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DE

RAPPORTS, OPINIONS

ET

DISCOURS

PRONONCÉS A LA TRIBUNE NATIONALE DEPUIS 1789 JUSQU'A CE JOUR.

Nous quittons des ruines : un imposant, un superbe édifice

se présente; quelques cyprès se mêlent aux chênes qui l'ombragent: nous allons admirer, soupirer parfois, mais bien

tôt admirer encore.

Il n'y avait plus ni pouvoir ni Constitution; l'anarchie régnait l'intrigue et la présomption, délibérant aux armées, avaient laissé l'ennemi envahir le territoire.

On a vu que ces maux, les derniers de tous, prirent naissance dans la vieillesse de l'Assemblée constituante: alors on pouvait conjurer le danger; on ne voulut point le voir : l'orage grossit; il éclata, et l'Assemblée législative passa à travers les tempêtes.

Combien elle produit de désastres cette résistance à la force Occulte qui dirige les empires! Si l'on ne peut les sauver de la décadence, on peut encore moins les ravir à la grandeur; si l'une n'est jamais retardée qu'en devenant plus honteuse, les entraves apportées au développement de l'autre rendent plus éclatant le triomphe des peuples. Souvent ce triomphe est ensanglanté; mais qui doit en être responsable? Ceux qui l'ont suspendu.

La révolution française donne encore sur ce point un exemple frappant, qui devrait enfin devenir une loi pour les hommes que la confiance des peuples place ou conserve à leur tête.

Avant 89 le gouvernement français avait senti cette vérité; il parut céder aux volontés, aux besoins des peuples... Loin de s'associer de bonne foi à la gloire des constituans, il ne

s'attacha qu'à les séduire ou à les tromper. S'il les eût secondés, ces illustres auteurs de la Constitution de 91 auraient vu leur ouvrage conservé par la France, et la France serait arrivée plus tôt à l'époque de sa grandeur.

Il n'y a qu'un pas entre l'action de faire reconnaître ses droits et l'essai de les exercer soi-même : la conduite des mandataires détermine à cet égard la conduite des commettans.

Ce pas le peuple français se vit contraint de le franchir : de là cette inévitable tourmente qui précéda et enveloppa la législature; de là cette lutte entre un pouvoir conspirateur et les représentans d'un peuple réduit à conspirer lui-même pour échapper à l'oppression; de là enfin de toute part cette absence des formes ordinaires, et cette conflagration générale de laquelle sortit un nouvel ordre de choses.

A l'ouverture de la Convention la royauté était réellement abolie, et la république proclamée; les premiers décrets de cette Assemblée n'ont fait que consacrer les vœux fortement exprimés du peuple. La France accueillit ces décrets avec enthousiasme, non pas comme un bienfait de ses législateurs, car elle les aurait exigés, mais parce qu'elle y voyait le respect de ses volontés.

De cette harmonie entre les commettans et les mandataires résulta l'invincible puissance dont le peuple français s'investit entre tous les peuples du monde; et la France, comme pour prouver qu'il est de sa destinée de donner en tout les premiers modèles du beau, la France, après avoir élevé sous ses rois le plus éclatant des trônes, présenta sous la Convention le tableau encore inconnu d'une république sans ilotes.

Toutes les espérances se groupaient autour de la Convention naissante. L'armée voulait à la fois réparer ses défaites et cueillir des lauriers : la Convention l'organisa pour la victoire, et bientôt les drapeaux de l'étranger furent appendus au sanctuaire de la représentation nationale. Les citoyens réclamaient de ces institutions fortes et sublimes qui portent les peuples libres à l'immortalité : la plupart des institutions fonclées par la Convention vivront autant que le nom français. Les ennemis de la liberté voyaient avec une joie atroce les divisions qui existaient entre les membres de la Convention la Convention fut unie pour comprimer et pumir les factieux, et l'étranger dans sa fuite précipitée apprit qu'un grand peuple, lorsqu'il est gouverné selon ses vœux, ue se laisse pas abattre par des revers, et qu'il ne traite point avec l'ennemi sur son territoire.

Mais n'anticipons pas sur le récit des faits; bornons-nous à les présenter dans l'ordre que nous avons adopté.

CONVENTION NATIONALE.

Septembre 1792.-An 1er de la République française.

TABLEAU DES SÉANCES JUSQU'AU PROCÈS DE

LOUIS XVI.

Abolition de la Royauté. Fondation de la République. l'esprit public en France.

· De

LE 20 septembre 1792 les citoyens nommés à la Convention nationale se réunirent dans une des salles du palais des Tuileries le nombre des députés présens dépassait celui prescrit par la loi pour qu'ils pussent se former en assemblée provisoire. Leurs pouvoirs vérifiés, sous la présidence du doyen d'âge (Rulh), ils se constituèrent en Convention nationale. Procédant ensuite à la nomination du bureau, ils portèrent presque unanimement Pétion à la présidence; Condorcet, Brissot, Rabaut Saint-Etienne, Lasource, Vergniaud et Camus furent proclamés secrétaires.

Le 21 la Convention envoya à l'Assemblée législative une députation, présidée par Grégoire, pour l'informer que les nouveaux représentans du peuple étaient constitués. L'Assemblée législative leva aussitôt sa dernière séance; elle se rendit en corps auprès de la Convention, lui présenta ses hommages, et l'accompagna ensuite jusque dans la salle des séances de la représentation nationale. (Voyez tome IX, page 392, le discours prononcé dans cette circonstance par M. François (de Neufchâteau) au nom de l'Assemblée législative, et la réponse de Pétion.)

Immédiatement après cette installation la Convention nationale ouvre ses délibérations, et voici en substance la première proposition faite par un de ses membres : nous devons la mentionner parce qu'elle parut à quelques personnes cacher les vues du parti qui embrassa le système fédératif.

Manuel. « Représentans du peuple souverain, la mission, dont vous êtes chargés exigerait et la puissance et la sagesse dés

dieux. Lorsque Cinéas entra dans le sénat de Rome il crut voir une assemblée de rois : une pareille comparaison serait pour vous une injure; il faut voir ici une assemblée de philosophes occupés à préparer le bonheur du monde ; il faut que tout ici respire un caractère de dignité et de grandeur qui impose à l'univers. Je demande que le président de la France soit logé dans le palais national des Tuileries, que toujours il soit précédé du signe de la loi et de la force publique, et que partout il porte le respect; je demande que toutes les fois qu'il ouvrira la séance les citoyens se lèvent à son aspect. Cet hommage rendu à la souveraineté du peuple nous rappellera sans cesse et nos droits et nos devoirs. » (Quelques applaudissemens perdus dans les murmures.)

Chabot. « Je suis étonné que le citoyen Manuel, après avoir éloigné toute idée de comparaison avec les rois, ait proposé d'y assimiler un de vos membres! La nation française, en envoyant à la Convention deux cents membres du corps législatif qui ont prêté individuellement le serment de combattre jusqu'à la mort et les rois et la royauté, s'est assez expliquée sur sa volonté d'établir un gouvernement populaire. Ce n'est pas seulement le nom de roi qu'elle veut abolir, mais tout ce qui peut sentir la prééminence : défiez-vous de ce penchant aux idées aristocratiques; gardez-vous d'ériger en idole ou en sultan le simple officier des mandataires du peuple! Ainsi il n'y aura point de président de la France; vous n'environnerez pas des attributs abhorrés de la royauté ceux que l'amour du peuple doit seul investir et honorer. Vous ne pouvez rechercher d'autre dignité que de vous mêler avec les sans-culottes qui composent la majorité de la nation, et c'est en vous assimilant à vos concitoyens, en conquérant l'amour du peuple, en faisant son bonheur, que vous acquerrez l'autorité nécessaire pour faire respecter vos décrets, et cette seule dignité qui doit s'attacher aux émi– nentes fonctions dont vous êtes investis! » (Applaudissemens.)

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Manuel. « J'ai sans doute été mal entendu je n'ai pas parlé d'environner le président amovible de la Convention, un président de quinze jours, du luxe des rois, ni de le faire accompagner de courtisans et de valets; mais j'ai proposé de lui

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