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rière, sa mémoire aurait peut-être été respectée après sa mort, comme sa réputation avait été entière pendant sa vie. Mais ses dix-sept ouvrages d'antiquités, réunis dans un seul volume in-folio, en le rendant plus célèbre, ont nui à sa mémoire. Il a prétendu donner les ouvrages jusqu'alors inconnus d'un grand nombre d'auteurs anciens, en ajoutant des commentaires sur la plupart de ces ouvrages. Il en avait fait aussi sur les vingt-quatre premiers rois d'Espagne et sur l'antiquité de cette monarchie. Cette production n'était pas celle d'une jeunesse inconsidérée, c'était le fruit de soixante-cinq ans consacrés à l'étude et au travail, et des plus profondes recherches; l'ouvrage portait le sceau de la gravité d'un saint religieux distingué par la place la plus honorable de son ordre, occupée par les plus savans personages de cet ordre depuis saint Dominique jusqu'à lui (1).

Voici la notice des ouvrages contenus dans la première édition publiée par Annius. L'in-folio que j'ai vu à Rome à la bibliothèque Angélique, est d'une impression assez belle. Les pages n'y sont pas numérotées; elles l'ont été à la main dans cet exemplaire. La table des matières y est écrite aussi à la main avec beaucoup de soin, de la manière suivante :

Io. Annius Viterbien.

Antiquitatum variarum volumina xvii seu libri, quorum materies vide post præfationem.

Sunt autem paucis ista:

(1) Histoire des Hommes illustres de l'ordre de Saint-Dominique, par Touron. III, 658 et 659.

I. Annius liber de contentis sequentium librorum, page 3.

II. Institutiones de oequivocis, page 167.
III. Propertii Vertumniana, page 45.

IV. Xenophontis oequivoca, page 24 à tergo.
V. Fabius Pictor, de Aureo seculo, page 32.
VI. Myrsilus, page 13.

VII. Catonis fragmentum, page 19.

VIII. Itinerarii Antonini fragmentum, page 95,

à tergo.

IX. Sempronius, de Italiâ, page 73.

X. Archilocus, de temporibus, page 39.

XI. Metasthenes, page 42.

XII. De Hispaniis, page 211.

XIII. De Chronographia etruscá, page 163.
XIV. Philonis liber, page 50.

XV. Berosi liber, page 100.

XVI. Manethonis liber, page 153, à tergo. XVII. Anniani liber Quaestionum, page 190. Ce fut à l'occasion de ces découvertes et de ce travail, que les plus savans hommes du seizième et du dix-septième siècles s'échauffèrent pour ou contre notre auteur. Persuadés que les véritables ouvrages de ces anciens écrivains ne subsistaient plus, ils ne pouvaient regarder que comme des pièces fausses ou supposées celles que l'on fesait paraître sous leurs noms; et les commentaires d'Annius sur des écrits de cette nature devaient nécessairement tomber dans le même décri. Pinéda, André Schot, Goropius, Louis Vivez, Espagnol, Gaspar Barreiros, Portugais,

le savant Vossius, et plusieurs autres, entre lesquels Melchior Cano ne tient pas le dernier rang, ont entrepris de montrer la fausseté de toutes ces pièces; et ils ont parlé aussi avec mépris de Jean Nani, qu'ils ont appelé un fourbe et un imposteur.

Celui-ci a en aussi d'illustres défenseurs; Jean Naucler, Jean Driédo, Valère Anselme, Michel Médina, Jean Lucide, Léandre Alberti, Sixte de Sienne, Alfonse Maldonad, Thomas Mazza, Sigonius, Vergara, chanoine de Tolède, et quelques autres écrivains qui n'étaient pas sans réputation, se déclarèrent hautement en faveur d'Annius. Quelques-uns le firent avec beaucoup de chaleur; ils ne prétendirent pas le défendre comme un homme accusé, mais en rétorquant contre ses adversaires tous les reproches qu'on lui fesait; ils les accusèrent à leur tour de mauvaise foi, d'infidélité ou de supercherie. Quelques-uns sans doute avaient pu mériter ce traitement: on ne saurait dire de tous qu'ils n'avaient écrit que pour éclaircir la vérité ou pour la défendre : la passion se montre trop dans leurs écrits (1).

§ XI. EXAMEN DES OUVRAGES PUBLIÉs par annIUS DE VITERBE, ET SPÉCIALEMENT du bérose.

CCLXXXIII. On voit que les ouvrages publiés par Annius de Viterbe ont été l'occasion d'une guerre littéraire, et il est vraisemblable que cette guerre

(1) Histoire des Hommes illustres de l'ordre de Saint-Dominique, par Touron. Paris 1746. t. III, p. 659.

durera autant qu'il prendra envie à quelque nouvel écrivain de renouveler ou la critique d'Annius, ou l'apologie de ses ouvrages; et la seconde doit paraître moins facile que la première (1). On sait en effet

que

La critique est aisée et l'art est difficile (2).

celui d'auEt si le rôle de critique est plus facile que teur, il l'est encore bien plus que celui d'apologiste. Au reste, il est très-possible que tous ces écrits attribués à d'anciens auteurs soient fabuleux et supposés, sans que notre écrivain ait été lui-même capable de cette supposition. En effet, Léandre Alberti, dont la probité n'est pas moins connue que l'érudition, assure qu'il avait vu autrefois à Viterbe les vieux manuscrits dont Annius avait tiré une partie de ces pièces (3). A la vérité on dit que ce dernier, qui était aussi dominicain, mourut de chagrin, l'an 1552 (4), d'avoir été la dupe de ces ouvrages, et d'avoir gâté sa description de l'Italie en y mêlant les fables dont ils sont remplis (5).

Quant au Bérose, Annius lui-même déclare qu'un dominicain Arménien, appelé George, et non pas le Père Matthias, provincial des dominicains, comme

(1) Id. p. 659 et 660.

(2) Le Glorieux, comédie de Destouches, acte second, scène 5. (3) Lean. Alb. Descript. Ital. ubi de Viterbio. 115. Voyez les Mémoires pour servir à l'Histoire ancienne du globe. Paris 1808. VIII, 255.

(4) Biographie universelle. art. Alberti.

(5) Mémoires de Nicéron. Paris 1730. XI, 8.

l'écrit Touron (1), lui avait fait présent du manuscrit de Bérose. Que l'un et l'autre, celui qui fesait le présent et celui qui le recevait, aient été trompés en prenant pour le véritable ouvrage de Bérose une pièce beaucoup moins ancienne, cela se peut, et, dans ce cas, on accuserait Annius de trop de crédulité, sans lui imputer le crime de fourberie (2). Si un religieux, âgé de soixante-cinq ans, déclarant qu'il tient un manuscrit d'un autre religieux qu'il nomme, n'en est pas cru sur sa parole, sous prétexte de quelque apparence de fausseté dans ce que dit le manuscrit, qui pourrons-nous croire à l'avenir? comment convaincra-t-on celui qui entreprendra de nier le fait le plus certain?

Pour prouver en effet la prétendue imposture, ua homme sage ne voudra jamais s'appuyer sur deux contes ridicules, l'un hazardé par Antoine Augustin sur un simple oui-dire, et l'autre par Jacob Spon, protestant très-zélé, qui se croyait fort heureux de trouver l'occasion de se moquer d'un moine catholique romain. J'ai réfuté ailleurs ces deux calomnies (3), et je me contenterai de rapporter ici le passage important où Annius lui-même nous instruit de la manière dont lui est parvenu l'extrait de Bérose. Le voici textuellement: Frater autem Matthias olim provin

(1) Histoires des Hommes illustres de l'ordre de Saint-Dominique. III, 660.

(2) Id. ibidem.

(3) Mémoires pour servir à l'Histoire ancienne du globe. VII, 166 et 194.

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