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vail et de raisonnement. Monboddo insinue que c'est dans les contrées regardées comme le berceau du genre humain, c'est-à-dire en Asie, que la première invention du langage a eu lieu, ainsi que l'emploi des autres facultés humaines: cependant, pour ne pas trop s'écarter de son peuple favori, les Grecs, il attribue aux Égiptiens l'honneur d'avoir enseigné le langage aux peuples de l'Europe. Les Égiptiens ont, selon lui, possédé le véritable savoir humain; et il cherche à démontrer comment les événemens ont produit la décadence de ce savoir. Après avoir recherché l'origine et examiné le génie des langues, l'auteur développe, dans les derniers volumes, leurs progrès chez les peuples les plus civilisés, surtout chez les Grecs et les Romains; il passe en revue tous les genres de stile dans lesquels ils se sont exercés; il analise et juge les chefs-d'oeuvre produits dans chaque genre; il les compare aux chefs-d'œuvre modernes, surtout à ceux de l'Angleterre. Mais il ne se contente pas d'examiner la forme des ouvrages classiques; il en approfondit encore le sujet. Ses jugemens ne sont pas exprimés d'une manière aussi concise et aussi nerveuse que le dit Herder. Monboddo est au contraire un peu verbeux, et son stile manque d'éclat; mais il y a dans ces analises des vues très-judicieuses et une grande érudition. A l'occasion du stile didactique, il est amené à s'occuper de la philosophie des anciens; et là, il va jusqu'à prétendre que les modernes n'ont point traité de la véritable philosophie; que le sistème de Neuton, par

les attributions qu'il accorde à la matière, détruit l'idée de la Divinité; qu'aucun moderne ne définit le mouvement, ni ne distingue Dieu d'avec la nature, ni la nature d'avec l'homme. Monboddo assure que ce n'est qu'après avoir étudié Aristote et Platon, qu'il a été en état de faire ces distinctions. Il accorde un si grand avantage à ces deux philosophes, qu'il les recommande, même pour l'explication des mistères de la religion chrétienne, qui, selon lui, s'y trouvent développés tous, sans en excepter l'incarnation. Monboddo est en général très-pieux; il fait observer que ce qui distingue éminemment les historiens classiques, et ce qui manque un peu aux modernes, c'est la piété, ou la foi en un régulateur suprême de toutes choses (1). Son ouvrage n'a pas été traduit en entier dans d'autres idiômes. Voyez ci-dessus l'article CCLIX.

CCLXVI. Dans un ouvrage plus volumineux encore, auquel Monboddo consacra le reste de sa vie, et dont la publication n'a été terminée qu'après sa mort, dans l'Ancient Metaphysics, or the science of the universals, Édimbourg, 1779-1799, 6 vol. in-4°, il renchérit encore, s'il est possible, sur les opinions sistématiques et paradoxales qu'il avait exposées avec tant de savoir, dans son premier ouvrage. Il se propose particulièrement, dans le second, de développer la philosophie d'Aristote, et de réfuter Neuton et Locke. Il y expose habilement les sis

(1) Biographie universelle. Paris 1821. XXIX, 340-342. Art. Monboddo, par M. Depping.

tèmes des philosophes anciens, et, sous ce rapport, son ouvrage est utile; il est fâcheux que cet exposé soit entremêlé de ses paradoxes, qui prouvent, entre autres choses, une crédulité surprenante dans un homme aussi instruit : il y regarde l'orang-outang comme un être humain abâtardi; il adınet l'existence des sirènes et d'autres prétendus animaux participant des qualités de l'espèce humaine (1).

CCLXVII. ENEA ПITEPOENTA, or The diversions of Parley, by Horne-Tooke. 1786. in-8°.

Ce n'était qu'un premier volume, qui fut réimprimé douze ans après.

CCLXVIII. Id. 1798, in-4o.

CCLXIX. Le second volume parut en 1805, à Londres, aussi in-4°.

Cet ouvrage, rédigé en forme de dialogue, est un des plus importans que l'on ait publiés de nos jours sur la grammaire générale ou philosophique, et il mérite une analise un peu détaillée.

Le trait caractéristique des EIIEA ПITEPOENTA (substances ailées, emblème de la parole), c'est qu'au lieu de vouloir tout expliquer par des abstractions sistématiques, qui jamais n'ont pu servir de première base à un langage naissant, l'auteur épie la nature de la parole dans la marche progressive des besoins de l'homme. Voilà pourquoi il n'admet au fond que deux espèces de mots : l'une qui, dans tous les idiomes, tous les âges de l'état social, est indispensable à la plus simple communication de nos pensées; elle

(1) Id. p. 342.

ne comprend que le nom et le verbe. L'autre espèce, quelque nécessaire qu'elle paraisse actuellement, ne l'est pourtant devenue que plus tard, par le seul désir d'une grande rapidité dans nos communications. Comme il ne s'agissait alors que d'abréger, et non pas d'exprimer de nouvelles idées, en créant d'autres signes radicaux, on a seulement dû chercher quelques termes qui fussent propres à remplacer d'une manière moins compliquée ou moins pénible, certaines combinaisons de mots primitifs: c'est par conséquent dans ceux-ci même qu'on a successivement choisi le substitut le plus commode, en raccourcissant l'une ou l'autre de leurs parties constituantes. Les grammairiens n'ont pas pu rechercher jusque dans leurs premières sources, la plupart de ces formations tardives, bornées à la simplification des moyens transmis depuis long-tems: trop souvent ils ne leur ont attribué d'autre origine que notre tendance philosophique à généraliser les idées, et l'apparente impossibilité d'y parvenir sans des signes exclusivement consacrés à un pareil usage. Cette erreur trouve son excuse, d'abord dans la contraction progressive et la corruption finale des mots primitifs, ainsi que de leur assemblage; ensuite dans les transpositions qu'ils ont subies en passant d'une phrase à l'autre. Aussi l'auteur a-t-il choisi pour frontispice de son livre le dieu de l'éloquence, Hermès, qui s'attache des ailes; emblème par lequel il indique ces heureuses sincopes de mots qui, longtems après, ne présentant plus que des relations

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abstraites, sous les dénominations vagues de particules, ou de mots indéclinables, ont été taxées d'obs curité dans leur sens absolu; à quoi fait allusion l'épigraphe : Dùm brevis esse laboro, obscurus fio, << Pendant que je m'efforce d'abréger, je deviens

« obscur. >>

D'après Horne-Tooke, quiconque y mettrait assez de persévérance, pourrait exprimer toutes ses idées en mots de la première classe, quoique souvent avec de fort longs détours, et toujours avec beaucoup de peine, puisque les anciennes routes lui sont devenues étrangères, à proportion qu'il a fréquenté des sentiers plus directs; tandis que les enfans et les étrangers non lettrés suivent naturellement cette marche lente des premiers tems. Dans ce même sistème, il ne restera plus de mot dépourvu d'un sens complet, ou ne fournissant qu'une signification purement relative; plus de mot enfin, dont la nature serait versatile, au point d'appartenir avec un sens différent, tantôt à l'une et tantôt à l'autre de ces parties d'oraison, auxquelles les grammairiens se plaisent à fixer des limites, sans en trouver toujours d'invariables. Par exemple, que le monosillabe that, d'après sa position dans la phrase, passe pour article, pronom ou conjonction, jamais il n'aura que le même et seul sens primitif que les Anglo-Saxons y avaient attaché, et qui se retrouve encore dans l'allemand das. Il n'en est pas autrement de tout mot que dans une langue quelconque on nommera alternativement adverbe, préposition ou conjonction. Aussi les mots empruntés

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