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dais devien

nent fiers.

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FIERTÉ DES HOLLANDAIS.

Les Etats-Généraux n'avaient plus de ftathouder depuis la mort du roi Guillaume; et les magiftrats hollandais, qui appelaient déjà leurs familles les familles patriciennes, étaient autant de rois. Les quatre Les Hollan- commiffaires hollandais, députés à l'armée, traitaient avec fierté trente princes d'Allemagne à leur folde. Qu'on falje venir Holstein, difaient-ils ; qu'on dise à Hesse de nous venir parler. (m) Ainfi s'expliquaient des marchands qui, dans la fimplicité de leurs vêtemens et dans la frugalité de leurs repas, fe plaifaient à écrafer à la fois l'orgueil allemand qui était à leurs gages, et la fierté d'un grand roi autrefois leur vainqueur.

On les avait vus vendre à bas prix leur attachement à Louis XIV en 1665, foutenir leurs malheurs en 1672 et les réparer avec un courage intrépide; et alors ils voulaient ufer de leur fortune. Ils étaient bien loin de s'en tenir à faire voir aux hommes, par de fimples démonftrations de fupériorité, qu'il n'y a de vraie grandeur que la puiffance: ils voulaient que leur Etat eût en fouveraineté dix villes en Flandre, entr'autres Lille qui était entre leurs mains, et Tournai qui n'y était pas encore. Ainfi les Hollandais prétendaient retirer le fruit de la guerre, nonfeulement aux dépens de la France, mais encore aux dépens de l'Autriche pour laquelle ils combattaient; comme Venise avait autrefois augmenté fon territoire des terres de tous fes voifins. L'efprit républicain eft au fond auffi ambitieux que l'efprit monarchique.

(m) C'eft ce que l'auteur tient de la bouche de vingt perfonnes qui les entendirent parler ainfi à Lille après la prise de cette ville. Cependant il fe peut que ces expreffions fuffent moins l'effet d'une fierté groffière que d'un ftyle laconique affez en ufage dans les armées.

dais.

11 y parut bien quelques mois après; car lorfque Prétentions ce fantôme de négociation fut évanoui, lorfque les des Hollanårmes des alliés eurent encore de nouveaux avantages, le duc de Marlborough, plus maître alors que fa fouveraine en Angleterre, et gagné par la Hollande, fit conclure avec les Etats-Généraux, en 1709, ce célèbre traité de la barrière, par lequel ils refteraient maîtres de toutes les villes frontières qu'on prendrait fur la France, auraient garnifon dans vingt plaçes de la Flandre aux dépens du pays, dans Hui, dans Liége et dans Bonn ; et auraient en toute fouveraineté la haute Gueldre. Ils feraient devenus en effet fouverains des dix-fept provinces des Pays-bas; ils auraient dominé dans Liége et dans Cologne. C'eft ainfi qu'ils voulaient s'agrandir fur les ruines mêmes de leurs alliés. Ils nourriffaient déjà ces projets élevés, quand le roi leur envoya fecrétement le préfident Rouillé pour effayer de traiter avec eux.

un

négociateur,

Ce négociateur vit d'abord dans Anvers deux Le roi'eur magiftrats d'Amfterdam, Bruys et Vanderduffen, qui parlèrent en vainqueurs, et qui déployèrent avec l'envoyé du plus fier des rois toute la hauteur dont ils avaient été accablés en 1672. On affecta enfuite de négocier quelque temps avec lui, dans un de ces villages que les généraux de Louis XIV avaient mis autrefois à feu et à fang. Quand on l'eut joué affez long-temps, on lui déclara qu'il fallait que le roi de France forçât le roi fon petit-fils à descendre du trône fans aucun dédommagement; que l'électeur de Bavière François-Marie, et fon frère l'électeur de Cologne demandaffent grâce, ou que le fort des armes ferait les traités.

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LOUIS XIV DEMANDE LA PAIX.

Les dépêches défefpérantes du préfident de Rouillé arrivaient coup fur coup au confeil dans le temps de la plus déplorable mifère où le royaume eût été réduit dans les temps les plus funeftes. L'hiver de 1709 laiffait des traces affreufes; le peuple périffait de famine. Les troupes n'étaient point payées; la défolation était par-tout. Les gémiffemens et les terreurs du public augmentaient encore le mal.

Le confeil était compofé du dauphin, du duc de Bourgogne fon fils, du chancelier de France Pontchartrain, du duc de Beauvilliers, du marquis de Torci, du fecrétaire d'Etat de la guerre Chamillart et du contrôleur-général Desmarets. Le duc de Beauvilliers fit une peinture fi touchante de l'état où la France était réduite, que le duc de Bourgogne en verfa des larmes et tout le confeil y mêla les fiennes. Le chancelier conclut à faire la paix à quelque prix que ce pût être. Les miniftres de la guerre et des finances avouèrent qu'ils étaient fans reffource. Une fcène fi trifte, dit le marquis de Torci, ferait difficile à décrire, quand même il ferait permis de révéler le fecret de ce qu'elle eut de plus touchant. Ce fecret n'était que celui des pleurs qui coulèrent.

Le marquis de Torci, dans cette crife, propofa d'aller lui-même partager les outrages qu'on fefait au roi dans la perfonne du préfident Rouillé, mais comment pouvait-il efpérer d'obtenir ce que les vainqueurs avaient déjà refufé? il ne devait s'attendre qu'à des conditions plus dures.

Les alliés commençaient déjà la campagne. Torci 22 mai 1709. va fous un nom emprunté jufque dans la Haye. Le grand-penfionnaire Heinfius eft bien étonné, quand

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on lui annonce que celui qui eft regardé chez les étrangers comme le principal miniftre de France eft dans fon antichambre. Heinfius avait été autrefois envoyé en France par le roi Guillaume, pour y difcuter fes droits fur la principauté d'Orange. Il s'était adreffé à Louvois fecrétaire d'Etat ayant le départeraent du Dauphiné, fur la frontière duquel Orange eft fituée. Le miniftre de Guillaume parla vivement, non-feulement pour fon maître, mais pour les réformés d'Orange. Croirait-on que Louvois lui répondit qu'il le ferait mettre à la baftille? (n) Un tel difcours tenu à un fujet eût été odieux; tenu à un ministre étranger, c'était un infolent outrage au droit des nations. On peut juger s'il avait laiffé des impreffions. profondes dans le cœur du magiftrat d'un peuple libre.

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de Louis XIV.

Il y a peu d'exemples de tant d'orgueil fuivi de Humiliation tant d'humiliations. Le marquis de Torci, fuppliant dans la Haye au nom de Louis XIV, s'adrella au prince Eugène et au duc de Marlborough, après avoir perdu fon temps avec Heinfius. Tous trois voulaient la continuation de la guerre. Le prince y trouvait fa grandeur et fa vengeance; le duc fa gloire et une fortune immenfe qu'il aimait également; le troisième, gouverné par les deux autres, fe regardait comme un Spartiate qui abaissait un roi de Perfe. Ils propo- Propofitions ferent non pas une paix, mais une trève; et pendant faites à Louis cette trève une fatisfaction entière pour tous leurs XIV. alliés, et aucune pour les alliés du roi; à condition que le roi fe joindrait à fes ennemis pour chaffer

(n) Voyez les mémoires de Torci, tome III, page 2; ils ont confirmé, tout ce qui eft avancé ici.

infultantes

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HUMILIATION DE LOUIS XIV.

d'Efpagne fon propre petit-fils dans l'efpace de deux mois, et que pour fureté il commencerait par céder à jamais dix villes aux Hollandais dans la Flandre, par rendre Strasbourg et Brifac, et par renoncer à la fouveraineté de l'Alface. Louis XIV ne s'était pas attendu, quand il refufait autrefois un régiment au prince Eugene, quand Churchil n'était pas encore colonel en Angleterre, et qu'à peine le nom de Heinfius lui était connu, qu'un jour ces trois hommes lui impaferaient de pareilles lois. En vain Torci voulut tenter Marlborough par l'offre de quatre millions: le duc qui aimait autant la gloire que l'argent, et qui, par fes, gains immenfes produits par des victoires, était au-deffus de quatre millions, laiffa au ministre de France la douleur d'une propofition honteuse et inutile. Torci rapporta au roi les ordres de fes ennemis. Louis XIV fit alors ce qu'il n'avait jamais fait avec fes fujets. Il fe juftifia devant eux; il adreffa aux gouverneurs des provinces, aux communautés des villes, une lettre circulaire, par laquelle, en rendant compte à fes peuples du fardeau qu'il était obligé de leur faire encore foutenir, il excitait leur indignation, leur honneur et même leur pitié. (o) Les politiques dirent que Torci n'était allé s'humilier à la Haye que pour mettre les

(o) L'auteur des mémoires de madame de Maintenon dit, pag. 92 et 93 du tome V, que le duc de Marlborough et le prince Eugène gagnèrent Heinfius, comme fi Heinfius avait eu befoin d'être gagné. Il met dans la bouche de Louis XIV, au lieu des belles paroles qu'il prononça en plein confeil, ces nots bas et plats: Alors comme alors.Il cite l'auteur du Siècle de Louis XIV, et le reprend d'avoir dif que Louis XIV fit afficher fa lettre circulaire dans les rues de Paris. Nous avons confronté toutes les éditions duSiècle deLouis XIV Il n'y a pas un feul mot de ce que cite cet homme, pas même dans l'édition fubreptice qu'il fit à Francfort en 1752.

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