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donc seule la nation? J'ai vu cette même commune aller dans les édifices nationaux s'emparer des effets les plus précieux sans même donner aucun reçu, sans dresser aucun procès-verbal de ces enlèvemens; et lorsqu'un décret a ordonné que ces effets seraient apportés à la trésorerie nationale, j'ai vu encore ce décret rester sans exécution!

» Voilà des faits; répondez, vous qui niez le projet d'établir à Paris une autorité dictatoriale! Oui, l'on veut nous donner le régime municipe de Rome, nous asservir à la volonté de quelques intrigans! Doit-on s'étonner si des âmes fortes, prêtes à tout sacrifier pour le salut de la liberté, se précautionnent contre ce nouveau genre d'oppression! Je le dis, les pays méridionaux veulent l'unité républicaine... (Nous la voulons tous! s'écrient tous les membres de l'Assemblée dans un mouvement spontané; tous sont debout; les citoyens des tribunes applaudissent, et répètent; Nous voulons tous l'unité républicaine! L'orateur reprend :) Les pays méridionaux veulent l'unité républicaine ; ils en donnent un exemple remarquable; non seulement ils ont envoyé des représentans à la Convention, mais ils envoient aussi des défenseurs chargés de combattre pour la liberté partout où elle sera attaquée! Mais, animés d'un patriotisme aussi chaud que les climats qu'ils habitent, ils veulent la liberté tout entière, et ils combattront tous les individus qui ne parleront sans cesse que d'eux sous le prétexte de combattre le gouvernement fédératif; ils ne veulent point unité de personnes, mais unité dans le corps représentatif! (Applaudissemens.) Ils ont fait la terrible expérience de ce que c'est que de se soumettre, soit pour l'opinion, soit autrement, à un seul individu, et si l'on veut prouver, non par des phrases, mais par des faits, qu'on ne veut pas la dictature, qu'on exécute les lois! » (Applaudissemens réitérés.)

De nouvelles dénonciations contre la commune de Paris se succèdent rapidement; ceux qui veulent la défendre sont réduits au silence par des cris d'improbation. Marat veut parler: Si Marat dit un mot, s'écrie Louvet, je demande la parole contre lui! Cependant l'Assemblée consent à entendre Panis, , que Barbaroux a inculpé directement.

Panis. « Je ne monte à la tribune que pour répondre à l'inculpation du citoyen Barbaroux.

» Je ne l'ai vu que deux fois, et j'atteste sur la patrie que jamais je ne lui ai parlé de dictature. Je me rappelle que je m'adressai à lui pour engager le bataillon de Marseille à fixer sa demeure aux Cordeliers, section du Théâtre-Français, mesure qui paraissait très importante à la plupart des patriotes pour exécuter la révolution du 10. J'étais membre de la municipalité et de l'administration de la police : les citoyens venaient à chaque instant nous communiquer leurs craintes; ils nous donnaient les preuves les plus claires des complots de la cour: ces preuves subsistent encore, et nous les produirons. Je regardais la ligue des Marseillais avec la section du Théâtre--Français comme très utile pour les déconcerter; je dis à Barbaroux : - Depuis plusieurs jours je n'ai pu déterminer encore vos compatriotes à venir à la caserne des Cordeliers, section du Théâtre-Français : c'est là qu'ils doivent être, pour s'unir étroitement à cette section, qui dans les momens de danger fut toujours le plus ferme appui de la liberté, et qui me paraît devoir être le point de ralliement des patriotes: Danton y préside. Si les Marseillais sont là il sera possible de sortir de notre situation; elle est terrible! Aidezmoi dans ce projet! Quinze mille aristocrates soudoyés sont prêts à nous égorger; nous sommes perdus si nous ne nous hâtons de vider le cheval de Troie! (C'est ainsi que j'appelais le château des Tuileries.)- Tel fut l'unique objet de mes entretiens avec Barbaroux. J'étais instruit de tous les projets de la cour par plusieurs patriotes qui s'introduisaient au château ; je savais que nous n'avions pas un moment à perdre : beaucoup d'excellens citoyens étaient trop confians; ils voulaient des preuves judiciaires; mais les preuves politiques nous suffisaient : nous résolûmes de tout tenter seuls. Nous nous réunîmes un petit nombre de bons citoyens, calomniés aujourd'hui par les lâches, pour tramer patriotiquement le siége des Tuileries.

» Président (Pétion), vous étiez alors à la mairie; vous devez vous rappeler que dans les jours qui précédèrent la journée du 10 je vous disais :- Nous ne pouvons plus y tenir; il faut chasser du château l'armée des conjurés qui y est rassemblée; nous n'avons plus de salut que dans une sainte insurrection!

Vous ne voulûtes pas me croire; vous pensiez que le parti aristocratique était abattu, qu'il n'était plus à craindre. Nous fûmes obligés de nous séparer de vous pour continuer nos opérations. Nous nous réunîmes aux Cordeliers; et si notre insurrection n'eût pas été faite nous serions tous égorgés : vous en verrez les preuves; elles sont immenses, mathématiques, évidentes. Vous vous rappelez notre position à la mairie; nous n'y étions que deux chauds patriotes, Sergent et moi, environnés de commis aristocrates et d'espions: avions-nous un secret patriotique, il était aussitôt éventé. Nous résolûmes donc de former un comité secret pour recueillir les renseignemens que les bons citoyens venaient nous apporter. Les Marseillais partageaient notre passion d'anéantir la tyrannie; ils se rendirent à la caserne des Cordeliers. Ils vinrent dès le lendemain nous demander des cartouches : nous ne pouvions leur en délivrer sans votre signature, président-maire; mais nous craignions de vous en parler; vous étiez trop confiant! Un jeune Marseillais, brûlant de patriotisme, appuyant en notre présence un pistolet sur son front, s'écria, avec un accent qu'il est impossible de rendre : Si vous ne me donnez les pas de défendre moyens ma patrie je me tue devant vous! Nos larmes coulèrent, et nous signâmes seuls l'ordre de délivrer des cartouches.

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Quant à Barbaroux, je jure par la liberté que je n'ai eu d'entretien avec lui que relativement à la translation des Marseillais à la caserne des Cordeliers; que je ne lui ai jamais dit un mot de dictature ni de Robespierre. Je ne sais ce que je dois admirer le plus ou de la lâcheté, ou de l'invraisemblance, ou de la fausseté de sa délation! Quelles sont les preuves qu'il vous a données ? Quels sont ses témoins? (Moi! s'écrie Rebecqui en se frappant la poitrine des deux mains.) Vous êtes l'ami de Barbaroux, et de plus dénonciateur ; je vous récuse : il est étrange comme dans la même affaire vous vous servez tour à tour de témoin l'un à l'autre ! Si les Marseillais qui ont combattu et vaincu aux Tuileries étaient encore à Paris, eux que j'ai vus souvent et intimement, ils diraient si je leur ai jamais tenu de semblables discours! Je prends à témoin Moisson, Garnier, tous les bons citoyens casernés aux Cordeliers: certainement si j'avais parlé de dictature à Barbaroux j'en aurais

parlé à tous les Marseillais. Eh! à quel titre vous aurais-je choisi plutôt pour confident? Et à qui persuadera-t-on que je pouvais concevoir le projet d'élever une puissance dictatoriale lorsque moi et tous les patriotes étions tous sous le couteau de la cour, et n'avions ni trop de forces ni trop de temps pour étouffer l'horrible conspiration dont nous étions environnés ? Quel moment pour conjurer contre la liberté de son pays que celui où l'on est occupé de l'arracher à la fureur de ses tyrans! Jamais au reste Robespierre ne m'a témoigné le désir infâme de la dictature. Soutenez si vous l'osez vos calomnies; j'emploierai toutes mes facultés à faire triompher la vérité.

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Quant aux opérations du comité de surveillance, qui a été aussi inculpé, je suis prêt à les justifier.

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Brissot. « De quel droit avez-vous décerné des mandats d'arrêt contre des députés ? »

Panis. « Du droit qu'avait tout citoyen de sauver la patrie! On ne se reporte pas assez aux circonstances terribles dans lesquelles nous nous trouvions. Notre caractère chaud, ferme, énergique nous a fait, à moi particulièrement, beaucoup d'ennemis. Qu'on se représente notre situation! Nous étions entourés de citoyens irrités des trahisons de la cour; on nous disait : voici un aristocrate qui prend la fuite; il faut que vous l'arrêtiez, ou vous êtes vous-mêmes des traîtres. On nous. mettait le pistolet sur la gorge, et nous nous sommes vus forcés de signer des mandats moins pour notre propre sûreté que pour celle des personnes qui nous étaient dénoncées.

» Par exemple, beaucoup de bons citoyens vinrent nous dire que Brissot partait pour Londres avec les preuves écrites de ses machinations. Je ne croyais pas sans doute à cette inculpation; mais je ne pouvais répondre personnellement et sur ma tête qu'elle ne fût pas vraie; j'avais à modérer l'effervescence. des meilleurs citoyens, reconnus pour tels par Brissot luimême; je ne crus pouvoir mieux faire que d'envoyer chez lui des commissaires pour protéger sa personne, lui demander fraternellement la communication de ses papiers, convaincu que cette communication ferait éclater son innocence et dissiperait tous les soupçons; ce qui en effet est arrivé.

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» On a accusé le comité de surveillance d'avoir envoyé des commissaires dans les départemens pour enlever des effets ou même arrêter des individus. Voici les faits. Nous étions alors en pleine révolution : les traîtres s'enfuyaient; il fallait les poursuivre le numéraire s'exportait; il fallait l'arrêter. On vint de la part de plusieurs bons citoyens, qui avaient bien mérité de la patrie, nous avertir qu'il y avait à Haussy-le-Franc, dans la maison de madame Louvois, beaucoup d'argenterie qui devait être exportée ; nous chargeâmes ces citoyens d'y aller en qualité de commissaires. Nous écrivîmes aux officiers municipaux du lieu pour les inviter à se réunir à nous. Le département s'y est opposé le maire Guyardel empêcha les commissaires d'être égorgés:

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Croyez-vous que nous nous fussions exposés à tous ces dangers si ce n'eût été pour le salut public? Oui, nous avons, illégalement si vous voulez, mais pour le salut de la patrie, empêché l'exportation de sommes très considérables! Voulezvous toujours confondre ces temps d'orage et de crise avec les temps ordinaires? Vous invoquez des lois impuissantes ou contraires à la liberté contre la loi suprême du salut public, qui seule pouvait être écoutée; vous ne rougissez pas de défendre les traîtres qui vendaient le peuple aux tyrans, et auxquels le peuple a fait grâce, pour calomnier et le peuple et ceux mêmes qui les ont dérobés à sa juste colère! Oui, tel homme nous doit la vie qui nous abreuve aujourd'hui de dégoûts et de calomnies! Vous raisonnez, après la révolution du 10 et sous la République, comme au temps de la puissance et des crimes de la cour de Louis XVI! Vous l'oubliez lui-même pour poursuivre les martyrs de la liberté ! Voilà donc le sort destiné aux citoyens qui l'ont fait triompher!›

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Marat se présente à la tribune; un mouvement d'horreur se manifeste dans la grande majorité de l'Assemblée : il va parler; violens murmures: on l'entend; les cris à bas! à bas! sont répétés avec l'accent de l'indignation. Marat fait tête à l'orage dans un calme parfait. Lacroix réclame en sa faveur la justice de l'Assemblée : il a été accusé ; il doit être entendu. Marat commence : « J'ai dans cette Assemblée, dit-il, un

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