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la République française; 2o la peine de mort contre quiconque tenterait de détruire cette unité, ou proposerait la dictature, le triumvirat ou le tribunat. (Applaudissemens.) Buzot pense qu'il ne suffit pas de déclarer l'unité de la République, mais qu'il faut l'effectuer par la réunion proposée d'une force publique prise dans tous les départemens et mise à la disposition de la Convention : par ce moyen, dit-il, la Convention appartiendrait à tous les départemens. En conséquence il demande le renvoi de la motion de Danton à la commission des six, dont la formation avait été décrétée la veille.

Robespierre, impatient de repousser l'accusation portée par Rebecqui, paraît enfin à la tribune, et improvise ce qui suit :

Robespierre. (Séance du 25. ) « En montant à cette tribune pour répondre à l'accusation portée contre moi ce n'est point ma propre cause que je vais défendre, mais la cause publique ; quand je mne justifierai vous ne croirez point que je m'occupe de moi-même, mais de la patrie. ( S'adressant à Rebecqui:) Citoyen, qui avez eu le courage de m'accuser de vouloir être l'ennemi de mon pays à la face des représentans du peuple, dans ce même lieu où j'ai défendu ses droits, je vous remercie! Je reconnais dans cet acte le civisme qui caractérise la cité célèbre qui vous a député; je vous remercie, car vous, moi, la patrie, nous gagnerons tous à cette accusation!

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Après la véhémence avec laquelle on s'est élevé contre un certain parti l'on a désiré savoir quel en était le chef; un citoyen s'est présenté pour le désigner, et c'est moi qu'il a nommé !

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Citoyens, il est difficile sans doute de répondre à une accusation qui n'est point précisée; il est difficile de répondre à la plus vague, à la plus chimérique des imputations : j'y répondrai cependant. Il est des hommes qui succomberaient sous le poids d'une accusation de tyrannie; mais je ne crains point ce malheur, et grâces en soient rendues à mes ennemis, grâces en soient rendues à tout ce que j'ai fait pour la liberté ! C'est moi qui dans l'Assemblée constituante ai pendant trois ans combattu toutes les factions; c'est moi qui ai combattu contre la cour, dédaigné ses présens, méprisé les caresses du parti plus séduisant

qui, sous le masque du patriotisme, s'était élevé pour opprimer la liberté...» (Plusieurs voix : Ce n'est pas là la question!)

Tallien. « Un membre inculpé doit avoir le droit de répondre. »

Robespierre. « Citoyens, pensez-vous que celui qui est accusé d'être traître envers son pays n'ait pas le droit d'opposer à cette inculpation vague sa vie tout entière? Si vous le pensez je ne suis point ici dans le sanctuaire des représentans de la nation. Je vous ai rendu un témoignage qui partait de mon cœur, vous m'interrompez quand je me justifie! Je ne reconnais pas là un citoyen de Marseille, ni un représentant du peuple Français. C'est quelque chose peut-être que d'avoir donné pendant trois ans une preuve irrécusable de mon patriotisme, d'avoir renoncé aux suggestions de la vanité, de l'ambition! C'est moi dont le nom fut lié avec les noms de tous ceux qui défendirent avec courage les droits du peuple; c'est moi qui bravai non seulement la rage aristocratique qui s'agitait dans ce côté, mais encore la perfidie des hypocrites qui dominaient dans celui-là (l'orateur montre tour à tour le côté droit et le côté gauche de la salle); c'est moi qui, en bravant les clameurs liberticides des arrachai encore le masque dont se couvraient les Lameth et tous les intrigans qui leur ressemblaient : mais c'est là aussi que commencèrent mes crimes; car un homme qui lutta si longtemps contre tous les partis, avec un courage opiniâtre et inflexible, sans se ménager aucun parti, celui-là devait être en butte à la haine et aux persécutions de tous les ambitieux, de tous les intrigans. Lorsqu'on veut commencer un système d'oppression on doit commencer par écarter cet homme-là.

uns,

>> Sans doute plusieurs citoyens ont défendu mieux que moi les droits du peuple; mais je suis celui qui a pu s'honorer de plus d'ennemis et de plus de persécuteurs; et ce système de persécution est né au moment où, à la fin de la carrière de l'Assemblée constituante, le peuple de Paris me reconduisit avec le citoyen qui nous préside (1); touchant et doux témoignage dont

(1) A cette époque Robespierre et Pétion avaient été portés en triomphe par le peuple.

le souvenir me dédommage de tant d'amertumes! Mais en terminant cette honorable mission il ne fut pas en mon pouvoir d'abandonner la cause de l'égalité et de la justice, à laquelle j'avais attaché toutes mes affections. S'il était difficile de perdre un citoyen dans l'opinion publique, c'était celui que je viens de peindre avec ses défauts et ses qualités ; celui qui dans l'Assemblée constituante s'est fermé pour toujours le chemin des honneurs et de la puissance; celui qui a fait décréter qu'aucun membre ne pourrait parvenir au ministère ni à aucune des places du pouvoir exécutif que deux ans après la session de l'Assemblée..... » (Voyez tome V.)

Osselin. « Robespierre veut-il finir cette longue kirielle, et nous donner en quatre mots une explication franche! » (Applaudissemens. )

Lecointe-Puiraveau. « Robespierre, ne nous entretiens pas de ce que tu as fait dans l'Assemblée constituante; dis-nous simplement si tu as aspiré à la dictature ou au triumvirat. »> (Applaudissemens.)

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Robespierre. « De tous les devoirs qui m'ont été imposés par ceux que je représente le premier est de réclamer la liberté des opinions, d'empêcher qu'il ne s'élève des voix qui compromettent la justice de l'Assemblée en ôtant à un citoyen la liberté de mettre sa justification dans tout son jour. Quoi! l'on voudrait que je réduisisse ma justification à ces termes simples: je n'ai point proposé la dictature ni le triumvirat...! Non, je prétends conserver le droit de me justifier par tous les moyens qui sont en mon pouvoir! Au reste, si je suis monté à cette tribune pour répondre aux imputations qui me sont faites, ne croyez pas que je sois dans l'intention de vous importuner sou-vent; écoutez-moi du moins aujourd'hui; votre caractère et votre justice vous l'ordonnent.

» Je disais que les deux décrets qui ont ôté tout espoir à l'ambition des représentans du peuple, qui les ont dépouillés de tout ce qu'ils auraient pu convoiter pendant deux ans de puissance absolue, c'est moi qui les ai fait rendre, c'est moi qui... ( Murmures.) Quand l'Assemblée ne voudra plus m'entendre elle me fera connaître sa volonté... Je sens qu'il est fâcheux pour moi

d'être toujours interrompu... (Quelques voix : Abrégez!) Jë n'abrégerai point! Hé bien, je vais donc vous forcer à m'écouter!

» J'ose, vous rappeler à votre dignité : il ne suffit pas d'entendre un accusé; il faut l'entendre de suite, il faut l'entendre sans l'interrompre, sans l'outrager; et, puisqu'il faut vous le dire, je ne me regarde pas comme un accusé, mais comme le défenseur de la cause du patriotisme! Je vous déclare que telle est la position où je me trouve que je me crois obligé d'invoquer la justice de la majorité de la Convention contre certains membres qui sont mes ennemis... (Murmures; longue interruption.)

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» Un des membres qui m'ont interrompu a supposé que je devais répondre simplement à cette question: Avez-vous proposé la dictature ou le triumvirat? Je dis que si je répondais par une simple dénégation je n'aurais rien fait; je dis que je ne suis pas accusé ; je dis que cette accusation est un crime; je que cette accusation n'est pas dirigée pour me perdre, mais pour perdre la chose publique! (Murmures.) Je demande que ceux qui me répondent par des rires, par des murmures, se réunissent contre moi; que ce petit tribunal prononce ma condamnation! Ce sera le jour le plus glorieux de ma vie. Oui, il était absurde de m'accuser puisque, non content de remplir en vrai patriote les devoirs que mes commettans m'avaient imposés, je me suis encore dépouillé de tout ce que je pouvais regarder comme la récompense de mon patriotisme : la meilleure réponse à de vagues accusations est de prouver qu'on a toujours fait des actes contraires; loin d'être ambitieux, j'ai toujours combattu les ambitieux. Ah! si j'avais été homme à m'attacher à l'un de ces partis qui plus d'une fois tentèrent de me séduire ; si j'avais transigé avec ma conscience, avec la cause du peuple, je serais à l'abri de toute persécution; j'aurais évité la haine de ces hommes redoutables par leur influence; j'aurais eu l'avantage d'allier avec la réputation de patriote toutes les douceurs, toutes les récompenses du patriotisme qui sait se prêter à des actes de complaisance; et depuis un an que je combats contre quelques personnes, dont cependant je ne suspecterai point le patriotisme, on m'a présenté souvent le gage de la paix; j'en

ai même accepté le baiser; mais j'ai gardé mon opinion, qu'on voulait m'arracher!

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» Paris est l'arène où j'ai soutenu ces combats politiques contre mes détracteurs; ce n'est donc point à Paris qu'on en peut imposer sur mon compte, car là on assiste aux délibérations de l'Assemblée nationale, aux débats des sociétés patriotiques : mais il n'en est pas de même dans les départemens.... (Murmures.) Vous, représentans du peuple, qui devez apporter ici des sentimens de fraternité pour vos collègues, c'est vous que j'adjure de m'écouter! Il n'en est pas de même dans les départemens; là vous ne connaissez ces débats que par les pa→ piers publics : hé bien, ces papiers défiguraient pour la plupart la vérité, suivant l'intérêt d'une coalition dans laquelle se trouvent ceux que j'appelais tout à l'heure mes ennemis; et nous qui avions une opinion contraire à ce système, nous ne lui opposions aucuns papiers, et la calomnie a pu exercer impunément ses ravages dans les départemens. Vous avez apporté de funestes préventions contre quelques hommes je vous en conjure au nom de la chose publique, dégagez-vous de ces impressions dangereuses! Ecoutez-moi avec impartialité! Si la calomnie est la plus redoutable de toutes les persécutions, elle est aussi celle qui nuit le plus à l'intérêt de la patrie. On nous a accusés partout de tramer des projets ambitieux contre la liberté de notre pays; mais avant cette accusation nous avions, nous, dévoilé des faits multipliés, des faits précis d'un système aristocratique, favorable seulement à l'intérêt d'un parti et à un chef de parti! On nous a accusés par des expressions insignifiantes; mais nous avions, nous, fait des dénonciations positives! Et c'est au moment où nous combattions les coupables, c'est lorsqu'avant la guerre je demandais la destitution de Lafayette, qu'on a osé dire que j'avais eu des conférences avec la reine, avec la Lamballe! C'est alors qu'on nous imputait à crime les phrases irréfléchies d'un patriote exagéré, et les marques de confiance qu'il donnait à des hommes dont il avait éprouvé pendant trois ans l'incorruptibilité; et ces combinaisons perfides on les renouvelle depuis le commencement de la Convention nationale; elles en ont même précédé l'ouverture, parce que ceux qui avaient、 véritablement le dessein d'opprimer la

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