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unanimité, ce qui prouve au moins la fluctuation des opinions qui agitaient l'Assemblée.

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Un très-grand nombre de membres demandent l'ordre du jour. Louvet s'empare de la tribune; il veut répondre sur le champ à Robespierre; il insiste longtemps, avec beaucoup de chaleur, et ne peut obtenir la parole. Barbaroux se présente à son tour pour dénoncer Robespierre il signera sa déclaration, il la gravera sur le marbre, dit-il. On refuse également de l'entendre. Il descend à la barre pour soutenir son accusation en qualité de pétitionnaire, et réclame la faculté que l'on accorde à tout simple citoyen : cette démarche, généralement blâmée comme indigne du caractère d'un représentant du souverain, est approuvée par Lanjuinais comme un moyen sûr de fixer l'attention et d'obtenir la parole, qui néanmoins ne fut pas accordée à Barbaroux. Lanjuinais parle dans le tumulte; il combat l'ordre du jour; on lui dit la discussion est fermée : Hé mais, réplique-t-il, c'est donc un enfant mort-né que votre discussion; elle n'a pas été ouverte ! Une voix s'élève dans le bruit, et prononce ce reproche : si Robespierre était pur il demanderait la parole pour ses adversaires!

que

Cependant une triple liste d'orateurs s'est formée sur le bureau pour l'ordre du jour, Saint-Just, Manuel, JeanBon-Saint-André, Garnier; contre, Louvet, Chénier, Birotteau, Barbaroux, Buzot; sur, Barrère, Delaunay (d'Angers), Lehardy, Bailleul, Pétion. La parole est demandée avec instance par chacun d'eux; l'Assemblée décide qu'aucun ne sera entendu. Barrère appuie l'ordre du jour : - Citoyens, dit-il, s'il existait dans la République un homme né avec le génie de César ou l'audace de Cromwell; un homme qui, avec le talent de Sylla, en aurait les dangereux moyens; s'il existait ici quelque législateur d'un grand génie, d'une ambition vaste, d'un caractère profond; un général, par exemple, le front ceint de lauriers et revenant au milieu de vous pour vous commander des lois ou insulter aux droits du peuple, je proposerais contre lui un décret d'accusation : mais que vous fassiez ce terrible honneur à des hommes d'un jour, à de petits entrepreneurs d'émeutes, à ceux dont les couronnes civiques sont mêlées de cyprès, voilà ce que je ne puis

une république.

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concevoir! Ces hommes ont cessé d'être dangereux dans Barrère finit en proposant de décréter l'ordre du jour motivé ainsi qu'il suit : considérant que la Convention nationale ne doit s'occuper que des intérêts de la Républiquè, etc. Je ne veux pas de votre ordre du jour, s'écrie Robespierre, si vous mettez un préambule qui me soit injurieux! - La Convention, consultée par le président, adopte l'ordre du jour pur et simple à une très grande majorité, après avoir ordonné l'impression de la défense de Robespierre.

du

Cette décision, qui ne terminait point la lutte des deux partis, mais qui fortifiait au contraire les haines et les ressentimens, acheva le triomphe de Robespierre et des siens. De ce moment ils marchèrent presque sans obstacle à l'envahissement de tous les pouvoirs, laissant constamment à leurs adversaires le désavantage de la position, Les Girondins, en se croyant assez de talent et de force pour ne s'armer que mépris, ont eux-mêmes préparé leur perte: courageux et actifs à l'Assemblée législative, ils se montrent à la Convention imprévoyans ou timides; ils dédaignent l'appui de l'opinion, et l'opinion les délaisse. Dans le renversement d'un trône ils avaient vu le terme des efforts humains ils apprirent de Robespierre que ce n'est pas impunément qu'on abandonne ou qu'on attaque cette puissance plus réelle qui résulte de la popularité.

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Cette séance fut célébrée le même jour à la société des Jacobins comme une victoire mémorable qui assurait le règne de la liberté et la gloire de la République; Robespierre y fut reçu comme un héros au retour d'une grande action: on loua sa vertu, son intégrité, sa profonde sagesse, son éloquence male et naïve, enfin cette grandeur, cette générosité, cet oubli de soi-même qui étaient les marques de son caractère. Barrère, que Robespierre appelait l'équivoque, Barrère fit un discours dans lequel il prouva que par ces hommes d'un jour, par ces petits entrepreneurs d'émeutes, dont il avait parlé à la Convention quelques heures auparavant, il entendait les ennemis de Robespierre et des Jacobins.

réunir

Dans presque tous les discours qui précèdent on a vu s'expliquer plusieurs circonstances relatives au 10 août et aux déplorables journées du mois de septembre; mais comme on ne peut l'histoire trop pour de lumières sur ces événemens, nous conserverons les principaux passages du discours que Pétion eût prononcé dans la séance du 29 si l'Assemblée ne se fût pas décidée pour l'ordre du jour; il le fit imprimer le lendemain. Les qualités non contestées de cet ancien maire de Paris rendent ses récits dignes de confiance.

Extrait (littéral) du DISCOURS de Pétion sur Robespierre et Marat, sur l'insurrection du 10 août et les premiers jours de septembre 1792.

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Citoyens, je m'étais promis de garder le silence le plus absolu sur les événemens qui se sont passés depuis le 10 août; des motifs de délicatesse et de bien public me déterminaient à user de cette réserve.

» Mais il est impossible de me taire plus longtemps de l'une et de l'autre part on invoque mon témoignage; chacun me presse de dire mon opinion; je vais dire avec franchise ce que je sais sur quelques hommes, ce que je pense sur les choses.

» J'ai vu de près les scènes de la révolution; j'ai vu les cabales, les intrigues, ces luttes orageuses entre la tyrannie et la liberté, entre le vice et la vertu.

» Quand le jeu des passions humaines paraît à découvert, quand on aperçoit les ressorts secrets qui ont dirigé les opérations les plus importantes, quand on rapproche les événemens de leurs causes, quand on connaît tous les périls que la liberté a courus, quand on pénètre dans l'abîme de corruption qui menaçait à chaque instant de nous engloutir, on se demande avec étonnement par quelle suite de prodiges nous sommes arrivés au point où nous nous trouvons aujourd'hui !

» Les révolutions veulent être vues de loin ce prestige leur est bien nécessaire; les siècles effacent les taches qui les obscurcissent; la postérité n'aperçoit que les résultats. Nos neveux nous croiront grands; rendons-les meilleurs que nous.

» Je laisse en arrière les faits antérieurs à cette journée à jamais mémorable qui a élevé la liberté sur les ruines de la tyrannie, et qui a changé la monarchie en république.

>> Les hommes qui se sont attribué la gloire de cette journée sont les hommes à qui elle appartient le moins : elle est due à ceux qui l'ont préparée; elle est due à la nature impérieuse des choses; elle est due aux braves fédérés et à leur directoire

secret, qui concertait depuis longtemps le plan de l'insurrection; elle est due au peuple; elle est due enfin au génie tutélaire qui préside constamment aux destins de la France depuis la première Assemblée de ses représentans!

» Il faut le dire; un moment le succès fut incertain, et ceux qui sont vraiment instruits des détails de cette journée savent quels furent les intrépides défenseurs de la patrie qui empêchèrent les Suisses et tous les satellites du despotisme de demeurer maîtres du champ de bataille, quels furent ceux qui rallièrent nos phalanges citoyennes, un instant ébranlées.

» Cette journée avait également lieu sans le concours des commissaires de plusieurs sections réunis à la maison commune : les membres de l'ancienne municipalité, qui n'avaient pas désemparé pendant la nuit, étaient encore en séance à neuf heures et demie du matin.

>> Ces commissaires concurent néanmoins une grande idée, et prirent une mesure hardie en s'emparant de tous les pouvoirs municipaux, et en se mettant à la place d'un conseil général dont ils redoutaient la faiblesse et la corruption; ils exposerent courageusement leur vie dans le cas où le succès ne justifierait pas l'entreprise.

» Si ces commissaires eussent eu la sagesse de savoir déposer à temps leur autorité, de rentrer au rang des simples citoyens après la belle action qu'ils avaient faite, ils se seraient couverts de gloire; mais ils ne surent pas résister à l'attrait du pouvoir, et l'envie de dominer s'empara d'eux.

» Dans les premiers momens d'ivresse de la conquête de la liberté, et d'après une commotion aussi violente, il était impossible que tout rentrât à l'instant dans le calme et dans l'ordre accoutumés; il eût été injuste de l'exiger: on fit alors au nouveau conseil de la commune des reproches qui n'étaient pas fondés; ce n'était connaître ni sa position ni les circonstances; mais ces commissaires commencèrent à les mériter lorsqu'ils prolongèrent eux-mêmes le mouvement révolutionnaire au delà du terme.

» L'Assemblée nationale s'était prononcée; elle avait pris un grand caractère, elle avait rendu des décrets qui sauvaient l'empire, elle avait suspendu le roi, elle avait effacé la ligne de démarcation qui séparait les citoyens en deux classes, elle avait appelé la Convention! Le parti royaliste était abattu: il fallait dès lors se rallier à elle, la fortifier de l'opinion, l'environner de la confiance; le devoir et la saine politique le voulaient ainsi. » La commune trouva plus grand de rivaliser avec l'Assemblée; elle établit une lutte qui n'était propre qu'à jeter de la défaveur sur tout ce qui s'était passé, qu'à faire croire que

l'Assemblée était sous le joug irrésistible des circonstances; elle obéissait ou résistait aux décrets suivant qu'ils favorisaient ou contrariaient ses vues; elle prenait dans ses représentations au corps législatif des formes impérieuses et irritantes; elle affectait la puissance, et ne savait ni jouir de ses triomphes ni se les faire pardonner.

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>> On était parvenu à persuader aux uns que tant que l'état révolutionnaire durait, le pouvoir étant remonté à sa source l'Assemblée nationale était sans caractère, que son existence était précaire, et que les Assemblées de commune étaient les seules autorités légales et puissantes.

» On avait insinué aux autres que les chefs d'opinion dans l'Assemblée nationale avaient des projets perfides, voulaient renverser la liberté, et livrer la République aux étrangers.

» De sorte qu'un grand nombre de membres du conseil croyaient user d'un droit légitime lorsqu'ils usurpaient l'autorité, croyaient résister à l'oppression lorsqu'ils s'opposaient à la loi, croyaient faire un acte de civisme lorsqu'ils manquaient à leurs devoirs de citoyen: néanmoins au milieu de cette anarchie la commune prenait de temps en temps des arrêtés salu

taires.

» J'avais été conservé dans ma place; mais elle n'était plus qu'un vain titre; j'en cherchais inutilement les fonctions; elles étaient éparses entre toutes les mains, et chacun les exerçait.

» Je me rendis les premiers jours au conseil; je fus effrayé du désordre qui régnait dans cette assemblée, et surtout de l'esprit qui la dominait : ce n'était plus un corps administratif délibérant sur les affaires communales; c'était une assemblée politique se croyant investie de pleins pouvoirs, discutant les grands intérêts de l'Etat, examinant les lois faites, et en promulguant de nouvelles; on n'y parlait que de complots contre la liberté publique; on y dénonçait des citoyens; on les appelait à la barre; on les entendait publiquement; on les jugeait; on les renvoyait absous, ou on les retenait; les règles ordinaires avaient disparu; l'effervescence des esprits était telle qu'il était impossible de retenir ce torrent; toutes les délibérations s'emportaient avec l'impétuosité de l'enthousiasme; elles se succédaient avec une rapidité effrayante; le jour, la nuit, sans aucune interruption, le conseil était toujours en séance.

» Je ne voulus pas que mon nom fût attaché à une multitude d'actes aussi irréguliers, aussi contraires aux principes. » Je sentis également combien il était sage et utile de ne pas approuver, de ne pas fortifier par ma présence tout ce qui se passait. Ceux qui dans le conseil craignaient de m'y voir, ceux que mon aspect gênait désiraient fortement que le peuple, dont

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