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ces quatre docteurs sont appelés les quatre labyrinthes de la France. En ce temps, les théologiens étaient partagés en trois écoles: la première s'en tenait à l'enseignement et au langage de l'Écriture sainte, et des Pères de l'Église; la seconde appliquait à la théologie la dialectique d'Aristote; la troisième gardait une sorte de milieu, et n'admettait les argumentations et les formes péripatéticiennes qu'autant que les conclusions se rapprochaient des dogmes reçus dans l'Église universelle. Pierre de Poitiers appartenait à la deuxième de ces classes; et, à ce titre, il est sévèrement censuré par Gautier de Saint-Victor. On possède toutes les pièces de ce procès; car dom Mathoud a publié les cinq livres de Pierre de Poitiers, à la suite des OEuvres de Robert Pullus (Paris, 1655, in fol.): on y peut trouver, sans doute, beaucoup trop de subtilités scolastiques, mais on n'y rencontre aucune proposition condamnable comme expressément contraire à quelque dogme. Il est vrai que l'autorité de la Bible est rarement invoquée dans ce cours de théologie; et cela peut sembler d'autant plus étonnant, que le docteur poitevin a laissé plusieurs autres écrits destinés à expliquer les Livres sacrés, l'Exode, le Lévitique, les Nombres, les Psaumes, des par

le deuxième; Pierre Lombard et Pierre de Poitiers sont réfutés dans le troisième ; et le quatrième contient des invectives contre les philosophes, contre les dialecticiens, contre Aristote, contre les hérétiques, au nombre desquels est rangé saint Jean Damascène. En général, ce traité ne donne pas une très-haute idée de la science du prieur de Saint-Victor, ni de sa modération, ni de son équité; car, ainsi que fort injustement à l'infortuné Abelard, l'hérésie de Bérenger sur l'Eucharistie. On aurait aussi beaucoup de peine à retrouver dans les livres du Maître des Sentences, les erreurs qui lui sont ici attribuées; et ce qu'on voit le mieux dans l'ouvrage de Gautier,

l'a remarqué Noël Alexandre, il impute

ties du Nouveau-Testament. Tous ces commentaires sont restés manuscrits; mais on a imprimé un abrégé généalogique et chronologiqne de la Bible, qui pouvait leur servir de préface ou d'appendice. Ulric Zuingle le Jeune, et dom Pez, en publiant cet opuscule, l'attribuaient à Pierre de Poitiers, moine de Cluni; les manuscrits portent seulement, Petri Pictaviensis, sans ajouter cancellarii; ensorte que la question peut paraître indécise. Si elle valait la peine d'être discutée, nous croyons qu'on reconnaîtrait le chancelier de Paris pour le véritable auteur de cette chronologie. On lui fait honneur d'une invention qui devait faciliter alors l'enseignement élémentaire, et que l'abbé Lebeuf explique en ces termes : « Comme les livres coûtaient beau» coup à écrire, et que la gravure » n'était pas usitée... il y avait, sur » les murs des classes, des peaux » étendues, où étaient représentées, » en forme d'arbres, les histoires et » généalogies de l'ancien Testament, » etc.... Pierre de Poitiers, chance»lier de Notre Dame de Paris, est » loué dans un Nécrologe, pour avoir » inventé ces espèces d'estampes, à

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l'usage des pauvres étudiants, et » en avoir fourni les classes. » Il a souscrit, en sa qualité de chancelier, plusieurs actes: par exemple, une charte de l'évêque de Paris, Maurice de Sully, en 1 184. Celestin III, après 1191, le chargea de pacifier un différend entre les moines de Saint-Éloi et l'abbaye de Saint-Victor.En 1196, il délivra une copie authentique de la permission accordée par Philippe Anguste, à l'église de Paris, de bâtir une maison près du Petit-Pont. Depuis, Innocent III lui adressa une

c'est que les haines théologiques de ce temps-là étaient épître au sujet d'une contestation entre la comtesse de Blois, et le cha

alimentées par des controverses bien obscures et bien fastidieuses. D-N-U.

pitre de Chartres. Les frères SainteMarthe, dans le Gallia Christiana vetus, et, en les prenant pour guides, Casimir Oudin et Fabricius, ont supposé que Pierre de Poitiers avait, dans sa vieillesse, après l'an 1200, occupé le siége épiscopal d'Embrun, et qu'il y était mort en 1205: c'est une erreur qui provenait de l'inattention avec laquelle on avait lu un texte de la Chronique d'Albéric de TroisFontaines, où il est dit, au contraire, que Pierre de Poitiers mourut chancelier à Paris, en cette même année. Ce point a été si bien éclairci, en 1735, par les Bénédictins, dans le tome i du Gallia Christiana nova, qu'il est étonnant que Dominique Mansi ait laissé subsister la méprise de Fabricius, dans l'édition qu'il a donnée, en 1759, de la Bibliothèque latine du moyen âge. Du reste, Pierre de Poitiers n'était qu'un théologien scolastique, qui n'a eu de célébrité que parce qu'il a plu à Gautier de Saint-Victor, de l'associer à trois personnages plus renommés. D-N-. POITIERS (DIANE DE ). Voy. DIANE.

POIVRE ( PIERRE ), voyageur, né à Lyon, en 1719, d'une famille de négociants estimés, fut élevé dans un pensionnat tenu à la campagne par les missionnaires de Saint-Joseph. Il donna dès-lors de si grandes espérances, par son ardeur pour l'étude, que les missionnaires desirèrent se l'attacher: il y consentit avec empressement, fut adressé aux missions étrangères à Paris; et après y avoir achevé sa théologie, il consacra quatre années aux études préliminaires qu'exigeait sa destination future: la botanique, l'histoire naturelle, les procédés des arts et manufactures, le dessin, la peinture, etc.; car on sait que c'est en portant

XXXV.

les sciences et les arts de l'Europe dans les contrées où ils étaient envoyés, que les missionnaires obtenaient le moyen de s'y établir, et d'y propager les lumières de l'Évangile. Poivre partit, à vingt ans, pour la Chine et la Cochinchine, y apprit les langues de ces deux pays? et recueillit une foule d'observations précieuses de tout genre. Il revenait en France pour s'engager définitivement dans la carrière qu'il avait choisie, lorsque le vaisseau qui le lamenait fut attaqué par les Anglais, au détroit de Banca. Le jeune missionnaire porta ses secours aux lieux les plus exposés, eut le bras emporté, fut fait prisonnier, conduit à Batavia, renvoyé à Pondichéri, où il se trouva lors de la brillante expédition de Madras, et des funestes querelles de Dupleix et de La Bourdonnaie; de là il vint à l'île de France, en repartit avec La Bourdonnaie, fut repris par les Anglais, en face des côtes de France, conduit à Guernesey, et rendu, à sa patrie, peu de jours après, par la paix de 1745. Pendant le cours de sa captivité, durant ces traversées, dans les diverses relâches, quoique si jeune en

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blessé, malade, supportant les plus cruelles privations, exposé à tous les périls, il continua, avec une incroyable activité, à étudier à noter tout ce qui se liait aux connaissances géographiques, à l'histoire naturelle, à l'administration, au commerce des diverses colonies qu'il eut occasion de visiter une piété céleste animait son courage, comme le pur patriotisme excitait son zèle. A son retour, il en présenta le résultat à la compagnie des Indes, et aux commissaires du roi près de cette compagnie ; il leur indiqua deux projets d'une haute im

II

portance celui d'ouvrir un commerce direct de la France avec la Cochinchine, celui de transplanter dans les îles de France et de Bourbon les épiceries dont la culture était jusqu'alors concentrée dans les Mo luques. On fut frappé de la grandeur et de l'utilité de ces vues on voulut le charger de l'exécution: il résista; mais il lui fallut obéir, lorsqu'on exigea de lui ce dévoue ment dans l'intérêt du service du roi et de son pays. Il repart donc, arrive à la Cochinchine, y déploie le caractère d'un ministre du roi de France, caractère jusqu'alors inconnu dans cet empire, y est admis aux communications les plus familières avec le souverain, y lutte contre les intrigues de ses favoris, des mandarins, et obtient l'établissement d'un comptoir français à Faï-fo. Ayant ainsi complètement réussi dans le premier objet de sa mission, il entreprend de remplir le second; mais il est contrarié par des obstacles de tout genre il touche à la Chine, visite les Moluques, les Philippines, séjourne à Manille, y obtient des Espagnols la liberté du roi d'Iolo, qui devint pour lui un ami dévoué, et seconda depuis tous ses plans: il revient apporter à l'île de France quelques plants d'épicerie, sauvés avec peine, y déposer les renseignements qu'il avait recueillis, y cher cher les instructions de la compagnie des Indes. Mais cette compagnie était en proie à la discorde: elle avait oublié son voyageur. Poivre n'en continue pas moins ses explorations, au milieu de nouveaux dangers, retourne hiverner à Madagascar, et étudie cette île, si mal connue, et ses habitants si mal jugés. Repassant en Europe, il est fait, une troisième fois, prisonnier par les Anglais,

conduit en Irlande, mais reçu et traité avec les plus grands égards. A son arrivée en France, en 1757, il rendit compte de sa mission; mais la décadence de la compagnie des Indes en fit négliger les résultats. Poivre se retira à Lyon, y vécut à la campagne, s'occupa d'agriculture, d'é conomie politique. Nommé membre del'académie de cette ville, il coopéra très-activement à ses travaux: sans avoir rien publié, il avait déjà toute la considération d'un savant; il correspondait avec plusieurs hommes célèbres, avec le ministre Bertin. Gependant la compagnie des Indes n'existait plus; les colonies de l'île de France et de Bourbon étaient livrées au désordre, à l'abandon: Poivre fut arraché à sa retraite, au bout de neuf ans, appelé à Paris, par le duc de Praslin ; contraint, malgré sa répugnance, d'accepter les fonctions d'intendant de ces colonies: il se hâte d'aller faire ses adieux à sa ville natale, y épouse une compagne, digne par ses vertus et son courage de s'associer à ses destinées, et s'embarque en 1767, comblé des témoignages de la confiance et de l'estime personnelle du roi ; il avait reçu le cordon de Saint-Michel, et des lettres de noblesse. On lui avait donné des pouvoirs étendus; mais on lui avait malheureusement associé un chef militaire, qui devait contrarier toutes ses opérations. Il administra pendant six ans, les îles de France et de Bourbon: non-seulement il en repara tous les désastres, mais il en fut véritablement le créateur; non que La Bourdonnaie n'eût déjà entrepris ce grand ouvrage, mais trop d'obstacles avaient arrêté et bientôt anéanti les fruits de ses sages opérations. La mémoire des hommes qui ont rempli un rôle éminent dans la

carrière de l'administration publique ne mérite pas moins d'être consacrée que celle des hommes qui, dans les sciences, les lettres ou les arts, ont honoré l'humanité. Poivre fut un véritable modèle de l'admi

nistrateur : en lui les vertus privées étaient la source des vertus publiqnes; au plus parfait désintéresse ment, il joignait une équité scrupuleuse, une sollicitude active et empressée pour les intérêts de ses administrés, une fermeté calme, une persévérance à toute épreuve, une égalité d'ame et d'humeur inaltérable les travaux publics, les établissements de charité, d'agriculture, les finances, les expéditions maritimes, l'administration de la justice, tout fut organisé par ses soins, conduit, perfectionné par son zèle; l'introduction des précieuses cultures de l'Inde à l'île de France, ne fut pas un des moindres bienfaits dont cette colonie lui fut redevable. Aujourd'hui qu'elle est séparée de son ancienne métropole, les détails des opérations qu'il exécuta, des plans qu'il avait conçus, ont perdu pour nous une portion de leur intérêt : mais la France en recueille encore les fruits à l'île de Bourbon; elle les recueille à la Guiane, où les muscadiers, les girofliers, les autres semences introduites par Poivre, font espérer en ce moment un nouvel et propice avenir. L'humanité doit être reconnaissante des soins qu'il prit pour adoucir le sort des esclaves, des efforts qu'il fit pour arrêter le cours des odieuses entreprises qui accompagnaient la traite des noirs sur la côte d'Afrique. Poivre se trouva placé dans les circonstances les plus difficiles. L'approvisionne ment des colonies en subsistances fut gravement compromis par les événe

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ments de la guerre; il fut contrarié au-dedans, négligé par le ministère: il pourvut à tout par ses propres ressources; l'affection et l'estime qu'il avait obtenues, et dans l'Inde, et auprès des peuplades sauvages, lui procurèrent des secours que les moyens ordinaires n'auraient pu fournir. Le jardin du Roi s'est enrichi d'un grand nombre de plantes qu'il lui a fait parvenir, de concert avec ses deux amis, Commerson et de Ceré. Les expéditions de MM. de Tremigon, d'Etchevery, Provost, Cordé, faites d'après ses directions. les observations astronomiques et géographiques de son ami l'abbé Rochon, entreprises d'après son invitation, ont rendu de nombreux services aux sciences. Le célèbre jardin de Monplaisir, formé par Poivre, à l'île de France, réunissait toutes les richesses végétales de l'Afrique et de l'Inde. Poivre revint en France, en 1773: pendant deux ans, le ministère parut à peine informé de ses immenses travaux, et en oublia l'auteur. Mais Suffren lui paya du moins un juste tribut d'éloges plus tard, le roi connut, par l'organe de Turgot toute l'étendue des services du mo deste administrateur, et les récompensa par une pension de 12,000 liv., et par des témoignages de satisfaction bien plus précieux aux yeux de Poivre; il revenait cependant sans s'être enrichi. Il se retira dans une maison de campagne, appelé la Fréta, près de Lyon, sur les bords de la Saone. Il y vécut au milieu de sa famille et de ses amis, goûtant enfin un repos qu'il avait toujours desiré, chéri de tous ceux qui l'approchaient, et offrant, jusqu'au dernier moment d'une vie sans tache, l'exemple d'une philosophie

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religieuse, et le caractère d'un vé ritable ami des hommes. Il mourut le 6 janvier 1786. Poivre réunissait les connaissances les plus étendues et les plus variées: il a lu des Mémoires d'un grand intérêt, dans les séances de l'académie de Lyon; mais il n'a jamais voulu rien livrer à l'impression. Les Voyages d'un Philosophe, publiés sous son nom, sont un choix de fragments tirés de ses manuscrits, mais imprimés à son insu. Ils ont eu de nombreuses éditions; la dernière, publiée à Paris, en 1797, chez Dupont, est augmentée de plusieurs fragments, et précédée d'une notice snr la vie de Poivre, par Dupont de Nemours. Poivre a laissé en effet de nombreux manuscrits: nous avons eu l'occasion d'y jeter les yeux; nous y avons trouvé un vrai trésor de pensées utiles, de sentiments élevés, de faits et d'observations de tout genre, fruits de ses voyages ou de ses méditations, sur toutes les branches de connaissances qui intéressent l'économie sociale. Poivre avait surtout étudié avec le plus grand soin le système colonial de l'Angleterre, de la Hollande, de l'Espagne et du Portugal, en avait signalé les vices ou marqué les avantages; il avait entrevu dès-lors les révolutions que ce commerce devait subir un jour. Mais, ce qu'on reconnaît surtout le plus constamment dans ses écrits, c'est une ame noble, bienveillante et pure. L'académie de Lyon a mis au concours l'éloge de Poivre, en 1818; le prix a été décerné à un jeune avocat, M. Torremberg, qui n'a point encore fait imprimer son ouvrage. En 1819, les habitants de l'île Bourbon ont délibéré de lui élever un monument, gage de leur reconnaissance, et, pensant qu'un monument digne

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POIX (LOUIS DE), capucin de la maison de Saint-Honoré à Paris, naquit en 1714, dans le diocèse d'Amiens. Il avait un goût décidé pour l'interprétation des livres sacrés, et toutes les dispositions nécessaires pour y réussir. Il se livra, dès 1742, avec beaucoup d'ardeur, à l'étude des langues grecque, hébraïque, syriaque et chaldaïque; sans négliger les connaissances propres à l'exécution du plan qu'il avait conçu, d'une nouvelle polyglotte, plus parfaite que toutes celles qui existent. Quelquesuns de ses confrères entrèrent dans ses vues, et résolurent de partager ses travaux. En 1744, le célèbre abbé de Villefroy, un des plus savants hommes qu'ait produits la France dans les langues orientales et surtout dans l'arménien, se mit à la tête d'une si noble entreprise, et en devint le directeur. Le père de Poix et ses confrères le reconnurent pour leur maître et pour leur guide. Ainsi le couvent des capucins fut transformé en une espèce d'académie asiatique, spécialement consacrée au service de l'Église, aux progrès de la littérature, et même à la gloire de la patrie. Cet établissement éprouva beaucoup de contrariétés : les capucins furent accusés d'avoir été excités par des intérêts personnels; mais ils trouvèrent des protecteurs. L'abbé de Villefroy leur adressa seize lettres, qui durent les encourager, et qui leur servirent de règle. Déjà le monde savant jouissait des prémices de leurs

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