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tenait pour ainsi dire notre force enchaînée par le pouvoir qu'il avait d'en disposer à son gré, lorsque tous les despotes de l'Europe s'étaient coalisés pour l'intérêt de sa cause, lorsque l'esprit public n'avait fait encore que de faibles progrès, Louis XVI ́a vu le sceptre de la tyrannie se briser entre ses mains; et vous croiriez, représentans, qu'il serait encore à craindre lorsqu'il n'est plus dans une position aussi favorable pour lui, aussi dangereuse pour nous, lorsque les despotes ses défenseurs fuient à grands pas devant nos généreux guerriers, lorsque le jour de la liberté précède partout nos armées victorieuses, lors enfin que les peuples nos voisins seront bientôt nos imitateurs et nos amis! Oui, citoyens, une telle crainte serait pusillanime; elle serait injurieuse aux Français; elle le serait à la totalité du genre humain!

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Et, si nous pouvions craindre encore le joug du despotisme, croyez-vous que la mort de Louis XVI pourrait nous en garantir? N'a-t-il pas un fils, des frères, des parens qui succéderaient à ses prétentions, et qui auraient pour nous asservir généralement tous les moyens que l'on pourrait supposer à Louis XVI? Une tête coupée, il s'en présenterait une autre à sa place, et notre position serait toujours la même.

>>

L'Angleterre fit tomber sur un échafaud la tête du criminel Charles Stuard, et l'Angleterre se vit encore sous la dépendance d'un roi : Rome au contraire, plus généreuse, ne fit que chasser les Tarquins, et Rome a joui pendant longtemps du bonheur d'être en république.

» Nous n'avons donc aucun intérêt à juger Louis XVI : c'était la seconde proposition que j'avais à vous démontrer, et sans doute j'ai rempli mon objet.

» Mais n'avons-nous pas le droit de prendre à son égard des mesures de sûreté générale?

>> Louis XVI est certainement notre ennemi; nous l'avons surpris dans les trames de la plus noire trahison; il était contre nous les armes à la main nous l'avons attaqué et vaincu; nous avons brisé le talisman de sa puissance; nous l'avons fait captif, et maintenant il est entre nos mains, à notre entière dispo

sition.

Citoyens, c'est ici que nous pouvons ouvrir le code des

nations, que nous pouvons consulter le droit de la guerre; nous y verrons d'une manière très claire, très positive, que nous pouvons regarder Louis XVI comme le prix de la victoire, le tenir à jamais captif parmi nous, le chasser de notre territoire, ou mettre un prix à sa rançon si ses partisans ont l'intention de le réclamer.

Voici nos droits, citoyens; voyons maintenant quel est le parti que nous devons prendre.

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Nous pouvons le retenir captif parmi nous; mais calculons quels sont les inconvéniens que présenté cette mesure. Louis XVI dans sa captivité pourrait encore se faire des partisans : il est des hommes qui n'ont pu s'élever à la hauteur de la révolution, qui sont assez faibles, assez ignorans pour aimer la royauté et les rois; il est des factieux qui profiteraient de cette faiblesse, de cette ignorance pour répandre encore l'anarchie et le désordre, qui chercheraient par ces moyens funestes à détruire la liberté, à s'élever sur ses ruines, en sacrifiant même jusqu'au mannequin qu'ils auraient fait encenser.

» De telles entreprises sans doute ne seraient pas couronnées du succès; l'exemple du passé peut ici nous répondre de l'avemais les factions sont une maladie des sociétés, et surtout des Républiques; il faut que nous sachions les prévenir.

nir;

» Il est vrai qu'en prenant ce parti on pourrait nous payer pour Louis XVI une rançon très considérable; j'ai ouï dire même au comité de surveillance qu'on nous le paierait cent millions; mais lorsqu'il s'agit d'un acte de justice, d'un acte de sûreté générale, les Français sont trop puissans pour s'arrêter par la considération de leurs finances.

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Citoyens, la mesure la plus conforme à nos principes, à notre intérêt, à notre générosité, serait à mon avis de le chasser de notre territoire, de lui laisser le pouvoir entier d'aller chez toutes les puissances de l'Europe solliciter personnellement des secours contre nous, y porter ses remords, ou la rage impuissante que lui cause cette défaite.

» Il apprendrait au moins par son exemple à tous les peuples du monde cette double vérité, que les rois n'ont de puissance que par l'ignorance des peuples, et que les peuples deviennent libres aussitôt qu'ils ont formé la résolution de le devenir!

>> Dans tous les cas notre position serait toujours la même, puisque nous aurons nécessairement pour ennemis tous les despotes, ou au moins tous ceux qui auront le courage ou le pouvoir de se déclarer contre nous; je dis plus, nous y trouverions un avantage certain en ce que Louis XVI serait pour nos ennemis une charge sous tous les rapports.

» C'est en prenant cette mesure, citoyens, , que nous éviterons de faire une procédure monstrueuse qui durera beaucoup trop longtemps, et qui peut avoir des suites très fâcheuses; c'est en prenant cette mesure que nous serons sûrs d'avoir une approbation générale, et de l'avoir méritée par l'accomplissement de nos devoirs; c'est en la prenant enfin que nous serons véritablement grands, véritablement dignes d'être les représentans d'un peuple qui veut pour toujours être libre et généreux! (1)

» En conséquence je demande la question préalable sur le projet du comité, et je propose le décret suivant :

» La Convention nationale, considérant que Louis XVI s'est lâchement parjuré plusieurs fois, qu'il a trahi la nation française par les plus noires perfidies, qu'il avait formé le projet de l'asservir sous le joug du despotisme, qu'il a soulevé à cet effet contre elle une partie de l'Europe, qu'il a fait passer le numéraire de la France aux ennemis mêmes qui s'étaient armés et coalisés contre elle, qu'il a fait égorger par des ordres précis plusieurs milliers de citoyens qui n'avaient commis d'autre crime à son égard que d'aimer la liberté et leur patrie;

» Considérant qu'il serait peut-être d'une justice rigoureuse de faire expier à Louis XVI sur un échafaud la peine due à ses forfaits, mais que si la nation française veut bien encore lui faire grâce elle a le droit incontestable de le tenir captif comme un

(1) « Quelle que soit la forme du jugement de Louis XVI, il faudra au moins plusieurs mois avant que de pouvoir le prononcer, l'exécuter; pendant tout ce temps il y aura dans la société des agitations continuelles, dangereuses peut-être : nous pouvons les éviter en prenant une mesure conforme à tous les principes, qui peut se mettre demain à exécution, et qui ne présente aucune espèce d'inconvénient, » (Note de l'orateur.)

ennemi vaincu et pris les armes à la main, elle peut également le chasser de son territoire comme un homme méchant,, dangereux, indigne de participer aux avantages de son contrat social;

» Considérant qu'une peine, quoique juste dans son application, ne doit être infligée que lorsqu'elle peut servir à l'intérêt de la société; que la mort de Louis XVI ne peut être d'aucune utilité publique, que les Français sont trop puissans et par leurs principes et par les ressources infinies de leur territoire pour que Louis XVI et tous les despotes du monde puissent jamais les asservir;

» Considérant enfin qu'il est dans le cœur de tous les Français d'être généreux même avec leurs ennemis les plus cruels, décrète ce qui suit :

» Art. rer. Louis XVI est banni à perpétuité du territoire de la République française.

» 2. Si après son expulsion de la France Louis XVI rentre sur son territoire il sera puni de mort. Il est enjoint dans ce cas à tous les citoyens de l'attaquer comme ennemi, et il sera payé une récompense de 500,000 livres à celui qui, l'ayant attaqué sur le territoire français, justifiera l'avoir fait périr sous ses coups.

» 3. Le présent décret sera envoyé aux diverses puissances de l'Europe avec lesquelles nous conservons des relations politiques ou commerciales. »

OPINION de Saint-Just, député de l'Aisne. Pour l'affirmative. Séance du 13 novembre 1792.

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J'entreprends, citoyens, de prouver que le roi peut être jugé; que l'opinion de Morisson, qui conserve l'inviolabilité, et celle du comité, qui veut qu'on le juge en citoyen, sont également fausses, et que le roi doit être jugé dans les principes qui ne tiennent ni de l'une ni de l'autre.

» Le comité de législation, qui vous a parlé très sainement de la vaine inviolabilité du roi et des maximes de la justice éternelle, ne vous a point ce me semble développé toutes les conséquences de ces principes; en sorte que le projet de décret

qu'il vous a présenté n'en dérive point, et perd pour ainsi dire

leur sève.

>> L'unique but du comité fut de vous persuader que le roi devait être jugé en simple citoyen; et moi je dis que le roi doit être jugé en ennemi, que nous avons moins à le juger qu'à le combattre, et que, n'étant pour rien dans le contrat qui unit les Français, les formes de la procédure ne sont point dans la loi civile, mais dans la loi du droit des gens.

>> Faute de ces distinctions on est tombé dans des formes sans principes, qui conduiraient le roi à l'impunité, fixeraient trop longtemps les yeux sur lui, ou qui laisseraient sur son jugement une tache de sévérité injuste ou excessive. Je me suis souvent aperçu que de fausses mesures de prudence, les lenteurs, le recueillement étaient ici de véritables imprudences; et après celle qui recule le moment de nous donner des lois la plus funeste serait celle qui nous ferait temporiser avec le roi. Un jour peut-être les hommes, aussi éloignés de nos préjugés que nous le sommes de ceux des Vandales, s'étonneront de la barbarie d'un siècle où ce fut quelque chose de religieux que de juger un tyran, où le peuple qui eut un tyran à juger l'éleva au rang de citoyen avant d'examiner ses crimes, songea plutôt à ce qu'on dirait de lui qu'à ce qu'il avait à faire, et d'un coupable de la dernière classe de l'humanité, je veux dire celle des oppresseurs, fit pour ainsi dire un martyr de son orgueil!

» On s'étonnera un jour qu'au dix-huitième siècle on ait été moins avancé que du temps de César : là le tyran fut immolé en plein sénat, sans autre formalité que vingt-trois coups de poignard, et sans autre loi que la liberté de Rome ; et aujour→ d'hui l'on fait avec respect le procès d'un homme assassin d'un peuple, pris en flagrant délit, la main dans le sang, la main dans le crime!

» Les mêmes hommes qui vont juger Louis ont une république à fonder: ceux qui attachent quelque importance'au juste châtiment d'un roi ne fonderont jamais une république. Parmi nous la finesse des esprits et des caractères est un grand obstacle à la liberté; on embellit toutes les erreurs, et le plus souvent la vérité n'est que la séduction de notre goût.

» Votre comité de législation vous en donne un exemple dans

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