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Je n'ai point dissimulé mes sentimens et mes opinions. Je sais qu'une dame romaine fut envoyée au supplice, sous Tibère, pour avoir pleuré son fils; je sais que dans un temps d'aveuglement et de fureur d'esprit de parti, quiconque ose s'avouer l'ami de condamnés ou de proscrits, s'expose à partager leur fortune. Mais je méprise la mort; je n'ai jamais craint que le crime, et je n'assurerais pas mes jours au prix d'une lâcheté. Malheur au temps, malheur au peuple où la force de rendre hommage à la vérité méconnue, peut exposer à des périls; et trop heureux alors qui se sent capable de les braver!

C'est à vous de juger maintenant s'il convient à vos intérêts de me condamner, à défaut de preuves, sur de simples opinions et sans l'appui d'aucune loi (1).

(1) Ce morceau dans lequel l'innocence se montre si calme, l'amitié si courageuse, et que les sentimens d'une ame forte élèvent par degrés au ton de la plus haute éloquence, fut le dernier écrit tracé par madame Roland. L'issue de son procès n'était pas douteuse: nous avons recueilli dans la Notice tout ce qu'on sait de ces débats ouverts pour la forme devant un tribunal où l'on était jugé avant d'être entendu. A la fin de ce volume, on trouvera les interrogatoires de madame Roland, le réquisitoire de Fouquier-Thinville, et l'arrêt du tribunal révolutionnaire. Mais comme si la mort d'une femme célèbre n'avait point satisfait ses ennemis, ils firent paraître contre elle, dans le Républicain, un article répété par le Moniteur, et que nous joignons aux Pièces (R). C'est un monument odieux de ces horribles temps, où les fureurs populaires outragent leurs victimes après les avoir immolées.

(Note des nouveaux éditeurs.)

SUPPLÉMENT

AUX NOTICES HISTORIQUES

SUR

LA RÉVOLUTION.

L'un des éditeurs qui nous ont précédés, avait partagé la captivité de madame Roland, et fut sur le point de subir son sort. Jeté à la Force quand elle était à Sainte-Pélagie, il eut pour compagnons d'infortune, Achille du Châtelet, Dussaulx, Adam Lux, Hérault de Séchelles, Valazé, Vergniaux et d'autres personnages dont madame Roland a souvent parlé dans ses Mémoires. Échappé à la proscription, il composa, sur les faits dont il avait été le témoin, sur les particularités qu'il avait apprises, sur les hommes qu'il avait fréquentés, un morceau qu'il destina lui-même à faire suite aux écrits de madame Roland; et comme, en effet, ce morceau ajoute des traits fort intéressans au tableau qu'elle a tracé, aux portraits qu'elle a peints, nous nous serions reproché de ne pas le joindre à ses Mémoires, dont il est devenu le complément.

(Note des nouveaux éditeurs.)

SUPPLÉMENT

AUX NOTICES HISTORIQUES

SUR LA RÉVOLUTION.

EN ajoutant ces Notices aux Mémoires d'une femme célèbre, je n'ai pas la prétention de m'associer à sa renommée, encore moins celle de rivaliser de talens avec un des meilleurs écrivains de cet âge. J'ai cru que les mêmes liens d'amitié qui ont servi de titre à ses persécuteurs pour m'envelopper dans sa proscription, pourraient aujourd'hui me donner le droit d'unir ma voix à la sienne, pour proclamer nos communs malheurs ainsi que notre commune innocence; et ma qualité d'éditeur de ses écrits, me fournit naturellement la place de cette association. Mon but, en cela, est d'éclairer de plus en plus ce long et épouvantable procès, qu'une partie de la France a intenté à l'autre, où l'on a vu d'un côté des victimes, de l'autre des bourreaux, et nulle part des juges. Ceuxci se montreront à leur tour, mais ce sera alors seulement le tumulte des débats aura cessé, que et que la voix de la justice pourra se faire entendre au milieu du silence de toutes les passions.

En attendant, continuons d'instruire ce grand procès une femme en a déjà fourni les principales pièces; celles que je joins ici jetteront un nouveau jour sur cette affaire. L'histoire recueillera le tout; et quand son rapport sera fait, la postérité jugera. Je fus jeté, le 4 août 1793, dans le séjour réservé au crime.

Ces terribles portes, qui se fermaient pour la première fois sur moi, m'inspirèrent une horreur que j'aurais de la peine à décrire. Il faut avoir passé par cette situation, pour pouvoir s'en faire une idée juste. On me conduisit d'abord dans une cour qui sert de lieu de promenade aux prisonniers. Là, je vis la réunion d'une centaine d'individus qui me parurent aussi dissemblables par leurs figures et leurs habillemens, que par les sensations qu'ils semblaient éprouver. Je reconnus dans le nombre le général Miranda, Custines le fils, le général Lécuyer, Adam Lux et les députés Vergniaux et Valazé. J'aurai occasion par la suite de parler de quelques-uns de ceux que je viens de

nommer.

Les comités de la Convention et la commune de Paris, n'avaient pas encore, à cette époque, abusé des arrestations d'une manière aussi effrénée que ces mêmes autorités le firent dans la suite. Sans doute il y en avait eu déjà un grand nombre d'injustes, mais du moins on avait pris soin de les colorer de quelque apparence d'équité et de régularité, qui en imposaient à l'opinion. Mon empri

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