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» Vous voyez que dans cette lettre on calomnie l'Assemblée nationale; qu'on cherche à diriger contre elle les poignards en la faisant envisager comme complice, dans la personne d'un grand nombre de ses membres, des excès de la cour! Remar quez ce rapprochement; elle est datée du 3 septembre, et c'est dans la nuit du 2 au 3 qu'un homme contre lequel je n'avais jamais proféré que des paroles d'estime, que Robespierre, dans cette nuit terrible, disait au peuple qu'il existait un grand complot qu'il dénonçait au peuple seul, parce que seul il pouvait le faire avorter... Ce complot selon lui était tramé Ducos, Vergniaud, Brissot, Guadet, Condorcet, Lasource, etc., et consistait à faire livrer la France au duc de Brunswick... "

Robespierre. « Cela est faux! >>

par

Vergniaud. « Comme je parie sans amertume, je me féliciterai d'une dénégation qui me prouvera que Robespierre aussi a pu être calomnié. Mais il est certain que dans cet écrit on appelle les poignards sur l'Assemblée; qu'on y représente la commune de Paris comme une autorité concentrique autour de laquelle tous les départemens doivent se rallier; qu'on y parle de l'Assemblée nationale comme d'une assemblée qui proscrit et persécute le patriotisme! Que dirai-je de l'invitation formelle qu'on y fait au meurtre, à l'assassinat des prisonniers! Que le peuple, lassé d'une longue suite de trahisons, se soit enfin levé, qu'il ait tiré de ses ennemis connus une vengeance éclatante, je ne vois là qu'une résistance à l'oppression, qu'une insurrection légitime, et s'il se livre à quelques excès qui outrepassent les bornes de la justice je n'y vois que le crime de ceux qui les ont provoqués par leurs trahisons : le bon citoyen jette un voile sur ces désordres partiels; il ne parle que des actes de courage du peuple, que de l'ardeur des citoyens, que de la gloire dont se couvre un peuple qui sait briser ses chaînes, et il cherche à faire disparaître autant qu'il est en lui les taches qui pourraient ternir l'histoire d'une si mémorable révolution! Mais que des hommes revêtus d'un pouvoir public, qui, par la nature même des fonctions qu'ils ont acceptées, se sont chargés de parler au peuple le langage de la loi, et de le contenir dans les bornes de la justice par tout l'ascendant de la raison; que ces hommes

que

prêchent le meurtre, qu'ils en fassent l'apologie, il me semble c'est là un degré de perversité qui ne saurait se concevoir que dans un temps où toute morale serait bannie de la terre! Je ne les accuse donc pas d'être les auteurs de cet infame écrit ; je pense qu'ils s'empresseront de désavouer leur signature : mais s'il est d'eux il doit être puni avec d'autant plus de sévérité que les écarts auxquels il provoque le peuple sont plus dangereux...(Quelques applaudissemens.) J'atteste que cet écrit aexcité des troubles dans plusieurs départemens; à Bordeaux les émissaires qui l'ont colporté auraient été eux-mêmes victimes de leurs projets sanguinaires sans le respect du peuple pour la loi. »

Soit que la pièce rapportée par Vergniaud fût déjà trop connue, soit que le commentaire dont il la fit suivre parût faible après l'apostrophe qu'il avait en commençant dirigée contre Marat, soit qu'enfin la conduite de la commune fût tolérée dans l'esprit de beaucoup de membres, toujours estil que Vergniaud produisit peu d'effet sur l'Assemblée : mais Boileau, par une autre citation, acheva de ranimer la commune indignation.

Boileau. « Les départemens veulent la paix; c'est pour l'obtenir qu'ils ont fait tant de sacrifices à la liberté; c'est dans la Convention nationale qu'ils ont mis toutes leurs espérances; ils attendent d'elle le rétablissement de l'ordre et des lois : hé bien, Marat, qui vous a dit qu'il désirait donner lui-même des de son amour l'ordre et les lois, pour preuves Marat provoque encore le peuple à une nouvelle insurrection! Voici ce que ce tigre a écrit avec ses griffes de sang dans une feuille qui paraît aujourd'hui:

« Une seule réflexion m'accable, c'est que tous mes efforts » pour sauver le peuple n'aboutiront à rien sans une nouvelle » insurrection! (Mouvement d'horreur.) A voir la trempe de » la plupart des députés à la Convention nationale je désespère » du salut public! » (Bruit, agitation. Boileau, interrompant sa lecture, se tourne vers Marat: Rougis, Marat, si tu le peux, et sache, pour mon propre compte, qu'il y a plus de vertu dans ce cœur que de folie dans ta tête! On applau

dit. Boileau réprend sa lecture :) « Si dans les huit pre» mières séances les bases de la Constitution ne sont pas posées..... » (Boileau: Le traître! il sait que c'est impossible!) n'atten» dez plus rien de cette Assemblée; vous êtes anéantis pour toujours! Cinquante ans d'anarchie... (Boileau: Que tu veux exciter!) Cinquante ans d'anarchie vous attendent, et vous » n'en sortirez que par un dictateur vrai patriote et homme » d'état. »> (L'Assemblée s'abandonne au plus vif ressen» timent; de tous côtés on crie: Marat à l'Abbaye, à la guillo» tine! Boileau réclame un moment de silence : Attendez, citoyens, voici la sanguinaire finale : ) « O peuple babillard, si » tu savais agir!..... » ( Un grand nombre de membres se soulèvent contre Marat; les uns le menacent, d'autrés lui jettent des regards de mépris : Marat sourit. Boileau dit en finissant:) Je demande que ce monstre soit décrété d'accusation. » ( Mouvement d'approbation; on crie: Aux voix le décret d'accusation!)

Après une vive opposition et quelques instans de tumulte Marat obtient la párole; il conserve le plus grand sangfroid: quelques membres voulaient qu'il ne fût plus entendu qu'à la barre; Henri-Larivière demandait que cet homme fût interpelé purement et simplement d'avouer ou de désavouér l'écrit cité par Boileau.

que

Marat. « Je supplie l'Assemblée de ne point se livrer à des excès de fureur contre moi... (Plusieurs voix : Elle n'est trop juste!) Je n'ai pas besoin d'interpellation; je vais répondré aux nouvelles inculpations de més adversaires.

"

On n'a pas rougi de m'opposer comme des titres de proscription des décrets d'accusation provoqués contre moi par les membres de l'Assemblée constituante et de l'Assemblée légis lative prostitués à la cour! Ce sont autant de titres de gloire dont je m'enorgueillis; ces décrets qui m'ont frappé je m'en étais rendu digne pour avoir démasqué les traîtrés, déjoué les conspirateurs j'observe au surplus, pour ceux qui ne sauraient pas les apprécier, que le peuple les a annulés en m'appelant ici pour défendre ses droits, et qu'il a jugé par là ma cause et la

sienne.

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Quant à l'écrit qu'on vient de dénoncer, et qu'on m'interpelle de désavouer, je suis loin de le désavouer, car jamais le mensonge n'a approché de mes lèvres, et la crainte est étrangère à mon cœur. Me demander une rétractation de cet écrit et des principes qui sont à moi c'est me demander que je ne voie pas ce que je vois, que je ne sente pas ce que je sens, et il n'est aucune puissance sous le soleil qui soit capable de ce renversement d'idées : je puis répondre de la pureté de mon cœur, mais je ne puis changer mes pensées; elles sont ce que la nature des choses me suggère.

» Mais je dois vous dire que cet écrit n'est point d'aujourd'hui, comme on l'a avancé; il y a plus de dix jours qu'il a été publié, et s'il a reparu cela ne vient que de la cupidité de mon imprimeur, qui a mis en petit format ce qui avait été affiché. Je l'ai composé dans le temps où la Convention nationale n'était point encore formée, mais où j'étais indigné de voir réélire des représentans infidèles que j'avais dénoncés, et notamment cette faction de la Gironde qui me poursuit aujourd'hui. Mais la preuve incontestable que je veux marcher avec vous, la véritable opinion que je me suis formée des premiers travaux de la Convention nationale, vous la trouverez dans le premier numéro d'un journal intitulé le Journal de la République, qui a paru aujourd'hui; il vous expliquera mes véritables sentimens mieux le perfide commentaire dont on a accompagné celui qu'on vous a cité. »

que

Un secrétaire fait lecture du morceau indiqué par Marat; il est intitulé: Nouvelle marche de l'auteur. Les principes qu'il renferme paraissent en effet susceptibles d'obtenir l'approbation des patriotes dévoués, mais paisibles. Cette lecture ramène successivement l'Assemblée à des sentimens de bienveillance et de générosité; Marat est en quelque sorte pardonné; agréablement surpris, plusieurs membres lui donnent même des témoignages d'intérêt. Il profite de cette circonstance pour reprendre la parole, et braver ses collègues.

Marat. « Je me flatte qu'après la lecture de cet écrit il ne vous reste pas le moindre doute sur la pureté de mes intentions. Permettez-moi maintenant de vous rappeler à vous-mêmes, et

de fixer votre attention sur les dangers de la prévention ou de l'emportement. Quoi donc, si par la négligence de mon imprimeur mon journal, ma justification n'eût point paru aujourd'hui, vous alliez me livrer au glaive de la tyrannie! Mais non, il n'eût pas été en votre pouvoir de consommer cette iniquité; j'avais avec moi de quoi rester libre, et, si vous aviez lancé contre moi le décret d'accusation, cette arme m'aurait soustrait à la rage de mes persécuteurs! (Il tire un pistolet de sa poche, et se l'applique sur le front.) Oui, je me brûlais la cervelle à cette tribune même! Voilà donc le fruit de trois années de cachots et de tourmens essuyés pour sauver ma patrie! Voilà le fruit de mes veilles, de mes travaux, de ma misère, de mes souffrances, des dangers que j'ai courus! Hé bien, je resterai parmi vous pour braver vos fureurs! » (Nouveaux cris, nouvelle indignation contre Marat; il est traité de fou, de scélérat; tumulte ; enfin l'Assemblée fait trève à ces discussions sur les personnes, et passe à l'ordre du jour.)

L'ordre du jour était la motion de Danton, tendant à déclarer l'unité de la République française. Cette question en entraîna une foule d'autres : on proposa de déclarer qu'il y aurait égalité entre toutes les sections ou toutes les parties de la République; que la République ne serait pas fédérative; que l'unité n'était pas dans le territoire, mais dans les personnes; que le gouvernement serait représentatif, etc. Personne n'était prêt à traiter ces questions constitutionnelles; plusieurs membres firent observer combien il y aurait de danger à décréter sans examen des points aussi importans, et demandèrent le renvoi à un comité; mais la majorité, qui soupçonnait dans l'autre partie de l'Assemblée un projet formé de fédéraliser la République, voulut consacrer sur le champ le principe posé par Danton, et appuyé par Robespierre, Couthon, Barrère, etc.; et la Convention décréta, dans la même séance du 25:

« La République française est une et indivisible. »

Elle ordonna le renvoi des autres propositions au comité chargé de lui présenter l'ensemble des principes fondamentaux

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