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punique de Plaute est du basque tout pur. Il y a longtems que les Irlandais expliquent aussi la même scène dans leur langue, et l'on croit que les Bas-Bretons ont fait une tentative semblable. Il est possible que le basque, l'irlandais et le bas-breton aient quelque analogie avec le phénicien; mais ces langues n'en sont pas moins très-différentes entre elles, et les diversités qui se trouvent entre plusieurs langues modernes dérivées du latin le feront comprendre aisément. D'ailleurs les Carthaginois, dont Plaute nous a parlé le langage, avaient déjà corrompu le phénicien. Cet auteur les nomme biscalcilinguæ, et souvent ailleurs bilingues, parce qu'ils parlaient deux langues, savoir celle des Tiriens et celle des Libiens. On en tirait des conséquences désavantageuses pour ces peuples, qu'on appelait, par cette raison, doubles, infidèles, trompeurs. Virgile a dit (1):

Quippe domum timet ambiguam, Tyriosque bilingues.
Cette ville suspecte et ce peuple sans foi,

Tout l'effraie.

Quant à la forme des lettres usitées dans la Gaule, César dit positivement (2) qu'elle était celle des anciennes lettres grecques, dont ils se servaient dans les actes publics et particuliers. Ainsi que l'observe le savant Mabillon (3), c'étaient des marchands égiptiens qui fournissaient les Gaulois de feuilles de papyrus. Les anciennes archives des églises et des

(1) Éneïde, livre I, vers 661.

(2) Lib. vi, cap. 4.

(3) De re diplom,, lib. 1, cap. 8.

abbayes conservaient des actes et des documens publics écrits sur ces feuilles. On voit encore ces anciennes lettres grecques, étrusques ou phéniciennes sur les médailles celtiques et celtibériennes (1), qui sont en très-grand nombre, et antérieures à celles des Romains, dont la date est récente et donnée par Pline, tandis que l'époque à laquelle remontent les médailles celtibériennes et celtiques est inconnue.

La littérature des Celtes n'est pas moins certaine par le témoignage de César et de Pompéius Méla, qui nous apprennent que les druïdes avaient écrit même sur le mouvement des astres. Le plus ancien écrivain de l'occident que nous connaissions est Pithéas, au moins contemporain d'Alexandre. Il était né à Marseille, où les Grecs étaient arrivés près de trois siècles avant Alexandre; en sorte qu'il est difficile qu'il ne se soit pas établi entre les Celtes et les Phocéens un rapport d'études et de connaissances qui n'a pu que tourner à l'avantage des uns et des autres. Trogue Pompée, qui était né à Vaison, et qui était mort quelques années avant l'ère chrétienne, avait composé une histoire universelle en trente-quatre livres en latin; et il est le seul historien latin que nous sachions avoir fait cette entreprise. Nous n'avons malheureusement plus que l'extrait de son ouvrage, composé par Justin; mais cet extrait suffit pour nous faire voir que Trogue Pompée avait connu des monumens qu'il n'avait puisés ni chez les Grecs, ni chez les Romains; ces monumens appartenaient consé

(1) J'en ai plus de deux cens dans mon cabinet.

quemment à notre littérature, qui était celle du pays même de l'historien. Enfin j'ai donné dans mon mémoire et plan de travail sur l'histoire des Celtes ou Gaulois (1), la liste de cent auteurs qui étaient celtes, ou qui ont écrit sur les Celtes, en m'arrêtant au règne d'Antonin-le-Pieux, qui lui-même était né à Nîmes, et qui est certainement l'un des plus grands empereurs qu'aient eus les Romains. Ces derniers peuventils accuser de barbarie et d'ignorance une nation qui, fort peu de tems après leur avoir été soumise, leur a donné un de leurs meilleurs empereurs? et ne trahirions-nous pas ce que nous devons regarder comme notre cause, si nous osions avancer ce que les Romains n'ont pas dit, et si, à l'exemple de M. de Wailly, dans sa traduction des Commentaires de César (2), nous appelions à chaque instant barbares nos ancêtres, lorsque César lui-même ne leur donne pas ce nom? Leur longue et courageuse résistance, malgré leurs divisions intestines, véritable cause de leur perte, ne prouve-t-elle pas leur civilisation, du moins à cette époque?

§ 3. Du progrès des arts chez les Celtes.

VI. L'habitude que nous avons conservée de regarder les Romains comme nos maîtres, nous fait tellement méconnaître les productions mêmes de nos ancêtres,

(1) Paris 1807, t. 3 des Mémoires pour servir à l'histoire ancienne du Globe. p. 97.

(2) Paris 1799, 2 vol. in-12. J'ouvre au hazard cet ouvrage, et j'y trouve, dès la première ligne de la page 257, tome 1, le mot latin hostes, les ennemis, traduit par les barbares.

que lorsque nous apercevons dans un monument de la régularité et de belles proportions, nous décidons sur-le-champ qu'il est romain. Si, au contraire, il est brute et grossier, nous décidons qu'il est celte; et nous ne supposons jamais ce que les Romains euxmêmes nous apprennent, que nous avons eu avant eux des chemins publics avec des bornes de distance en distance (1), et que la ville de Marseille était celle où les Romains envoyaient leurs enfans pour s'instruire. Des arcs de triomphe se trouvent encore aujourd'hui à Orange, à Carpentras, à Cavaillon, construits évidemment par des architectes gauloismarseillais, du tems de la victoire de Domitius Ahénobarbus, plus de cent vingt ans avant l'ère chrétienne; et parce que M. Ménard reconnaît que ces arcs de triomphe sont construits selon les règles de l'ordre composite, et que Vitruve nous dit que cet ordre a été employé pour la première fois à Rome sous le règne de l'empereur Titus, M. Ménard, dans les Mémoires de l'ancienne Académie des Inscriptions (2), veut renverser toutes les traditions de son propre pays, et reculer jusqu'au règne de Septime Sévère les constructions des trois arcs de triomphe. que je viens de nommer. C'est ainsi qu'allant plus loin que Vitruve, qui n'a jamais prétendu que l'ordre composite ait été inventé par les Romains, il nous

(1) Voyez ce que j'ai dit à ce sujet, page 279 et suivantes des Antiquités du département de Vaucluse, sur le témoignage de Polybe. Voyez aussi l'Art de vérifier les dates avant J.-C. V. 233.

(2) Tome 32. J'ai combattu son opinion dans l'Art de vérifier les dates avant J.-C. V. 279.

enlève l'avantage d'avoir été créateurs en architecture, et d'avoir appris avant ces sauvages conquérans de l'ancien monde, les arts dont la perfection ne leur appartient en aucune manière, selon Virgile luimême, mais aux Grecs qui les ont précédés, et dont nous avons su conquérir avant eux les découvertes et les habitans eux-mêmes auxquels nous avons donné asile.

Excudent alii spirantia molliùs æra, etc. (1).

D'autres avec plus d'art, cédons-leur cette gloire,
Coloreront la toile, ou d'une habile main
Feront vivre le marbre et respirer l'airain;
De discours plus flatteurs charmeront les oreilles ;
Décriront mieux du ciel les pompeuses merveilles:
Toi, Romain, souviens-toi de régir l'univers;
Donne aux vaincus la paix, aux rebelles des fers;
Fais chérir de tes lois la sagesse profonde :

Voilà les arts de Rome et des maîtres du monde.

Cet avantage de la domination, si méprisable et si fragile, auquel se bornaient les Romains, et qu'ils n'acquirent qu'en perdant leur liberté, ne leur est pas demeuré long-tems; mais il n'en est pas moins certain, par leur propre témoignage, qu'ils n'ont rien inventé dans l'architecture, ni dans aucun des beaux

arts.

Il en est de même des médailles marseillaises évidemment antérieures aux médailles romaines, et bien mieux frappées. N'étaient elles pas véritablement devenues gauloises? et peut-on croire que celles qui

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(1) L'Énéide de Virgile, livre vi, vers 848 et suivans. Traduction de l'abbé Delille. Paris, 1824. II, 291.

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