Page images
PDF
EPUB

nommé Gini ou Cini. Son père, quoique peu riche, l'envoya, de trèsbonne heure, aux écoles de Florence. Ange y étudia, sous Cristoforo Landino, les lettres latines; sous Andronic de Thessalonique, les lettres grecques Marsile Ficin l'initia dans la philosophic platonicienne; et Jean Argyropule, dans celle d'Aristote. Ses progrès furent si rapides, qu'il osa commencer, bien jeune encore, une traduction d'Homère en vers latins. Ses talents précoces n'étaient connus que de ses maîtres, lorsque ses Stanze sur un tournoi où Julien de Médicis avait brillé, en 1468, lui valurent, tout-à-coup, une réputation brillante. Dès-lors la faveur et l'amitié même des chefs de la république Florentine, lui furent acquises. Il ne fut reçu dans la maison des Médicis, qu'à cette époque: Boissard, Mencke et Bayle se trompent, lorsqu'ils supposent qu'il y avait été élevé aux dépens de Côme, le Père de la patrie: Politien, qui a souvent parlé des bienfaits dont le combla Laurent, n'a jamais dit un seul mot de ceux de Côme, qui était mort dès 1464; et ce silence doit suffire contre une hypothèse qui n'est soutenue d'aucune preuve positive. Ces Stanze qui eurent une si heureuse influence sur la destinée de Politien, ont obtenu et mérité de si grands éloges, elles occupent encore un rang si honorable parmi les chefs-d'œuvre de la poésie italienne, que Ginguené se refuse à croire qu'elles soient l'ouvrage d'un poète de quatorze ans, quoi qu'en aient dit tous les biographies, et quoiqu'en effet l'année 1468 soit bien celle des jeux où brillèrent les deux fils de Pierre de Médicis, Laurent et Julien. « Les épigrammes grecques et lati»nes, dit Ginguené, que cet enfant

» publia jusqu'à l'âge de dix-sept » ans, sont surprenantes, mais se >> conçoivent: un poème de près de >> douze cents vers en octaves ita» liennes, resté depuis ce temps » comme modèle et comme un mo»nument de la langue, ne se conçoit » pas. » Ginguené croit plus raisonnable de retarder jusqu'à l'année 1473, la composition des Stanze: Luca Pulci n'avait chanté que le tournoi de Laurent; Politien, à l'âge de dix-neuf ans, chanta celui de Julien, et en fut magnifiquement recompensé par Laurent, qui dirigeait alors les affaires de la république. Il paraît même qu'entré dans la maison des Médicis, Politien s'est peu occupé de son poème: il n'cut pas le courage de l'achever, quand il en eut vu tomber le héros sous les poignards des Pazzi, en 1478: en effet, l'ouvrage n'est pas terminé; il s'arrête à la quarante-sixième stance du second livre, quand Julien ne fait encore que se disposer au combat. Quelle que soit la date de cette composition, il est certain que le jeune poète devint bientôt l'instituteur des deux fils de Laurent, et qu'ils durent en partie à ses leçons l'éclat qu'ils ont jeté sur leur siècle. De ces deux illustres élèves, l'un, Piétro, remplaça son père dans l'administration de la république Florentine: l'autre, Giovanni, brilla sur la chaire de saint Pierre, sous le nom de Léon X. Les moments que Politien ne consacrait pas à leur éducation, il les donnait à ses propres études. Peu après la conjuration des Pazzi, il en écrivit l'Histoire en latin (Voyez Pazzi XXXIII, 238): c'était encore un hommage aux Médicis ; c'était aussi une relation fort instructive, que le public, comme Laurent, accueillit avec reconnaissance. A vingt-neuf

[ocr errors]

ans, Politien, appelé à remplir une chaire de littérature grecque et latine, y obtint d'éclatants succès. Il attirait à lui les auditeurs qui jusqu'alors s'étaient pressés autour de Demétrius Chalcondyle, savant grec, qui ne possédait pas au même degré que lui, l'art de plaire en instruisant. Duaren prétend que Politien ne se faisait applaudir, qu'en s'appropriant des morceaux d'anciens auteurs; qu'un jour, par exemple, il récitait, comme son propre ouvrage, des fragments de la vie d'Homère par Hérodote, fragments qui n'étaient encore ni traduits, ni imprimés, mais que reconnut Jean Lascaris qui se trouvait dans l'auditoire. Tiraboschi rejette cette anecdote, parce qu'elle n'a été publiée qu'après la mort du professeur qu'elle inculpe. Nous ajouterons qu'il y a fort peu d'apparence qu'il ait jamais essayé ou espéré d'intéresser ses auditeurs par le tissu de puérilités que présente cette Vie d'Homère, peut-être mal-à-propos attribuée à Hérodote. Du reste, ce n'est pas le seul plagiat qu'on ait reproché à Politien. Occupé à recueillir, à corriger, à traduire, à publier les manuscrits que rassemblait Laurent de Médicis, il était presque impossible qu'il ne puisât point des expressions et des idées mêmes dans ces sources antiques. Son goût l'entraînait à les reproduire; et l'envie qualifiait de larcins des emprunts fort légitimes. En même temps qu'il professait avec tant de soin et d'éclat, il continuait de se livrer à des travaux solitaires. Dès 1487, il avait achevé une traduction latine d'Hérodien, qu'on l'a fort injustement accusé d'avoir dérobée à Grégoire Tiphernas ou à Ognibene de Vicence. Politien l'avait entreprise par ordre d'Innocent VIII, à

[ocr errors]

la cour duquel il accompagnait l'un de ses disciples, Pierre de Médicis. Le pontife, satisfait de la version qu'il avait commandée, écrivit une lettre au traducteur, en lui envoyant deux cents écus d'or, afin qu'il pût, à l'aide de cette gratification, se consacrer plus facilement aux travaux littéraires. La situation de Politien était assez heureuse pour lui rendre indifférents de tels cadeaux: pourvu, par les soins des Médicis, d'abord d'un riche prieuré, puis d'un canonicat dans l'église métro, politaine de Florence; nourri, entretenu dans le palais de ses protecteurs, Politien, libre d'inquiétudes sur sa propre fortune, fouillait à loisir les trésors de l'antiquité. Un prince qui s'était fait homme de lettres, Pic de la Mirandole ( Voy. XXIX, 123125), partageait ses travaux et l'aidait dans ses recherches. Leur zèle, celui de Jean Lascaris et de quelques autres savants, le bon goût et la munificence de Laurent, créèrent, en fort peu d'années, cette bibliothèque Laurentienne, qui fut longtemps la plus riche de l'Europe. En disposant, en dépouillant tant de chefs-d'œuvre antiques, Politien fit ses Mélanges ou Miscellanea, recueil d'un genre encore nouveau, qui inspirait et propageait le goût de la littérature classique. Malgré le désordre d'un tel ouvrage, ou peut être même à cause de la variété et de l'incohérence des articles qui le remplissent, on le lut avec avidité; et bien que Politien eût plutôt rendu un service que composé un bon livre, sa réputation s'étendit dans l'Europe entière. Après avoir professé les belles-lettres, il enseigna la philosophie avec non moins de succès. Des contrées les plus lointaines, accouraient des élèves avides de l'entendre.

:

Parmi eux on distinguait Will. Grocyn et Thomas Linacer, deux Anglais, dont le premier devint professeur à l'université d'Oxford; le second, habile médecin et laborieux traducteur. Politien eut aussi pour disciples les fils de Jean Texeira, chancelier du royaume de Portugal, par l'entremise duquel il obtint, du roi Jean II, l'autorisation d'écrire, soit en latin, soit en grec, les expé ditions des Portugais dans les Indes. On travaillait dans Lisbonne à rassembler les matériaux de cet ouvrage, quand l'auteur qui devait les mettre en œuvre, mourut à l'âge de quarante ans, le 24 septembre 1494. S'il fallait en croire des bruits rapportés par Paul Jove, cette mort prématurée n'aurait pas une cause honorable Politien, dans le délire d'une passion infame, serait tombé sans voix, sans connaissance et sans vie. Une autre tradition, recueillie par Balzac et par divers auteurs, donne du moins à cette passion un objet plus naturel, et suppose que celui qu'elle consumait expira en la chantant, ou que, de désespoir, il se brisa la tête contre les murs de sa chambre. A l'exemple de Serassi et de Tiraboschi, nous aimons mieux nous en rapporter à Pierius Valerianus, qui, dans son livre De infelicitate Litteratorum, assure que la mort de Laurent de Médicis en 1492, l'affaiblissement de la puissance de cette maison, et les malheurs qui la menaçaient en 1494 quand Charles VIII entra en Italie, causèrent la maladie sous laquelle succomba Politien. Durant sa courte carrière, remplie par d'immenses travaux, il eut à soutenir plusieurs querelles littéraires; malheur auquel n'échappait alors aucun des beaux-esprits italiens. Dès le commencement du

quinzième siècle, la critique avait pris un caractère d'amertume et de violence dont elle ne s'est jamais radicalement guérie. Philelphe et Poggio avaient laissé, en ce genre, des exemples difficiles à surpasser: il est triste d'avouer que Politien n'est, pas resté fort au-dessous de ces modèles. Son ennemi le plus acharné fut George Merula d'Alexandrie, célèbre professeur à Milan (V. ce nom, XXVIII, 393). Une correspondance amicale avait existé entre eux avant la publication des Miscellanea. Merula, trouvant dans ce recueil des observations qu'il se proposait de mettre au jour lui-même, et la réfutation de quelques opinions qu'il avait déjà publiées, se fâcha, menaça, invectiva, et se mit à composer, contre son ancien ami, un libelle diffamatoire, qu'à la vérité il n'imprima point, mais qu'il lisait à tout venant. Politien, après quelques tentatives inutiles de réconciliation, se défendit par une satire, où Mérula, dit-on, sous le nom de Mabilius, est indignement outragé:

Hæres relictus à parente sordido
Ille impudicus, temulentus aleo,
Spurcus, lutosus, pædicosus, hispidus,
Pannosus, unetus, horridus, caprimulgus,
Edax, ineptus, insolens Mabilius......

Les vers qui suivent sont d'un tel cynisme, que nous n'oserions pas les transcrire. A la vérité, il n'est pas prouvé que Mérula soit désigné sous le nom de Mabilius: Bayle en doute, malgré l'assertion de plusieurs savants, et particulièrement du Feuillant Pierre de Saint-Romuald; mais que ce soit Mérula ou tout autre, Bartolomeo Scala, Calderino, Novato, Tarcagnota, Marulle, toujours est-il certain qu'Ange Politien a vomi contre quelqu'un ce torrent d'injures grossières. Mérula, dans les derniers jours de sa vie, au mois de

mars 1494, déclara qu'il mourait l'ami de Politien, et désavoua, dans son testament, ce qu'il avait écrit contre un si digne émule: repentir honorable et véritablement religieux, mais qu'on a bien moins imité que les honteux égarements qui le provoquaient. Politien était fort laid, à ce que dit Paul Jove: Facie nequaquam ingenud ac liberali, enormi præsertim naso subluscoque oculo. Ses ouvrages peuvent se diviser en trois parts, selon qu'ils sont écrits en italien, en grec ou en latin. Les premiers ne sont pas assez nombreux car l'opinion qui lui attribuait le Morgante maggiore, de Luca Pulci, est dénuée de toute raison; et nous n'avons guère ici à joindre aux Stanze qu'une Canzone transcrite par Crescimbeni, et l'Orfeo, petit poème dramatique, composé à la hâte avec une exquise élégance, et que Ginguené distingue comme « la première représentation étran» gère à ces pieuses absurdités qu'on » appelait des mystères. » Un livre d'épigrammes grecques, et quelques épîtres dans la même langue, ont suffi pour montrer que l'auteur l'avait profondément étudiée, et qu'il avait acquis le talent de l'écrire avec infiniment de goût et de pureté. Ses œuvres latines sont, en vers, des épigrammes, une élégie et quatre petits poèmes (Nutricia, Rusticus, Manto, Ambra); en prose, les Miscellanea, la version d'Hérodien, d'autres traductions d'ouvrages moins étendus, un éloge d'Homère, des discours, quelques dissertations philosophiques, l'histoire de la conjuration des Pazzi, et douze livres de lettres riches d'instruction classique, et propres aussi à fournir d'assez précieux détails à l'histoire littéraire de la seconde moitié du

[ocr errors]

quinzième siècle. Mais il faut compter encore, parmi les travaux les plus estimables de Politien, ses savantes recherches, et le soin qu'il a pris de collationner et de corriger un trèsgrand nombre de manuscrits antiques. Il n'a point borné ce studieux examen à des livres de littérature, d'histoire et de philosophie : les monuments de l'ancienne jurisprudence l'ont aussi occupé (V. Tiraboschi tome vi, part. II, liv. II, chap. iv, n. 41): il a préparé l'édition, publiée par Zuichem, de la Paraphrase grecque des Institutes de Justinien, par Théophile; et le manuscrit des Pandectes, conservé à Florence (V. TORELLI), a long-temps fixé son attention: il a laissé des Remarques sur ce Recueil célèbre. Quoiqu'il fût ecclésiastique, et obligé, en sa qualité de chanoine métropolitain, d'expliquer au peuple l'Écriture sainte, quoiqu'il eût étudié l'hébreu et le droit canon, il ne paraît pas qu'il ait beaucoup cultivé la théologie; et même, s'il fallait en croire Vi vès, il avait trop peu de goût pour la lecture des livres saints. Melanchthon dit qu'il regrettait comme perdus les moments qu'il avait jadis passés à reciter son bréviaire : mais ces calomnies ont été réfutées par des passages de ses lettres, où il parle de ses exercices religieux; et d'ailleurs Tiraboschi observe que le protestant Melanchthon pouvait avoir ses raisons pour prêter au savant Florentin des propos aussi peu chrétiens. Les ouvrages d'Ange Politien auraient été recueillis et imprimés à Florence dès 1482, à Brescia en 1486, et de nouveau à Florence, 1497, si l'on s'en rapportait à Maittaire; mais ses indications sont fautives: la première édition des OEuvresde Politien est celle d'Alde, Ve

en

nise, en 1498, in-fol., et suivie de celles de Paris, Badius, 1512 et 1519, dans le même format; de Lyon, chez les Gryphes, 1528, 1533, 1545, in-8°., 2 vol. La plus complète a paru à Bâle, en 1553; c'est la seule qui renferme l'Histoire de la conjuration des Pazzi, qui avait été publiée à part, en 1478, in-4°., probablement à Florence, et que J. Adimari a réimprimée à Naples, in4°., en 1769. On recherche l'édition originale des Miscellanea, Florence, in-fol., 1489, plus que celles de Brescia, 1496; de Venise, 1508; de Bâle, 1522, toutes aussi in-fol. Les Stanze ont été imprimées à Bologne avec l'Orfeo (1), en 1494, in4°.: il en existe une édition sans date, et sans nom de ville; on la croit de Florence, et de la fin du quinzième siècle. Entre les suivantes, qui sont au nombre de 25 à 30, nous n'indiquerons que celles de Florence, 1513, in-4°.; des Aldes, 1513, in-8°., à Venise; des Juntes, même format, 1518, à Florence; de Padoue, chez Comino, par les soins des frères Volpi, 1728, 1751, 1765, in-8°.; de Bergame, in-4°., 1747; de Venise, in-8°., 1761; de Parme, chez Bodoni, in-4°., 1792; de Florence, 1794; de Brescia, 1806, in-4°.; enfin, de Pise, 1806, in-fol., avec un grand luxe typographique. Les Stanze ont été insérées dans la Biblioteca poetica italiana, de M. Buttura, Paris, Didot, 1820, in-32.-Paul Jove a le premier composé une Notice de la vie et des travaux d'Ange Politien; et quoiqu'elle soit fort courte, on y a relevé plusieurs inexactitudes: mais

(1) La meilleure édition de l'Orfeo est celle de Venise, 1776, in-4°. L'éditeur (le P. Affò) en a fait disparaître les vers saphiques à la louange du cardinal Gonzaga, que les éditions antérieures mettaient dans la bouche d'Orphée, mais que l'on n'a pas trouves dans les anciens manuscrits.

ses

les hommages qu'y reçoivent le talent et la science de l'auteur des Stanze et des Miscellanea, n'ont pas été contestés. Érasme, après avoir déclaré qu'Ange est d'un esprit toutà-fait angélique, ajoute, sans jeu de mots, qu'il excellait dans tous les genres de composition rarum naturæ miraculum ad quodcumque scripti genus applicaret animum. Les deux Scaliger,J.-G. Vossius, Giraldi, Barth, Huet, Crescimbeni, Tiraboschi, la plupart des écrivains italiens, et parmi nous Ginguené, ont porté le même jugement. Varillas, dans anecdotes de Florence, ne donne, sur la vie d'Ange Politien, que des notions incomplètes ou fausses: on consultera, avec bien plus de fruit, l'article de Bayle; le livre de Fred. Ot. Mencke, intitulé, Historia vitæ inque litteras meritorum Angeli Politiani, Leipzig, 1736, in-4°., et surtout La Vita di Ang. Poliziano, rédigée par Serassi, publiée à la tête de l'édition des Stanze, 1747,à Bergame, et réimprimée dans quelques éditions suivantes du même ouvrage. — Quatre autres écrivains ont porté le nom de POLITIEN: I. Bartolomeo Poliziano, qui, né aussi à Monte-Pulciano, fut l'un des secrétaires du pape Martin V, et contemporain de Léonard Aretin, du Pogge, de Francesco Barbarò. Ils ont parlé de lui non-seulement comme d'un littérateur alors connu par des poésies, par d'autres productions, mais aussi par une excessive vanité : il se fit construire par le Donatello, un magnifique mausolée de marbre, dans l'église de Monte Pulciano, où il a été en effet enterré, vers 1475. II. Gio. Maria POLIZIANO, ou plutôt Poluziano (Voy. l'article suivant ). III. Giov. Angelo POLIZIANO, natif de Monte-Pulciano, et qui vint enseigner la logique à Poitiers, yers

« PreviousContinue »