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beaux élever la voix et crier vengeance! L'impulsion est donnée à l'Europe attentive; la lassitude des peuples est à son comble; tous s'élancent vers la liberté; leur main terrible va s'appesantir sur leurs oppresseurs! Il semble que les temps sont accomplis, que le volcan va faire explosion, et opérer la résurrection politique du globe!

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Qu'arriverait-il si, au moment où les peuples vont briser leurs fers, vous assuriez l'impunité à Louis XVI? L'Europe douterait si ce n'est pas pusillanimité de votre part; les despotes saisiraient habilement ce moyen d'attacher encore quelque importance à l'absurde maxime qu'ils tiennent leur couronne de Dieu et de leur épée, d'égarer l'opinion, et de river les fers des peuples, au moment où les peuples, prêts à broyer ces monstres, qui se disputent les lambeaux des hommes, allaient prouver qu'ils tiennent leur liberté de Dieu et de leurs sabres! L'impunité d'un seul homme serait un outrage à la justice, un attentat contre la liberté universelle !

» En jugeant Louis XVI vous obéirez à vos commettans, votre devoir; vous travaillerez au bonheur des générations actuelles et des hommes de l'avenir; car elles sont aussi de la famille ces races futures qui s'avancent en nous demandant le bonheur!

» Je conclus que Louis Capet peut et doit être jugé; mais puisque vous ne l'avez pas placé dans la classe des autres coupables, et que vous avez voulu agiter la question, oiseuse suivant moi, s'il était jugeable, peut-être est-il de votre magnanimité de l'entendre sur cette question même, pour qu'il ne puisse vous opposer des récusations ridicules et d'absurdes fins de non recevoir. Quand, traduit à votre barre, il vous aura, soit en personne, soit par l'organe de son défenseur officieux, présenté ses moyens, vous délibérerez sur la question préliminaire s'il est jugeable, et si vous adoptez l'affirmative, comme je l'espère, vous chargerez alors votre comité de législation de dresser l'acte d'accusation. » (Nombreux applaudissemens.)

La discussion fut suspendue; pendant cet intervalle, le 21, Thomas Payne, qui ne pouvait s'énoncer facilement en français, adressa son opinion écrite au président de la Conven

tion; un secrétaire en fit lecture. Thomas Payne avertit en commençant qu'il s'interdira l'usage des expressions équivoques ou de pure cérémonie.

« Il s'est formé, dit-il, entre les brigands couronnés de l'Europe une conspiration qui menaçait non seulement la liberté française, mais encore celle de toutes les nations... Louis XVI, considéré comme individu, n'est pas digne de l'attention de la République; mais envisagé comme faisant partie de cette bande de conspirateurs, comme un accusé dont le procès peut conduire toutes les nations du monde à connaître et à détester le système désastreux de la monarchie, les complots et les intrigues de leurs propres cours, il convient que son procès lui soit fait... A l'égard de l'inviolabilité je voudrais l'on ne fît aucune mention de ce mot. Si, ne voyant, plus dans Louis XVI qu'un homme d'un esprit faible et borné, mal élevé comme tous ses pareils, sujet, dit-on, à de fréquens excès d'ivrognerie, et que l'Assemblée constituante rétablit imprudemment sur un trône pour lequel il n'était pas fait, on lui témoigne par la suite quelque compassion, cette compassion doit être l'effet de la magnanimité nationale, et non le résultat de la burlesque idée d'une inviolabilité prétendue. »>

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Cependant la marche de cette discussion ne répondait pas à l'impatience publique; Couthon dans une motion d'ordre demanda qu'on mît fin à tant de lenteurs: Sans doute, dit-il, le fantôme de la royauté s'est évanoui devant la proclamation de la République ; mais les nations vous contemplent; elles attendent votre décision; vos ennemis vous épient la France vous demande justice, et vous la lui devez! — Sur la motion de Couthon, la Convention décréta le 24 que désormais deux jours par semaine, le mercredi et le samedi, seraient consacrés à la discussion relative au dernier roi. En conséquence le mercredi suivant, 28, la discussion fut reprise.

Faure, député de la Seine-Inférieure, déclara d'abord qu'ami des hommes il avait toujours été l'ennemi sentimental des rois; » mais il s'attacha ensuite à démontrer que Louis n'était pas jugeable.

"Il le serait s'il s'agissait de le décheoir pour mettre à sa place un autre roi : il ne l'est pas parce que la volonté du peuple a aboli la royauté, et que cette volonté équivalait au jugement de la déchéance. Est-il jugeable relativement aux crimeș qu'il a commis? Non; il est solennellement prononcé dans la Constitution qu'il n'est assujetti aux lois pénales que lorsqu'il sera entré dans la classe des citoyens... Votre intention est-elle de le juger sans l'entendre? Non; hé bien, j'ose vous demander où sont ses crimes! D'abord je vous dirai que la volonté du peuple aurait pu destituer un Tite comme un Néron, et que par dessus le marché on aurait pu lui trouver des crimes pour le punir, ne fût-ce que sa conduite devant Jérusalem. Le meilleur des rois a toujours comme souverain une férocité d'état invincible, soit qu'elle provienne de lui ou de ses alentours: un roi est une espèce de tigre qui a beau faire patte de velours, il ne peut s'empêcher d'étendre ses griffes... J'ai mis toute mon attention aux pièces lues contre Capet à la tribune; je n'y ai remarqué que la faiblesse d'un homme qu'on séduit pour lui donner l'espoir de pouvoir revendiquer son ancienne autorité, et qui se prête à des mouvemens aussi insensés par cette soif de dominer si naturelle à l'homme; et je soutiens que la grande pluralité des monarques morts dans leur lit étaient plus coupables que lui: le bon Louis XII même, en sacrifiant cinquante mille Français en Italie pour sa querelle particulière, était mille fois plus coupable... Liste civile, veto, choix de ses ministres, femme, frères, parens, courtisans, voilà les bourreaux de Capet! Que de séducteurs! J'invoque Aristide, Epictete; qu'ils me disent si leur fermeté eût tenu à cette épreuve! C'est sur le cœur des débiles mortels que je fonde mes principes ou mes erreurs. Lorsque je me tourne du côté de la politique, quoique ce point de vue, dépouillé de toute équité, me fasse horreur, je me dis : à quoi hon le supplice de Capet? La mort de Charles Ier a-t-elle réussi aux Anglais pour établir la République ? Non; le supplice du père a restauré le fils; et les mouvemens incalculables du peuple peuvent en France donner le même résultat. Si Louis était le dernier de sa race je dirais, comme quelques uns d'entre vous, salus populi suprema lex; qu'il périsse! Mais il a une nombreuse famille habile à

hériter du trône, suivant les folles maximes des rois. A quoi donc servira son supplice? Ce sera un homme de moins à l'égard de la prétention au trône... Qu'il serait beau, repré sentans du peuple, qu'il serait digne de votre mission, de cette souveraineté du peuple dont vos mandats yous décorent, de faire venir Louis Capet à votre barre, non comme un criminel, mais coinme un Français jadis élevé sur le pavois comme roi, et remis dans la foule par l'autorité suprême du peuple, et de lui dire : - Tu n'es plus notre roi; telle est la volonté du peuple, Nous ne te reprocherons point tes crimes: ton devoir était de nous conduire en bon père de famille; nous étions tes enfans... (Murmures, éclats de rire; une voix: Je demande qu'il soit permis à Faure de comparer Louis Capet à Saturne!) Nous étions tes enfans, et tu nous égorgeais! Connais donc la magnanimité du peuple qui t'avait choisi, malgré ta fuite, pour son premier fonctionnaire public: il t'élève au lieu de te punir; il te fait citoyen français! Ce titre est au dessus de celui de roi: Fabrice ne se serait point donné pour le roi d'Epire, ni le dernier des citoyens romains pour Jugurtha. Répare par tes vertus comme citoyen la conduite indigne que tu as tenue comme roi, Ta prison t'est ouverte. »

Serres, député des Hautes-Alpes, examina le rapport du comité de législation, en adopta tous les principes, et termina ainsi son opinion: « D'après la Constitution et ces raisonnemens je me demande Louis XVI peut-il étre jugé? Je réponds : Oui. »

L'Assemblée n'entendit que ces deux orateurs dans la séance du 28. La discussion devait être ajournée au samedi 1er décembre, conformément au décret cité plus haut; mais la même impatience qui avait provoqué ce décret n'en permit pas l'exécution : la question du procès, sans être à l'ordre du jour, restait présente à la pensée des orateurs, qui la voyaient dans tous les objets soumis à leur examen. L'Assemblée s'occupait alors des subsistances, des obstacles que la malveillance apportait à leur transport, de leur renchérissement, des taxations arbitraires auxquelles le peuple les avait

soumises dans plusieurs départemens, de l'apparente disette qui menaçait les villes, et enfin des écrits incendiaires qui agitaient les esprits de vifs débats s'étaient élevés sur les moyens de rétablir la tranquillité publique; Marat avait parlé, et l'horreur qu'alors encore il inspirait chaque fois qu'il prenait la parole avait porté le tumulte dans l'Assemblée. C'est en ce moment que Robespierre opina pour la première fois dans le procès de Louis XVI. Il parle d'abord dans le bruit; bientôt il fixe l'attention,

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(Séance du 30 novembre 1792.) Robespierre. demande que pour rendre plus infaillibles les mesures qu'elle va prendre la Convention y joigne immédiatement d'autres mesures générales dont l'influence sera plus puissante pour le retour de l'ordre, mesures qui vous honoreront, et qui prouveront que vous n'êtes guidés que par l'amour du peuple et de la liberté je demande qu'au sein de cette Assemblée revien– nent pour jamais l'impartialité et la concorde (applaudissemens); je demande la permission de proposer un moyen sûr de confondre les complots de tous les ennemis de la Convention nationale, c'est à dire de tous les partisans du royalisme et de l'aristocratie (applaudissemens); je demande à proposer un moyen de confondre à jamais les libellistes! (Ah, ah, ah!) La majesté de la Convention nationale, comme celle de la nation française, qu'elle représente, est au dessus de leurs faibles coups, car elle tient dans ses mains un moyen toujours prêt de leur imposer silence; elle peut répondre par un décret à l'imbécile fureur des pamphlets lancés sur elle : ce moyen le voici. (Grand silence.)

» Je demande que demain le tyran des Français, le chef, le point de ralliement de tous les conspirateurs, soit condamné à la peine de ses forfaits! (Applaudissemens d'une partie de l'Assemblée et de tous les citoyens des tribunes.) Je demande à prouver en dix minutes que tant que la Convention différera la décision de ce procès elle réveillera toutes les factions, elle ranimera toutes les espérances des amis de la royauté.

» Après demain vous concilierez les droits de la propriété avec la vie des hommes; vous prononcerez sur les subsistances,

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