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notre portée? La différence des langues et des mœurs n'est-elle pas un obstacle très-difficile à surmonter? et s'il nous est si difficile de voir ce qui se passe autour de nous, et en quelque sorte sous nos ieux, comment pénétrerons-nous à travers les ténèbres de l'histoire, et les mensonges intéressés de la plupart de ceux qui l'ont transmise? L'étude des faits ne doitelle pas être nécessairement accompagnée de cette philosophie qui domine en quelque sorte sur eux, afin d'y faire le choix de ce qui est vrai, instructif, intéressant? Ne devons-nous pas nous accoutumer avant tout à lier nos idées, de manière à juger l'inconnu par le connu?

La difficulté de juger les peuples qui ont habité ce globe avant nous, augmente encore par le changement du langage et des mœurs, par les catastrophes morales et physiques. Les Égiptiens, avec leurs hiérogliphes et leurs piramides, n'ont pu réussir à nous transmettre les idées que ces piramides et ces hiérogliphes étaient destinés à nous conserver. La langue connue sous le nom de sanscrit nous est restée; nous avons des manuscrits qui nous en conservent les ouvrages; nous sommes parvenus à les traduire; et nous ne savons pas encore qui a parlé le sanscrit. Homère a été copié, traduit, imprimé dans toutes nos langues modernes; et un savant allemand (1) n'a pas craint de soutenir que ce grand poète ne savait pas écrire; un autre savant de cette nation nous enseigne à le

(1) Jean-Henri Voss, mort le 29 mars 1826. M. de Sainte-Croix lui a répondu dans le Magasin Encyclopédique.

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lire, et nous apprend, par exemple, que Nestor n'a dit aux généraux qu'il voulait persuader : « J'ai «< connu des hommes qui valaient mieux que vous ; » mais «< des hommes qui valaient mieux que nous; » ce qui détruit toutes les plaisanteries de Voltaire sur ce passage, et nous fait voir que l'homme de France qui était le plus digne d'apprécier le poète grec ne pas bien compris. Soyons donc réservés dans nos assertions, et surtout soyons modestes; ne croyons pas légèrement que nous avons plus de science, plus de goût, plus de morale que les anciens; et bien loin de nous vanter de ce prétendu progrès des lumières dont nous nous targuons avec tant de confiance, craignons d'être inférieurs à nos devanciers, et ne blåmons pas si facilement les Indiens et les anciens euxmêmes qui ont placé leurs ancêtres dans l'âge d'or, et qui se sont crus dans l'âge de fer.

Après avoir considéré l'homme en général, venonsen à la nation qui mérite le mieux notre attention, à celle qui peuplait autrefois le sol que nous habitons. Il est bien clair d'abord que ce sol a souffert de grands bouleversemens. Les volcans éteints de l'Auvergne et d'autres provinces, les lits de coquilles trouvés à une assez grande profondeur en Touraine et ailleurs, les palmiers découverts dans les puits des carrières de Montmartre, et qui y sont surmontés de deux autres lits de dépôts d'anciens déluges et d'anciennes pétrifications, suffisent pour nous faire reconnaître qu'il nous doit être difficile de remonter par nos propres historiens à une très-haute antiquité. Nos monumens

décharnés par un climat humide et froid, ne nous présentent à Carnac (1) que de véritables squelettes. Un temple druïdique existe encore à Autun (2). Des médailles d'un or très-pur et des monnaies d'argent antérieures à celles des Romains (3), nous font reconnaître les traces d'une ancienne civilisation. Mais n'ayant pu conserver ni nos mœurs, ni notre langue, ni notre gouvernement, doués par la nature d'un caractère frivole et léger, peut-être plus propre au bonheur, mais certainement moins apte à tous les établissemens solides et constans, nous sommes réduits à chercher chez les nations étrangères les commencemens de notre propre histoire; et comme l'existence de ces nations nous a laissé des traces indubitables, elle rappelle la nôtre, et ne nous permet pas de douter que, dans les tems historiques les plus anciens, nous avons aussi formé un corps de nation plus ou moins civilisé, plus ou moins savant, peutêtre înférieur à ce que nous sommes aujourd'hui, peut-être aussi supérieur : c'est ce qu'il est important d'examiner sans prévention et sans préjugé.

§ 2. Sur l'ancienne langue et l'ancienne littérature des Celtes.

V. On doit s'attendre d'abord, puisque notre patrie

(1) Commune située dans le département du Morbihan, près Quiberon, dans un espace de trois lieues, qui domine au loin la mer. Voyez les dessins qu'en a publiés M. de Cambry dans ses Monumens celtiques; Paris, 1805.

(2) Voyez Introduction à l'Histoire d'Avignon, pag. 114.

(3) Mémoires peur servir à l'Histoire ancienne du Globe. Paris, 1807, t. II, p. 389.

a été subjuguée plusieurs fois, à ne plus retrouver les monumens de l'état politique qui a précédé la conquête. C'est ainsi que la race de Hugues Capet a dû détruire les monumens de Charlemagne, celle de Pepin ceux de Clovis. Clovis a lui-même, tant qu'il a pu, fait disparaître les traces de la domination des Romains, et ceux-ci des Celtes: en sorte qu'il ne faut s'attendre à trouver parmi les écrivains celtes que ceux qui ont employé le langage des Romains; car ce n'est sans doute pas sérieusement que l'on a nié qu'il y ait eu une langue celtique. Les Grecs et les Romains ont eux-mêmes conservé plusieurs mots qu'ils nous ont donnés comme venant de cette langue, L'auteur d'une Histoire de France curieuse, mais peu connue, appelé Guillaume Marcel, mort à Arles en 1708, en a rassemblé un assez grand nombre, en citant les anciens auteurs d'où il les avait tirés. J'ai cru devoir les rapporter après lui dans les articles qui suivront. Le nombre de ces mots n'est à la vérité pas assez considérable pour nous faire savoir si la langue de laquelle ils sont tirés était riche ou pauvre, harmonieuse ou grossière; mais ils ne permettent pas de douter qu'il y en ait eu une; et lorsque Varron nous dit que l'on parlait trois langues à Marseille, il nous prouve bien évidemment que les Phocéens y conservaient leur langue, et qu'ils étaient obligés de savoir le celte pour commercer avec les Celtes, et le latin pour commercer avec les Latins. C'est ce que nous dit formellement Isidore de Séville (1), né à

(1) Originum, lib. xv, cap. 1, dans les Auctores linguæ latinæ. Genève, 1622, pag. 1189, lig. 48 et suiv.

Carthagène, et nommé à l'évêché de Séville l'an 601. Il a composé son Traité des Origines avec le secours de livres que nous n'avons plus aujourd'hui, Je rapporterai en entier ce passage, qui m'a paru curieux. Lorsque Cirus se fut emparé des villes maritimes a de la Grèce, et que les Phocéens, vaincus par lui, « étaient livrés à tous les malheurs qui suivent la con«quête, ils jurèrent de s'éloigner si loin de l'empire « des Perses, qu'ils n'en entendraient plus même pro«noncer le nom. Pour remplir ce serment, ils par, «tirent pour les golfes les plus éloignés de la Ganle; «et s'étant garantis par leurs armes de la férocité des

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Gaulois, ils bâtirent Massilia (Marseille), et lui « donnèrent le nom de leur chef. Varron dit que ces peuples avaient trois langues, parce qu'ils parlaient «le grec, le latin et le gaulois, » Hos Varro trilingues esse dicit, quòd et græcè loquantur, et latinè, et gallicè.

Avant les Grecs, il y avait eu dans les Gaules des ly colonies phéniciennes et puniques, dont la langue était aussi restée dans leurs établissemens, Un carme déchaussé de Biscaie, nommé le père Bartolomé de Santa-Teresa (1), vient de faire paraître une dissertation dans laquelle il explique, par le basque, la fameuse scène en langue punique que Plaute a insérée dans une de ses comédies (2), Selon ce religieux, le

(1) L'Universel du 1er mars 1828.

(2) Le Pænulus, acte V, scéne 1. Voyez-en l'explication dans la Bibliothèque universelle de 1688, p. 256. Voyez aussi le Théâtre des Latins par J.-B. Levée, Paris, 1821, t. vi, p. 402, où l'on trouvera trois textes des vers puniques, tous différens de celui de Le Clerc dans la Bibliothèque universelle.

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