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L'abbé Godard, vic. gén. de Toulouse, sauvé le pre

mier Septembre, par l'abbé Fauchet.

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J'AI

Suite des Massacres du 2 Septembre.

Massacre à l'Abbaye.

'AI donné dans le chapitre précédent, le récit du maffacre des 252 prêtres au couvent des Carmes & au féminaire de St. Firmin; je dois transporter maintenant mon lecteur aux portes de la prison de l'abbaye St. Germain.

Qu'ajouterai-je au récit qu'en a fait fous mes yeux un témoin oculaire? Je l'ai déja imprimé ce récit. On l'a relu vingt fois, l'agonie déchirante de mon malheureux ami St. Méard; je me bornerai à fuppléer à ce que la prudence lui a ordonné de taire, & je révélerai ce que l'amitié lui défendait de me cacher.

Lié depuis long-tems avec lui, la révolution vint refferrer notre vieille amitié, par l'horreur qu'elle nous infpira également à l'un & à l'autre pour les auteurs & fes effets. Cette conformité de goûts nous décida dès le commencement à dévoiler les uns, & annoncer les autres fans crainte & fans ménagemens. Il y avait déja trois ans que nous les couvrions des flots du ridicule, & des traits de la fatyre, fans que la matiere put s'épuifer; dénoncés, brûlés, pillés, menacés, perfécutés, nous n'avions jamais lâché prife; le Palais Royal, les Thuileries, les clubs, l'affemblée nationale, les libraires, étaient les lieux où nous adreifions d'abord en perfonne à Manuel, Fabre, & Defmoulins, les vérités fanglantes, & les épigrammes que nos journaux répétaient enfuite à toutes les provinces. Nous dûmes émigrer ensemble au mois de Juillet, lorfque le mal nous parut fans re

mede. Le defir d'être utiles encore quelque tems, l'espoir que le Roi, les Suiffes & la garde natio nale neutraliferaient l'influence peftilentielle des Marseillois, nous retinrent à Paris. Le 10 Août nous y furprit. La parité des fentimens qui nous animaient, nous faifait courir les mêmes dangers, & nous paffions alors la plus grande partie de la journée enfemble, lorfqu'un ami commun vint m'avertir un jour du fort qui me menaçait, en m'annonçant l'emprifonnement de mon pauvre ami. Ma vie fe confumait dans la douleur & l'effroi. La nouvelle des maffacres des prifons vint mettre le comble à l'anéantiffement de mes facultés, & me plonger dans une apathie stupide qui me préparait d'avance au repos de la mort. Quand les nuages qui troublaient ma penfée, venaient à s'éclaircir, l'image de St. Méard déchiré fe préfentait auffi-tôt à moi, & cette idée, jointe au fouvenir du fpectacle de la tête fanglante de Suleau, me faifait mourir vingt fois par heure. Le lundi 3 au foir, j'entendis frapper auprès du lieu qui me recélait. Un ami inquiet venait s'informer fi j'exiftais encore. La conformité de fon nom le fit annoncer, fous le nom de St. Méard, à celle dont j'étais le prifonnier. A ce mot, ma fenfible geoliere fécha fes pleurs, & se précipita au devant de lui. En appercevant un inconnu, l'erreur & la crainte firent fur elle l'effet de la foudre. Il nous fallut beaucoup de tems pour la rappeller à la vie. C'était un brave Anglais, le loyal Somers qui venait s'affurer par lui-même fi mon afyle était fûr, & fi je pouvais compter que les affaflins ne m'atteindraient pas. Le lendemain 4, les maffacres continuaient encore; le véritable St. Méard, fauvé par miracle pendant la nuit, était dès le matin à ma porte. A peine revenu du quiproquo de la veille, je repouffais le domes

tique qui me l'annonçait pour la feconde fois, lorfque je le vis dans mes bras, & que je pus le preffer fur mon cœur. Ce moment me fit oublier tous ceux qui l'avaient précédé. Un éclair de joie que j'effayerais vainement de peindre, dillipa trois femaines de fouffrance -- que l'on m'affure au prix des plus affreuses inquiétudes la même jouiffance, & je recommence encore.

Le juge populaire qui s'était établi au poste de l'abbaye, pour y faire exécuter les jugemens déja infcrits fur les tables de profcription de Danton, était l'huiffier Maillard, un des hommes du 14 Juillet, du 5 Octobre & du 10 Août : habitant du fauxbourg St. Antoine, il fut pendant toute la révolution, l'affocié de Santerre, de Panis, de Gonchon & de Palloy, pour la direction de ce terrible fauxbourg. Il couronna fa carriere en présidant aux maffacres du 2 Septembre.

Lorfque les prêtres renfermés dans le cloître de l'abbaye, eurent été facrifiés, les affaflins demanderent à grands cris les Suiffes qui y étaient détenus. Les bas-officiers furent maffacrés fans interrogatoire ni jugement. De tous les officiers fupérieurs, il ne reftait que le Capitaine Reding. On n'avait pas pu le transférer à la Conciergerie avec les autres, à cause de la blessure qu'il avait reçue au 10 Août. St. Méard n'a point ofé retracer une circonftance affreufe de fa mort qui fe paffa fous fes yeux. Voici comme il me l'a dépeinte. Les bourreaux qui vinrent chercher ce malheureux homme, pour le faire marcher au lieu de fon fupplice, voyant que fa bleffure l'empêchait de fe foutenir, le chargerent fur leurs épaules. La douleur lui arrachait des cris déchirans. Un troifieme bourreau qui fuivait, prit le pârti, pour appaiser le bruit, de lui fcier la gorge avec fon fabre, & il commença cette exécution aux yeux même de

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