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PROCÈS DE LOUIS XVI.

Six semaines s'étaient écoulées depuis l'ouverture de la Convention: trop souvent sans doute la tribune avait retenti de discussions sur les personnes, discussions utiles cependant en ce qu'elles soumettaient au jugement de l'opinion et les hommes et les événemens : l'abolition de la royauté, la proclamation de la République avaient été accueillies avec enthousiasme; des mesures sévères frappaient les émigrés, les prêtres factieux, et donnaient des garanties aux amis de la liberté; le mouvement imprimé par l'insurrection commençait à se ralentir; les esprits, calmés par la certitude de la punition des traîtres, se portaient sur les armées, suivaient leurs rapides triomphes; le territoire, naguère envahi, était non seulement délivré, mais déjà les bataillons français proclamaient la liberté sur le sol étranger. Un seul vou, formé par tous, chacun selon ses espérances, se prononçait fortement; c'était le procès du roi: vainement la Convention abordait quelque délibération qui n'eût pas trait à ce grand acte; elle y était aussitôt ramenée, soit par des pétitions qui lui parvenaient de tous les départemens, soit par une sorte d'empêchement qu'éprouvaient les orateurs de se livrer à l'examen d'une autre question : à la naissance de la République toute autre question devait en effet se trouver liée à celle-là : le sort du roi absorbait donc toutes les pensées; dans toutes les opinions il était un point de départ.

Sollicités, pressés, les comités présentèrent enfin le résul– tat de leurs travaux. Un premier rapport, fait par DufricheValazé, eut pour objet l'examen des papiers trouvés chez Louis XVI et ses agens : déjà Gohier (voyez tome IX) avait donné une analise de la plupart de ces pièces, que le nouveau rapporteur surchargea d'un commentaire au moins inutile, et de réflexions sur l'inviolabilité qui se trouvent mieux placées et surtout mieux développées dans la discussion; le rapport de Dufriche-Valazé parut fastidieux à la Convention, qui n'en ordonna l'impression que pour satisfaire à l'impatience publique. C'est le rapport fait par Mailhe qui commence l'instruction du procès.

RAPPORT et projet de décret présentés au nom du comité de législation par Jean Mailhe, député de la Haute-Garonne. ( Séance d:: 7 novembre 1792.)

« Louis XVI est-il jugeable pour les crimes qu'on lui impute d'avoir commis sur le trône constitutionnel? Par qui doit-il être jugé? Sera-t-il traduit devant les tribunaux ordinaires comme tout autre citoyen accusé de crimes d'Etat? Déléguerez-vous le droit de le juger à un tribunal formé par les assemblées électorales des quatre-vingt-trois départemens? N'est-il pas plus naturel que la Convention nationale le juge elle-même ? Est-il nécessaire ou convenable de soumettre le jugement à la ratification de tous les membres de la République réunis en assemblées de commune ou en assemblées primaires?

» Voilà les questions que votre comité de législation a longtemps et profondément agitées. La première est la plus simple de toutes, et cependant c'est celle qui demande la plus mûre discus. sion, non pas pour vous, non pas pour cette grande majorité du peuple français qui a mesuré toute l'étendue de sa souveraineté, mais pour le petit nombre de ceux qui croient entrevoir dans la Constitution l'impunité de Louis XVI, et qui attendent la solution de leurs doutes; mais pour les nations qui sont encore gouvernées par des rois, et que vous devez instruire; mais pour l'universalité du genre humain, qui vous contemple, qui s'agite entre le besoin et la crainte de punir ses tyrans, et qui ne se déterminera peut-être que d'après l'opinion qu'il aura de votre justice.

» § 1. J'ouvre cette Constitution, qui avait consacré le despotisme sous le nom de royauté héréditaire : j'y trouve que la personne du roi était inviolable et sacrée ; j'y trouve que si le roi ne prétait pas le serment prescrit, ou si, après l'avoir prété, il le rétractait; que s'il se mettait à la téte d'une armée et en dirigeait les forces contre la nation, ou s'il ne s'opposait pas par un acte formel à une telle entreprise qui s'exécuterait en son nom; que si, étant sorti du royaume, il n'y rentrait pas après une invitation du corps

législatif et dans un délai déterminé, il serait censé dans chacun de ces cas avoir abdiqué la royauté; j'y trouve qu'après l'abdication expresse ou légale le roi devait étre dans la classe des citoyens, et qu'il pourrait étre accusé et jugé comme eux pour les actes postérieurs à son abdication.

» Cela veut-il dire que le roi, tant qu'il serait assez adroit pour éluder les cas de la déchéance, pourrait impunément s'abandonner aux passions les plus féroces? Cela veut-il dire qu'il pourrait faire servir sa puissance constitutionnelle au renversement de la Constitution; que si, après avoir clandestinement appelé à son secours des hordes de brigands étrangers; si, après avoir fait verser le sang de plusieurs milliers de citoyens, il venait à échouer dans ses entreprises contre la liberté, il en serait quitte pour la perte d'un sceptre qui lui était odieux parce qu'il n'était pas de fer, et que la nation, longtemps tralie, longtemps opprimée, n'aurait pas le droit en se réveillant de faire éclater une vengeance effective, et de donner un grand exemple à l'univers?

>> Peut-être était-ce là l'esprit de ceux qui provoquèrent ces articles, que Louis XVI ne manquera pas d'invoquer en sa faveur; mais, pressés de s'expliquer, ils ne répondirent que par des subtilités évasives : ils auraient rougi d'avouer qu'il entrât dans leurs vues de reconduire Louis XVI au despotisme par l'attrait d'une pareille impunité; semblables sous certains rapports à l'aristocratie sénatoriale de Rome, qui préparait le peuple à la servitude par des nominations fréquentes de dictateur, et qui pour y procéder s'enveloppait dans les ombres de la nuit et du secret, comme si elle avait eu honte, dit JeanJacques, de mettre un homme au dessus de la loi!

» Voyons quels furent les motifs et l'objet de l'inviolabilité royale: c'est le moyen d'en saisir le vrai sens, et de juger si elle peut être opposée à la nation elle-même.

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- La France, disait-on, ne peut pas se soutenir sans monarchie, ni la monarchie sans être entourée de l'inviolabilité; si le roi pouvait être accusé ou jugé par le corps législatif il serait dans sa dépendance, et dès lors ou la royauté serait bientôt renversée par ce corps, qui, usurpant tous les pouvoirs, deviendrait tyrannique, ou elle serait sans énergie,

Sans action pour faire exécuter la loi; dans tous les cas il n'y aurait plus de liberté. Ce n'est donc pas pour l'intérêt du roi, mais pour l'intérêt même de la nation que le roi doit être inviolable. On convenait cependant que cette inviolabilité était menaçante pour la liberté ; mais on prétendit y remédier par la responsabilité des ministres.

>> Voilà par quels sophismes on cherchait à égarer la nation! Ignorait-on que la royauté avait longtemps subsisté à Sparte et chez d'autres anciens peuples sans la dangereuse égide de l'inviolabilité; ; que les rois y étaient soumis à des tribunaux populaires; que leur dépendance, leur jugement et leur condamnation, bien loin de nuire à la liberté, en étaient le plus sûr garant?

» Plus sage que les Spartiates, la nation française a commencé par abattre la royauté avant d'examiner si le roi était innocent ou coupable; et déjà elle a prouvé combien elle était calomniée ou trahie quand on disait que le gouvernement monarchique était un besoin pour sa puissance et pour sa gloire.

» Mais revenons à l'inviolabilité royale. Remarquons d'abord qu'elle n'était pas absolue à l'égard même du corps législatif: en effet, la Constitution prononçait la déchéance du roi dans le cas, par exemple, où il ne se serait pas opposé par un acte formel aux entreprises d'une force dirigée en son nom contre la nation; et un roi perfide pouvait déployer une opposition illusoire et non formelle! Il fallait donc décider si cette opposition avait été réelle ou simulée; mais pour cela il était évidemment nécessaire d'examiner la conduite du roi, de le mettre en cause, de le juger dans l'état où étaient alors les choses ce droit ne pouvait appartenir qu'à la première des autorités constituées; il était donc des cas où la Constitution soumettait l'inviolabilité royale au jugement du corps législatif.

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>> Le roi n'avait-il à se prémunir que contre les cas de déchéance, et l'impunité lui était-elle d'ailleurs assurée pour toutes sortes de crimes ou d'attentats? Nous l'avons déjà dit; du propre aveu de ses défenseurs l'inviolabilité royale avait pour objet unique l'intérêt de la nation, le maintien de son repos et de sa liberté, et jamais elle ne devait être nuisible, parce que le roi était condamné à ne pouvoir faire exécuter aucun ordre qui ne fût signé

par un ministre, et que ses agens répondaient sur leur tête de tous les délits d'administration.

» Si Louis XVI avait pesé à cette balance l'exercice de son pouvoir il aurait le spécieux prétexte de vous dire :- Dans tout ce que j'ai fait j'avais en vue le bonheur de la nation; j'ai pu me tromper; mais le sentiment de mon inviolabilité m'encourageait à essayer mes idées de bien public : je les ai toutes soumises à mes agens; je n'ai rien ordonné qui ne porte le sceau de leur responsabilité; voyez leurs registres; c'est donc à eux seuls qu'il faut vous en prendre, puisqu'ils devaient seuls garantir

mes erreurs.

» Qu'il est loin de pouvoir tenir un tel langage s'il a violé la loi qui lui commandait d'avoir un agent toujours prêt à répondre de ses erreurs ou de ses délits, s'il a tourné contrẹ la nation la prérogative qu'il avait reçue pour elle, s'il a industrieusement éludé ce préservatif de la liberté individuelle et publique! Nous pressentions depuis longtemps qu'on préparait le tombeau de la nation; mais les mains employées pour le creuser étaient invisibles; la trahison se promenait sur toutes les têtes citoyennes sans pouvoir être aperçue; la royauté devait être comme la foudre, qui frappe avant l'apparition de l'éclair.

» Et Louis XVI, qui pour mieux tromper la nation aurait travaillé sans relâche à lui rendre suspects les membres les plus, purs du corps législatif; Louis XVI, qui, dans un temps même où il se serait cru si près de recueillir le fruit de ses perfidies, venait faire retentir cette salle auguste de ses hypocrites protestations d'attachement à la liberté, ne serait pas personnellement responsable des maux qu'il aurait personnellement occasionnés!

» Il dira que sa personne ne pouvait pas être séparée des fonctions de la royauté; qu'inviolable comme roi pour tous les faits administratifs, il l'était comme individu pour tous les faits personnels!...

» Nous répondrons qu'il est accusé de n'avoir que trop jus¬ tifié la possibilité de cette séparation. Son inviolabilité comme chef du pouvoir exécutif avait pour unique base une fiction qui rejetait le délit et la peine sur la tête de ses agens; mais n'at-il pas renoncé à l'effet de cette fiction s'il est vrai qu'il ait ourdi ses complots sans le concours de ses ministres ordinaires

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