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niers étaient obligés de remettre au président du tribunal de fang, leur bourfe & leurs porte-feuilles. Qu'ils fuffent abfous ou exécutés, tout n'en était pas moins perdu. On a fu que M. de Wittgenstein, en allant à la mort remit à Maillard une montre enrichie de diamans, fous fa promeffe de la faire tenir à une femme de fes amies, qui n'en a jamais entendu parler.

Pouffés par les plus chers intérêts, des bourgeois qui n'avaient jamais ofé ou daigné fe rendre dans les repaires que l'on nommait fections, y allerent ce jour là pour réclamer des amis & des parens, au nom de la fection fur laquelle ils vivaient. Plufieurs prifonniers furent fauvés de cette maniere. L'Abbaye fut même le lieu qui rendit à la fociété le plus de victimes. De ce nombre fut l'abbé Sicard, fucceffeur du célebre abbé de l'Epée, dans l'inftitution des fourds & muets. Un ami nommé M. Monnot, l'arracha aux bourreaux, le dimanche 2, dès le commencement des maffacres, au péril de fa vie, & en lui faifant jufqu'à la fection, un bouclier de fon corps. Cependant que faifait cette ftupide affemblée ? Au lieu de convoquer la force publique, au lieu de mander les autorités exiftantes, au lieu de se transporter en corps aux endroits où l'on égorgeait, elle décréta que Monnot avait bien mérité de la patrie, puis elle paffa froidement à l'ordre du jour, qui était la difcuffion d'un paffe-port donné par le miniftre des affaires étrangeres à l'envoyé de Parme, & un rapport du comité des finances & des domaines. Quelle froide & barbare atrocité! L'assemblée leve tranquillement fa féance à 11 heures du foir, pour la reprendre à 10 heures du matin; dans l'intervalle, chaque membre va fe repofer, & elle ofe dire enfuite qu'elle n'eft pas complice de la commune!

Tome II.

11 eft difficile de mettre de l'ordre dans une femblable narration. Le lecteur eft auffi empreffé que moi de fortir de ce cloaque fanglant. Je vais recueillir encore à la hâte quelques notes d'horreurs, que je trouve dans mon porte-feuille, pour lui préfenter plus vite quelques traits de vertu qui le confoleront au moins au milieu de tant de calamités.

La fection du Contrat Social, ci-devant St. Euftache, apprenant qu'on malfacrait les prifonniers de l'Abbaye, envoya dans cette prifon trois différentes députations, pour réclamer deux de fes membres, qui y étaient détenus pour une légere rixe. Aucune de ces trois députations ne put parvenir jufqu'à l'Abbaye. Lorfque la troifieme eut appris à la fection qu'elle n'avait pas été plus heureuse que les deux premieres, M. B....., horloger, fe leva & dit: que fi on voulait le nommer d'une quatrieme députation, il croyait pouvoir réuffir. Il fut exaucé; on nomma trois nouveaux députés, & M. B.... fut un des trois. Lorfqu'ils furent à quelque distance du théâtre du carnage, l'ardeur avec laquelle les bourreaux s'acharnaient fur leurs victimes, effraya les compagnons de M. B....., ils lui abandonnerent les pouvoirs de la fection & s'enfuirent. Il s'avança avec beaucoup de peine, & marchant fur des lambeaux de chair, & enfonçant dans le fang jufqu'à la cheville du pied. Arrivé à la porte de la prifon, deux bourreaux, les mains enfanglantées, le faifirent au collet, en lui criant:,, Malheureux! que viens,, tu faire ici? es-tu las de vivre? -- je viens, répondit-il, réclamer deux citoyens de ma fection. --As-tu tes pouvoirs? où font-ils ? --- les voilà---eh bien, entre; au furplus nous faurons bien te retrouver."

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Lorfque M. B... fut dans le guichet, d'autres

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encore.

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bourreaux lui firent les mêmes queftions, auxquelles il répondit de la même maniere. Parmi ces gens-là, les uns buvaient, les autres fumaient; d'autres affouvis de vin & de fang dormaient. M. B... ne voyait les objets qu'à la lueur de deux ou trois torches. Il demanda le préfident; on le lui montra devant une table couverte de papiers, de regiftres, de bouteilles, de verres, de pipes, de fabres teints de fang. Il expofa l'objet de sa misfion, & montra fes pouvoirs. Deux bourreaux le tenaient toujours à la gorge. „ D'abord, dit le préfident, voyons fi ceux que tu réclames, font ,, encore ici." En difant cela, il parcourait un regiftre, & s'écria tout-à-coup :,, Oui, ils y font Pourquoi, demanda-t-il enfuite à M. B... font-ils ici? Pour une légere querelle qui n'a eu aucune fuite fâcheufe. --- En es-tu bien fûr?--Très-fûr.--- En réponds-tu fur ta tête ? Oui. Eh bien, voilà du papier, figne; &, s'il y a contre eux le plus léger foup„, çon d'ariftocratie, ta tête fautera: voyons les écrous! "Le préfident prit en effet le regiftre des écrous, & après avoir vérifié ceux des deux prifonniers, il s'écria:,, Il a raifon, il n'a pas menti, on peut aller chercher ces deux hom,, mes." Les deux prifonniers arrivés, M. le préfident dit à M. B...,, Tiens, les voilà; va-t-en ,, avec eux. " M. B... les prit fous les bras, les ferrant contre fa poitrine le plus qu'il pouvait, & pria qu'on lui donnât une escorte pour arriver jufqu'à la rue. Le préfident ordonna à deux hommes de paffer devant lui & de prévenir les affommeurs. Ces deux hommes le prirent au collet & le traînerent rapidement vers la porte de la rue. Cemme il allait franchir le feuil du guichet, un jeune homme de bonne mine, qui avait environ 19 ans, fe jetta à fes genoux, & lui cria:

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,, Et moi auffi, Monfieur, fauvez-moi!" M. B... n'eut pas le tems de répondre, parce que fes conducteurs le tirerent hors de la prifon, tandis que des bourreaux le jetterent fur le jeune homme, & l'entraînerent après lui. M. B... fut à peine dans la rue qu'il vit couper la tête à ce même jeune homme. Il voulait fe hâter de s'éloigner, tenant toujours étroitement les deux prifonniers qu'il avait délivrés; mais un grouppe de bourreaux l'environna & l'arrêta.,, Tiens, regarde, lui dit .. un d'eux, en lui montrant l'infortuné, qui venait d'être décollé; veux-tu voir le cœur d'un ariftocrate?" Cet homme avait à peine fait cette queftion, qu'avec fon fabre, il fendit le tronc du cadavre, en retira le cœur tout faignant, & le mit fous les yeux de M. B... enfuite, il prit des mains d'un de fes voifins, un verre, dans lequel il exprima le fang qui découlait du cœur, & but une partie de cette infernale boiffon. M. B... ne fait pas s'il y avait déja du vin ou une autre liqueur dans le verre, parce qu'il était tout rouge de fang en dedans comme en dehors. Lorfque le cannibale eut bu, il présenta le verre à M. B... en lui difant: Allons à ton tour." Il fallut faire femblant de goûter à cet horrible breuvage. Cette épouvantable épreuve subie, l'antropophage s'écria:,, Voilà un brave homme; car s'il y en avait eu plufieurs comme lui dans les fections, cin,, quante pauvres innocens que j'ai égorgés, ne l'auraient pas été!" M. B... ramena les deux particuliers qui lui devaient la liberté & la vie, fe mit au lit en arrivant chez lui, & fut plufieurs jours malade.

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A huit heures du foir feulement, c'eft-à-dire, cinq heures après le commencement du maffacre, l'affemblée envoya douze commiffaires dans les prifons. Aucun n'alla aux Carmes, tout y était fini

à cette heure; les commiffaires qui fe rendirent à l'Abbaye furent Duffaux, Chabot & Bazire. Soit frayeur, foit complicité, ils n'opérerent rien fur l'efprit du peuple. Duffaux en revenant rendre compte de fa miffion à l'affemblée, dit que Bazire & lui, avaient en vain effayé de haranguer les affalfins; quand le peuple avait vu qu'on s'oppofait à fes projets, il leur avait impofé filence. Chacun de nous, ajouta-t-il, parlait à droite & à gauche à fes voifins, mais les intentions pacifiques de ceux qui nous entendaient, ne pouvaient pas fe communiquer à des milliers de citoyens. Nous nous fommes retirés, & l'obscurité nous a empêché de voir ce qui fe paffait. Chabot ajoutant depuis à ce récit, a imprimé en Octobre que, pour parvenir au lieu des maffacres, il avait été obligé de paffer fous une voûte d'acier de dix mille fabres. Le projet de ces deux miférables était alors de perfuader que c'était le peuple qui avait demandé, vu commettre, & commis ces exécutions; mais bientôt le combat s'étant engagé entre les affaffins du 10 Août & ceux du 2 Septembre, l'intérêt des premiers leur a fait révéler toutes les vérités confi, dentielles & les arrieres penfées de ces journées éffroyables, Voici ce que Briffot leur dit: (après avoir eu fon mandat d'arrêt, & après avoir été chaffé des Jacobins. )

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(*) Je prouverai que le peuple de Paris n'a eu ,, aucune part à cette atrocité digne de cannibales; ,, qu'il n'eft pas vrai, comme le dit calomnieuse,, ment l'arrêté du 12 Octobre, qui l'appelle une importante journée, qu'elle ait été l'ouvrage de 30,000 citoyens, qui s'étaient portés au Champde-Mars pour s'enrôler. Je prouverai, contre ,, cet arrêté que le maffacre a commencé à deux

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(*) A tous les républicains de France, fur la Société de Jacobins, par J. Briffot, p. 38.

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