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sérieusement occupé ses pensées, qu'elle ait été l'objet de ses désirs et le but de son ambition.

» Il est un homme cependant qui s'est enivré de cette idéc fantastique, qui n'a cessé d'appeler la dictature sur la France comme un bienfait, comme la seule domination qui pût nous sauver de l'anarchie, qu'il prêchait, qui pût nous conduire à la liberté et au bonheur! Il sollicitaît ce pouvoir tyrannique pour qui? Vous ne voudrez jamais le croire; vous ne connaissez pas assez tout le délire de sa vanité; il le sollicitait pour lui! Oui, pour lui Marat! Si sa folie n'était pas féroce il n'y aurait rien d'aussi ridicule que cet être, que la nature semble avoir marqué tout exprès du sceau de sa réprobation.

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Tallien, dont la réputation n'est pas, comme celle de Pétion, sortie pure de tant d'épreuves; Tallien, qui dans ses excès comme dans ses retours eut le malheur de perdre l'estime de tous les partis, est cependant un témoin contradictoire qu'il n'est pas hors de propos d'entendre aussi sur les premiers jours de septembre. Il était secrétaire greffier de cette commune fameuse, que plusieurs fois il voulut justifier à la tribune pendant les discussions que nous venons de rapporter; mais, presque toujours interrompu, il se détermina à faire imprimer ce qui suit:

LA VÉRITÉ sur les événemens du 2 septembre, par J. L. Tallien, ci-devant secrétaire greffier de la commune de Paris.

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D'après ce que je vois, d'après ce que j'entends journellement dans la Convention nationale, je crois qu'il est important de dire un mot sur les événemens du 2 septembre, qui ont servi de base à toutes les calomnies répandues contre la ville de Paris, et sur lesquels paraissent fondées les préventions d'un grand nombre de députés des départemens.

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» On a souvent répété avec affectation et l'on a voulu persuaque ces événemens étaient le résultat des combinaisons d'une faction, que l'on a depuis désignée sous le nom de parti désorganisateur.

» Pour détruire ces absurdes déclamations je vais retracer en peu de mots les causes qui ont produit ces événemens.

» C'est à moi peut-être qu'il appartient plus particulièrement de remplir cette tâche, moi qui les ai vus de près, moi qui n'y ai pris part que pour sauver la vie à plusieurs individus contre lesquels il y avait sans doute de trop justes soupçons

d'incivisme, mais qui cependant ne devaient pas périr sans avoir été entendus et jugés légalement. Oui, les douloureux souvenirs que rappelle souvent à ma mémoire cette journée désastreuse sont effacés par le bonheur que j'ai eu de rendre à leurs familles éplorées des pères, des époux, des enfans, et surtout une femme intéressante par le fruit de l'amour qu'elle portait dans son sein, et que j'ai dérobée à la vengeance du peuple! Je garde entre mes mains les témoignages précieux de reconnaissance que j'ai reçus de ces infortunés; je les transmettrai à mes enfans comme un titre honorable, en leur apprenant que la justice et l'humanité doivent être les premières vertus d'un peuple républicain.

» Je trouve les causes de ces événemens d'abord dans la lenteur des tribunaux à punir les coupables dont les prisons regorgeaient des hommes contre lesquels il y avait les accusations les plus graves étaient renfermés depuis deux et trois ans sans avoir encore été entendus.

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» Le tribunal établi pour connaître des crimes du 10 août avait bien, il est vrai, fait tomber la tête de quelques conspirateurs subalternes; mais Montmorin, un des chefs des contrerévolutionnaires, avait été déchargé d'accusation, et mis en liberté. Ce fut ce déni de justice qui occasionna les premiers mouvemens du peuple.

» A la même époque un criminel exposé sur la place publique eut l'insolente témérité de crier, sur l'échafaud et en présence d'une multitude innombrable: Vive le roi! Vive la reine! Vive monseigneur Lafayette! Au diable la nation! Ces mots séditieux, plusieurs fois répétés, excitèrent l'indignation publique, et il eût été immolé à l'instant même si le procureur de la commune ne lui eût fait un rempart de son corps, et ne l'eût reconduit dans les prisons pour le livrer aux tribunaux.

» Dans son interrogatoire il déclara que depuis plusieurs jours l'argent était répandu avec profusion dans les prisons, et qu'au premier signal les brigands qu'elles renfermaient seraient armés pour servir la cause des contre-révolutionnaires.

>> Personne n'ignorait d'ailleurs que c'était dans les prisons que se fabriquaient tous les faux assignats qui étaient répandus en très grand nombre dans la circulation; et effectivement après l'expédition du 2 septembre on a trouvé des planches, du papier et tous les ustensiles nécessaires pour fabriquer des assignats et des billets de confiance de toutes les valeurs ces pièces existent, et sont déposées aux greffes des tribunaux.

» Telles furent les causes premières qui provoquèrent l'indignation publique.

» C'est dans ce moment que la nouvelle de l'entrée des Prus

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siens sur le territoire français se répandit, que la trahison du commandant de Longwy fut connue, et que l'on apprit que la ville de Verdun était déjà en la possession des troupes de Brunswick. Tout le monde connaissait le dénuement de nos armées, dénuement exagéré encore par les malveillans; aucune place forte ne s'opposait plus à l'arrivée des ennemis à Paris : il fallait donc par un grand mouvement ranimer le zèle des citoyens, qui déjà commençait à se ralentir; il fallait former de nombreux bataillons pour repousser loin de nous les hordes d'esclaves mercenaires qui s'en approchaient. Ce fut alors que commune de Paris, convaincue du danger public, fit tirer le canon d'alarme, sonner le tocsin, et fit retentir partout le cri : Aux armes, Parisiens! L'ennemi est à nos portes! Bientôt des milliers de citoyens furent réunis sous les drapeaux de la liberté, organisés, et prêts à marcher; mais avant de partir une réflexion simple et naturelle se présente à leur esprit : « Au » moment où nous marchons à l'ennemi, disent-ils, où nous » allons verser notre sang pour la défense de la patrie, nous » ne voulons pas que nos pères, nos femmes, nos enfans, nos vieillards restent exposés aux coups meurtriers des scélérats » que renferment les prisons; avant d'aller combattre les » ennemis de l'extérieur il faut anéantir ceux de l'intérieur! »

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» Tel était le langage tenu par ces soldats citoyens lorsque deux prêtres non assermentés, que l'on conduisait dans la maison de détention qui leur était destinée, font entendre des cris séditieux, se refusent à prononcer les mots sacrés de liberté et d'égalité, et proferent les invectives les plus graves contre la révolution. La fureur alors s'empare de ceux qui avaient entendu ces blasphèmes, et aussitôt ces téméraires tombent sous la hache vengeresse du peuple.

» On se porte au même moment dans les prisons de l'Abbaye, où étaient renfermés tous les conspirateurs. Les magistrats en sont informés; ils y volent; ils veulent arrêter la vengeance; ils parlent le langage de la loi; mais leurs efforts sont inutiles : le peuple leur promet que les coupables seuls seront punis, mais que sa patience est à bout, que trop longtemps on l'a provoqué impunément... Une espèce de juri est formé ; à l'instant les livres d'écrous sont apportés : le criminel périt; l'innocent est mis en liberté.

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» La vieillesse, les infirmités, la faiblesse du sexe intéressent ces hommes que l'on veut nous peindre comme des antropophages; les cheveux blancs du gouverneur des Invalides, soins que lui prodigue une fille jeune et belle font oublier les sentimens de vengeance, et ce couple intéressant est porté en triomphe.

» Les Suisses, les assassins du peuple dans la journée du 10 août, renfermés au nombre de près de trois cents, sont mis en liberté, et incorporés dans les bataillons nationaux.

» Une seule femme périt dans cette circonstance; mais, nous devons le dire, ses liaisons avec l'ennemie la plus acharnée de la nation, avec Marie-Antoinette, dont elle avait toujours été la compagne de débauche, justifient en quelque sorte les excès auxquels on s'est porté à son égard.

» Telles furent les circonstances qui précédèrent et provoquèrent les événemens du 2 septembre; événemens terribles sans doute, qui dans un temps de calme eussent dû

provoquer toute la vengeance des lois, mais sur lesquels, dans un temps de révolution et d'agitation, il faut tirer un voile, et laisser à l'historien le soin de consacrer et d'apprécier cette époque de la révolution, qui a été beaucoup plus utile qu'on ne pense.

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Députés des quatre-vingt-trois départemens, mes chers collègues, je viens de mettre sous vos yeux des faits qu'on vous avait ou dissimulés ou dénaturés; tous ceux qui en ont été les témoins peuvent attester si je me suis écarté de la vérité. Dégagez-vous donc enfin des préventions dont on a eu soin de vous environner à votre arrivée à Paris; soyez persuadés que les citoyens de cette ville, berceau de la révolution, ne veulent avoir d'autre influence que celle de la raison et de la justice! Non, ils ne veulent pas dominer; vous les verrez toujours amis ardens de la liberté et de l'égalité, toujours prêts à faire de nouveaux sacrifices lorsqu'ils pourront être utiles à la chose publique. Les hommes du 14 juillet et du 10 août seront toujours les mêmes, toujours ils fraterniseront avec leurs concitoyens des quatre-vingt-deux départemens; mais je vous déclare en leur nom, et je suis certain de n'être désavoué par aucun d'eux, qu'ils seront toujours aussi les ennemis irréconciliables des dictateurs, des protecteurs, et de tous ceux qui, par l'établissement d'un gouvernement fédératif, voudraient détruire l'unité de la République! >>

Ce sont principalement des faits qu'on aura dû chercher dans tout ce qui précède; voici maintenant sur ces malheureuses journées une opinion qui doit fixer les bons esprits : elle est d'un homme dont la rectitude de la pensée, la sagesse et la force de l'entendement sont universellement reconnues, dont le caractère est généralement estimé, du savant et profond Garat, ancien ministre de la justice (1); elle est con

(1) Garat reçut le portefeuille de la justice en octobre 1792. II

signée dans un discours qu'il prononça le 22 octobre à la Convention, sur des questions relatives aux prisonniers.

Les principes posés par Garat donnèrent lieu à quelquesobservations; il y répondit dans un avertissement placé en tête de son discours, dont l'impression avait été ordonnée par la Convention. Nous conservons dans leur entier et le discours et l'avertissement.

DISCOURS prononcé à la Convention nationale par Dominique-Joseph Garat, ministre de la justice, sur plusieurs questions relatives aux prévenus ou accusés sortis des prisons par suite des événemens des 2 et 3 septembre. (Séance du 22 octobre 1792.)

AVERTISSEMENT.

« Ce discours est imprimé tel qu'il a été lu à la Convention nationale; je n'y ai pas changé un seul mot : si les reproches qui m'ont été faits par deux ou trois députés au moment où je l'ai prononcé étaient fondés, on le verra mieux ; et s'ils n'étaient pas fondés, on le verra mieux encore.

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Il y a des idées vraies et utiles qui sont entourées et pour ainsi dire pressées d'idées fausses et dangereuses; il est difficile de les apercevoir, de les détacher, de les énoncer; et quand tout cela est fait il y a des esprits qui les confondent toujours avec les erreurs dont on les a séparées.

» Il ne faut pas croire qu'une théorie de l'art social, puisée dans la nature des hommes et des choses, soit sans aucun danger lorsqu'on l'applique à des empires qui ont existé sous un long despotisme; mais il faut établir la théorie, voir les dangers, et chercher les remèdes on les trouvera dans les lumières et dans les vertus.

» On a imaginé que j'avais voulu donner à la ville de Paris le droit de faire à sa fantaisie des insurrections pour la France; mais le nom de la ville de Paris ne se trouve pas une seule fois dans mon discours : je posais un principe général sur les usurpations des pouvoirs constitués, et j'ai parlé généralement des villes où les pouvoirs constitués siégent.

» On a cru que je proposais des préférences pour certaines portions de l'empire je n'ai pas pu penser à des préférences lorsque je parlais de la nécessité des choses.

» On a cru que j'attribuais l'initiative des insurrections à

succédait à Danton, à qui ce ministère avait été confié dans la séance permanente du 10 août.

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