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Biographie Ecclésiastique.

DIDIER, ABBÉ DU MONT-CASSIN

(ET PAPE SOUS LE NOM DE VICTOR III.)

AMI ET FERME SOUTIEN DU Pape Saint grÉGOIRE VII'.

Premier Article.

Quelques mots du traducteur. - Coup d'œil sur l'état fâcheux de l'Eglise au 11° siècle. Action de Pierre Damien et de Hildebrand. - Jeunesse de l'abbé Didier. Il est créé abbé du Mont-Cassin et cardinal. — Hildebrand devenu Grégoire VII, lui écrit comme à son ami. - Henry IV excommunié. - Didier dispose Robert Guiscard à défendre l'Eglise.

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L'une des principales gloire de notre siècle aux yeux de la postétérité, sera d'avoir réhabilité et remis en honneur la mémoire de ces vénérables pontifes qui furent en des tems difficiles, les bienfaiteurs de la société en défendant avec une sainte énergie les libertés de l'Église et les droits des peuples contre l'injustice et l'oppression des princes de la terre. Déjà les doctes travaux des Voigt, des Hurter, des Ranke et d'autres écrivains, nous ont présenté enfin sous leur véritable jour quelques-unes de ces grandes figures trop longtems cachées dans l'ombre. L'œuvre se poursuit encore aujourd'hui ; bien

! Cette Biographie est extraite du savant ouvrage que vient de publier dom Luigi Tosti, sous le titre : Storia della Badia dimonte Cassino d'all'anno de sua fundazione fine ai nostri giorni, divisa in libri nove ed illustrata di nole e documenti inedili, 3 vol. grand in. 8, au bureau des Annales de Phi losophie. Prix: 21 fr. M. de Montrond qui en est le traducteur, se propose de traduire en entier l'ouvrage, bien digne d'être connu en France, à cause des nombreux documens inédits qui y ont été insérés par le savant auteur.

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tôt, nous l'espérons, on aura vu se dissiper au soleil de la vérité tous les préjugés et toutes les erreurs qui avaient cours sur cette partie de notre histoire. Mais en honorant ces illustres pontifes, il est juste de payer aussi un tribut d'hommage et de reconnaissance à quelquesuns de ces hommes du cloître, qui les soutinrent souvent par leurs paroles, leurs écrits ou leurs actes, et contribuèrent de tout leur pouvoir au succès de leurs pénibles efforts. Au premier rang d'entre eux vient se placer le noble fils des princes de Bénévent, Didier, abbé du Mont-Cassin, cardinal, et enfin Pape lui-même sous le nom de Victor III. Quand donc la gloire, longtems méconnue du grand pontife saint Grégoire VII, brille enfin d'un vif éclat dans les annales de l'histoire plus approfondie et mieux conprise; n'oublions pas que quelques rayons doivent en rejaillir sur celui qui fut en des tems orageux son ambassadeur, son conseil, son appui tutélaire, et son plus fidèle ami. Les faits et gestes de ce solitaire, l'un des plus beaux ornemens de l'ordre de saint Benoit, nous ont paru dignement retracés dans le récent et important ouvrage de D. Tosti. On pourra en juger par les deux fragmens que nous allons mettre sous les yeux de nos lecteurs.

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En commençant la narration de ce livre il est à propos de détourner notre esprit vers l'Église universelle et de voir comment au milieu des douleurs de sa condition, naissait dans son sein une certaine force qui, donnant plus de vigueur d'abord à son chef, ensuite à tous ses membres, non-seulement la ramena vers son antique honneur, mais encore la releva à cette hauteur d'où elle put yeiller et régner en même tems sur l'assemblée religieuse des fidèles et sur toute la société civile. Ce fut une force vitale que Dieu suscita dans les cloîtres de saint Benoit, et qui de là rejaillit sur toute l'Église. Je dirai brièvement les maux du clergé dans le 11° siècle et quelles en furent les raisons.

>>> Les donations de biens temporels, faites par les princes à l'Église, en plaçant les évêques dans l'état de seigneurs feudataires dépendans de l'empire, mirent à ras de sol ces barrières qui, jusqu'alors s'éle

Voir Storia della Badia di monte Cassino, liv. I, t. 1, p. 307.

vaient entre les deux puissances, et empêchaient le mélange de leur juridiction. Or, comme par le vice de leur nature les hommes s'allient plutôt à ceux dont ils attendent les biens de ce monde qu'à ceux qui leur promettent les biens du ciel; on vit par degrés les évêques et les clercs se soumettre aux princes, dispensateurs des fiefs incorporés à l'Église. Alors commencèrent ces monstrueuses investitures d'évé chés et d'abbayes qui, bouleversant l'ordre apostolique, firent qu'en plusieurs royaumes l'Église ne fut plus maîtresse, mais devint esclave, et que les princes régnaient seuls sur les affaires humaines et divines. Les donations faites à l'Église de Rome, par les rois Pepin et Charlemagne, et, placées dans les mains des pontifes comme une arme matérielle pour repousser la fureur des barbares, inspirèrent encore d'iniques pensées à l'esprit des empereurs; c'est à savoir que les pontifes romains dépendant en quelque sorte de l'empire, comme seigneurs laïques, de l'empire aussi devaient dépendre le choix et l'élection du suprême pasteur. Ces pensées désordonnées détruisant la liberté de l'Église, énervaient son autorité pour maintenir dans le devoir les ministres de l'autel, et pour secourir les peuples, qui n'avaient point d'autre refuge que le siége de Rome. Il s'en suivit que le bras des pontifes n'étant plus libre, devint débile, soit pour l'administration temporelle, soit pour le gouvernement de l'Église ; que les clercs s'avilirent par un honteux concubinage; et que les princes étant les dispensateurs des offices sacrés, sans excepter celui du souverain pontificat, on commença à trafiquer dans les cours des choses saintes comme de marchandises ordinaires. Sans la vérité de cette promesse de Jésus-Christ, que son Église était bâtie sur une pierre inébranlable et que les portes de l'enfer ne sauraient prévaloir contre elle, il est certain que le tems était arrivé où l'assemblée des fidèles devait se dissoudre. Beaucoup de gens de bien voyaient et déploraient ces abominations; mais l'abus, en vieillissant acquiert une telle force, qu'il enchaîne et entraîne la volonté, quoique droite et ennemie

du mal.

» Mais ce mal était vu plus clairement, et plus vivement déploré par ceux qui, renfermés dans les cloîtres, et soumis à une sévère discipline, n'étaient point amollis par l'ambition des charges et res taient séparés de la corruption humaine. Parmi eux se trouvaient un

ermite austère et un ardent cénobite qui, pressés plus que les autres par l'esprit de Dieu, furent les premiers à élever la voix pour réformer le clergé et pour affranchir l'Église d'un indigne servage ; je veux parler de saint Pierre Damien et d'Hildebrand qui fut depuis Grégoire VII. L'un vivant dans le désert, loin du commerce des hommes, qu'il ne connaissait point, armé d'une chaude et nerveuse éloquence, ne s'attaquait qu'au vice seul, qu'il combattait et pousuivait avec la liberté d'un prophète, comme le prouvent ses lettres foudroyantes, jusque dans la cour des pontifes; l'autre, élevé à l'Abbaye de Cluny, qui possédait une seigneurie laïque, était plus habitué aux affaires humaines et à la connaissance des hommes ; d'un esprit vif, fécond en conseils, d'une habileté extrême pour pénétrer dans les esprits et leur commander, il s'attaque plus aux personnes qu'aux vices; en sorte que pendant que saint Pierre Damien purifiait et guérissait les cœurs, Hildebrand pliait efficacement les volontés. Hommes dignes d'une éternelle gloire, ils suffirent seuls pour opérer une grande réforme l'un en ramenant dans le cœur de l'Église la sainteté des coutumes, l'autre en soutenant son esprit par la vigeur de ses conseils.

Quand Brunon, évêque de Toul, créé pape dans une diète ou assemblée de prélats et de princes, tenue à Worms ', eut prit le nom de Léon IX, et qu'il se présenta aux portes de l'abbaye de Cluny, revêtu des insignes pontificaux qu'il avait reçus de l'empereur Henri IV, Hildebrand révéla alors, pour la première fois, la mission divine qu'il sentait dans son âme. Hildebrand conseilla à Léon de quitter les vêtemens pontificaux, de se rendre à Rome sous l'habit d'un homme privé et de faire renouveler par le clergé son élection, comme pour manifester l'invalidité de celle qu'avait faite un prince laïque. Le saint pape Léon, doué d'une très-grande humilité, accueillit favorablement le conseil du religieux et se conforma à ses désirs.. Apprenant alors à connaître la trempe de l'esprit et du cœur d'Hildebrand, il l'emmena avec lui. Tels furent les premiers pas vers la grande entreprise. Depuis ce jour, Hildebrand ne s'éloigna plus d'auprès des pontifes, et le regard toujours élevé vers le but, il ne cessait de les fortifier de ses conseils et de ses énergiques travaux.

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» S'attachant à relever l'Église au-dessus de l'empire, il préparait par avance des instrumens propices à ses desseins, et recherchait surtout l'aide de quelque puissant prince du voisinage, qui put, dans l'occasion, soutenir les pontifes romains, prêts à livrer de difficiles combats pour défendre les droits de l'Église. Ce prince fut tout d'abord Godefroi, duc de Lorraine, ennemi de l'empire, et devenu puissant par les états de Béatrix, duchesse de Toscane, qu'il prit pour épouse.

» C'est pourquoi Hildebrand, apres avoir déposé l'abbé Pierre, dont nous avons parlé dans le livre précédent, créa Frédéric, frère de Godefroi, abbé de Mont-Cassin. Cette déposition, où le chroniqueur de l'abbaye semble voir une coupable intention du pontife de la soumettre violemment sous sa loi, n'était donc qu'un acte de prévoyance en faveur de l'Église, et une préparation aux moyens d'at teindre un magnifique but. Tel était l'état de l'Église ; tels étaient les secours apprêtés pour les pontifes, rendus plus forts par la sagesse et le courage d'Hildebrand, lorsque Didier fut élevé au siége abbatial du Mont-Cassin (1058).

» Didier, issu de la race des princes de Bénévent, était, selon l'opinion de Pellegrin, fils de Landulphe V. Tout petit enfant encore, il faisait déjà paraître tant de piété dans ses paroles et ses actions, que tout en lui semblait être l'œuvre de Dieu. Ses parens, qui l'aimaient d'un amour extrême, voulurent lui donner pour épouse une noble jeune fille; mais lui, déjà tout embrasé du feu de l'amour divin et du désir de quitter le monde pour se vouer entièrement au Seigneur, ne goûta point leur dessein. Or, il advint que le père de Didier fut massacré par les Normands; devenu plus libre dès lors, et toujours ferme dans son projet d'embrasser la vie religieuse, le jeune homme se retira un jour en secret auprès d'un moine nommé Giacinto il lui ouvrit son cœur et le supplía de vouloir bien le conduire dans une solitude profonde pour y revêtir l'habit monastique. Celui-ci promit de réaliser sa sainte résolution; le départ étant arrêté, un jour, à l'entrée de la nuit, tous deux sortirent de la ville chevauchant comme pour se divertir, et suivis de quelques jeunes cavaliers, ils s'en vinrent à l'Église

'Stem. Princ. Benev. 292.-Leb Ost Amat. Hist. Norman.

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