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sous l'abri de la conquête romaine, il les invitait à terminer leurs affaires et leurs procès par la juridiction de leurs propres magistrats, sans jamais recourir à la haute - justice du proconsul ou du préteur. Pour leur donner l'exemple, il remplit lui-même avec zèle, dans Chéronée, toutes les fonctions, toutes les charges publiques de ce petit gouvernement municipal que Rome laissait aux vaincus non-seulement il fut archonte, ce qui était la première dignité de la ville; mais il exerça long-temps avec exactitude, et avec joie, un office inférieur, une certaine inspection de travaux publics, qui lui donnait le soin, nous dit-il, de mesurer de la tuile, et d'inscrire sur un registre les quantités de pierres qu'on lui présentait. Tout cela se rapporte fort peu à la supposition complaisante d'un auteur ancien, qui a écrit que Plutarque fut honoré du consulat sous Trajan. Ce conte de Suidas est assez démenti par le silence de l'histoire, et par les usages des Romains. Une autre tradition plus récente, qui fait Plutarque précepteur de Trajan, ne semble pas mieux fondée, et ne s'appuie également sur aucune induction tirée de ses écrits. Mais un emploi que Plutarque paraît avoir rempli pendant longues années, c'est la dignité de prêtre d'Apollon. Il fut aussi attaché au sacerdoce du temple de Delphes. L'époque de la mort de Plutarque n'est pas exactement connue; mais probablement il vécut et philosopha jusqu'à la vieillesse, comme l'indiquent, et le caractère de quelques-uns de ses écrits, et plusieurs anecdotes qu'il y raconte. On aime à se le représenter plein de jours et d'expérience, au milieu de ses con citoyens attendris, racontant les traditions de l'ancienne Grèce, et les

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exploits des héros, avec ces paroles abondantes et cette gravité douce que nous admirons dans ses écrits. Les ouvrages de Plutarque, par leur étendue, autant que par la variété des objets qu'ils embrassent, présentent le plus vaste répertoire de faits, de souvenirs et d'idées, que nous ait transmis l'antiquité. Produits dans une époque de décadence littéraire, ils sont cependant remarquables par le style et l'éloquence. Sous ces différents rapports, ils demanderaient un examen plus étendu que nous ne pouvons l'essayer ici: mais cet examen a été fait, en partie, par de savants critiques; et il est suppléé par l'admiration et le goût constant des lecteurs. Ce n'est pas que tous les écrits de Plutarque nous paraissent avoir la même valeur, et pour ainsi dire renfermer la même substance. Quelques-uns de ses Traités de morale sont d'un intérêt médiocre d'une philosophie commune même ne sont pas exempts de déclamation. On y sent l'influence, ou de la première jeunesse, ou de cette profession de sophiste, qui devait perpétuer, jusque dans un âge plus avancé, les défauts de la jeunesse. Mais si l'on se reporte au temps où écrivait Plutarque, on concevra qu'il lui a fallu une force admirable de bon sens pour n'avoir pas cédé plus souvent au faux goût si universel dans son siècle, et pour s'être rendu surtout remarquable par le naturel et la vérité. Sans doute le fond des meilleurs trai tés de Plutarque est emprunté à tous les philosophes de la Grèce, dont il n'est, pour ainsi dire, que l'abréviateur. Mais la forme lui appartient; les doctrines qu'il expose ont reçu l'empreinte de son ame; et ses compilations mêmes ont un cachet d'originalité. La morale de ces traités,

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sans être haute et roide comme celle des Stoïciens, ni spéculative et enthousiaste comme celle de Platon, est généralement pure, courageuse et praticable. Sans cesse appuyée par les faits, presque toujours embellie des par images heureuses, de vives allégories, elle parle au cœur et à la raison. Quelques-unes même de ces petites Dissertations de Plutarque sont des chefs-d'œuvre, où l'on trouverait le germe de gros livres: le traité sur l'Education a fourni à l'éloquent Rousseau les vues les plus solides, et quelques-unes des plus belles inspirations de son Emile.

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tefois, c'est principalement comme historien, comme peintre des temps et des hommes, que Plutarque nous paraît avoir mérité toute sa gloire, et justifier la préférence que de grands esprits lui ont accordée sur presque tous les écrivains. Là cependant, nous trouvons encore, dans la conception générale de ses plans, quelque trace des habitudes de fausse éloquence empruntées aux écoles sophistiques de la Grèce et de Rome. Plutarque, intitule son grand ouvrage les Vies parallèles (Bio Пxpáno); et, dans ce cadre, l'histoire abrégée de chaque grand homme de la Grèce a, pour suite et pour pendant, la Vie d'un grand homme romain, laquelle est terminée par une comparaison, où les deux héros sont rapprochés trait pour trait, et peses dans la même balance. Cette méthode ne semble-t-elle pas rappeler d'abord les thèses un peu factices des écoles, et les jeux d'esprit de l'éloquence? L'histoire peut-elle en effet offrir toujours, à point nommé, ces rapports, ces symétries que le talent oratoire saisit quelquefois entre deux destinées, deux caractères célèbres? L'exactitude ne doit-elle pas souvent

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manquer à ces rapprochements essayés sur une longue série de grands hommes? Et l'écrivain ne sera-t-il pas conduit quelquefois à fausser les traits pour créer des ressemblances, età subtiliser pour expliquer les différences? Enfin, un peu de monotomie ne s'attache-t-il pas à cette méthode, qui établit, dans l'histoire de deux peuples, des correspondances si régulières, et emboîte les grands hommes de deux pays dans ces étroits compartiments? Peut-être, pour justifier ce système de composition adopté par Plutarque, faut-il se souvenir qu'il était Grec, et que, dans l'esclavage de son pays, il trouvait une sorte de consolation à balancer la gloire des vainqueurs, en opposant à chacun de leurs grands homme un héros qui fût né dans la Grèce. L'érudition fait à Plutarque historien beaucoup d'autres reproches on l'a souvent accusé, et même convaincu de graves inexactitudes, d'oublis, d'erreurs dans les faits, dans les noms, dans les da tes, de contradictions avec lui-même. On a découvert chez lui des fautes qui, dans les scrupules de notre exacte critique, compromettraient la renommée d'un historien, mais qui n'ôtent rien à son génie. Plutarque, qui a tant écrit sur Rome, savait, de son propre aveu, fort imparfaitement la langue latine. On conçoit d'ailleurs combien, dans l'antiquité, toute investigation historique était lente, difficile, incertaine. Aidée par l'imprimerie, la patience moderne, en rapprochant les textes, les monuments, a 'pu rectifier les erreurs des anciens eux-mêmes. Mais qu'importe que Plutarque ait écrit que Tullie, fille de Cicéron, n'avait eu que deux maris, et qu'il ait oublié Crassipes? qu'importe qu'il se soit trompé sur

un nom de peuple ou de ville, ou même qu'il ait manifestement mal compris le sens d'un passage de TiteLive? Ces petites curiosités de l'érudition laissent aux récits de l'historien tout leur charme et tout leur prix. On peut s'étonner davantage qu'il se contredise quelquefois luimême; et que, dans deux Vies, il raconte le même fait avec d'autres noms ou d'autres circonstances. Tout cela, sans doute, indique une composition plus oratoire que critique, plus attentive aux peintures et aux leçons de mœurs qu'à la précision des détails. C'est en général la manière des anciens. Au reste, malgré ces défauts, il n'en faut pas moins reconnaître que, même pour la connaissance des faits, les Vies de Plutarque sont un des monuments les plus instructifs et les plus précieux que l'érudition ait pu recueillir, dans l'état incomplet où nous est parvenue la littérature antique. Une foule de faits, et les noms mêmes de beaucoup d'écrivains, ne nous sont connus que par Plutarque. Indépendamment de l'Histoire des grands hommes de la Grèce, qu'il a écrite avec des notions plus certaines et plus étendues, dans les Vies mêmes des personnages romains, il a jeté un grand nombre d'anecdotes qui ne sont point ailleurs: il a rappelé des passages de Tite-Live, que le temps nous a ravis; et il cite une foule d'écrits latins qu'il avait lus, et dont il a seul révélé quelque chose à notre curiosité; par exemple, les Harangues de Tiberius Gracchus, les Lettres de Cornélie à ses deux fils, les Mémoires de Sylla, les Mémoires d'Auguste, etc. La critique savante qui a relevé les inexactitudes de Plutarque, a voulu quelquefois lui ôter aussi le mérite de ses éloquents récits. On a supposé

qu'il était plutôt un adroit compilateur qu'un grand peintre, et qu'il avait copié ses plus beaux passages dans d'autres historiens. Le reproche paraît peu vraisemblable. Dans les occasions où Plutarque pouvait suivre Thucydide, Diodore, Polybe ou traduire Tite-Live et Salluste, nous le voyons toujours donner aux faits l'empreinte qui lui est propre, et raconter à sa manière. Dans la Vie de Nicias même, il regrette l'obligation désavantageuse où il se trouve de lutter contre Thucydide et de recommencer les tableaux tracés par un si grand maître. Laissons donc à Plutarque la gloire d'une originalité si bien marquée par la forme même de ses récits, par le mélange d'élévation et de bonhomie qui en fait le caractère, et qui décèle l'influen. ce de ses études oratoires et la simplicité de ses mœurs privées. On a souvent célébré, défini, analysé, le charme prodigieux de Plutarque, dans ses Vies des hommes illustres : C'est le Montaigne des Grecs, a dit Thomas; mais il n'a point comme lui cette manière pittoresque et hardie de peindre ses idées, et cette imagination de style que peu de poètes même ont eue comme Montaigne. Cette restriction est-elle juste? Plutarque, dont la hardiesse disparaît quelquefois dans l'heureuse et naïve diffusion d'Amyot, n'a-t-il pas au contraire au plus haut degré l'expression pittoresque et l'imagination de style? Quels plus grands tableaux, quelles peintures plus animées que l'image de Coriolan au foyer d'Attilius, que les adieux de Brutus et de Porcie, que le triomphe de Paul-Émile, que la navigation de Cléopâtre sur le Cydnus, que le spectacle si vivement décrit de cette même Cléopâtre, penchée sur la fenêtre de la tour inacces

sible où elle s'est réfugiée, et s'efforçant de hisser et d'attirer vers elle, Antoine, vaincu et blessé, qu'elle attend pour mourir! Combien d'autres descriptions d'une admirable énergie! Et à côté de ces brillantes images, quelle naïveté de détails vrais, intimes, qui prennent l'homme sur le fait, et le peignent dans toute sa profondeur, en le montrant avec toutes ses petitesses! Peut-être ce dernier mérite, universellement reconnu dans Plutarque, a-t-il fait oublier en lui l'éclat du style et le génie pittoresque; mais c'est ce double caractère d'eloquence et de vérité qui l'a rendu si puissant sur toutes les imaginations vives. En faut-il un autre exemple que Shakspeare, dont le génie fier et libre n'a jamais été mieux inspiré que par Plutarque, et qui lui doit les scènes les plus sublimes et les plus naturelles de son Coriolan et de son Jules-César? Montaigne, Montesquieu, Rousseau sont encore trois grands génies, sur lesquels on retrouve l'empreinte de Plutarque, et qui ont été frappés et colorés par sa lumière. Cette immortelle vivacité du style de Plutarque, s'unissant à l'heureux choix des plus grands sujets qui puissent occuper l'imagination et la pensée, explique assez le prodigieux intérêt de ses ouvrages historiques. Il a peint l'homme; et il a dignement retracé les plus grands caractères et les plus belles actions de l'espèce humaine. L'attrait de cette lecture ne passera jamais elle répond à tous les âges, à toutes les situations de la vie; elle charme le jeune homme et le vieillard; elle plaît à l'enthousiasme et au bon sens. La première édition du texte grec de Plutarque est celle des Aldes, Venise, 1509, in-fol., pour les OEuvres

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morales; et celle des Juntes, Florence, 1517, in-fol., pour les Vies. Parmi les éditions postérieures, nous indiquerons seulement celles de H. Estienne, gr.-lat., Paris, 1572, 13 vol. in-8°.; de Maussac, ibid., 1634, 2 vol. in - fol.; de Reiske, Leipzig, 1774-82, 12 vol. in-8°.; de Bryan (pour les Vies), et de Wyttenbach (pour les OEuvres morales), 12 vol. in -4°. Pour le texte grec seul des Vies, celles de M. Goray, Paris, 1809-15, 6 vol. in-8°., et de M. Schæfer, Leipzig, 1812, 9 vol. in18. La version latine des Vies de Plutarque, par J. A. Campani, fut un des premiers produits de l'art typographique, dès son introduction à Rome, vers 1470. Pour les traductions en langues modernes, voyez les articles AMYOT, DACIER, POMPÉI et RICard. V-N.

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PLUVINEL (Antoine de), meux écuyer, né, vers le milieu du seizième siècle, au Crest, petite ville du Dauphiné, annonça, dès son enfance, une grande adresse à tous les exercices du manége, et se perfectionna dans l'art de monter à cheval, en fréquentant les plus célèbres académies de l'Italie, entre autres, celle de Pignatelli, à Naples, regardé comme le meilleur écuyer de son. temps. A son retour en France, il fut présenté au duc d'Anjou (depuis Henri III), qui le fit son premier écuyer, et l'emmena avec lui en Pclogue. Pluvinel fut l'un des trois gentilshommes qui favorisèrent l'éva sion de ce prince, lorsqu'il revint en France prendre possession du trône. Henri récompensa son dévoûment, en le comblant de faveurs. Après la mort de son maître. Pluvinel s'empressa de reconnaître l'autorité d'Henri IV. Il obtint alors la direction des grandes écuries, fut

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fait gentilhomme de la chambre, et, peu après, sous - gouverneur du dauphin. Ses talents ne se bornaient pas à l'équitation il avait de l'esprit et de la finesse. Il fut envoyé ambassadeur en Hollande, et chargé de différentes négociations, dont il s'acquitta avec succès. Pluvinel mourut à Paris, le 24 août 1620, âgé de soixante-cinq ans. C'est à lui qu'on est redevable de l'établissement en France des académies d'équitation. On a de lui, le Manege royal, où l'on peut remarquer le défaut et la perfection du cavalier en tous les exercices de cet art, fait et pratiqué en l'instruction du roi (Louis XIII), Parış, in-fol. Cet ouvrage, publié après la mort de l'auteur (par J. D. Peyrol), est orné d'un frontispice gravé, du portrait de Louis XIII et de celui de Pluvinel, et de soixante-trois grandes planches, gravées par le fameux Crispin de Pas (V. ce nom), et représentant, dans les différentes positions du cavalier, les jeunes seigneurs qui fréquentaient alors l'académie. Cette édition, très - recherchée à cause de la beauté des gravures, a été reproduite en 1624: mais René Menou de Charnizay ami de Pluvinel, fit reparaître cet ouvrage plus complet, conformément au manuscrit de l'auteur, en 1625, in-fol., sous ce titre : Instruc. tion du roi en l'exercice de monter à cheval, etc. Outre les planches de l'édition précédente, celle-ci contient le portrait de Roger de Bellegarde, grand écuyer, et celui de Menou. C'est cette édition qui a servi de base à toutes les réimpressions qui ont été faites de cet ouvrage, tant en français qu'en allemand. Les amateurs font beaucoup de cas de l'édition française et allemande,

Francfort, 1628, in - fol., orné de gravures par Matth. Merian, qui ne sont pas moins belles que celles de Crispin de Pas (Voy. le Manuel du libraire, par M. Brunet, au mot Pluvinel). W-s.

PLUYMER (JEAN), médiocre poète hollandais, né, à ce qu'il paraît, à Amsterdam, et mort, on ne sait en quelle année, dans la même ville, a laissé 2 volumes in-4o. de Poésies hollandaises, Amsterdam, 1691 et 1723, le dernier posthume. C'est d'abord une suite de pièces en l'honneur de Guillaume III, stadhouder des Provinces-unies et roi d'Angleterre, qui témoigna sa satisfaction au poète, par une médaille d'or, que celui-ci paraît avoir fièrement portée à sa boutonnière; puis des vers de circonstance, pour naissance, mariage, etc., selon l'usage commun, en Hollande; quelques Poésies érotiques, dans le nombre desquelles il s'en trouve qui ne manquent pas de facilité ni de grâce; ensuite quelques Prologues pour le théâtre d'Amsterdam, dont Pluymer eut pendant quelque temps la ferme ou l'entreprise; et enfin une tragédie en cinq actes, intitulée Pyrame et Thisbé. Wagenaar, dans son histoire d'Amsterdam tome I, page 251, dit que Pluymer est auteur de plusieurs autres pièces restées au théâtre; et il cite comme celles qui avaient le plus de vogue; la Couronnée après sa mort; l'Avare; l'École des Jaloux, et Crispin astronome. Ces pièces manquent dans les deux volumes de ses œu vres. Pluymer, ainsi que son ami Antonidès Van Der Goes, poète bien supérieur, était un antagoniste ardent de la secte des ultra-puristes, qui aspirait alors à un pouvoir dictatorial dans la littérature hollan

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