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Il m'a fait connaître l'origine de tous les peuples et de tous les usages: il m'a démontré qu'aucun des personages de l'antiquité n'avait existé; qu'aucun des faits transmis par l'histoire n'était arrivé; que tous les livres des Anciens n'étaient que des recueils d'énigmes; que tous les événemens qu'ils ont rapportés n'étaient que des allégories; que Cécrops signifie œil rond de la terre; ce qui prouve que ce roi athénien n'a jamais existé, que ce n'est qu'un emblème du soleil : que le roi Ménès, en Egipte, le roi Minos, en Crète, le roi Mon, en Phrigie, le roi Mannus, en Germanie, sont tous des personages allégoriques, parce que, dans une langue qu'on n'a jamais parlée dans aucun de ces pays-là, le mot de man veut dire flambeau : ce qui démontre que tous ces rois ne sont autres que le soleil même. J'ai voulu d'abord alléguer qu'en Germanie, en Angleterre, et dans tout le Nord, man signifie homme, et non flambeau; que de là Nor-man, homme du Nord: il m'a répondu que Janus était le soleil; qu'il avait épousé Carmenta, mot dérivé, non de Carmen, comme on l'avait cru, mais de carna, qui vient de car, cornu, et de men, flambeau; qu'il était clair que le mariage de Janus avec flambeau cornu, n'était autre chose que le mariage du soleil avec la lune.

Je lui dis que je trouvais l'étimologie aussi vraie que le mariage frappé de ma conception, il ajouta qu'Énée était encore le soleil, tout aussi-bien qu'Hercules; que ses douze travaux étaient les douze signes du zodiaque. En vain, monsieur, j'ai voulu faire quelques objections; l'étendue de son savoir m'a fait taire, et la profondeur de son jugement a confondu le mien.

Plein de ces grandes idées, admirant ce travail prodigieux, méditant sans relâche sur ce sisteme, j'en ai senti toute l'importance, j'ai même fait quelques réflexions qui viennent à l'appui de ces grandes découvertes, et qui achèvent d'en démontrer la vérité, au point de ne pas laisser le moindre doute à l'incrédulité la plus décidéc.

Permettez-moi de vous en faire part; je ne remonterai pas bien haut.

Toute l'histoire du dix-huitième siècle est évidemment une allégorie; l'antiquité même n'en fournit point de plus sublime.

Pour la pénétrer, attachons-nous à la véritable signification des mots, et nous connaîtrons bientôt la finesse du génie des savans qui ont composé cette allégorie sous le nom d'histoire, et qui ont désigné tous les phénomènes de la nature sous des emblèmes héroïques : car les savans de ce tems-là voulaient cacher aux peuples la sublimité de leur doctrine, afin de le mieux éclairer et de se rendre plus utiles.

Ils nous disent que la plupart des rois de l'Europe descendaient de la maison de Bourbon, de celle d'Autriche ou de celle de Holstein. Pour peu qu'on soit instruit des langues de ce siècle, on est frappé de la ressemblance de ces noms avec des objets terrestres, et l'on voit bientôt ce qu'ils siguifient.

La plus célèbre de ces maisons, celle dont la domination est la plus étendue en Europe et dans tout le Globe, est, disent-ils, celle de Bourbon: mais ce n'est point là un nom d'hommes, un nom de famille; c'est un nom allégorique qui caseigne que les plus grands rois de la Terre, comme le reste des humains, sont formés de limon, de fange, d'argile détrempée avec un peu d'eau. Car, dans l'ancienne langue des Francs, c'est ce que signifie le vieux mot dont on a fait depuis Bourbon. Je ne crois pas qu'il soit possible de trouver une allégorie plus morale et plus conforme à la nature de l'homme. Aussi les savans de ce tems-là avaient-ils eu le bon sens d'affirmer que tel était le nom de la famille la plus ancienne et la plus nombreuse des rois de l'Europe, du Mexique, du Pérou, d'une partie de l'Afrique, des Indes et des îles de l'Asie.

Je vous démontrerai avec la mème évidence que les rois des îles de l'ouest, vulgairement nommées îles britan

niques, ne sont point issus originairement de la maison d'Est (1). Ce n'est qu'une allégorie par laquelle on montre à ces fiers insulaires, sans blesser leur orgueil, qu'ils tirent leur origine de l'est, du continent placé à l'est de leurs îles; et cette allégorie était d'autant plus nécessaire, que ces insulaires, enfans très-ingrats, n'ont jamais pu souffrir les peuples dont ils descendent.

La maison qu'on appelle Autriche, ou plutôt Austria, s'étendait, disent-ils, de la mer Noire à l'Océan; mais elle avait régné en Espagne, en Italie, en Sicile; elle avait pensé anéantir la maison de Bourbon. Voilà encore une allégorie bien frappante: au n'est qu'un article, une préposition qui marque le lieu ou le tems; à telle époque, à tel endroit, au jour, au pays. Stria vient plus évidemment encore du mot latin striare, strier, faire des raies, fendre, séparer, éparpiller. Austria, Autriche, signifie donc : au tems de l'éparpillage, de la séparation. Toute la rivalité de cette maison, toutes ses guerres avec la maison de Bourbon, ne signifient rien, si ce n'est qu'après que les hommes furent sortis de la fange dont ils étaient formés, ils se répandirent, ils s'éparpillèrent dans toute l'Europe, et qu'ils foulèrent aux piés ce limon dont ils étaient formés.

Les railleurs ont beau contester; quand on trouve tant de faits qui viennent à l'appui les uns des autres, surtout lorsqu'ils se suivent ainsi, et que l'allégorie est juste dans toutes ses parties, il faut finir par se rendre à l'évidence, et par céder à la foule des preuves dont on se sent accabler.

Ce qui achève de porter ce que j'avance jusqu'à la démonstration, c'est la place que les savans ont assignée à la maison de Holstein.

Il ne faut pas être bien instruit savoir que pour hol vient de houle, et que stein dérive ou de stare en latin, ou de

(1) On sait que les princes de la maison de Brunswick, actuellement régnante en Angleterre, descendent de la maison d'Este, dont le nom s'écrivait Est en France, lorsque M. Gudin vivait.

stand en anglais, qui se traduisent par arrêter, demeurer; ou qu'il vient de strand, rivage, ou même de stein, pierre, en allemand. Holstein signifie done: houles de la mer, arrêtez-vous; comme solstice signifie: soleil, arrête-toi. Aussi, les savans nous disent-ils que cette maison régnait vers le nord, daus cet endroit où une invasion de l'Océan avait formé la mer Baltique, les golfes de Finlande et de Bothnic, et peut-être les lacs d'Onéga et de Ladoga. Vous voyez bien que dans le dix-huitième siècle, les savans cachaient sous des emblèmes historiques tous les phénomènes de la nature.

Ils avaient aussi l'usage de désigner les talens et les révolutions par des emblèmes. Veulent-ils faire entendre que la terre fleurit par une bonne administration, ils disent que le ministre de la maison de Bourbon s'appelait Fleuri: veulentils désigner l'attention que l'on doit apporter à choisir un ministre dans des tems difficiles, ils disent que ce ministre se nommait Choiseul.

Les fables se répandent comme l'eau sur la terre; ils ont appelé leur fabuliste La Fontaine. Le génie du théâtre tragique a été représenté sous l'emblème d'un oiseau qui parle lentement; ils l'ont nommé Corneille. Le goût ne vole point, il germe; il fleurit quand on le cultive; ils ont marqué ces qualités sous le nom de Racine. Le mot de liesse ou de lierre, indique la joie : le génie de la comédie sera donc Molière. Une grande révolution s'opère-t-elle dans les idées, ils l'attribuent à Newton, c'est-à-dire nouveau ton, nouvelle manière de s'énoncer. C'est ainsi que le tems où toutes les idées étaient brouillées, où on les développait mal, où les erreurs philosophiques combattaient les erreurs populaires, avait été désigné par un emblème très-juste, et s'était appelé Descartes.

Pour montrer qu'un général doit être le boulevard de sa nation, ils vous assurent que leur plus grand général s'appelait Rocher, Saxum, Saxe. Voilà comme l'histoire du

dix-huitième siècle n'est évidemment qu'une allégorie pour tout homme qui connaît les langues et qui pénètre la véritable signification des mots.

Ce ne sont pas quelques faits isolés, c'est l'histoire entière qui le prouve : plus on approfondira cette matière, plus on sera convaincu. La religion, la prédication réforment les mœurs et ouvrent le ciel; c'est le père Neuville et le père Élisée qui prêchent: vous voyez bien que ces gens-là n'ont jamais existé. C'est ainsi que l'on nous prouve que Romulus, en Italie, dérive du mot grec 'Péμn, robur, force, et que Numa vient de Neus, lex, loi, qu'ils ne sont que des mots allégoriques, et qu'ils ont trop de rapport avec les vertus que l'on attribue à ces deux rois pour qu'ils soient effectivement leurs noms. C'est avec un tel argument que je vous démontre qu'Aristote, qui vient du grec "Apolo, optimus, très-bon, n'est qu'un personnage idéal; car quel homme s'est jamais appelé très-bon?

Une preuve encore plus frappante que toutes celles que je vous ai données, c'est la sublime allégorie du roi et des douze pairs de France. Ils représentent plus évidemment le soleil. et les douze signes du zodiaque, que la fable d'Hercules accomplissant ses douze travaux, ou que celle d'Énée passant de Phrigie à Carthage, en Sicile, aux bords du Tibre. On trouve les six caractères du soleil dans Énée : on nous prouve que la sillabe her veut dire soleil ; mais dans le nom de Louis, je trouve à la fois le nom et le caractère de cet astre. Lisez ce nom à rebours, en supprimant la troisième et la quatrième lettre, vous trouverez sol: c'est bien le nom latin dont nous avons fait soleil.

Non-seulement, Monsieur, dans ce nom de Louis, il y a ce grand caractère; mais on y trouve aussi le mot de lois, parce que le soleil, qui dispense au monde les jours et les saisons, semble être le législateur de l'univers. Ce n'est donc point le hazard qui a rassemblé toutes ces grandes idées dans un mot

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