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donner une attitude simple et fière comme la vertu et le génie, et, en assignant à chacun de nos présidens une même habitation, de faciliter aux citoyens les moyens de l'entretenir lors qu'ils en auront besoin. »

Tallien. « Ce n'est pas sans étonnement que j'entends discuter ici sur un vain cérémonial! Il ne peut pas être mis en question si lors de ses fonctions le président de la Convention aura une représentation particulière; mais hors de cette salle il est simple citoyen: si l'on veut lui parler on ira le chercher au troisième, au cinquième étage; c'est là que loge la vertu! Je demande la question préalable sur la proposition: du citoyen Manuel; elle est indigne des représentans du peuple, et ne doit jamais être reproduite. » (Applaudissemens.)

La proposition de Manuel est rejetée à une grande majo

rité.

Diverses motions sont faites sur l'instante nécessité de proclamer les sentimens et les principes qui dirigeront les travaux de la Convention, afin de prémunir le peuple contre les insinuations absurdes de la malveillance, qui pour le porter au désordre ne cesse de lui répéter qu'il n'y a plus ni lois ni gouvernement; les opinans, qui se succèdent rapidement à la tribune, proposent entr'autres de décréter:

1°. (Tallien.) Que la Convention nationale ne donnera d'autres bases à la nouvelle Constitution que la liberté et l'égalité, qu'elle s'y engagera par un serment solennel, et qu'elle ne se séparera pas sans avoir terminé ce grand ouvrage, d'où dépend le bonheur de la France.

2o. (Couthon.) Que chaque membre de la Convention jurera la souveraineté du peuple, sa souveraineté tout entière, et qu'une exécration universelle sera également vouée et à la royauté, et à la dictature, et au triumvirat, et à toute espèce de puissance individuelle quelconque qui tendrait à modifier ou à restreindre la souveraineté du peuple.

3o. (Bazire.) Que quiconque osera attenter à la liberté et

aux droits du peuple en proposant la création d'une autorité individuelle et héréditaire sera puni de mort.

Ces trois motions restent sans suite; toute l'attention de l'Assemblée s'arrête sur deux autres propositions, faites par Danton, et sur le champ décrétées en ces termes :

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« La Convention nationale déclare :

» 1°. Qu'il ne peut y avoir de Constitution que celle qui est acceptée par le peuple.

» 2°. Que les personnes et les propriétés sont sous la sauvegarde de la nation. »

La Convention décrète ensuite :

Sur la proposition de Philippeaux, 1o « Que, jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné, les lois non abrogées seront provisoirement exécutées, et que les pouvoirs non révoqués ou non suspendus seront provisoirement maintenus.

Sur la proposition de Camus, 2° « Que les contributions publiques existantes continueront à être perçues et payées comme par le passé.

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Manuel. « Vous venez de consacrer la souveraineté du peuple; mais il faut débarrasser le peuple d'un rival. La première question à aborder c'est celle de la royauté, parce qu'il est impossible que vous commenciez une Constitution en présence d'un roi. Je demande, pour la tranquillité du peuple, que vous déclariez que la question de la royauté sera le premier objet de vos travaux.» (Applaudissemens.)

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Collot (d'Herbois). « Vous venez en effet de prendre de délibérations; mais il en est encore une grande, une salutaire, une indispensable; il en est une que vous ne pouvez remettre à demain, que vous ne pouvez remettre à ce soir, que vous ne pouvez différer un seul instant sans être infidèles au vœu de la nation; c'est l'abolition de la royauté! Je demande que la Convention nationale déclare que la base immuable de toutes ses opérations sera l'abolition de la royauté. (Applaudissemens unanimes.)

Quinette. « Il ne s'agit pas de faire des sermens, il ne s'agit pas de faire des déclarations; ce n'est pas nous qui sommes juges de la royauté; le peuple entier l'a jugée : et si quelqu'un de nous osait encore proposer une telle institution, c'est nous que le peuple jugerait encore! Cette déclaration ne signifierait absolument rien dans la naissance d'une société déjà nous avons fait le serment de combattre jusqu'à la mort les rois et la royauté; ce serment doit suffire. Notre mission est d'instituer un gouvernement positif; le peuple optera ensuite entre l'ancien, où se trouvait la royauté, et celui que nous lui présenterons. Quant à moi, comme représentant du peuple français, je ne songe ni aux rois ni à la royauté ; je m'occupe tout entier de ma mission, sans penser qu'une pareille institution ait jamais pu exister. Ce n'est donc pas la royauté que nous avons à juger; c'est Louis XVI, qui a été un instant sur le trône, et qui a manqué de faire périr la nation, la liberté et l'égalité; c'est Louis XVI qu'il faut punir! Je pense donc qu'il est inutile de s'occuper en ce moment de la proposition du préopinant.

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Grégoire, « Certes personne de nous ne proposera jamais de conserver en France l'institution funeste des rois; nous savons trop bien que toutes les dynasties n'ont jamais été que des races dévorantes qui ne vivaient que du sang des peuples : mais il faut pleinement rassurer les amis de la liberté; le mot de roi est encore un talisman dont la force magique serait propre à stupéfier bien des hommes, et à devenir le principe de beaucoup de désordres. Je demande donc que par une loi solennelle vous consacriez l'abolition de la royauté.

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«Tous les membres de l'Assemblée se lèvent par un mouvement spontané, et, par des acclamations unanimes, ils protestent de leur haine contre une forme de gouvernement qui a causé tant de maux à la patrie. » (Expressions du procès-verbal.)

Bazire. « Je demande à faire une motion d'ordre. L'Assemblée vient de manifester par l'unanimité de ses acclamations sa haine profonde pour les rois; on ne peut qu'applaudir à cę

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sentiment, si concordant avec celui de l'universalité du peuple français; mais, citoyens, il serait d'un exemple effrayant pour le peuple de voir une assemblée de philosophes, chargée de ses plus chers intérêts, délibérer dans un moment d'enthou→ siasme... (Quelques membres demandent que l'orateur soit rappelé à l'ordre.) Je ne crains pas que l'on m'accuse d'aimer les rois; le premier j'ai élevé ici la voix contre Louis XVI, et certes je ne serai pas le dernier à prononcer l'abolition de la royauté mais, citoyens, ce que je crains, ce que je redoute c'est l'enthousiasme, Certes il faut abolir la royauté ! Le peuple veut cette abolition; il la faut! Mais une décision de cette importance, que sans doute tous les peuples de l'Europe prendront avec vous, mérite d'être précédée d'une discussion solennelle. »

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Grégoire. « Eh! qu'est-il besoin de discuter quand tout le monde est d'accord? Les rois sont dans l'ordre moral ce que les monstres sont dans l'ordre physique; les cours sont l'atelier du crime, le foyer de la corruption; l'histoire des rois est le martyrologe des nations : dès que nous sommes tous également pénétrés de ces vérités, qu'est-il besoin de discuter? Je demande que ma proposition soit mise aux voix, sauf à la rédiger ensuite avec un considérant digne de la solennité de ce décret. » (Applaudissemens réitérés.)

Manuel, « Le pacte social commence aujourd'hui : quand le peuple commence un pacte social il n'a pas de roi, puisque c'est lui qui les fait. Vous ne pouvez pas abolir la royauté; elle n'existe point; mais vous pouvez déclarer que la nation ne veut pas de roi, , que la nation ne reconnaît pas de royauté : ainsi substituons au mot abolition un mot qui soit d'accord et avec les principes et avec nos sentimens profonds de haine contre la royauté. » (Applaudissemens.)

La discussion est fermée. Il se fait un profond silence; le président met aux voix la proposition principale, et, à l'unanimité, l'Assemblée l'adopte en ces termes :

« La Convention nationale décrète que la royauté est abolie » en France. »>

Ce décret est salué par une explosion d'applaudissemens qui partent en même temps de l'Assemblée et des tribunes. publiques; les témoignages de joie, les cris de vive la nation se prolongent pendant plusieurs minutes, et sont bientôt répétés de toute part: la Convention ordonne immédiatement la publication solennelle du décret qu'elle vient de rendre, et l'envoi de son procès-verbal à toutes les municipalités.

C'est ainsi que dans sa première séance, et en moins de deux heures, la Convention nationale, en proclamant la souveraineté du peuple et l'abolition de la royauté, acheva de détruire un édifice de quátorze siècles, donna une nouvelle direction aux esprits, et à l'Europe une existence nouvelle : si des contemporains ont cru pouvoir lui contester l'application des principes, du moins la postérité ne pourra-t-elle lui refuser cette justice que dans les circonstances elle déploya un grand courage; la ligue des rois coalisés occupait alors une partie du territoire français.

(Séance du 22.) Billaud-Varennes demande que dorénavant, au lieu de dater l'an 4 de la liberté, on date l'an premier de la République française. (Applaudissemens.) Salles fait observer que l'époque de la prise de la Bastille ne doit jamais sortir de la mémoire des Français; il pense que l'on doit continuer de dater de l'ère de la liberté, parce qu'en 1789 la France a commencé d'être libre, et que c'est à cette époque que ses premiers représentans ont proclamé la Déclaration des Droits de l'homme.

Lasource. «Il serait ridicule de dater encore l'an 4 de la liberté, car sous la Constitution le peuple n'avait point de liberté véritable. (Applaudissemens.) Hé quoi, citoyens lorsque les patriotes étaient exclus des fonctions publiques, lorsqu'ils étaient chassés des armées par des intrigans, lorsqu'ils étaient persécutés, opprimés sous toutes les formes par des autorités tyranniques, les Français étaient libres! Non, citoyens, non! Nous ne sommes libres que depuis que nous n'avons plus de rois! (Applaudissemens.) Je demande donc que l'on date de l'an premier de la République. »

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