, em-
ployèrent les capitaux qui en pro-
venaient en bijoux précieux, et se
transportèrent, en 1256
bords du Volga, au nord de la
mer Caspienne, à Saraï (2) et à Bol-
ghar, lieux de la résidence de Bar-
kah, fils ou frère de Batou petit-
fils de Genghiz-Khan. Maffio et Ni-
colo n'avaient pas en vain compté sur
la générosité de ce khan des Tartares
de Kaptchak: il leur paya magnifi-
quement les précieuses denrées qu'ils
avaient apportées, et qu'ils n'avaient
pas craint de lui confier, à leur arri-
vée dans ses états. Après un an de
séjour sur le Volga, nos deux Véni-
tiens se préparaient à retourner dans
leur patrie, lorsque tout-à-coup la
guerre éclata entre Barkah, leur
protecteur, chef des Turks, ou des
natifs du Turkistan, et Houlagou, son
cousin, qui commandait aux Mon-
gols ou aux Tartares orientaux. L'ar-
mée de Barkah fut mise en déroute
le chemin direct de Constantinople, à
l'ouest de la mer Caspienne, fut in-

moyens d'étendre, jusqu'aux extrémi tés de l'Asie, la religion chrétienne, et de se procurer, par une puissante diversion, un secours efficace contre les Turks et les Arabes, qui étaient sur le point de ravir aux Croisés des conquêtes pour lesquelles on avait prodigué tant de sang et de trésors. C'est dans ce but que furent envoyés aux divers princes Mongols, flottant encore incertains entre leur ancienne idolâtrie et l'islamisme, de pieux missionnaires chargés de mettre les féroces conquérants d'Asie dans les intérêts de la chrétienté. Si la politique et la religion ne recueillirent que de faibles avantages de cette mesure, elle profita du moins au commerce et à la géographie; et l'on ne peut disconvenir que les relations d'Ascelin, de Carpini et de Rubruquis n'aient préparé les voies aux grandes découvertes dont la science est redevable aux lumières et au courage de la famille des Polo. Cette famille était au nombre des plus anciennes, des plus riches, et des plus nobles de Venise. Dans les républiques d'Italie, le commerce et non la guerre avait créé la noblesse; et à Venise comme à Gènes, ceux qui la composaient portaient dans les spéculations mercantiles, cette grandeur de vues, cette prévoyance, et cette habileté d'exécution, dont les souverains des grands états n'offraient, dans le reste de l'Europe, que de trop rares exemples. Andrea Polo de S.-Felix, noble vénitien, originaire de Dalmatie, eut trois fils nommés Marco, Maffio et Nicolo. Ce dernier était le père de notre voyageur, et avait, ainsi que son frère Maffio, auquel Guignes. C'est une erreur que nous devons réfuter,

il s'était associé, embrassé la profession du commerce. Tous deux, pour les affaires de leur négoce, se rendirent à Constantinople, cu

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(1) Quelques manuscrits portent 1252; mais l'année 1250, qui est dans le texte de Ramusio et dans le manuscrit de Berlin s'accorde mieux avec les époques des autres faits rappelés dans Marc Paul. Quant à la date 1269, qui se trouve dans quelques manuscrits, c'est une erreur de copiste.

(2) Un auteur moderne a dit que Sarai a été fonpar Barkah ou Bereki, en 1266, et il cite De

parce qu'elle tend à infirmer la chronologie du voyage de nos deux Vénitiens. De Guignes dit au contraire que Bereki a fondé Serai après qu'il eut embrassé le mahométisme, et que ce chef Tartare mourut en l'an 1266, 665 de l'hégire. Astracan a remplacé Serai.

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tercepté; et nos deux négociants se décidèrent à passer à l'est de cette mer, et à revenir en Europe par cette voie, qui paraissait leur offrir moins de dangers. Ce trajet les conduisit à Bokhara. Tandis qu'ils étaient dans cette grande ville, un noble Tartare, envoyé par Houlagou à son frère Koublaï, y arriva, et crut devoir s'y arrêter pour prendre quelque repos. Il fut surpris d'entendre nos deux Vénitiens parler sa langue il fut enchanté de leur politesse, de leurs vastes connaissances; et il leur proposa de l'accompagner à la cour de l'empereur des Tartares, où il se rendait. Ils y consentirent ; et se recommandant à Dieu, ils s'avancèrent au-delà des extrémités connues de l'Orient. Après avoir voyagé pendant douze mois, ils arrivèrent enfin à la résidence impériale. L'empereur leur fit l'accueil le plus gracieux; il leur adressa diverses questions sur les états de l'Occident, sur les princes chrétiens, et sur le pape. Satisfait de leur réponse, il résolut de les faire accompagner par un de ses officiers, et de les envoyer en ambassade à la cour de Rome, pour demander des prédica teurs de l'Évangile, voulant par-là encourager les princes chrétiens à attaquer le soudan d'Égypte, et les Sarrasins ses ennemis irréconciliables. Nos deux voyageurs se mi rent donc en route pour effectuer leur retour; et ils atteignirent enfin Giazza ou Ayas, dans la petite Armé nie là ils s'embarquèrent pour Saint-Jean-d'Acre, alors au pouvoir des Chrétiens, et ils arrivérent, dans ce port, au mois d'avril 1269 (3). A peine débarqués, ils

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(3) C'est probablement la confusion de cette date avec celle du départ qui a occasionné l'erreur de copistes dont nous avons parlé, note 1,

apprirent que le pape Clément IV était mort, au mois de novembre 1268. Le legat qui se trouvait à Saint-Jean-d'Acre, leur conseilla de n'accomplir leur mission qu'après l'élection d'un nouveau pape. Ils jugèrent ne pouvoir mieux employer le loisir que les circonstances leur ménageaient qu'en retournant dans leur famille: ils s'embarquèrent de nouveau, et arrivèrent à Venisc. Nicolo, à son départ, avait laissé sa femme enceinte : à son retour, il la trouva morte; mais elle lui avait donné un fils que, par respect pour la mémoire du frère aîné de son mari, elle avait nommé Marco. Ce fils est le célèbre voyageur, objet de cet article. Il était âgé de dix-neuf ans, lors du retour de son père à Venise (4). Les diverses factions qui s'agitaient dans le sacré collége, retardèrent tellement l'élection d'un pape, que nos ambassadeurs, après deux ans de séjour en Italie, craignirent de déplaire, par de plus longs délais, au puissant monarque qui les avait envoyés : ils sc mirent en route pour retourner vers lui; ils emmenèrent avec eux le jeune Marco, et arrivèrent une seconde fois à Saint-Jean-d'Acre. Ils obtinrent du legat, Tebaldo de Vicence, qui s'y trouvait encore, des lettres pour l'empereur Tartare, et ils s'embarquèrent pour Ayas: mais a peine avaient-ils mis à la voile, qu'on reçut la nouvelle que le choix du sacré college était tombé sur le légat luimême, qui prit le nom de Grégoire X. Lenouveau pape rappela aussitôt. ces ambassadeurs: il leur remit, en

(4) Ceci résulte nécessairement des dates déterminées plus haut, et se trouve dit expressément dans l'ouvrage de Marco cependant certains manuscrits disent quinze ans; d'autres dix-sept ans. M. Marsden conjecture, dans une note, que Marc Paul devait en avoir scize; mais cette opinion ne s'accorde avec aucune des autres dates, ni avec aucun guscrit.

qualité de souverain pontife, de nou velles lettres de créance, et il leur adjoignit deux moines de l'ordre des Frères prêcheurs, porteurs de ses présents, avec plein pouvoir d'ordonner des prêtres, et de sacrer des évêil donna ensuite sa bénédicques : tion à nos voyageurs vénitiens, et les congédia en leur recommandant de se hâter d'accomplir leur mission. Ils repartirent, vers la fin de l'année 1271, emmenant encore avec eux le jeune Marco. L'invasion du soudan d'Egypte dans le nord de la Syrie, qui eut lieu à cette époque, imprima une si grande terreur dans ces contrées, que les deux moines n'osèrent pas s'avancer dans l'intérieur, et s'arrêtèrent sur les côtes. La famille des Polo continua courageusement son voyage, et parvint å Balkh, dans le pays de Badaschkhan. Là, le jeune Marco-Polo cut une maladie grave, qui contribua probablement à prolonger le séjour de son père et de son oncle dans Balkh : ils y restèrent un an. Ce temps écoulé, nos voyageurs se remirent en route gravirent les monts Belour, atteignirent la ville de Kaschgar, employèrent trente jours à traverser le désert de Lop et de Kobi, pénétrèrent en Chine, et furent enfin admis en la présence du grand khan. Ils lui remirent les le tres et les présents du pape, et lui firent le récit de leur mission. L'empereur Mongol leur témoigna sa satisfaction et le plaisir qu'il éprouvait à les revoir; puis remarquant Marco qu'il ne connaissait pas encore,,il demanda quel était ce jeune homme. Lorsqu'on lui eut répondu que c'était le fils de Nicolo, il lui fit l'accueil le plus gracieux, déclara qu'il le prenait sous sa protection, et lui donna une place dans

sa maison. Notre jeune Vénitien s'acquitta de son emploi de manière à se faire estimer de toute la cour, et se distingua bientôt par ses talents et par son savoir. Il se plia facilement aux mœurs et aux habitudes du pays. Il apprit, en peu de temps, quatre langues différentes, en usage dans ces contrées, et par-là se rendit utile et cher à son maître. La confiance qu'il lui inspira augmentant de plus en plus, il fut chargé de différentes affaires importantes dans plusieurs provinces de l'empire. Quelques-unes de ces provinces étaient à de si grandes distances de la capitale, qu'il ne fallait pas moins de six mois pour y parvenir. Marco-Polo profita des missions et des emplois dont il fut chargé, pour examiner les contrées qu'il avait occasion de parcourir : il s'instruisit des mœurs et des coutumes des peuples qui les habitaient; il prenait des notes de tout ce qui était digne d'attention, et se mettait par-là en état de répondre avec exactitude au grand khan, qui aimait à l'interroger sur tout ce qui concernait son vaste empire. Un des membres du grand tribunal, ayant été nommé gouverneur de la ville de Yangtcheou fou, dans la province de Kiang - nan, et ne pouvant se rendre à sa destination, Marco-Polo fut choisi comme son député pour remplir ces hautes fonctions: l'usage ou la loi bornait à trois ans l'exercice de ce pouvoir. MarcoPolo le conserva pendant tout ce temps, et en usa à la satisfaction de tous. Le père et l'oncle de notre voyageur ne rendirent pas des services moins essentiels à l'empereur Tartare; et ce furent eux qui lui suggérèrent l'idée de certains projectiles et de catapultes, au moyen desquels il s'empara de la ville chinoise de

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Siang-yang-fou, qui résistait depuis trois ans à tous les efforts de ses armes. Il y avait dix-sept ans que les Polo étaient absents de leur patrie, lorsqu'ils souhaitèrent d'y retourner. Le grand âge de l'empereur Tartare augmentait encore le desir qu'ils avaient d'effectuer promptement ce projet. Ils craignaient, s'ils perdaient ce puissant protecteur, de ne pouvoir surmonter les difficultés qui s'opposeraient à leur retour sur le sol natal. Ils s'adressèrent donc à l'empereur, et le prièrent de vouloir bien consentir à leur départ; mais leur demande fut mal accueillie, et leur attira des reproches. « Si l'appât des richesses, leur dit Koublai, est le motif de votre voyage, je promets de vous satisfaire au-delà même de vos espérances; mais en même temps, je vous préviens que jamais je ne consentirai à vous laisser sortir de mes états. » La peine qu'une telle déclaration fit éprouver à nos voyageurs Vénitiens fut extrême. Mais bientôt une circonstance particulière les tira, d'une manière imprévue, de l'embarras où ils se trouvaient. Des ambassadeurs d'un prince mongol - tartare, nommé Arghoun, arrivèrent à la cour de Koublaï. Arghoun était le petit-fils d'Houlagou, qui régnait en Perse, et par conséquent le petitneveu de l'empereur. Il avait perdu sa principale femme, princesse du sang impérial, qui, à son lit de mort, l'avait supplié, par égard pour sa mémoire, de ne point former d'alliance avec aucune femme d'un rang inférieur au sien: c'est afin d'accomplir ce vou, qu'Arghoun avait envoyé des ambassadeurs à Koublaï, son souverain et le chef de sa famille, afin d'en obtenir une princesse de son sang. Koublai dé

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Mar

féra avec plaisir à cette demande. une jeune princesse de dix-sept ans, d'une beauté parfaite, fut choisie parmi les petites-filles de l'empereur, et confiée aux ambassadeurs, qui se mirent en chemin pour retourner en Perse mais l'état de trouble où se trouvaient plusieurs des contrées qu'il leur fallait traverser, les obligea de suspendre leur voyage, et de retourner dans la capitale de l'empire Tartare. Tandis qu'ils étaient dans cette position embarrassante, co-Polo revint des îles de l'Océan Indien, où on l'avait envoyé. Il rendit à son souverain un compte détaillé de sa mission, lui soumit des observations qu'il avait recueillies durant ce long voyage, et lui apprit qu'on naviguait dans les mers d'orient avec la plus grande facilité. Le contenu de sa relation parvint aux oreilles des ambassadeurs persans, qui résolurent de chercher à profiter de l'expérience de ce chrétien pour transporter par mer et dans le golfe Persique, le précieux dépôt dont ils s'étaient chargés. La famille des Polo et les ambassadeurs furent donc dèslors unis de but et d'intérêt; et ils joignirent leurs efforts afin d'obtenir de l'empereur la permission de quitter ses états, et de s'embarquer pour la Perse. Koublai eut de la peine à s'y résoudre : mais comme il ne voyait pas d'autre moyen d'envoyer la jeune princesse à son époux, il y consentit. Quatorze vaisseaux à quatre mâts, furent, à cet effet, équipés et approvisionnés pour deux ans. Quelquesuns de ces vaisseaux avaient jusqu'à deux cent cinquante hommes d'équipage. Lorsque l'époque du départ fut arrivée, l'empereur Tartare fit venir les Polo, et leur parla dans les termes de la plus grande bienveillance: il leur fit promettre qu'après

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