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Mailhe fit ensuite lecture d'une autre lettre, signée SourDAT, citoyen de Troyes. M. Sourdat s'offrait aussi pour défendre Louis XVI (1).

Après quelques débats la Convention décrète que ces lettres, et d'autres qui avaient le même objet, seront communiquées à Louis, afin qu'il puisse déterminer son choix.

Le même jour, dans la séance du soir, le ministre de la justice transmit à l'Assemblée la lettre qu'il venait de recevoir de Tronchet. (Tronchet avait alors soixante-six ans.)

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Paris, ce jeudi 13, sept heures un quart du soir.

Citoyen ministre, entièrement étranger à la cour, avec laquelle je n'ai jamais eu aucune relation, directe ni indirecte, je ne m'attendais pas à me voir arracher du fond de ma campagne à la retraite absolue à laquelle je m'étais voué, pour venir concourir à la défense de Louis Capet. Si je ne consultais que mon goût personnel et mon caractère je n'hésiterais pas à refuser une mission dont je connais toute la délicatesse, et peutêtre le péril; je crois cependant le public trop juste pour ne pas reconnaître qu'une pareille mission se réduit à être l'organe passif de l'accusé, et qu'elle devient forcée dans la circonstance où celui qui se trouve appelé d'une manière si publique ne pour

(1) Plusieurs personnes s'étaient dévouées à la défense de Louis XVI: entr'autres MM. Guillaume, de l'Assemblée constituante; TronsonDucoudray et Huet de Guerville, anciens avocats; Malouet et LalliTolendal, alors à Londres, et qui adressèrent leur demande à la Convention dès le mois d'octobre. Le 15 décembre, après que Louis XVI eut accepté les services de Malesherbes, une femme s'offrit pour seconder ce vertueux magistrat la citoyenne Olympe Degouge, en déclarant qu'elle était franche et loyale républicaine, sans tache et sans reproche, établissait dans sa lettre à la Convention que Louis XVI était fautif comme roi, mais non coupable dépouillé de ce titre proscrit; que sa mort serait une source de malheurs pour la France; que le supplice de Charles Ier avait déshonoré les Anglais, etc. Elle ne se dissimulait pas que le rôle qu'elle avait joué au commencement de la révolution, tant par ses écrits que par sa conduite dans les sociétés populaires, rendrait son zèle suspect à Louis; mais elle trouvait beau de détromper ainsi l'homme malheureux et sans appui : l'héroïsme et la générosité, disait-elle, sont aussi le partage des femmes. Olympe Degouge se prononçait pour le bannissement.

rait refuser son ministère sans prendre sur lui-même de pronon cer le premier un jugement qui serait téméraire avant tout examen des pièces et des moyens de défense, et barbare après cet examen. Quoi qu'il en soit, je me dévoue au devoir que m'impose l'humanité : comme homme je ne puis refuser mon secours à un autre homme sur la tête duquel le glaive de la justice est suspendu.

» Je n'ai pas pu vous accuser plutôt la réception de votre paquet, qui ne m'est parvenu qu'à quatre heures du soir à ma campagne, d'où je suis parti aussitôt pour me rendre à Paris. Au surplus je vous prie de recevoir le serment que je fais entre vos mains, et que je désirerais voir rendu public, que, quel que soit l'événement, je n'accepterai aucun témoignage de reconnais sance de qui que ce soit sur la terre. Signé TRONCHET. »

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Dans cette séance (du 13 au soir) la Convention improuva par de longs et violens murmures un arrêté de la commune de Paris dont le premier article portait que les conseils de Louis seraient fouillés jusque dans les endroits les plus secrets, qu'ils seraient déshabillés, qu'on les revêtirait de nouveaux habits, et qu'ils seraient constitués prisonniers avec l'accusé jusqu'à la fin du procès... Beaucoup de membres voulaient que cet arrêté fût cassé la Convention : passa à l'ordre du jour, motivé sur son décret de la veille, qui ordonnait que les conseils de Louis Capet communique

raient librement avec lui.

Le 14 on annonça que Louis acceptait les services de Malesherbes, qu'il était touché du dévouement des autres citoyens qui s'étaient proposés pour le défendre, et qu'il les en remer→

ciait.

Le 15 on statua sur la communication et la remise des pièces du procès (1) aux conseils du ci-devant roi, et il fut décrété, malgré la vive opposition de plusieurs membres, qui ne voyaient qu'avec impatience et inquiétude ce délai accordé à l'accusé, << que Louis Capet serait définitivement entendu le mercredi 26 du présent mois. »

(1) Ce n'est qu'une faible partic de ces pièces qui avait été représentée à Louis XVI après son interrogatoire. On en publia quatre vol in-8o,

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Dans la même séance (le 15) la Convention avait décrété, sur la motion de Lecointre, que pendant cet intervalle «< il serait permis à Louis de voir sa famille. » Ce décret provoqua de nombreux débats: plusieurs membres en demandèrent immédiatement le rapport. Tallien voulait qu'on s'en rapportât au conseil municipal, seul responsable du dépôt qui lui avait été confié; d'ailleurs il ne croyait pas convenable que Louis communiquât avec sa femme et sa sœur, qu'il regardait comme ses complices: Tallien, interrompu par des murmures, s'écria: Vous avez beau le vouloir, si le corps municipal ne le veut pas cela ne sera point!- Une telle injure envers les lois et la représentation nationale excite de vives rumeurs : sur la demande de Pétion « la Convention décrète que le citoyen Tallien sera censuré, et inscrit au procès verbal. » Cependant Rewbel et plusieurs autres insistaient pour le rapport du décret ils firent observer que d'après leur conduite la femme et la sœur de Louis devaient être considérées comme impliquées dans la procédure. Lecointre revint alors sur sa proposition, se bornant à ce qu'il ne soit accordé d'autre faculté à Louis que celle de voir ses enfans. Dubois-Crancé vit encore trop de danger dans cette disposition: On a remarqué, dit-il, que les enfans de Louis rapportaient secrètement à leur père avec un art inconcevable ce que sa femme et sa sœur voulaient lui faire dire. — Dubois-Crancé persistait dans la suppression du décret, qui, après avoir été longtemps combattu, divisé et amendé, fut enfin remplacé par celui-ci : « La Convention nationale décrète que Louis Capet pourra voir ses enfans, lesquels ne pourront, jusqu'à son jugement définitif, communiquer avec leur mère ni avec leur tante. »

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Nous avons dû passer très sommairement sur ces pénibles discussions, qui prenaient leur source dans un patriotisme ombrageux, et surtout dans la rivalité soupçonneuse des deux partis qui divisaient la Convention: ces partis s'accusaient réciproquement l'un de vouloir sauver le roi, l'autre de hâter sa mort pour lui donner des successeurs sous le nom de dictateur ou de triumvirs; l'un de préparer le trône au duc d'Orléans, l'autre de tendre à partager la France en républiques fédéra

tives. De ces prétendus projets, dont jamais on n'eut de preuves certaines, c'est celui d'après lequel la couronne aurait été placée sur la tête du duc d'Orléans qui rencontra le plus de personnes disposées à croire à son existence; c'est celui dont on parla, dont on s'effraya le plus dès les premiers jours de la révolution ; et cependant c'est le projet qui pouvait le moins réussir; l'opinion publique le repoussait fortement : que Mirabeau, que quelques autres constituans aïent un moment souri à ce projet, on lé conçoit, et l'on sait au surplus que leur patron se chargea bientôt lui-même de les désabuser complètement; mais ce qui paraît étonnant c'est qu'à l'époque du jugement de Louis XVI on désignait parmi les Orléanistes les plus sauvages républicains. Quoi qu'il en soit, cette inquiète disposition des esprits provoqua d'abord le décret suivant, rendu le 16 sur la motion de Thariot, sans discussion, et à une grande majorité :

"

La Convention nationale décrète que quiconque proposera ou tentera de rompre l'unité de la République française, ou d'en détacher des parties intégrantes pour les unir à un territoire étranger, sera puni de mort. »

Ce décret devenait pour un parti une espèce de garantie : il était à peine rendu que le parti opposé voulut en obtenir un autre qui le garantît également contre les vues présumées de ses adversaires. Buzot, qui déjà avait fait adopter le décret contre ceux qui tenteraient le rétablissement de la royauté (voyez plus haut, pages 230 et suiv.), demanda le bannissement de tous les Bourbons, sans excepter Philippe d'Orléans, malgré son titre de représentant du peuple. Cette proposition fut vivement appuyée par J. B. Louvet, Lanjuinais, Henri-Larivière, Génissieux, Merlin (de Thionville), Barrère, Cambon, Vergniaud, etc., mais combattue par Duhem, Bréard, Chabot, Saint-Just, Jean-Bon-Saint-André, CamilleDesmoulins, Albitte, Tallien, Rewbel, Robespierre, etc. Ce n'est pas que ces derniers ne jugeassent nécessaire la disposition proposée par Buzot; mais ils la trouvaient prématu rée, et ils pensaient qu'elle était jetée en avant pour interrompre le procès de Louis, et pour mettre hors de cause toute

sa famille; du reste ils s'appuyaient d'un décret portant qu'après l'affaire du roi la Convention prononcerait sans interruption sur la famille des Bourbons. (Voyez plus haut, page 237.) Les débats s'élèvent; les motions incidentes, les amendemens se multiplient; enfin, dans la même séance du 16,

« La Convention nationale décrète que tous les membres de la famille de Bourbon Capet, excepté ceux qui sont détenus au Temple, sur le sort desquels la Convention doit prononcer, sortiront dans trois jours du département de Paris, et dans huit jours du territoire de la République, ainsi que des

par ses armées.

pays occupés Elle ajourné à deux jours la question de savoir si Philippe, ci-devant d'Orléans, ayant été nommé représentant du peuple, peut être compris dans le décret. »

Le 19 l'ordre du jour appelait la question relative à Philippe d'Orléans. Fayau parla en sa faveur, et demanda le rapport du décret du 16. Henri-Larivière et Lanjuinais se prononcèrent derechef pour le bannissement de tous les Bourbons, et pour le maintien du décret qui le prescrivait. De nouveaux débats, ou plutôt un nouveau tumulte s'éleva dans l'Assemblée, et se termina par cette décision:

« La Convention suspend l'exécution de son décret du 16 de ce mois relativement à la famille des Bourbons, et ajourne la discussion sur le fond immédiatement après le jugement de Louis XVI. »

(Nous donnons plus loin la discussion concernant le bannissement de la famille des Bourbons.)

Le 17 on avait reçu la lettre ci-après des conseils de Louis:

Paris, 16 décembre 1792, an 1er de la République française.

Citoyen président, nous avons appris avec douleur que la Convention nationale a fixé un terme très prochain pour le jour auquel Louis Capet doit être entendu dans sa défense. Permettez-nous de vous représenter qu'il est physiquement impossible à deux hommes, l'un plus que sexagénaire, et l'autre

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