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festes et les aristocrates cachés! Ne nous le dissimulons pas; si l'on soumet Louis Capet à un autre jugement que celui qui a prononcé de droit et de fait sa destitution on va informer sur tous ses crimes; ensuite on ouvrira le code pénal, et l'on y trouvera pour chacun des actes de conspiration la peine de mort le juger encore et le tuer c'est manifestement la même chose or voilà ce que veulent à tout prix les anarchistes et les aristocrates, qui font ici cause commune, mais pour une fin différente.

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» Les premiers veulent redonner au peuple le goût du sang; il leur faut encore cent cinquante mille têtes qui tiennent à l'ordre, et qui veulent avec l'autorité de la sagesse, seul empire. dans la liberté, la tranquillité intérieure: le sang d'un ci-devant roi a, par l'effet contraire de la précédente superstition, quelque chose de plus irritant, et qui excite une soif plus ardente dans le peuple qui s'en abreuve. Quand je parle ici du peuple, citoyens, c'est de cette portion toujours prête à s'agiter et à entrer en fureur; c'est du peuple des scélérats; ce n'est pas du peuple français: celui-là, qui compose éminemment la nation, est magnanime, juste, ennemi de tout désordre; il veut la liberté avec tous ses biens; il a horreur de la licence et de tous ses excès mais cette tourbe infâme pour qui le brigandage est le bonheur ne respire que le carnage des meilleurs patriotes; elle tient par son agitation effrénée la grande masse paisible des citoyens en épouvante! Il est assez visible que ce n'est qu'avec les buveurs de sang que les anarchistes peuvent parvenir à dominer; ils comptent donc bien que, le sang du ci-devant roi coulant illégalement, je le répète, parce que la loi contraire, malgré toutes les interprétations et les subtilités, est formelle, illégalement sur l'échafaud, rien ne sera plus sacré, ni les lois ni les personnes, pour la classe d'hommes perdus qui vont au crime comme les héros à la victoire : les innocens de la famille ci-devant royale seront égorgés, et les meurtriers exécrables appelleront cet attentat contre la justice éternelle un grand service rendu à la nation! Ils lui en rendront d'autres plus importans encore dans le même genre; ils nommeront factieux, royalistes, traîtres, les républicains sages et sévères qui invoqueront les lois; ils en débarrasseront la patric! Je le veux,

citoyens, ils ne réussiront pas ; la patrie indignée se levera pour anéantir ces monstres; mais des crimes énormes auront été commis, et le repos intérieur de la République, ce repos si nécessaire aux vastes conquêtes de la liberté, aura souffert de longues atteintes, et manqué à l'accélération du bonheur du monde !

» Les seconds, les aristocrates cachés, désirent aussi le jugement et la mort du ci-devant roi, soit qu'on égorge ensuite son fils, soit qu'il survive; ils espèrent que les puissances neutres seront elles-mêmes entraînées par cet événement dans la cause des princes, qu'un mouvement d'horreur contre une nation qui paraîtra avoir violé ses propres lois pour assouvir ses vengeances armera contre nous du midi au nord toute l'Europe, qu'une forte agitation anarchique dans l'intérieur de l'empire rendra notre défense impossible, et le succès de nos ennemis facile et sûr... Voilà leurs projets, voilà leurs espérances! C'est ainsi que les bons, les vrais patriotes qui opinent pour le jugement ultérieur de Louis Capet, par un louable motif d'exécration contre le traître et contre la royauté, servent aveuglément la cause des adversaires de la patrie! Je l'avoue, citoyens, je le redis avec une conviction invincible, quoi qu'il arrive, nous triompherons de tout: la liberté est devenue le besoin suprême et l'inéluctable destinée de l'univers : mais évitons au milieu de nous les agitations cruelles et les secousses sanglantes; soyons justes; marchons au bonheur et à la paix de l'humanité!

» Je conclus que la destitution du ci-devant roi, prononcée de droit et de fait dans le décret qui abolit la royauté, est, quant à ses délits antérieurs, son jugement définitif, et que par mesure de police nationale il doit être détenu jusqu'à l'époque où le corps législatif, qui a la haute police de l'empire, déclarera que sa détention n'importe plus à la sûreté de l'Etat. »

François Robert, député de Paris, prit la parole après Fauchet: - Assez et trop longtemps, dit-il, les rois ont jugé les nations; le jour est venu où les nations jugeront les rois! -Robert vota non seulement pour que le roi fút jugé, mais il appela la mort sur sa tête, quoique le droit d'infliger la peine de mort lui parût une erreur barbare. Voici com

ment il concilie ces deux avis dans un passage de son discours :

« Je veux bien qu'on laisse la vie à un roi quand il n'y en aura plus qu'un seul sur la terre; mais si longtemps que l'on comptera encore deux despotes il faut que l'un des deux périsse! Citoyens, qu'il m'en coûte de vous tenir ce langage! Ne dirait-on pas à m'entendre que je suis le partisan du système de ceux qui croient que la société a le droit d'infliger la peine de mort! Non, je ne partage pas cette erreur barbare; ma conscience et mon cœur me disent que la vie est un bien indépendant de la société, un bien l'homme ne que de l'auteur de la nature, partient que tant un bien dont l'auteur de la nature a seul droit de le priver. Républicain farouche! pourquoi mens-tu donc ici à ta conscience et à ton cœur? Pourquoi appelles-tu la peine de mort sur la tête d'un coupable lorsque tu crois que la peine de mort est au-delà du pouvoir de la société? — Pourquoi! Je vais vous le dire. Parce qu'un roi qui a l'insolence de vouloir régner au nom de l'Etre suprême, qui a l'audace de s'intituler roi par la grace de Dieu, est un monstre nouveau qui flétrit l'humanité, qui en impose à la nature entière; qui fait plus, qui outrage directement la majesté de l'auteur de toutes choses! Assez longtemps l'église s'était chargée du soin de venger le ciel ; ressaisissons-nous de ce droit! Après avoir vengé les peuples vengeons nous-mêmes la Divinité, si impudemment outragée! C'est un bel hommage à rendre, c'est, j'ose le dire, le seul qui puisse acquitter le bienfait immense de la révolution du 10 août! Ainsi que la tête de Louis XVI tombe, et que ce soit la dernière; prenons l'engagement sacré d'abolir la peine de mort dès que le tyran ne sera plus!

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Ces quatre députés entendus, la discussion fut ajournée au surlendemain, 15. Alors, sur la demande de plusieurs membres, une plus vaste carrière fut ouverte aux orateurs; la Convention rapporta le décret qui les obligeait à se renfermer dans la question de savoir si Louis XVI pouvait être jugé; elle décida qu'on pourrait examiner à la fois toutes les dispositions du décret proposé par le comité de législation.

Rouzet, député de la Haute-Garonne, combattit avec

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chaleur le projet du comité, à qui il reprocha en même temps l'emploi très impropre du mot jugeable. Il convenait, comme tous ceux qui partageaient son opinion, de la culpabilité de Louis XVI, mais il en rendait responsables les premiers législateurs :

« Un être inviolable, dit-il, c'est à dire impunissable, puisque c'est là l'acception dans laquelle l'Assemblée constituante a consacré le mot, un être inviolable est un monstre dans l'ordre social; mais en supposant que la société eût encore à frapper une telle production sa juste colère ne devrait-elle pas plutôt retomber sur les créateurs!... Les rois avaient usurpé sur nous l'autorité; et rien certainement ne pouvait, ni en justice ni en fait, maintenir cette usurpation lorsque notre volonté était de la faire cesser; mais au lieu de reprendre l'intégrité de nos droits les constituans ont transigé... Dispensons-nous de qualifier la transaction, et ne nous occupons que de son existence et des effets qu'elle devait produire.

» Elle devait nécessairement entretenir une lutte continuelle entre la nation, vraiment souveraine de droit, et le ci-devant souverain de fait, devenu roi constitutionnel : celui-ci a heureusement péri dans l'action. Faudrait-il donc adopter la maxime qu'il est criminel parce qu'il a été vaincu ? C'eût été à coup sûr la sienne s'il avait été vainqueur ; mais une grande nation doitelle s'avilir jusqu'à mettre en pratique les maximes des despotes ? La domination de ceux-ci ne peut se consolider que par la terreur; et que ne faut-il pas se permettre pour soutenir le prestige de la puissance absolue d'un seul sur vingt-cinq millions de ses semblables! Et quelle lâcheté n'y aurait-il pas à vingt-cinq millions s'ils s'abaissaient aux mêmes moyens pour assurer leur indépendance! >>

Rouzet voulut ensuite toucher l'Assemblée en lui rappelant que cette indépendance n'était pas seulement le résultat des crimes de Louis, mais qu'elle avait aussi été préparée par la philosophie qui avait dirigé ce prince à son avénement au trône :Il a volontairement renoncé à une partie des prétendus droits que ses prédécesseurs s'étaient permis d'exercer; il a aboli la servitude dans ce qu'on appelait alors ses domaines; il a appelé dans ses conseils tous les hommes que la

voix publique lui désignait, même les empyriques qui avaient fasciné les yeux du peuple, et qui l'ont induit d'erreur en erreur, précipité d'abîme en abîme... - Enfin, après avoir représenté à ses collègues qu'en déclarant le roi jugeable ils se constituaient juges et partie, qu'il n'était ni de leur dignité ni de leur intérêt de juger le roi, qu'ils devaient bien plutôt donner à l'univers le spectacle d'un grand roi rentré avec sa famille dans la classe des citoyens, la seule avouée par la nature; spectacle bien plus imposant, bien plus énergique, leçon bien plus sublime que celle que prépareraient tous les bourreaux réunis, Rouzet conclut en proposant le projet de décret suivant :

« La Convention nationale, applaudissant au zèle et au courage que l'Assemblée nationale législative a déployé lors de la suspension du pouvoir exécutif dans les mains de Louis XVI, demeurant l'abolition de la royauté en France et la proclamation de la République, décrète que lors de la présentation de la Constitution à l'acceptation du peuple français il lui sera proposé de régler le sort de Louis XVI, de son fils et de sa fille, de sa femme, de sa sœur Elisabeth, et de tous les individus de la maison ci-devant régnante actuellement en France; et jusque là la Convention nationale fera pourvoir à la sûreté et subsistance du ci-devant roi et de ceux de sa famille qui sont au Temple. »

OPINION de Grégoire, député de Loir-et-Cher. - Pour l'affirmative. Séance du 15 novembre 1792. (Immédiatement après Rouzet.)

La postérité s'étonnera sans doute qu'on ait pu mettre en question si une nation entière a le privilége de quiconque délégue, et si elle peut juger son premier commis!

» Il y a seize mois (1) aujourd'hui qu'à cette tribune j'ai prouvé que Louis XVI pouvait être mis en jugement: j'avais l'honneur de figurer dans la classe peu nombreuse de patriotes qui luttaient, mais avec désavantage, contre la masse de brigands de l'Assemblée constituante des huées furent le prix de mon courage. Citoyens, je viens plaider la même cause: je parle à

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(1) Le 15 juillet 1791. Voyez tome IV, page 120.

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