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l'utilité dont elle avait été pour la révolution de ce jour; mais il fit voir que l'usage prolongé des moyens révolutionnaires produisait exactement le contraire de ce qu'on espérait obtenir par eux,

de citoyens, qui paraissaient chercher à s'éloigner de la capitale. La lettre du comité arrive à deux heures du matin. Roland n'attend pas que les bureaux soient ouverts pour commander une réponse au comité; il prend la plume, et son indignation le fait s'exprimer ainsi :

« J'ai reçu, à deux heures après minuit, la lettre par laquelle vous m'annoncez que des personnes effrayées s'enfuient de Paris, et que ce fait, contraire à la tranquillité publique, doit être arrêté par la fermeture des barrières. Assurément depuis un mois beaucoup de personnes, indépendantes par leur état et leur fortune, abandonnent une ville où l'on ne parle chaque jour que de renouveler des proscriptions dont le souvenir fait horreur et dont l'attente est affreuse; assurément, depuis bien des jours, vous avez reçu et je vous ai communiqué moi-même de nombreux avis sur la fermentation qui règne, sur les projets de massacre et la prédication du meurtre; assurément la marche irrégulière de quelques autorités, les arrêtés incendiaires de plusieurs sections, la doctrine sanguinaire professée dans des clubs, enfin l'arrivée des canons qui étaient à SaintDenis, et qu'on a fait venir hier pour les répartir dans les sections, et cela sur la demande particulière de celle des Gravilliers, dont on connaît les indécentes délibérations ; assurément, dis-je, toutes ces choses doivent effrayer les individus paisibles qui n'ont point oublié la stupeur dans laquelle des milliers d'hommes ont laissé une poignée de brigands dévaster les prisons et déshonorer la France aux fameux jours de septembre.

puisqu'on ne détruisait la tyrannie que pour faire régner la justice et l'ordre, également incompatibles avec l'anarchie; et il démontrait la justice et la difficulté d'obtenir des comptes de cette

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Qu'y a-t-il donc d'étonnant que l'on fuie? mais n'est-ce pas le comble de l'audace ou de l'aveuglement que de dénoncer cette fuite comme contraire à l'ordre public, et de proposer de fermer les barrières pour la tranquillité de Paris! Grand dieu! les assassins en sont-ils donc au point d'oser se servir de l'effet même de leurs trames pour en assurer les derniers succès! je n'en doute plus et je ne vois de projets sinistres que dans ceux qui proposent cette mesure atroce. Fermer les barrières d'une ville agitée, d'où l'ordre et la sûreté sont bannis, pour mieux retenir et choisir les victimes qu'on se propose d'immoler!...... L'indignation m'enflamme à cette idée, quand j'y vois joindre l'impudeur d'offrir comme suspecte cette émigration si naturelle! Eh! laissez fuir ceux qui ont peur; mettez-vous entre les assassins pour arrêter leurs bras sanguinaires, et ces mêmes victimes dont le sang rejaillira sur vous-mêmes qui avez la puissance, si vous n'empêchez qu'on les immole. Je sais que la commune et Santerre assurent que Paris est tranquille; je sais qu'ils l'assuraient aussi au 2 septembre; je sais que je fis alors de vaines réquisitions: je n'ai pas plus de pouvoir aujourd'hui qu'alors; la même faction existe, les mêmes malheurs nous menacent; j'userai de toutes mes facultés pour les conjurer; mais je ne puis guère que donner un grand exemple en désignant et bravant jusqu'au dernier instant mes propres bourreaux. C'est à la Convention, c'est à vous, qu'elle a investis de grands pouvoirs, à faire davantage pour le salut public, et c'est vous qui serez déshonorés si vous ne l'opérez pas. »

M. C.

commune à laquelle il en avait inutilement demandé. L'Assemblée, saine par l'esprit, mais incapable et faible par caractère, applaudit, fit imprimer, ordonna peu de choses et ne rectifia rien. Il n'est guère possible d'imaginer une situation plus pénible que celle d'un homme équitable et ferme, à la tête d'une grande administration dans laquelle il paraît avoir une puissance considérable, et se charge effectivement d'une grande responsabilité ; témoin journalier d'abus révoltans dont il n'a pourtant que la dénonciation, et sur lesquels l'autorité législative qu'il éclaire, ne sait ou n'ose prendre un parti. Casser la commune, ordonner l'élection, dans les règles, d'une nouvelle municipalité, organiser la force publique et lui faire nommer un commandant par les sections, étaient véritablement les seules mesures propres à rétablir dans Paris l'ordre, sans lequel on y citerait vainement les lois et faute duquel une Convention y serait nécessairement soumise à l'autorité municipale qui ne connaissait aucun frein. Dans cet état de choses, j'aurais mieux aimé que Roland consacrât ses talens à sa patrie comme député, qu'en qualité de membre d'un conseil sans énergie, et de ministre d'un gouvernement sans action. Je ne dissimulai pas cette façon de penser à quelques personnes faites pour l'apprécier; car le vulgaire n'aurait rien compris à la préférence d'une existence modeste sur le traitement et l'entourage d'une place ministérielle; et faute d'y voir clair, il aurait fait de sottes suppositions.

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Le département de la Somme, que Roland avait long-temps habité, le nomma son représentant : cette nomination excita des regrets presqu'universels; on trouvait absurde et fàcheux de voir ôter du gouvernail un homme intègre, éclairé, courageux, difficile à remplacer, pour le faire passer dans une assemblée où tant d'autres pouvaient voter utilement sans une égale capacité. Roland n'avait point à hésiter; il écrivit à l'Assemblée en conséquence, en la priant de nommer à sa place, et lui indiquant la personne qu'il croyait pouvoir lui succéder. L'agitation fut extrème à cette nouvelle, on se récria de toutes parts, et l'on opina pour qu'il fût invité à rester au ministère. La Convention s'était déjà formée du grand nombre de députés à l'Assemblée législative qui s'y trouvaient nommés, et de ceux des députés les premiers arrivés, ou ceux-ci prenaient place dans l'Assemblée législative; c'est ce que je ne me rappelle pas parfaitement à ce moment où je n'ai près de moi aucune espèce de renseignemens : mais Danton était présent (1); il s'éleva avec beaucoup de chaleur contre cette invitation; son impétuosité trahit sa haine, lui fit dire beaucoup de choses ridicules, et en

(1) Je me souviens que, pendant plus d'un mois, il continuait d'agir au Conseil, en allant voter à l'Assemblée : cette cumulation de pouvoirs paraissait très-condamnable à Roland, qui, durant la dernière quinzaine de cette allure de Danton, s'abstint d'aller au Conseil, influencé par un homme qui ne devait plus s'y trouver.

tr'autres, qu'il faudrait donc aussi m'adresser l'invitation, parce que je n'étais pas inutile au ministère de Roland. Les murmures de la désapprobation repoussèrent ces propos envieux; mais le décret ne fut pas rendu, quoique le désir général fût bien marqué; la démission ne fut pas non plus acceptée, et le ministre demeura dans la possibilité de choisir encore. La foule des députés se porta chez lui pour l'engager à ne pas quitter le ministère; on le pressa vivement comme pour un sacrifice qu'il devait à son pays; on lui représenta que la Convention une fois complète ferait prendre aux affaires une marche grande et décisive, dans laquelle son caractère et son activité seraient nécessaires, et par laquelle il serait soutenu. Deux jours s'étaient passés dans ces sollicitations, lorsqu'on vint lui apprendre que sa nomination était mauvaise, parce qu'elle avait été faite en remplacement d'une autre que l'on croyait nulle et qui ne l'était point; qu'ainsi il n'avait point de raison de quitter le ministère.

Il se détermina donc à rester; il l'écrivit à l'Assemblée avec l'accent d'un courage et d'une fierté qui fut couvert des applaudissemens de la majorité, et fit pålir ses ennemis (1). Il n'y eut plus de relâche dans le parti Danton contre lui: chaque jour

(1) « Je dois rester au ministère, dit Roland dans cette » lettre, puisque la très-grande majorité de la Convention » a manifesté ses intentions à cet égard; le vœu de repré> sentans des 83 départemens ́est une loi nouvelle et su

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