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La Convention décrète : « Tous les actes publics porteront dorénavant la date de l'an premier de la République française. » (1)

Sur la proposition de Camus, elle décrète en outre « que le sceau des archives et celui de tous les corps administratifs porteront pour type une femme appuyée d'une main sur un faisceau, tenant de l'autre main une lance surmontée du bonnet de la liberté, et pour légende ces mots : République française.»

Après ces premiers travaux la Convention nationale voulut connaître la situation de la France; le 22 au soir elle décréta que les membres du conseil exécutif provisoire viendraient le lendemain lui rendre compte de leur gestion. Ce compte-rendu fut très succinct; nous en extrairons textuellement un paragraphe, celui qui sert de résumé au rapport fait par Roland, chargé du département de l'intérieur, et qu'il intitula Esprit public en France.

(Séance du 23.) Roland. « La volonté des Français est prononcée : la liberté et l'égalité sont leurs biens suprêmes ; ils sacrifieront tout pour les conserver.

» Ils ont en horreur les crimes des nobles, l'hypocrisie des prêtres, la tyrannie des rois ; des rois! ils n'en veulent plus; ils savent que, hors de la République, il n'est point de liberté ! La seule idée d'un fonctionnaire public héréditaire leur rappelle le danger de son influence corruptrice : un être aussi différent des autres ne peut exister parmi des hommes dont les devoirs sont égaux.

» Toute la France court aux armes; il s'agit de combattre des rois conspirateurs.

» L'énergie du peuple est extrême; avec elle on peut tout. faire; la patrie est sauvée si cette énergie se dirige vers le même but, si les forces se réunissent : cette réunion semble difficile à l'instant ; une multitude de traîtres cachés et soudoyés soufflent la discorde en semant les défiances; ils trompent les citoyens, et les déterminent à des actes qui nuisent à la chose publique, lorsque ceux qui les font croient la servir. J'ai employé de

(1) Voyez tome VIII, page 16, la note sur l'ère de la liberté.

grands moyens pour déjouer ces manœuvres; j'ai multiplié les lettres circulaires; j'ai favorisé la distribution des écrits qui m'ont paru les plus propres à éclairer mes concitoyens sur la situation des choses, sur leurs vrais intérêts. J'ai peut-être eu quelque succès; mais le grand moyen pour réunir tous les esprits, celui qui va produire le plus grand effet, parce que les inten¬ tions du peuple sont pures, la Convention nationale l'a saisi en proclamant la République : ce mot sera le signal d'alliance des amis de la patrie, la terreur de tous les traîtres!

» Lassé d'une suite de trahisons, le peuple répugne à donner sa confiance; cependant s'il continue à méconnaître les autorités qu'il a érigées lui-même, j'ose lui dire la vérité tout entière ; il se perd, et l'Etat périt! Un ennemi puissant est sur notre territoire; ses efforts sont concertés, ses vues profondes, ses plans désastreux : les Français ne doivent voir que lui, ne songer qu'à lui pour le vaincre, et le repousser loin de la terre des hommes libres !

» Paris a donné le signal de l'action au reste de l'Empire dans toutes les grandes circonstances; ses habitans ont abattu le despotisme, prévenu ses fureurs, déjoué tous ses plans: leur agitation a brisé sa force; elle doit finir avec lui. Si l'agitation` survit à cet ennemi intérieur, elle prend sa place pour produire des effets non moins funestes. La France se déchire; tout se desorganise; le danger est extrême : Paris, qui a tant fait pour le bien de l'Empire, pourrait-il devenir la cause de ses malheurs! Non la Convention nationale va faire prendre à l'état des choses une face nouvelle; les membres qui y siégent connaissent comme moi les dangers que je viens d'exposer. Il me serait inutile de m'étendre davantage sur un sujet qui répugne à mon cœur ; mais j'ai cru devoir dire de grandes vérités : elles intéressent le salut de mon pays; et jamais la crainte ne m'a arrêté quand j'ai cru mes discours ou mes actions capables de le servir.

» La loi actuelle est bien la loi du peuple; il doit au moins provisoirement reconnaître son propre ouvrage dans les décrets qui émaneront de la Convention nationale. Nulle crainte ne peut plus éloigner son obéissance à la loi ; le pouvoir exécutif doit donc être revêtu d'une grande force : les ministres ne peu

vent plus être suspects; leur cause est commune avec celle de leurs concitoyens.

>>

Quiconque refusera son obéissance à la loi sera un homme perfide ou égaré; dans les deux cas sa résistance peut perdre l'Etat : il faudra donc le réprimer et le punir. La raison dirigera certainement la grande majorité des Français, et c'est à sa force que devra céder la minorité.

>> Ce n'est qu'avec un gouvernement vigoureux que les états libres se soutiennent : cette vérité est surtout applicable à un peuple de vingt-cinq millions d'hommes, à un temps de dangers publics et à une époque où toutes les ressources nationales doivent se déployer pour terrasser à la fois la fureur de l'anarchie et la coalition des despotes.

de

>> Cette idée me conduit à une autre, et dont je crois devoir l'expression à l'Assemblée nationale. Investie de la confiance du peuple, elle peut tout sans doute; il n'est rien qu'elle ne doive attendre de ce ressort, le plus puissant de tous les ressorts politiques, le seul qui doive agir sur un peuple libre dans les temps ordinaires; mais celui où nous sommes n'est pas cette classe. Autour de la Convention nationale Brunswick étend son influence; il produit des mouvemens sur lesquels la confiance est impuissante : il faut là de la force; elle seule peut confondre les trahisons. Je crois donc que la Convention nationale doit s'environner d'une force armée et imposante ; je crois que cette force doit être composée d'hommes qui n'aient d'autre destination que le service militaire, et qui le fassent avec une constante régularité : une troupe soldée peut seule atteindre à ce but. La Convention nationale pesera mon observation dans sa sagesse : la considération de sa sûreté est le grand motif qui me l'a fait concevoir.

» C'est par cette observation que je termine le compte rapide, mais fidèle, que je viens de vous rendre, messieurs, de la situation de la France en ce qui concerne l'administration qui m'était confiée. Je vous ai remis le tribut de mon expérience; en cela j'ai satisfait à mon devoir : je l'ai fait avec courage; et ce sentiment ne me quittera jamais tant que je pourrai quelque chose pour servir la cause de l'égalité, pour le bien de mes concitoyens, et pour la prospérité de la République! »

Première accusation portée contre Robespierre.

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Décret de la Con

vention qui déclare la République française une et indivisible.

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(Séance du 24.) Dans cette séance le ministre Roland dénonça à la Convention de nouveaux troubles civils qui désolaient plusieurs départemens; il en accusa les agitateurs du peuple, les provocateurs au crime, et demanda une loi contre eux. Kersaint appuya avec chaleur cette demande du ministre, et la convertit en motion. Elle fut combattue par Bazire, Tallien, Sergent, Collot (d'Herbois) et Fabre (d'Eglantine), qui taxèrent d'exagération les rapports faits par Roland; du reste ils invoquaient les lois existantes contre les délits dénoncés. Vergniaud, Lanjuinais et Buzot se joignirent à Kersaint pour démontrer l'insuffisance des lois pénales. Après une vive opposition la Convention décréta que six commissaires choisis dans son sein seraient chargés 1o de prendre les informations nécessaires pour lui rendre compte de la situation de la République, et notamment de la ville de Paris; 2o de rédiger un projet de loi contre les provocateurs au meurtre et à l'assassinat ; 3° de présenter les moyens de donner à la Convention nationale une force publique à sa disposition, et prise dans les quatre-vingt-trois départemens. (Cette dernière proposition, faite aussi par Roland, avait été formellement reproduite par Buzot.)

Dans ces débats se prépara le premier engagement qui eut lieu en assemblée générale entre les deux partis existant dans la Convention.

A l'ouverture de la séance du 25 plusieurs membres demandèrent le rapport des décisions prises la veille, comme injurieuses à la France, et en particulier au peuple de Paris : par une loi contre les agitateurs ils voyaient ouvrir les portes à l'arbitraire, et comprimer l'ardeur du patriotisme; ils ne voulaient point que la Convention nationale fût environnée d'autre garde que de l'amour du peuple et de la sollicitude des Parisiens. En réfutant ces assertions Lasource commença l'attaque ; il dénonça l'existence d'un projet qui tendait à établir une dictature ou un triumvirat; il signala, mais sans les nommer, les membres de la Convention qui aspiraient au pouvoir suprême, et qui pour y parvenir avaient

juré la perte d'un grand nombre de leurs collègues ; enfin il les accusa d'encourager, de protéger les assassins et les désorganisateurs : c'était surtout à la députation de Paris qu'il paraissait adresser ces reproches. Voulez-vous, dit Osselin, faire cesser ces malheureuses dissensions, faites que chacun s'explique librement, et je ne doute pas que chacun de nous ne soit prêt à le faire. Je suis né à Paris; je suis député de cette ville. On annonce un parti élevé dans son sein qui veut la dictature, des triumvirs, des tribuns: je déclare moi qu'il faut être profondément ignare ou profondément scélérat pour avoir conçu un semblable projet. Qu'anathême soit prononcé contre celui de la députation de Paris qui osera concevoir une telle idée! Voilà ce que je dis pour ma part; que chacun en fassc autant! Oui, s'écrie Rebecqui (député de Marseille ), oui, il existe dans cette Assemblée un parti qui aspire à la dictature, et le chef de ce parti je le nomme, c'est Robespierre! Voilà l'homme que je vous dénonce! (Rumeur.)-C'est un beau jour pour la République, dit Danton, que celui qui amène entre nous des explications fraternelles! S'il existe un homme pervers qui veuille dominer despotiquement les représentans du peuple, sa tête tombera aussitôt qu'il sera démasqué! Danton, député de Paris, avoue qu'en effet il y a dans la députation de cette ville un homme dont les opinions sont pour les républicains ce qu'étaient pour les royalistes les opinions de Royou; il nomme Marat : il attribue les sentimens exagérés de ce citoyen aux vexations qu'il a éprouvées; son âme, ajoute-t-il, se sera ulcérée dans les souterrains', dans les cachots où il a été jeté. D'ailleurs faut-il pour un individu égaré accuser une députation tout entière? On parle de dictateur, de triumvirs... Cette accusation est vague, indéterminée; il faut que les accusateurs la signent... - Je la signerai moi! interrompt Rebecqui. Mais Danton d'un autre côté croit apercevoir un parti qui veut morceler la France sous le ridicule prétexte de former une république fédérative; il s'indigne d'un tel projet quand les citoyens de Marseille n'ont d'autre vœu que de donner la main aux citoyens de Dunkerque. Pour calmer toutes les inquiétudes, pour réunir tous les partis, Danton finit en proposant à la Convention de décréter 1° l'unité de

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