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tinelle à ma porte, et garde à celle de la maison ; je présumai qu'il n'y avait plus qu'à prendre des forces. pour soutenir ce qui pourrait arriver. J'étais accablée de fatigue je me fis donner à souper ; je finis mon billet, le confiai à ma fidèle bonne et me couchai. Je dormais profondément depuis une heure, lorsque mon domestique entre dans ma chambre, pour m'annoncer que des messieurs de la section me priaient de passer au cabinet : « J'entends ce que cela veut dire, répliquai-je; allez, mon enfant, je ne les ferai pas attendre. » Je saute en bas du lit, je m'habille; ma bonne arrive et s'étonne de ce que je prends la peine de mettre autre chose qu'un peignoir: « C'est qu'il faut être décemment pour sortir, observai-je. » La pauvre fille me fixe avec des yeux qui se remplissaient de pleurs je passe dans l'appartement. « Nous venons, Citoyenne, vous mettre en arrestation et apposer les scellés. - Où sont vos pouvoirs? Les voici, dit un homme, en tirant de sa poche un mandat du comité révolutionnaire (1), sans motif d'arrestation, pour me conduire à l'Abbaye. Je puis, comme Roland, vous dire que je ne connais pas ces comités, que je n'obtempère pas à ses ordres, et que vous ne me sortirez d'ici que par la violence.-Voilà un autre ordre,» se hâta d'exprimer, d'un ton

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(1) Madame Roland a voulu désigner le comité d'insurrection de la commune du 31 mai.

avantageux, un petit homme à face ingrate; et il m'en lut un de la commune qui portait également, sans déduction de motif, l'arrestation de Roland et son épouse. Je délibérai, durant sa lecture, si je pousserais la résistance aussi loin qu'il était possible, ou si je prendrais le parti de la résignation. Je pouvais me prévaloir de la loi qui défend les arrestations nocturnes; et si l'on insistait sur la loi qui autorise la municipalité à saisir les personnes suspectes, rétorquer par l'illégalité de la municipalité même, cassée, recréée par un pouvoir arbitraire. Mais ce pouvoir, les citoyens de Paris le sanctionnent en quelque sorte; mais la loi n'est plus qu'un nom dont on se sert pour insulter aux droits les plus reconnus; mais la force règne, et, si j'oblige à la déployer, ces brutaux ne connaîtront point de mesure : la résistance est inutile et pourrait m'exposer. « Comment comptez-vous procéder, Messieurs? - Nous avons envoyé chercher le juge de paix de la section, et vous voyez un détachement de sa force armée. » Le juge de paix arrive; on passe dans mon salon ; on appose les scellés partout, sur les fenêtres, sur les armoires au linge; un homme voulait qu'on les mît sur un fortepiano; on lui observe que c'est un instrument : il tire un pied de sa poche, il en mesure les dimensions, comme s'il lui donnait quelque destination, Je demande à sortir les objets composant la garderobe de ma fille, et je fais pour moi-même un petit paquet de nuit. Cependant, cinquante, cent

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personnes entrent et sortent continuellement remplissent deux pièces, environnent tout, et peuvent cacher les malveillans qui se proposeraient de dérober ou de déposer quelque chose l'air se charge d'émanations infectes, je suis obligée de passer près de la fenêtre de l'antichambre pour y respirer. L'officier n'ose point commander à cette foule de se retirer; il lui adresse parfois une petite prière qui n'en produit que le renouvellement. Assise à mon bureau, j'écris à un ami sur ma situation, et pour lui recommander ma fille; comme je pliais la lettre, « Il faut, Madame, s'écrie M. Nicaud (c'était le porteur d'ordre de la commune), lire votre lettre, et nommer la personne à qui vous l'adressez.

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Je consens à la lire, voyez si cela vous suffit. Il vaudrait mieux dire à qui vous l'écrivez. Je n'en ferai rien; le titre de mon ami n'est point tel en ce moment que je veuille vous nommer ceux à qui je le confie; » et je déchirai ma lettre. Comme je tournais le dos, ils en ramassèrent les morceaux pour les fermer sous les scellés : j'eus envie de rire de ce sot acharnement; il n'y avait point d'adresse.

Enfin, à sept heures du matin, je laissai ma fille et mes gens, après les avoir exhortés au calme et à la patience; je sentais leurs pleurs m'honorer plus que l'oppression ne pouvait me consterner. «< Vous avez là des personnes qui vous aiment, dit un de ces commissaires. Je n'en ai jamais Je n'en ai jamais eu d'autres près de moi,» répliquai-je, et je descendis. Je trouvai

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rue,

le

deux haies d'hommes armés, depuis le bas de l'escalier jusqu'au fiacre arrêté de l'autre côté de la et une foule de curieux; j'avançai gravement à pe-, tits pas, considérant cette troupe lâche ou abusée. La force armée suivit la voiture sur deux files; ce malheureux peuple qu'on trompe et qu'on égorge dans la personne de ses vrais amis, attiré par spectacle, s'arrêtait sur mon passage, et quelques femmes criaient à la guillotine! « Voulez-vous qu'on lève les portières? me disent obligeamment les commissaires.- Non, Messieurs, l'innocence, tout opprimée qu'elle soit, ne prend jamais l'attitude des coupables; je ne crains les regards de personne, et je ne veux me soustraire à ceux de qui que ce soit. Vous avez plus de caractère que beaucoup d'hommes; vous attendez paisiblement justice. Justice! si elle se faisait, je ne serais pas actuellement en votre pouvoir; mais une procédure inique me conduirait à l'échafaud, que j'y monterais ferme et tranquille, comme je me rends à la prison. Je gémis pour mon pays; je regrette les erreurs d'après lesquelles je l'ai cru propre à la liberté, au bonheur; mais j'apprécie la vie, je n'ai jamais craint que le crime, je méprise l'injustice et la mort. >> Ces pauvres commissaires ne comprirent pas grand'chose à ce langage, et le trouvèrent probablement fort aristocratique.

Nous arrivons à l'Abbaye, ce théâtre de scènes sanglantes dont les Jacobins, depuis quelque temps, prêchent le renouvellement avec tant de ferveur;

cinq à six lits de camp, occupés par autant d'hommes dans une chambre obscure, furent les premiers objets qui s'offrirent à ma vue : après avoir passé le guichet, on se lève, on s'agite, et mes guides me font monter un escalier étroit et sale. Nous parvenons chez le concierge, dans une espèce de petit salon assez propre, où il m'offre une bergère. « Où est ma chambre? demandai-je à sa femme, grosse personne d'une bonne figure. Madame, je ne vous attendais pas, je n'ai rien de préparé; mais vous resterez ici en attendant. » Les commissaires passent dans la pièce voisine, font inscrire leur mandat et donnent leurs ordres verbaux. J'appris dans la suite qu'ils étaient très-sévères et qu'ils les firent renouveler plusieurs fois depuis, mais sans oser les donner par écrit. Le concierge savait trop bien son métier pour suivre à la lettre ce qui n'est point obligatoire; c'est un homme honnête, actif, obligeant, qui met dans l'exercice de ses fonctions tout ce que la justice et l'humanité peuvent faire désirer. «Que voulez-vous pour votre déjeuner?- Une bavaroise à l'eau. » Les commissaires se retirent en me disant que si Roland n'était point coupable, il n'aurait pas dû s'absenter.» Il est trop étrang equ'on puisse soupçonner tel homme qui a rendu de si grands services à la liberté; il est trop odieux de voir calomnier et persécuter avec acharnement le ministre dont la conduite est si franche, dont les comptes sont si clairs, pour qu'il n'ait pas soustraire aux derniers excès de l'envie. Juste

dû se

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