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souverain dans les assemblées primaires la décision que vous aurez portée; autrement vous vous chargez sans nécessité du poids effrayant d'une responsabilité immense; et en compromettant essentiellement la Convention vous compromettez le bonheur et la liberté de tous les Français. Cette mesure très prudente n'a pas plus d'inconvénient que la ratification de la Constitution même en assemblées primaires : si elle était capable d'allumer la guerre civile nous ne serions pas faits pour la liberté, et il ne faudrait plus penser à la République.

» Il est un autre parti plus naturel, plus régulier, plus simple, et que je ne balance pas à préférer, parce qu'il ne blesse aucun principe; c'est de prendre à l'égard de Louis une mesure de sûreté générale, et de le traiter en ennemi vaincu.

» Dans ce système il ne serait pas question de le livrer au supplice, car le supplice d'un ennemi vaincu et prisonnier est défendu par le droit des gens; il n'y a que les antropophages, les cannibales qui puissent en soutenir l'idée.

>> Vous ordonneriez que Louis serait gardé au Temple, et tenu au secret jusqu'à ce que la sûreté de l'Etat vous permît de l'expulser pour toujours, et sous peine de mort, du territoire français.

» Enfermé au Temple, et sans communication extérieure, si ce n'est avec ses gardiens, ne pouvant influencer ni agir, it ne serait pas dangereux. Il Ꭹ a des gens qui menacent de le poignarder: ce ne seraient pas ceux-là qui le mettraient en état de nuire; voilà pourtant les seuls à craindre. Les autres n'osent pas se montrer, et l'oseront encore moins lorsque nous aurons une Constitution, lorsqu'on voudra faire observer les lois.

» Je veux bien supposer la délivrance de Louis, son enlèvement, sa fuite, que je regarde comme moralement impossible: la crainte d'un événement si peu vraisemblable, si facile à prévenir, ne me fera pas regarder le supplice de Louis comme nécessaire à la sûreté de l'Etat, ni croire que vous puissiez ordonner cette exécution en violant toutes les formes, et vous revêtant d'un pouvoir tyrannique. Dans tous les cas il resterait à la nation française et ses canons, et ses guerriers, et le saint amour de la République dont on est animé, et le mépris et la haine que la personne de Louis a inspirés généralement !

»Armé de la liste civile et de la puissance royale, soutenu par des ministres, des généraux pervers, et avec le secours de tant de prêtres et de nobles, et d'orgueilleux bourgeois, dont la plupart ont péri, ou expient maintenant leurs crimes dans l'exil, la misère et l'infamie, Louis a succombé : comment serait-il redoutable dans l'état d'isolement, de dénuement, d'a vilissement où il se trouve? Ne cherchez pas à me le faire

craindre; vous donneriez matière à de justes soupçons ; je vous croirais du parti qu'on accuse de vouloir rétablir le trône, ét de ne presser que dans cette vue le supplice du ci-devant roi.

» Vous voulez venger, dites-vous, les patriotes massacrés le 10 août, auparavant et depuis, par les ennemis de la liberté... » Je discourais moi de justice et de politique, et vous me parlez d'assouvir des haines et des vengeances! Barbares! n'y a-t-il pas eu des deux côtés assez de victimes! N'y a-t-il pas eu assez de sang répandu pour nos discordes civiles! Songez plutôt à consoler l'humanité, qui pleure encore sur ces affreux massacres! Ne l'affligez pas par de nouvelles exécutions! Hâtezvous de seconder ses voeux et ceux de la philosophie, qui de concert vous demandent l'abolition de la peine de mort! Pendant que vous retardez par l'espoir du supplice d'un cidevant roi, une foule d'hommes obscurs tombent chaque jour sous la machine fatale; on s'habitue, on se complaît aux exécutions sanglantes; on se forme, on s'aguerrit aux assassinats!

» Vous dites encore: il faut un exemple pour les peuples et pour les rois; il faut un grand châtiment pour un grand coupable...

» Ah! jusqu'ici les supplices des rois n'ont fait que déplacer la tyrannie: l'exil du tyran a quelquefois rétabli la liberté.

» Vous parlez d'un grand châtiment, d'un grand coupable. Je crois comme vous que Louis est un grand coupable, et mérite un grand châtiment; mais, j'oserai le dire, oui, je le crois plutôt que je ne le vois bien démontré par l'état actuel de l'instruction. Et puis avez-vous examiné sur chacun des soixante chefs, dont plusieurs me paraissent à moi réfutés solidement, jusqu'à quel degré Louis pourrait soutenir qu'il est excusable?

» Mais lorsque les crimes sont si évidens pourquoi s'obstiner à ne vouloir pas un jugement régulier, à violer les formes les plus essentielles?

» Un supplice infligé illégalement n'est pas un grand exémple; c'est un grand scandale.

» Ils étaient pour la plupart de grands criminels les milliers. de citoyens massacrés pendant sept jours en septembre dernier, avee je ne sais quelles formes: leur supplice a été accompagné de circonstances effroyables; hé bien, il aurait déshonoré la cause de la liberté si elle pouvait jamais être diffamée; il à aigri et révolté les citoyens ; il a retardé ou rendu plus difficiles les progrès de la révolution dans les pays étrangers.

»Ne me parlez donc pas de grand exemple quand le grand exemple serait une grande illégalité!

» N'est-ce donc rien après tout qu'une réclusion absolue,

et qui ne pourrait se terminer que par l'exil? N'est-ce rien que le long supplice des outrages, de l'avilissement et de l'abandon' d'un ci-devant roi des Français, pour toujours traité en criminel, et tombé du faîte des grandeurs humaines au dernier degré de l'abaissement et de l'ignominie? Ceux qui peuvent le croire ne savent ni estimer le passé, ni juger le présent, ni mesurer l'avenir, ni se mettre un moment à la place d'un autre homme.

» De toutes ces réflexions je conclus que le supplice de Louis ne peut être ordonné que par un tribunal, et dans les formes prescrites par la loi; que toutes les formes sont violées, que l'honneur de la Convention est compromis par la marche qu'on lui a fait tenir jusqu'à présent à l'égard du ci-devant roi; que si la majorité persiste dans ce système les députés d'un autre avis ne peuvent être forcés d'opiner dans celui qu'ils rejettent; que si la Convention s'obstine à juger elle ne peut sans une extrême imprudence se dispenser de soumettre sa décision à la volonté du peuple souverain dans les assemblées primaires; mais qu'il serait bien plus conforme aux principes et à la politique de se borner à une mesure de sûreté générale, telle que la détention, qui pourrait être convertie en exil perpétuel dans un temps plus paisible: cette mesure de sûreté générale n'excède point les pouvoirs de la Convention, et dispenserait de recourir aux assemblées primaires.

» Pour satisfaire ceux qui veulent un jugement on pourrait convertir l'acte énonciatif des crimes imputés à Louis en acte d'accusation, et renvoyer l'accusé devant le tribunal criminel du département de Paris pour y être jugé dans les formes ordinaires. En ce dernier cas je désirerais que les jurés fussent nommés par les corps électoraux des quatre-vingt-trois autres départemens, attendu la situation actuelle de Paris, et les agitations auxquelles cette ville est en proie.

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» ADDITION. J'ai entendu l'éloquent Vergniaud, et j'ai admiré comme les autres.

» Il pense que le peuple en assemblées primaires peut seul décider sur l'inviolabilité prétendue.

» Sa raison est spécieuse. Il n'appartient qu'au peuple de déclarer qu'il ne veut pas tenir sa promesse : nous pouvons déclarer que cette promesse n'est pas obligatoire pour lui, et non pas suppléer sur ce point la manifestation de sa volonté souveraine...

» Mais l'inviolabilité fut-elle établie absolue ou relative? La supposant absolue, n'a-t-elle pas cessé avant le 10 août, suivant la Constitution même, par la conduite du ci-devant roi? Ne devait-elle pas cesser de sa nature, et par le défaut d'une

condition tacite et révocatoire? Voilà d'abord ce qu'il faudrait examiner.

» D'ailleurs le peuple a ratifié clairement par son silence notre décret qui réprouve l'exception d'inviolabilité; le peuple s'est tu, et il a eu tout le temps de réclamer avec fruit, ce qui suffirait, de l'aven de Vergniaud.

» Si néanmoins on adoptait sur cet article l'idée de cet orateur, il ne faudrait pas commencer par juger, et après la condamnation ou l'absolution demander au peuple : voulez-vous faire mourir ou laisser vivre Louis?

» Voilà le vice éclatant du système de Buzot, et le vice non moins réel, quoiqu'un peu moins sensible, de celui de Salles. >> Tous deux nous font d'abord juges criminels, et dans la même affaire législateurs, accusateurs, jurés d'accusation, jurés de jugement; tous deux négligent la violation sacrilege des formes, qu'il serait si juste, et si facile, et si court d'observer; tous deux font juges et le peuple et les législateurs, tandis qu'il n'y a de juges légitimes que les jurés et les tribunaux.

» Dans cet état ne faut-il point revenir courageusement sur nos pas?

» Je demande la priorité pour une mesure de sûreté générale que nous pouvons prendre seuls, et qui serait la détention absolue, provisoirement, puis l'exil. Je trouve là un grand caractère de générosité, de modération et de sagesse.

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Que si l'on veut un jugement, qu'il soit conforme aux lois, rendu par un tribunal ordinaire, et suivant les formes légales; car Louis est un homme.

» Si la Convention persiste à vouloir juger, qu'elle respecte du moins les formes compatibles avec cette résolution. Pour moi je ne jugerai pas l'accusé; ma conscience me crie que je suis incompétent.

» Si l'on consulte les assemblées primaires la seule question à leur proposer à mon sens est celle-ci : voulezz-vous que Louis soit jugé, oui ou non?

» Au premier cas Louis sera jugé de la seule manière qu'il peut l'être avec justice, comme le serait un autre accusé du crime de lese-nation.

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» Au second cas la Convention devra prendre à son sujet la mesure de sûreté générale déjà indiquée. »

(Voyez plus loin les discours ou les votes des orateurs cités par Lanjuinais dans cette addition.)

Conformément au décret de la veille, la discussion sur le jugement fut mise à l'ordre du 27.

DISCOURS prononcé par Saint-Just, député de l'Aisne. (Séance du 27 décembre 1792.)

QUAND le peuple était opprimé ses défenseurs étaient proscrits ô vous qui défendez celui que tout un peuple accuse, vous ne vous plaindrez pas de cette injustice! Les rois persécutaient la vertu dans les ténèbres; nous, nous jugeons les rois à la face de l'univers! Nos délibérations sont publiques, pour qu'on ne nous accuse point de nous conduire sans ménagement. O vous, encore une fois, qui défendez Louis, vous défendez tous les Français contre le jugement que va porter le monde entier! Peuple généreux jusqu'au dernier jour! Il ne voulut point juger lui-même son ennemi; il permit qu'on employât tout pour le convaincre qu'il se trompait, lors même que tant de familles portaient le deuil de leurs enfans, et que les meilleurs citoyens, par les suites de la trahison et de la tyrannie, étaient enterrés dans l'Argonne, dans tout l'empire, et dans Paris autour de vous !

» Et cependant il faut encore qu'un peuple infortuné qui brise ses fers et punit l'abus du pouvoir se justifie de son courage et de sa vertu! O vous aussi qui paraissez les juges les plus austères de l'anarchie, vous ne ferez point dire de vous sans doute que votre rigueur était pour le peuple, et votre sensibilité pour les rois! Il ne nous est plus permis de montrer de faiblesse nous qui demandions l'exil des Bourbons, si l'on exile ceux qui sont innocens, combien ne devons-nous pas être inflexibles pour ceux qui sont coupables!

S'il était un ami de la tyrannie qui pût m'entendre, et qu'il trempât secrètement dans le dessein de nous opprimer, il trouverait peut-être encore le moyen d'intéresser la pitié; peut-être trouvera-t-il l'art de peindre les ennemis des rois comme des sauvages sans humanité : la postérité ne serait point oubliée pour toucher l'orgueil des représentans du peuple..... Postérité! tu béniras tes pères; tu sauras alors ce qu'il leur en

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