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ver que l'homme naît religieux et bienfaisant. C'est vers ce temps, qu'il fut nommé chanoine de Cambrai (1768): mais Paris était resté le centre de ses affections; et il se regardait ailleurs comme en exil. Le chapitre lui donna une preuve d'estime en le choisissant charpour gé des affaires du diocèse dans la capitale. En 1775, l'abbé Pluquet fut nommé, par le gouvernement, censeur pour la partie des belles-lettres: chaque faculté avait alors les siens ; et le nombre des censeurs royaux s'élevait, au commencement de la -révolution, à cent-soixante-dix-huit. La chaire de philosophie morale, instituée par Louis XVI an collégede France, fut conférée à l'abbé Pluquet, en 1776: deux ans après, il occupa la chaire de professeur d'histoire au même college. Sa profonde étude de la philosophie lui servit à éclairer les exemples du bien et du mal, que présente l'histoire, par les plus saines maximes de la morale et de la politique. Il donna sa démission de professeur en 1782, et reçut le titre de professeur honoraire, avec voix dédélibérative dans toutes les assemblées. Libre des soins de l'enseignement, il se livra à des travaux d'un autre genre, et publia, en 1784, sa traduction, du latin, des Livres classiques de la Chine, recueillis par le P. Noël, précédés d'Observations sur l'origine, la nature et les effets de la philosophie morale et politique de cet empire, Paris, Debure et Barrois, 1784-1786, 7 vol. in-8°. Les Observations du traducteur, qui composent le premier volume de cette collection, sont elles-mêmes un ouvrage curieux et intéressant sur l'art avec lequel les législateurs chinois ont appliqué les principes de la philosophie morale à la for

mation de la société civile, et ont donné au plus vaste empire une durée de près de trois mille ans: des Introductions et des Avant-propos, font bien connaître l'objet et le degré de mérite des livres de Confucius; de Tseu-ssé, petit-fils de ce législateur; de Memcius ou Meng - tseu, disciple de Tseu-ssé; de Tsem on Tseng-tseu, disciple de Confucius; et de Tchu-hi, qui vivait vers l'an 1105 de l'ère-chrétienne (V. TCHU-II). La publication des livres classiques de la Chine n'était pas encore terminée, lorsque le savant traducteur fit paraître son Essai philosophique et politique sur le luxe, Paris, 1786, 2 volumes in-12. Une question importante, devenue l'objet de tant de controverses, et qui est encore un problème à résoudre, celle des avantages ou des désavantages du luxe dans les sociétés policées, est traitée, dans cet ouvrage, avec une raison solide, et un esprit réfléchi; mais peut-être l'auteur a-t-il trop préféré, à l'élégance du style, la for ce du raisonnement et la solidité des preuves. En géneral, c'est l'éloquence et la chaleur qui manquent aux écrits de l'abbé Pluquet. Il se livrait, avec ardeur, à de nouveaux travaux ; et un tempérament robuste semblait encore lui promettre de longues années, lorsque, le 18 septembre 1790, revenant de sa promenade habituelle dans le jardin du Luxembourg, il fut frappé d'apoplexie, et mourut le même jour, sur les huit heures du soir. Il avait fait son testament huit ans auparavant (le 12 mai 1782); en voici les dispositions assez singulières: il léguait cinq cents livres à un de ses neveux, et six cents livres, avec sa lampe, à un des fils de Guillaume Debure. Il priait Mme. Barrois d'accepter

tous les vins de sa cave, son chiffonnier et sa table à jouer. Indépendamment des ouvrages de l'abbé Pluquet, cités dans cette Notice, il publia encore sous le voile de l'anonyme: I. Lettre à un ami, sur les arrets du conseil du 30 août 1777, concernant la librairie et imprimerie (Londres, 1777), in-8o, II. Seconde Lettre à un ami sur les affaires actuelles de la librairie (Londres, 1777), in-8°. III. Troisième Lettre à un ami sur les affaires de la librairie (1777), in-8°.; cette dernière a quarante-deux pages. Un arrêt du conseil, supprimant les priviléges accordés par les anciens réglements pour la réimpression des ouvrages, et laissant à tout imprimeur la liberté d'imprimer des livres que, jusqu'alors, les auteurs ou les imprimeurs à qui la propriété en avait été transmise, avaient seuls le droit d'imprimer et de vendre, parut à l'abbé Pluquet une violation du droit de propriété, violation décourageante pour les écrivains, ruineuse pour les libraires, et nuisible au commerce, qu'elle devait favoriser. Il réclama les réglements faits par le chancelier d'Aguesseau. Ses trois Lettres sont intéressantes et curieuses; ne pouvant les publier en France, il les fit imprimer à Londres, à ses frais. IV. Recueil de pièces trouvées dans le portefeuille d'un jeune homme de vingt- trois ans, Paris, Didot aîné, 1788, in8°. Ce sont les Opuscules du vicomte de Wall, précédé d'un Avertissement de M. de Virieu. L'abbé Pluquet ne fut que l'éditeur de ce Recueil. V. De la superstition et de l'enthou siasme, ouvrage posthume, publié par Dominique Ricard, Paris, Adrien Le Cière, 1804, in- 12. Le manuscrit de cet ouvrage était resté long

temps dans le portefeuille de l'auteur, sans qu'on sache quel motif lui en avait fait différer la publication: son frère et le savant traducteur de Plutarque le jugèrent digne d'être imprimé; le public en a porté le même jugement. L'éditeur, en ne changeant rien ni au fond ni à la forme, ne se permit que des corrections de style, et joignit à ce travail utile une excellente Notice sur l'auteur, qui était son ami. Parmi les manuscrits de l'abbé Pluquet, qui sont conservés dans sa famille, est un Traité sur l'origine de la mythologie: il y com bat vivement le système de Banier. La mort le surprit lorsqu'il était occupé de ce travail important, qui peutêtre eût jeté quelque jour sur ce que la littérature ancienne offre de plus obscur. Pluquet avait eu le dessein de publier un abrégé de ses Leçons sur l'Histoire, faites au collége de France; mais ce travail est resté dans un trop grand état d'imperfection.PLUQUET (Jean-Jacques-Adrien), frère de l'abbé, né en 1720, à Baïeux, où il exerça la médecine avec distinction, pendant soixante ans, a laissé, à sa mort (22 octobre 1807), quarante-deux volumes d'Observations, in-8°. Ces manuscrits sont entre les mains de M. Seigle, chirur gien à Magni, près de Baïeux.

V-VE.

PLUTARQUE, l'un des écrivains de l'antiquité le plus connus, le plus cités, et, pour ainsi dire, le plus papulaires, naquit en Béotie, dans la petite ville de Chéronée, qui a donné son nom à la bataille fameuse, où Philippe assura l'asservissement de la Grèce par la défaite des Athéniens. Il semble que la fortune devait ce dédommagement aux grands hommes de la Grèce, de faire naître le peintre de leurs vertus et l'immor

tel conservateur de leur gloire, au même lieu qui vit périr cette liberté qu'ils avaient défendue.Onignore l'année précise de la naissance de Plutarque: mais il nous apprend lui-même qu'il suivait, à Delphes, les leçons d'Ammonius, au temps du voyage de Néron dans la Grèce; ce qui se rapporte à l'an 66 de notre ère. Ainsi l'on peut conjecturer qu'il naquit dans les dernières années de l'empire de Claude, vers le milieu du premier siècle. Plutarque sortait d'une famille honorable, où le goût de l'étude et des lettres était héréditaire. Dans son enfance, il vit à-la-fois son père, son aïeul et son bisaïeul; et il fut élevé sous cette influence des vieilles mœurs, et dans cette douce société de famille, qui sans doute contribua pour quelque chose au caractère de droiture et de bonté quc l'on aime dans ses écrits. Il avait conservé souvenir de son bisaïeul Nicarchos, et des vives peintures que ce bon vieillard lui avait souvent faites des malheurs de sa patrie, lorsque le triumvir Antoine, dans sa lutte contre Octave, ayant amené la guerre sur les mers de la Grèce, épuisa de contributions tous les pays voisins, et força les ha bitants de Chéronée d'apporter sur leurs épaules, jusqu'au rivage, des blés pour sa flotte. Il rappelle avec complaisance son grand-père Lamprias, dont il admirait l'éloquence, la brillante imagination et la gaîté, le verre à la main, dans un petit cercle de vieux amis. Il rapporte même un mot que Lamprias aimait à dire et à prouver: « C'est que la vapeur » du vin opérait sur l'esprit, com» me le feu sur l'enceus, dont il » détache et fait évaporer la par» tie la plus subtile et la plus ex» quise. » Quant à son père, Plutarque le vante beaucoup pour la

ver

tu, la modestie, la connaissance des choses sacrées, l'étude de la philosophie et des poètes; et il cite avec respect plus d'un bon conseil qu'il avait reçu de lui dans sa jeunesse. Plutarque eut aussi deux frères, qu'il aima tendrement, Lamprias et Timon. Dans l'école d'Ammonius, qu'il suivit fort jeune, et où il se lia d'amitié avec un descendant de Thémistocle, il apprit les mathématiques et la philosophie. Sans doute il avait étudié, sous des maîtres habiles, toutes les parties des belles lettres. Ses ouvrages montrent assez que la lecture des poètes avait rempli sa mémoire. Il paraît que, fort jeune en

core,

il fut employé par ses concitoyens à quelques négociations avec des villes voisines. Le même motif le conduisit à Rome, où tous les Grecs doués de quelque industrie et de quelque talent, venaient régulièrement, depuis plus d'un siècle, chercher la réputation et la fortune, en s'attachant à quelques hommes puissants, ou en donnant des leçons publiques de philosophie et d'éloquence. Plutarque, on ne peut en douter, ne négligea pas ce dernier moyen d'acquérir de la célébrité. Il avoue lui-même que, pendant ses voyages en Italie, il ne put trouver le temps d'apprendre assez à fond la langue latine, à cause des affaires publiques dont il était chargé, et des conférences qu'il avait sur les matières philosophiques avec les hommes instruits, qui venaient le consulter et l'entendre. Il parlait, professait dans sa propre langue, suivant le privilége qu'avaient conservé les Grecs d'imposer leur idiome à leurs vainqueurs, et d'en faire la langue naturelle de la philosophie et des lettres. Ces leçons publiques, ces déclamations furent évidemment la pre

:

mière origine, la première occasion des nombreux traités moraux de Plutarque. Le philosophe de Chéronée exerça dans Rome cette profession de sophiste, dont le nom est devenu presque injurieux, et dont l'existence seule semble indiquer une décadence littéraire, mais qui fut plus d'une fois illustrée dans Rome par de grands talents et par la persécution. On sait que, sous les mauvais empereurs, dans l'esclavage public, la philosophie était le seul asile où se réfugiât la liberté bannie du forum et du sénat. La philosophie avait servi jadis à perdre la république; elle n'était alors qu'un vain scepticisme, dont abusaient les ambitieux et les corrupteurs. Par une vocation meilleure, elle devint plus tard une espèce de religion qu'embrassaient les ames fortes. Il fallait le secours d'une sagesse qui apprît à mourir on invoqua le stoïcisme. Plutarque, le plus constant et le plus dédaigneux ennemi des doctrines épi curiennes; Plutarque, l'admirateur de Platon et son disciple dans la croyance de l'immortalité de l'ame, de la justice divine et du bien moral, enseignait des vérités moins pures que le christianisme, mais qui convenaient au besoin le plus pressant des ames élevées. Il nous apprend lui-même quels illustres Romains assistaient à ses leçons. « Un jour, » dit-il, que je déclamais à Rome, » Arulénus Rusticus, celui que Do>> mitien fit mourir pour l'envie qu'il portait à sa gloire, était présent, » et m'écoutait. Au milieu de la le» çon, il entra un soldat, qui lui >> remit une lettre de l'empereur. >> Il se fit un silence; et moi-même » je m'arrêtai, pour lui donner le » temps de la lire mais il ne le >> voulut pas, et n'ouvrit point la

>>

» lettre, avant que j'eusse achevé >> mon discours, et que l'auditoire »se fût séparé. » Get Arulénus est celui que Tacite a tant loué, celui que Pline-le-Jeune nomme souvent avec une religieuse admiration, l'ami de Thraséas et d'Helvidius, et digne de mourir comme ces deux grands hommes. On ne sait si Plutarque prolongea son séjour en Italie, jusqu'à l'époque où Domitien ban. nit, par un décret, tous les philosophes. Les savants ont pensé qu'il alla plusieurs fois à Rome, mais qu'aucun de ces voyages n'eut lieu depuis le règne de cet empereur. Ce qui paraît assuré, c'est que Plutarque revint, jeune encore, se fixer dans sa patrie, et qu'il y resta dès-lors, sans interruption, par une sorte de patriotisme, et pour faire jouir ses concitoyens de l'estime et de la faveur qui pouvaient s'attacher à son nom. Il s'était marié, et avait choisi sa femme dans une des plus anciennes familles de Chéronée: elle s'appelait Timoxène. Il parle de sa famille avec cette effusion de tendresse qu'une ame douce et pure ajoute encore à la force du sentiment paternel. Deux de ses enfants et sa fille moururent presqu'au berceau. Plutarque en a éternisé le souvenir, dans une lettre de consolation qu'il écrivit à sa femme, et où respire cette vérité et cette simplicité de douleur, qui sied si bien aux esprits les plus élevés. Il trace un portrait des vertus d'une épouse et d'une mère, en y mêlant cette teinte de mœurs antiques et ces allusions poétiques qui donnent un si grand attrait à la lecture de ses écrits. Plutarque, qui a composé un Traité sur l'amour conjugal, et qui seul des anciens nous a transmis l'admirable histoire d'Eponine et de Sabinus, paraît avoir connu,

dans

toute sa pureté, le bonheur de cet amour, dont il a célébré les devoirs et l'héroïsme. On trouve, à ce sujet, dans ses ouvrages, une anecdote charmante, et qui semble bien plus digne de l'ancien âge d'or de la Grèce que du siècle de fer de Domitien. Plutarque, peu de temps après son mariage, eut quelques démêlés avec les parents de sa femme, gens difficiles ou intéressés peut-être, ce que nous nous gardons bien de juger. La jeune femme, inquiète de ces petits débats, et craignant la plus légère atteinte à la douce union où elle vivait avec son mari, le pressa de venir sur le mont Hélicon, faire un sacrifice à l'Amour, qui, dans la gracieuse théologie de l'antiquité, n'était pas seulement, comme on le croit d'ordinaire, le dieu des amants et le gardien des serments passagers, mais qui étendait encore son pouvoir à tous les liens de famille, à tous les sentiments affectueux, et était même chargé de maintenir dans le monde physique la concorde et l'harmonie. Plutarque consentit à ce pieux voyage, et accompagna sa femme, avec quelquesuns de ses amis. Ils sacrifièrent sur l'autel du dieu, et revinrent avec cette douce paix du cœur que le voyage seul était bien fait pour inspirer. Montaigne regrette que nous n'ayons pas des Mémoires de la vie de Plutarque: il remarque d'ailleurs avec raison les écrits de ce ? que grand homme, à les bien savourer, le découvrent assez, et le font connaitre jusque dans l'ame. Ce sont en effet là les plus sûrs mémoires. On y voit un grand fonds, non pas seulement de vertu, mais de bonté morale; et, sous ce rapport, ils semblent démentir une anecdote rappor tée par Aulu-Gelle, et qu'il tenait du philosophe Taurus. Un jour que Plu

tarque faisait battre de verges un esclave coupable de quelques fautes l'esclave, au milieu de ses gémissements, s'avisa de reprocher à son maître que cette violence prouvait en lui peu de philosophie, et de lui objecter un beau Traité sur la douceur, qu'il avait composé, et dont il se souvenait si peu : « Comment, malheureux, lui dit Plutarque d'un >> ton calme, me crois-tu en colère, » parce que je te fais punir? mon vi»sage est-il enflamme? m'échappe-t>> il aucun mot dont je doive rougir? » ce sont-là les signes de cette co>> lère que j'ai interdite au sage. » En même temps le philosophe se tournant vers l'exécuteur du châtiment, lui dit, suivant le récit d'Aulu-Gelle: « Mon ami, pendant que cet homme >> et moi nous discutons, continue » toujours ton office.» Il y auraitdans Ilya ce bon mot plus d'esprit que d'huma nité. Plutarque semble nous apprendre lui-même, qu'il n'avait ni tant de patience, ni tant de rigueur. «Je m'é» tais, dit-il, emporté plusieurs fois >> contre mes esclaves; mais, à la fin,

>>

je me suis aperçu qu'il valait mieux » les rendre pires par mon indulgen» ce, que de me gâter moi-même » par la colère, en voulant les cor»riger.» Nous préférons croire à cet aveu; et, il s'accorde davantage avec le caractère universel de bienveillance, avec cette espèce de tendresse d'ame, que Plutarque montre dans ses écrits, et qu'il étend jusqu'aux animaux. Celui qui disait de lui-même, qu'il n'aurait voulu pour rien au monde vendre un bœuf vieilli à son service, pouvait-il plaisanter sur le supplice d'un esclave ? Plutarque, pendant le long séjour qu'il fit dans sa patrie, fut sans cesse occupé d'elle. Jaloux avec passion de l'ombre de liberté qui restait à ses concitoyens

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