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» Il vous a dit une grande vérité celui qui vous disait hier que l'on marchait à la dissolution de l'Assemblée nationale par la calomnie! Vous en faut-il d'autre preuve que cette discussion? Quel autre objet semble-t-elle avoir maintenant que de fortifier par des insinuations perfides toutes les préventions sinistres dont la calomnie a empoisonné tous les esprits, que d'attiser le feu de la haine et de la discorde? N'est-il pas évident que c'est moins à Louis XVI qu'on fait le procès qu'aux plus chauds défenseurs de la liberté? Est-ce contre la tyrannie de Louis XVI qu'on s'élève? Non; c'est contre la tyrannie d'un petit nombre de patriotes opprimés. Sont-ce les complots de l'aristocratie qu'on redoute? Non; c'est la dictature de je ne sais quels députés du peuple qui sont là tout prêts à le remplacer. On veut conserver le tyran pour l'opposer à des patriotes sans pouvoir. Les perfides! ils disposent de toute la puissance publique et de tous les trésors de l'Etat, et ils nous accusent de despotisme! Il n'est pas un hameau dans la République où its ne nous aient diffamés; ils épuisent le trésor public pour multiplier leurs calomnies; ils osent au mépris de la foi publique violer le secret de la poste pour arrêter toutes les dépêches patriotiques, pour étouffer la voix de l'innocence et de la vérité; et ils crient à la calomnie! Ils nous ravissent jusqu'au droit de suffrage; et ils nous dénoncent comme des tyrans! Ils présentent comme des actes de révolte les cris douloureux du patriotisme outragé par l'excès de la perfidie; et ils remplissent ce sanctuaire des cris de la vengeance et de la fureur!

» Oui sans doute il existe un projet d'avilir la Convention, et de la dissoudre peut-être à l'occasion de cette interminable affaire! Il existe, non dans ceux qui réclament avec énergie les principes de la liberté, non dans le peuple, qui lui a tout immolé, non dans la Convention nationale, qui cherche le bien et la vérité, non pas même dans ceux qui ne sont que les dupes d'une intrigue fatale et les aveugles instrumens de passions étrangères, mais dans une vingtaine de fripons qui font mouvoir tous ces ressorts, dans ceux qui gardent le silence sur les plus grands intérêts de la patrie, qui s'abstiennent surtout de proponcer leur opinion sur la question qui intéresse le dernier roi, mais dont la sourde et pernicieuse activité produit tous les

troubles qui nous agitent, et prépare tous les maux qui nous attendent!

>> Comment sortirons-nous de cet abîme si nous ne revenons point aux principes et si nous ne remontons pas à la source de nos maux? Quelle paix peut exister entre l'oppresseur et l'opprimé? Quelle concorde peut régner où la liberté des suffrages n'est pas même respectée? Toute manière de la violer est un attentat contre la nation; un représentant du peuple ne peut se laisser dépouiller du droit de défendre les intérêts du peuple ; nulle puissance ne peut le lui enlever qu'en lui arrachant la

vie.

Déjà pour éterniser la discorde, et pour se rendre maître des délibérations, on a imaginé de distinguer l'Assemblée en majorité et en minorité, nouveau moyen d'outrager et de réduire au silence ceux qu'on désigne sous cette dernière dénomination. Je ne connais point ici ni minorité ni majorité : la majorité est celle des bons citoyens; la majorité n'est point permanente, parce qu'elle n'appartient à aucun parti; elle se renouvelle à chaque délibération libre, parce qu'elle appartient à la cause publique et à l'éternelle raison; et quand l'Assemblée reconnaît une erreur, comme il arrive quelquefois, la minorité devient alors la majorité. La volonté générale ne se forme pas dans les conciliabules ténébreux, ni autour des tables ministérielles. La minorité a partout un droit éternel; c'est celui de faire entendre la voix de la vérité, ou de ce qu'elle regarde comme telle.

» La vertu fut toujours en minorité sur la terre. Sans cela la terre serait-elle peuplée de tyrans et d'esclaves? Hamden et Sydney étaient de la minorité, car ils expirèrent sur un échafaud: les Critias, les Anitus, les César, les Clodius étaient de la majorité; mais Socrate était de la minorité, car il avala la ciguë: Caton était de la minorité, car il déchira ses entrailles. Je connais ici beaucoup d'hommes qui serviront s'il le faut la liberté à la manière de Sydney et de Hamden; et n'y en eût-i que cinquante... Cette seule pensée doit faire frémir tous ces lâches intrigans qui veulent égarer la majorité! En attendant cette époque je demande au moins la priorité pour le tyran. Unissons-nous pour sauver la patrie, et que cette délibéra

tion prenne enfin un caractère plus digne de nous et de la cause que nous défendons! Bannissons du moins tous ces déplorables incidens qui la déshonorent; ne mettons pas à nous persécuter plus de temps qu'il n'en faut pour juger Louis, et sachons apprécier le sujet de nos inquiétudes. Tout semble conspirer contre le bonheur public : la nature de nos débats agite et aigrit l'opinion publique, et cette opinion réagit douloureusement contre nous. La défiance des représentans du peuple semble croître avec les alarmes des citoyens. Un propos, le plus petit événement, que nous devrions entendre avec plus de sangfroid, nous irrite; la malveillance exagère ou imagine ou fait naître chaque jour des anecdotes dont le but est de fortifier les préventions; et les plus petites causes peuvent nous entraîner aux plus terribles résultats! La seule expression un peu vive des sentimens du public, qu'il est si facile de réprimer, devient le prétexte des mesures les plus dangereuses, et des propositions les plus attentatoires aux principes!

» Peuple, épargne-nous au moins cette espèce de disgrâce; garde tes applaudissemens pour le jour où nous aurons fait une loi utile à l'humanité! Ne vois-tu pas que tu leur donnes des prétextes de calomnier la cause sacrée que nous défendons? Plutôt que de violer ces règles sévères, fuis plutôt le spectacle de nos débats. Loin de tes yeux nous n'en combattrons pas moins; c'est à nous seuls maintenant de défendre ta cause: quand le dernier de tes défenseurs aura péri, alors venge-les si tu veux, et charge-toi de faire triompher la liberté! Souviens-toi de ce ruban (1) que ta main étendit naguère comme une barrière

(1) Un simple ruban tricolor, tendu dans le jardin des Tuileries, avait séparé le territoire du roi de celui de l'Assemblée nationale; jamais il ne fut forcé par le peuple, qui pourtant se portait avec affluence à l'Assemblée et dans les lieux environnans.

Le bruit de l'enlèvement du roi s'étant répandu pendant qu'il était renfermé au Temple, on vit bientôt ce palais entouré d'une foule immense qui venait chercher des nouvelles : un ruban tricolor marqua également les limites du terrain dépendant de la prison royale, et ces limites ne furent point franchies. Ainsi, dans un moment de trouble et d'agitation une invitation patriotique, un officier municipal et un ruban tricolor exerçaient mieux la police que n'aurait pu le faire un régiment de gendarmes.

insurmontable autour de la demeure funeste de nos tyrans encore sur le trône; souviens-toi de la police maintenue jusques ici sans baïonnettes par la seule vertu populaire.

» Citoyens, qui que vous soyez, veillez autour du Temple; arrêtez s'il est nécessaire la malveillance perfide, même le patriotisme trompé, et confondez les complots de nos ennemis ! Fatal dépôt! n'était-ce pas assez que le despotisme du tyran eût si longtemps pesé sur cette immortelle cité! Faut-il que sa garde même soit pour elle une nouvelle calamité! Ne veut-on éterniser ce procès que pour perpétuer les moyens de calomnier le peuple qui l'a renversé du trône?

» J'ai prouvé que la proposition de soumettre aux assemblées primaires l'affaire de Louis Capet tendait à la guerre civile. S'il ne m'est pas donné de contribuer à sauver mon pays, je prends acte au moins dans ce moment des efforts que j'ai faits pour prévenir les calamités qui le menacent. Je demande que la Convention nationale déclare Louis coupable, et digne de

mort. >>>

Salles avait demandé à se justifier des inculpations portées contre lui par Robespierre; la parole lui est accordée. Il rappelle qu'à l'Assemblée constituante il a toujours voté avec les défenseurs du peuple, avec Pétion, Buzot, Merlin ( de Douai), etc.; que c'est lui qui fit placer dans la Constitution les articles concernant les cas de l'abdication royale; qu'il a combattu le projet de révision: il convient que c'est lui qui proposa l'établissement d'une chambre ardente pour juger les patriotes après le massacre du Champ de Mars; mais il ajoute qu'il ne fit cette proposition qu'au nom d'un comité dont il avait été élu rapporteur malgré lui; qu'il vota contre ce même projet qu'il proposait, et que son désaveu contribua beaucoup à le faire rejeter; que d'ailleurs à cette époque Lafayette et ses émissaires avaient tout employé pour égarer l'opinion des membres des comités. Sur le reproche que lui adresse Robespierre d'avoir fait un discours en faveur de la réintégration du ci-devant roi dans son autorité après sa fuite à Varennes, Salles s'explique en ces termes : « Si l'on veut bien se reporter aux circonstances d'alors, si l'on se rappelle

que Louis XVI, au moment où il accepta la Constitution, fut pour ainsi dire porté en triomphe par le peuple; si l'on se rappelle les adresses qui arrivèrent de tous les départemens, on verra peut-être qu'il eût été encore impossible de lutter alors avec succès contre les préjugés de la royauté. Merlin (de Douai) atteste les faits avancés par Salles, dont les explications paraissent satisfaire l'Assemblée.

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Duchastel, député des Deux-Sèvres, proclame Louis un parjure; néanmoins il le place sous la protection de l'acte constitutionnel et de l'intérêt du peuple, qui s'opposent à sa mort. Quelle peine donc infliger à Louis? L'abdication légale; elle imprimera sur son front l'opprobre, et rien ne

pourra l'en effacer. Après l'abdication légale Duchastel

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demande le bannissement comme mesure de sûreté générale.

Dans la séance du 29 six orateurs sont entendus.

Biroteau, député des Pyrénées-Orientales, déclare que depuis longtemps la mort de Louis était décidée dans son cœur, mais qu'il avait porté ce jugement comme citoyen: au moment de prononcer comme législateur il éprouve des doutes, il s'arrête... Biroteau propose de voter par appel nominal si l'on renverra à la nation l'application de la peine, ou si la Convention la prononcera elle-même.

Guiter, député des Pyrénées-Orientales, après l'avoir motivé, propose le décret suivant :

« Art. 1. Louis Capet, dernier roi des Français, ses enfans et sa femme, seront bannis à perpétuité du territoire de la République.—2. La peine de mort est prononcée contre ceux des individus mentionnés en l'article premier qui rentreraient sur le territoire de la République, auquel effet il est ordonné par la loi à tout citoyen de leur courir sus et de les tuer. 3. Il sera élevé à des distances déterminées, sur les limites du territoire de la République, des colonnes sur chacune desquelles sera gravée l'inscription suivante : Les rois sont bannis de France; les droits du peuple resteront. Paix avec les

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